Origine de l’intérêt pour le rôle des SST
On a décrit dans l’introduction des modes de variabilité atmosphériques intrasaisonniers dont l’existence peut être expliquée en considérant uniquement la dynamique de la troposphère. Les statistiques de ces différents modes de variabilité basse fréquence varient aussi cependant à très basse fréquence (quelques années). C’est le cas pour l’oscillation Nord Atlantique (Hurrell, 1995), ou bien dans le Pacifique Nord avec une variabilité lente de l’oscillation atmosphérique Pacifique Nord Américaine. L’existence d’une variabilité très basse fréquence de l’atmosphère, dont l’empreinte peut par exemple persister d’un hiver sur l’autre malgré le cycle saisonnier, est difficilement conciliable avec une dynamique purement atmosphérique. En effet cette dernière est caractérisée par des constantes de temps de relaxation courtes. L’océan, via les constantes de temps beaucoup plus longues qui caractérisent ses circulations profondes et son inertie thermique, doit jouer un rôle dans cette variabilité lente. Cela implique aussi qu’il puisse forcer l’atmosphère. La connaissance de l’état de l’océan, par exemple de la SST ou du contenu thermique de la couche de mélange, peut alors être utilisée pour de la prévision sur des échelles (typiquement de 2 à 5 mois) dépassant celles des modes de variabilité purement atmosphériques (Czaja et Frankignoul, 2002). De même si un tel forçage de l’atmosphère par l’océan existe, la connaissance de la phase de certains modes océaniques basse fréquence des moyennes latitudes permet alors d’avoir une part de prévisibilité à long terme (5-10 années) sur l’écoulement atmosphérique (Latif et Barnett, 1996).
La variance interannuelle de la moyenne d’ensemble, qui représente la variabilité forcée par les SST, est comparée à la variance entre membres de l’ensemble. Cette dernière estime la variabilité interne de l’atmosphère ou sa variabilité totale. De telles études montrent qu’aux tropiques, la connaissance des SST suffit à déterminer plus de 60% de la variabilité atmosphérique inter-annuelle des pressions de surface. Par contre, aux latitudes extra-tropicales, cette condition aux limites ne contraint que de l’ordre de 20% de la variabilité interannuelle. En utilisant les mêmes méthodes d’analyse de variance, Rowell (1998) et Hoerling et Kumar (2002) montrent que les précipitations aux tropiques sont également fortement conditionnées par les SST tropicales, qui déterminent plus de 80% de la variance. A l’inverse la prévisibilité des précipitations aux moyennes latitudes est inférieure à 20% sur la plupart des régions. Malgré les valeurs faibles aux moyennes latitudes, la prévisibilité associée est significative au sens statistique, ce qui justifie de s’y intéresser en détail. Les questions importantes qui apparaissent à la fin des années 1990 (Bladé, 1997; Robinson, 2000) pour la prévision à long terme sont :
— Quelle part de la variabilité de l’atmosphère des moyennes latitudes est liée aux SST extra-tropicales, par opposition à la variabilité liée aux SST globales ?
— Est-ce que ces dernières sont liées à des modes de variabilité couplée des moyennes latitudes, ou bien à des forçages externes tels que l’influence des tropiques ou des modes de variabilité lente purement océaniques ?
Réponse des moyennes latitudes aux SST tropicales
Les observations et les réanalyses montrent des corrélations significatives entre la circulation moyenne extra-tropicale (pression de surface ou hauteur de géopotentiel) et la variabilité des SST tropicales associés par exemple à El Niño (Horel et Wallace, 1981; Hoerling et Kumar, 2002). L’amplitude des réponses composites aux index d’El Niño en terme de géopotentiel à 500 hPa dans le secteur Pacifique-Nord-Amérique sont de l’ordre de quelques dizaines de mètres. La variabilité interannuelle en hiver est quant à elle de l’ordre de 40 à 50 m. Les SST tropicales ont donc une importance dans la variabilité interannuelle des moyennes latitudes. Afin de quantifier plus précisément le rôle d’El Niño sur la circulation atmosphérique dans l’hémisphère Nord, l’étude de Hoerling et Kumar (2002) utilise un protocole similaire à celui utilisé pour la figure 1.1, avec un ensemble de simulations forcé à partir des SST historiques. L’étude montre qu’une part de variance atmosphérique interannuelle est forcée par les SST, comme montré par Rowell (1998) et Kushnir et al. (2002). Par ailleurs, des travaux tels que ceux de Hoerling et Kumar (2002), utilisant des valeurs climatologiques de SST hors des tropiques montrent que la variabilité atmosphérique forcée est principalement liée à celle des SST dans le secteur Pacifique Tropical, plutôt qu’aux anomalies extra-tropicales. Le mécanisme de réponse se base d’abord sur l’effet local dans les tropiques, qui est un chauffage diabatique au dessus de l’anomalie de SST. Cette réponse se propage vers les moyennes latitudes sous la forme d’une onde de Rossby stationnaire excitée par ce chauffage (Held et al., 1989). Les changements de circulation moyenne et d’écoulement basse fréquence discutés ci-dessus sont également associés à des modifications des perturbations synoptiques (par exemple Zhang et Held, 1999; Chang et al., 2002). Ces changements de circulation atmosphériques sont suffisamment importants pour modifier à leur tour les SST extra-tropicales (Alexander et al., 2002). Enfin des études statistiques montrent également un effet des SST tropicales sur la variabilité intra-saisonnière des moyennes latitudes, caractérisée par exemple par les fréquences d’occurrence des régimes de temps. Les données de réanalyses montrent que des températures chaudes dans l’Atlantique tropical tendent à favoriser la phase positive de l’oscillation nord-Atlantique (Cassou et al., 2004). Les anomalies dans le Pacifique tropical associées aux épisodes La Niña sont associées à des régimes dorsaux plus fréquents en hiver (Cassou et Terray, 2001). Ces résultats sont confirmés à partir de modèles de circulation générale forcés par des SST qui correspondent aux différentes phases des modes de variabilités océaniques (Cassou et al., 2004). De la même manière, la prise en compte des SST observées dans des modèles de circulation générale permet de reproduire de manière robuste les changements inter-annuels de fréquence d’occurrence des régimes de temps constatés sur le secteur Pacifique-Amérique nord depuis le milieu du vingtième siècle (Straus et al., 2007). Les SST tropicales modifient donc à la fois l’état moyen des moyennes latitudes, les statistiques de variabilité haute (perturbations synoptiques) et basse fréquence (régimes de temps). Ce n’est que plus récemment qu’une réponse aux anomalies de SST extratropicales a été mise en évidence, analogue mais d’amplitude plus faible.
Réponse de l’atmosphère aux SST extra-tropicales
Observations et approche statistique
Pour mettre en évidence cette réponse, une première approche consiste à considérer les relations statistiques entre grandeurs atmosphériques et océaniques. On s’intéresse principalement aux corrélations retardées, lorsque l’océan précède l’atmosphère d’une durée τ supérieure à celle des modes de variabilité interne de l’atmosphère. Ceci permet d’extraire la réponse forcée de l’atmosphère à une anomalie de SST qui persiste sur quelques mois (Frankignoul et al., 1998; Czaja et Frankignoul, 1999). Pour cela, on peut utiliser le modèle stochastique décrit par l’équation (1.4). On va exprimer, à la manière de Frankignoul et al. (1998), le terme Do comme la somme de deux termes m′ et −λo SST. m′ regroupe l’ensemble des termes de forçages stochastiques autres que ceux liés au flux turbulent de chaleur, par exemple le transport. Le terme −λo SST regroupe de la même manière l’ensemble des rétroactions qui agissent sur la SST autres que celle associée aux flux turbulents à la surface, telles que l’entraînement ou le flux radiatif.
La décomposition en valeurs et vecteurs singuliers entre SST et flux de surface pour des décalages τ compris entre -1 et 3 mois fait apparaître une anomalie de SST en fer à cheval (Czaja et Frankignoul, 2002). Si on considère une phase avec une anomalie de SST positive sur le Gulf Stream, les vecteurs singuliers associés montrent qu’à cet endroit, les flux au décalage de -1 mois (atmosphère qui précède) sont dirigés vers l’océan. A l’inverse aux décalages positifs de +1 à +3 mois (océan qui précède), ceux-ci sont dirigés vers l’atmosphère. Les flux de surface forcent donc l’anomalie de SST comme dans le modèle de Frankignoul et Hasselmann (1977), puis l’anomalie décroit lentement via la rétroaction négative associée aux flux de chaleur de l’océan vers l’atmosphère : c’est le comportement décrit localement par la figure 1.2b. L’analyse a aussi été conduite entre la température océanique SST(t0) et le géopotentiel à 500 hPa Z500hP a(t0 + τ ) (Fig. 1.2c) pour différentes valeurs de τ . Le premier vecteur singulier associé à l’océan suit là aussi une forme de fer à cheval. Pour une telle anomalie de SST en hiver, la relation entre SST et géopotentiel à 500 hPa est significative au sens statistique quand la SST précède de 1 à 7 mois la circulation atmosphérique, ce qui met en évidence un forçage de la troposphère libre par l’océan. Cette réponse a une amplitude pour le géopotentiel à 500 hPa de l’ordre de 10 m à 15 m, soit ≈ 40 m/K. Cela représente de l’ordre de 15 % de la variabilité inter-annuelle en hiver dans l’Atlantique Nord (Czaja et Frankignoul, 1999; Drévillon et al., 2001; Czaja et Frankignoul, 2002). Le vecteur singulier pour le géopotentiel se projette relativement bien sur le mode dominant de variabilité dans ce secteur, l’oscillation Nord-Atlantique. En conclusion, ce type de méthodes statistiques permet d’extraire du système couplé la réponse atmosphérique aux températures océaniques, qui forcent via les flux de chaleur des anomalies de circulation. Des étude à partir de GCM confirment l’existence du forçage de cette variabilité par les variations des SST extra-tropicales. Par exemple, en prenant en compte les SST historiques sur l’Atlantique Nord, et des valeurs climatologiques ailleurs, Rodwell et al. (1999) montrent que les variations inter-annuelles et surtout à de plus basses fréquences de la phase de l’Oscillation Nord Atlantique peuvent être en partie reproduites. On va maintenant décrire comment ce forçage de l’atmosphère par les flux de chaleur est associé aux réponses en circulation. Pour s’affranchir des difficultés associées à la coexistence des deux sens de forçages dans le système couplé, on se place principalement dans le cadre d’une atmosphère forcée par des SST.
Dans un modèle d’équations primitives, Frankignoul (1985) montre que la réponse à des anomalies de SST aux moyennes latitudes s’étend à l’intégralité d’un hémisphère. Les anomalies utilisées ont des dimensions de quelques milliers de kilomètres, et des amplitudes réalistes associées à des chauffage de l’ordre de 40 W/m2 dans les basses couches. Les amplitudes de réponse à 300 hPa sont de 20 à 30 m au maximum, et 5 à 10 m loin de l’anomalie. La figure 1.3 présente la réponse linéaire au chauffage diabatique diagnostiqué dans la région du Gulf Stream, autour d’un état de référence climatologique (Minobe et al., 2008). On y voit que l’onde stationnaire générée par une source localisée en longitude modifie fortement la circulation au niveau de l’Europe. La source est associée à un chauffage de 250 W/m2 mais avec une extension spatiale plus réduite que Frankignoul (1985), de sorte que les amplitudes de réponse sont comparables, jusqu’à 20 m sur le géopotentiel à 250 hPa. Ces amplitudes de réponses linéaires sont non-négligeables par rapport à la variabilité interannuelle (∼ 40 m), ou encore à l’amplitude de l’onde stationnaire présente dans les moyennes climatologiques de l’hémisphère Nord (∼ 40 m). La réponse linéaire ne dépend pas seulement du flux de chaleur en surface considéré, mais aussi du profil vertical de chauffage avec notamment une forte dépendance à sa dérivée verticale (Frankignoul, 1985). Ce point est illustré par la figure 1.4, qui compare la réponse linéaire à un même chauffage, mais pour deux profils verticaux distincts. On y voit que la réponse du géopotentiel est différente selon que le chauffage est réparti sur toute la troposphère (figure de gauche) ou bien contenu seulement dans les basses couches (figure de droite). Cela indique que la connaissance des flux de surface n’est pas suffisante pour déterminer la réponse aux anomalies de SST extra-tropicales. Une des difficultés principales va donc consister à déterminer le profil de chauffage induit par une variation donnée de SST. Peng et Whitaker (1999) décrivent également une dépendance de la réponse linéaire à l’écoulement de référence, même pour de faibles variations de ce dernier au cours d’une même saison. Celle-ci peut en partie expliquer les différences de réponses obtenues pour différentes configurations de GCM (Fig. 1.5 par exemple).
Les différentes études à partir de GCM mentionnées dans la partie précédente ont cependant fait apparaître que la réponse aux anomalies extra-tropicales de SST était fortement non linéaire. Pour des anomalies de SST d’amplitude de 2.5 K, Magnusdottir et al. (2004) montrent que les réponses à des anomalies de même amplitude et répartition spatiale, mais de signes opposés, n’étaient pas similaires. Une partie de cette non linéarité est notamment due aux profils de chauffage obtenus dans les GCM, avec une réponse plus profonde pour des anomalies positives que pour des anomalies froides dont l’effet reste confiné aux basses couches. Par exemple, Deser et al. (2004) obtiennent avec un GCM une réponse d’amplitude d’ordre 2-3 fois supérieure pour une anomalie chaude de 5 K dans l’Atlantique Nord (≈ 90 m sur le géopotentiel à 300 hPa), par rapport à une anomalie de -5 K de même structure (≈ 30 m).
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Table des matières
Introduction
1 Effets des SST sur les rails de dépressions : état de l’art
1.1 Origine de l’intérêt pour le rôle des SST
1.2 Rôle des variations de SST aux grandes échelles dans la dynamique des rail des dépressions
1.2.1 Dynamique des anomalies de SST de grande échelle
1.2.2 Réponse des moyennes latitudes aux SST tropicales
1.2.3 Réponse de l’atmosphère aux SST extra-tropicales
1.3 Forçage de la couche limite atmosphérique par la mésoéchelle océanique
1.4 Effets des fronts de SST sur le rail des dépressions
1.4.1 Mise en évidence
1.4.2 Mécanismes de réponse atmosphérique
1.5 Problématique
2 Effets dynamiques des tourbillons dans les basses couches du rail
2.1 Introduction
2.1.1 Équilibres dynamiques de la couche limite
2.1.2 Équilibres d’Ekman en présence d’anomalies de SST
2.1.3 Modification du mélange vertical et conséquences
2.2 Importance relative des mécanismes et rôle des conditions synoptiques ambiantes
2.2.1 Régimes de vent
2.2.2 Simulations idéalisées
2.2.3 Études régionales
2.3 Configuration idéalisée d’un rail des dépressions générique
2.3.1 Configuration de référence pour le rail des dépressions
2.3.2 Champs de température de surface de l’océan
2.3.3 Caractéristiques de la variabilité des basses couches
2.4 Réponse de surface dans des simulations atmosphériques idéalisées
2.4.1 Article : Réponse atmosphérique en surface aux anomalies de température océanique de surface sous différentes conditions de vent
2.4.2 Compléments
2.5 Effets des courants et couplage à mésoéchelle
3 Rôle des tourbillons dans la variabilité du rail d’altitude
3.1 Introduction : mécanismes envisagés
3.1.1 Effet net d’une mer de tourbillons sur les flux de surface
3.1.2 Connexion locale de la petite échelle avec la troposphère libre
3.2 Dynamique de la réponse à une mer de tourbillons
3.2.1 Variabilité du rail des dépressions simulé
3.2.2 Article : Réponse du rail des dépressions aux tourbillons océaniques dans des simulations atmosphériques idéalisées
3.2.3 Compléments
3.2.4 Comparaison avec les simulations régionales réalistes
3.3 Rôle de la mésoéchelle océanique pour la variabilité couplée
Conclusions
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