Alimentation de base et culture principale, le riz est cultivé à Madagascar suivant deux pratiques principales : la riziculture irriguée et la riziculture pluviale. La superficie cultivée en riz du pays est estimée à 1 245 000 hectares entre 2004 et 2005 dont 8,4% de riz pluvial contre 78,7% de riz irrigué et 12,9% de riz tavy (défriche-brulis) (MAEP, 2007). Les paysans des hauts-plateaux sont parmi les principaux producteurs avec 36% du tonnage total du pays (Penot E. et al., 2009). Dans cette région densément peuplée, l’accès à des rizières irriguées est devenu de plus en plus limité du fait de la faible disponibilité des bas-fonds. Par contre, d’immenses étendues de terre incultes sur les versants de collines ou tanety ont été abandonnées à l’Aristida sp. ou bozaka. C’est pourquoi depuis 15 ans, la riziculture pluviale sur ces zones s’est développée (Raboin L-M. et al., 2013). Entre 2007 et 2008, plus de 50 % des exploitations agricoles de ses régions (sur 1054 ménages enquêtés dans 32 villages) cultivaient du riz pluvial (Penot E. et al., 2009). Ceci a notamment été possible grâce au développement et la diffusion de variétés de riz tolérantes à l’altitude, à la pyriculariose (maladie fongique du riz) et à l’humidité.
Cependant, les sols de tanety sont principalement des sols ferrallitiques (Rabeharisoa L., 2004). Ils sont reconnus pour leur faible teneur en éléments nutritifs, notamment en phosphore (P) (Rabeharisoa L. et al., 2007) et en azote (N) (Muryama N., 1979 ; Stangel P.J., 1979 ; Lacharme M., 2001). Cet appauvrissement est d’origine naturel à cause de leur forte acidité (Andriamananjara A., 2011) d’une part et leur forte teneur en minéraux secondaires tels que les sesquioxydes de fer et d’aluminium d’autre part (Aubert G., 1965 ; Aubert G. & Segalen P., 1966). Ces composés ont un fort pouvoir de rétention des ions phosphates, limitant leur disponibilité pour la plante cultivée. A ceci s’ajoute l’existence généralisée de ces sols sous bozaka (pseudo-steppe à Aristida sp) où la pauvreté floristique est frappante (Bourgeat F. & Aubert G., 1972). Ainsi, leur teneur en matière organique est particulièrement faible (entre 10 et 20 g.kg‐1) (Rabeharisoa L., 2004 ; Randriamanantsoa L. et al., 2015).
ETAT DE L’ART : les nématodes des sols
Diversité, morphologie et biologie
Parmi les organismes du sol, les nématodes constituent un des groupes « animal » les plus riches, les plus abondants, et les plus divers, aussi bien vis-à-vis de la diversité spécifique que fonctionnelle (Coleman D.C. & Wall D.H., 2010). Il est estimé que quatre animaux multicellulaires sur cinq de la planète sont des nématodes (Bongers T. & Ferris H., 1999). On peut en compter jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’individus par mètre carré.
Morphologiquement, les nématodes sont des vers ronds microscopiques. Ce sont des organismes multicellulaires à corps non segmentés. Ils possèdent une symétrie bilatérale, un tube digestif complet (c’est-à-dire de la bouche à l’anus) et un système nerveux simple (formé d’un anneau céphalique qui se prolonge en cordon nerveux). Ils sont dépourvus d’appareil circulatoire et respiratoire ; la respiration se fait par diffusion au travers des pores qui percent la cuticule imperméable recouvrant leur corps.
Groupes trophiques
Les nématodes du sol peuvent être parasites de plantes, bien connus par les dégâts qu’ils peuvent occasionner sur les cultures. Néanmoins, la plupart sont libres dont une grande partie est microbivore (Villenave C. et al., 2009a), c’est-à-dire, se nourrissant des micro-organismes. Ils comprennent des taxons constitutifs de la chaîne alimentaire du sol à plusieurs niveaux trophiques (Ferris H. et al., 2001). En fonction de leur comportement alimentaire, ils peuvent être classés en cinq groupes dont les bactérivores, les fongivores, les parasites des plantes (phytophages), les prédateurs et les omnivores (Yeates G.W., 1971; Gomes G.S. et al., 2003). Ces différents groupes peuvent être distingués facilement au microscope optique suivant la structure morpho-anatomique de leur pièce buccale et du pharynx : (i) les bactérivores se nourrissant de procaryotes utilisent leur stoma tubulaire, (ii) les fongivores utilisent leur stylet sans boutons basaux pour se nourrir sur les hyphes mycéliens, (iii) les phytophages utilisent leur stylet muni de trois boutons basaux pour se nourrir au niveau des vaisseaux conducteurs des plantes, (iv) les prédateurs ingèrent leur proies à travers une large cavité buccale munie de dents ou d’aiguillon et (v) les omnivores utilisent leur lance pour se nourrir des bactéries, des champignons, des proies de la microfaune, des algues, etc .
Les nématodes bactérivores
Selon Villenave (2011), 30 à 40% de la communauté nématofaunique totale du sol et 50% des nématodes libres du sol sous bozaka des Hautes-terres malgaches (Villenave C. et al., 2009a) sont des nématodes bactérivores. Sous les systèmes agricoles, cette densité varie en fonction des pratiques culturales (labour, amendement, culture en place). La densité de nématodes bactérivores est plus élevée en semis direct, par rapport au labour conventionnel, et cette densité augmente avec l’augmentation de l’apport de fertilisants (Villenave C. et al., 2009b). Acrobeloides sp., objet de notre étude, est un nématode bactérivore appartenant à la famille des Cephalobidae. Les Cephalobidae sont souvent les nématodes bactérivores les plus abondants dans le sol (Yeates G.W., 2003). Ils sont tolérants au stress, en particulier hydrique (Bongers T. & Bongers M., 1998; Villenave C. et al., 2010). Ils sont également peu sensibles à la faible disponibilité de nourriture et sont très tolérants aux polluants et à d’autres perturbations (Bongers T. & Bongers M., 1998). Acrobeloides sp. a un temps de régénération (cycle de vie) de 11 jours (variable selon la température et le type de bactérie présent dans la culture) et prolifère mieux en présence de faibles densités bactériennes (Anderson R.V. & Coleman D.C., 1981).
Effets des nématodes bactérivores sur la disponibilité des nutriments et les fonctions de la plante
Les nématodes bactérivores jouent un rôle clé dans le fonctionnement écologique des écosystèmes aquatiques et terrestres (Ingham R.E. et al., 1985 ; Bonkowski M. et al., 2000). La prédation des bactéries par les nématodes bactérivores stimule l’activité microbienne du sol, ce qui va améliorer la fertilité minérale du sol et favoriser la productivité primaire des plantes (Ferris H. et al., 1998 ; Djigal D. et al., 2004; Irshad U. et al., 2011). En libérant par excrétion les nutriments immobilisés dans la biomasse microbienne, les nématodes bactérivores vont améliorer la disponibilité des nutriments (Anderson R.V. et al., 1983; Ferris H. et al., 1998) et les fonctions de la plante (Irshad U. et al., 2012; Trap J. et al., 2016).
Approches méthodologiques pour appréhender les effets des bactérivores (protistes et nématodes) sur la disponibilité des nutriments et les fonctions de la plante
Différents dispositifs méthodologiques ont été utilisés pour étudier les effets des interactions entre les bactéries-bactérivores sur la disponibilité des nutriments dans le sol. Ces différents dispositifs vont des plus simples, adaptés pour comprendre les mécanismes les plus fins, vers des plus complexes en essayant d’imiter les réalités sur le champ.
Les dispositifs les plus simples se réfèrent à des cultures liquides pouvant être une suspension de sol ou une solution saline minérale (Taylor W.D., 1986 ; Griffiths B.S., 1986, 1989 ; Darbyshire J.F. et al., 1994 ;). Par exemple, Griffiths (1986) a utilisé une suspension de sol stérile pour comprendre les effets des interactions entre les bactéries Pseudomonas fluorescens et ses prédateurs, les nématodes Rhabditis sp. et les protozoaires ciliés Colpoda stenii, sur la minéralisation de N et P. A la fin de son expérimentation, la minéralisation de N était plus importante lorsque les protozoaires ciliés (C. stenii) et les nématodes (Rhabditis sp.) étaient combinés qu’avec C. steinii seul.
Suivant le gradient de complexité des dispositifs expérimentaux, nous pouvons ensuite citer les études réalisées avec du sol tamisé mais sans plante (Woods L.E., 1982 ; Griffiths B.S., 1989 ; Ronn R.M. et al., 2001). Ces travaux ont révélé que la présence de bactérivores augmentait la minéralisation nette de N et P dans le sol (Coleman D.C. et al., 1977 ; Cole et al., 1978).
D’autres études ont introduit une plante dans leur dispositif expérimental, soit avec du sable autoclavé ou un mélange sol / sable (Jentschke G. et al., 1995), soit avec un mélange humus / sable (Baath et al., 1981), soit parfois avec de l’agarose (Irshad U. et al., 2011 ; Irshad U. et al., 2012). Ces dernières conceptions ont permis un bon contrôle du système expérimental dans lequel la forme et les quantités de chaque nutriment sont bien connues. Par exemple, Irshad U. et al. (2012) ont conduit une expérience en boîte de pétri pour étudier les effets de la présence des nématodes Rhabditis sp. et Acrobeloides sp. sur la croissance et la nutrition de Pinus pinaster via la minéralisation du phytate par Bacillus subtillis. Après 60 jours d’incubation en conditions climatiques contrôlées, il a été démontré que la présence de Rhabditis sp. et Acrobeloides sp., prédateurs des bactéries minéralisatrices de phytate (B. subtillis), augmentait significativement l’accumulation de P dans les plantes de P. pinaster.
Des études plus réalistes ont été réalisées avec du sol (tamisé) et une plante (Ingham et al., 1985 ; Clarholm M. 1985b ; Alphei J. et al., 1996 ; Djigal D. et al., 2004 ;). Par exemple, Clarholm (1985a) a montré que la présence de protozoaires (à partir d’une suspension de sol) augmentait de 78% la biomasse de blé et la teneur en N dans les tissus végétaux après six semaines d’incubation. Djigal et al. (2004) ont trouvé des résultats similaires pour la teneur en P des plantes après 47 jours d’incubation.
Enfin, Gebremikael et al. (2014) ont proposé récemment une nouvelle méthode d’évaluation des effets d’une communauté de nématodes libres du sol sur la disponibilité de N dans des conditions proches du terrain. Ils ont conduit une expérience dans des tubes en PVC rempli de sol tamisé à 5mm, tassé à la densité apparente sur le champ. La faune du sol a été tuée par irradiation gamma, puis une communauté de nématodes natifs du sol a été ré-inoculée dans les carottes de sol à traitement « + nématodes ». Cette approche est techniquement pertinente mais reste moins efficace pour le suivi de l’activité mutualiste des nématodes dans plusieurs parcelles agricoles. De plus, elle requiert du temps et de l’argent ce qui le rend difficilement applicable pour une étude à grande échelle surtout dans les pays en développement comme Madagascar.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. METHODOLOGIE
2.1. ETAT DE L’ART : les nématodes des sols
2.1.1. Diversité, morphologie et biologie
2.1.2. Groupes trophiques
2.1.3. Les nématodes bactérivores
2.1.4. Effets des nématodes bactérivores sur la disponibilité des nutriments et les fonctions de la plante
2.1.5. Approches méthodologiques pour appréhender les effets des bactérivores (protistes et nématodes) sur la disponibilité des nutriments et les fonctions de la plante
2.2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
2.3. CADRE INSTITUTIONNEL ET OBJECTIFS DE L’ETUDE
2.4. SITE D’ETUDE
2.4.1. Localisation géographique
2.4.2. Climat
2.4.3. Type de sol
2.5. MATERIELS ET METHODES
2.5.1. Choix des parcelles d’étude
2.5.2. Echantillonnage des sols
2.5.3. Matériels biologiques
a. Nématodes bactérivores
b. Variété de riz B22
2.5.4. Mise en place du dispositif expérimental
2.5.5. Variables mesurées
a. Variables mesurées pour la quantification des effets des nématodes sur les plantes
b. Indicateurs agronomiques et pédologiques pour la prédiction des effets des nématodes sur les plantes
2.5.6. Traitements de données
a. Traitement de données pour la quantification des effets des nématodes sur les plantes
b. Traitement de données pour la prédiction des effets des nématodes sur les plantes
3. RESULTATS
3.1. Biomasses et nutriments à la fin de l’expérimentation
3.1.1. Biomasses produites
3.1.2. Azote total dans les plantes
3.1.3. Phosphore total dans les plantes
3.2. Effets des nématodes sur la production de biomasse
3.3. Effets des nématodes sur le N total et le P total dans les plantes
3.4. Densité finale des nématodes bactérivores
3.5. Indicateurs agronomiques et pédologiques de prédiction des effets des nématodes sur la croissance des plantes
4. DISCUSSIONS
4.1. Impacts des pratiques agricoles sur la croissance et la nutrition minérale du riz pluvial
4.2. Effets des nématodes bactérivores Acrobeloides sp. sur la croissance et la nutrition minérale du riz pluvial
4.3. Prédicteurs des effets d’Acrobeloides sp. sur les fonctions du riz pluvial
4.4. Impacts des pratiques agricoles sur le taux de survie d’Acrobeloides sp
4.5. Recommandations
5. CONCLUSION
6. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES