Les récifs coralliens
Genèse et typologie des récifs
Les coraux scléractiniaires, également appelés « constructeurs de récifs », possèdent la capacité de former un exosquelette de carbonate de calcium (CaCO3) et sont les principaux responsables de la formation des massifs coralliens que nous connaissons aujourd’hui. Leurs taux de calcification sont parmi les plus élevés du monde marin, ils produiraient près de 73% des ~7.5 tonnes de CaCO3 produites annuellement par km2 de récif (Hart & Kench, 2007). Au cours des temps géologiques, les récifs coralliens prennent naissance sur le pourtour des îles volcaniques ou des plateaux continentaux pour former des récifs frangeants (Figure 1 (1)), qui se développent adossés à la côte. Divers phénomènes géologiques (subduction ou subsidence) ou climatiques (hausse du niveau de la mer), peuvent engendrer notamment trois principaux types de récifs : Les récifs barrière (Figure 1 (2)), éloignés du littoral, prennent ce nom dès lors qu’un lagon sépare le récif de la côte. Deux évènements donnent naissance à ce type de récif, la montée progressive du niveau de la mer (cf. la Nouvelle-Calédonie) ou l’enfoncement de l’île par subduction ou subsidence (cf. la Nouvelle-Calédonie/la Polynésie Française). Les pinacles coralliens représentent des formations récifales apparaissant sporadiquement à l’intérieur d’un lagon et donneront quelque fois naissance à des îlots entièrement constitués de matières carbonatés détritiques, qui seront progressivement stabilisés par la flore (cf. îlots du lagon calédonien) (Payri, 2018).
Les atolls (Figure 1 : (3)) (cf. Mururoa) sont, pour une partie d’entre eux, d’anciens récifs barrières, dont l’île sur laquelle ils se sont formés a partiellement, voire entièrement, disparu par érosion, subduction ou subsidence. De nombreux atolls sont également le fruit combiné de mécanismes géologiques complexes et de changements du niveau de la mer (cf. Maldives) (Woodroffe & Biribo, 2011).
Distribution circum-tropicale
Les coraux scléractiniaires nécessitent des conditions environnementales particulières qui se trouvent réunies entre les latitudes 30° Nord et 30° Sud (Figure 2). Alors qu’il existe de nombreux récifs isolés par des barrières environnementales (géographique, courants, éloignement) tels que ceux de la Mer Rouge ou de l’archipel hawaïen, deux zones géographiques regroupent la grande majorité de récifs coralliens :
La zone Indo-Pacifique, de loin la plus vaste, possède la plus grande diversité spécifique à tous les niveaux taxonomiques (Allen, 2008). Elle compte parmi ses récifs la plus importante formation corallienne de la planète : la Grande Barrière de corail australienne (GBR) qui représente à elle seule près de 17% des récifs mondiaux (Spalding et al., 2001).
La zone tropicale de l’Atlantique ouest, composée principalement des récifs de la mer des Caraïbes, est plus restreinte et possède une diversité spécifique moindre .
Conditions de vie récifale
La pérennité et l’extension spatiale des coraux scléractiniaires étant en grande partie dues à leur association symbiotique avec des micro-algues du genre Symbiodinium (voir paragraphe « Le corail : les symbiotes photosynthétiques ») capables de réaliser la photosynthèse (McCloskey & Muscatine, 1984 ; Muscatine, 1990), les coraux sont extrêmement exigeants quant aux conditions environnementales de leur habitat. Toutefois, ils possèdent une plasticité physiologique leur permettant de supporter une gamme de conditions assez vastes à l’instar des différences que l’on peut rencontrer d’une saison à l’autre, ou bien d’un récif frangeant à un récif barrière. La température est un des paramètres principaux pour le métabolisme corallien, dont l’optimum se situe autour de 26-28°C, bien que les coraux puissent supporter des minima à 14°C et des maxima à 34°C sur de très courtes périodes (Kleypas et al., 1999). Les coraux scléractiniaires, abritant des symbiotes photosynthétiques, sont également très exigeants au niveau des conditions d’éclairement. Elles dictent notamment leur distribution verticale, dont la limite inférieure de distribution varie en fonction des conditions de turbidité. Ainsi, les coraux peuvent être limités à quelques mètres de profondeur sur un récif frangeant chargé de matières en suspension ou bien s’épanouir jusqu’à 150 mètres dans les eaux cristallines d’un récif barrière (Kleypas et al., 1999 ; Lesser et al., 2009). La salinité délimite également la présence de récifs coralliens. Bien que chaque espèce ait sa propre tolérance, et que certaines espèces se soient spécialisées et soient capables de croître dans des salinités de 20 à 42 (Kleypas et al., 1999), les coraux sont des organismes majoritairement sténohalins . De plus, aucune espèce corallienne ne supporte des changements brusques de salinité. En conséquence, aucun récif corallien ne se développe à proximité directe des estuaires par exemple. Malgré tout, la limite inférieure de salinité supportée par les coraux est difficile à établir car l’apport d’eau douce est souvent associé aux importantes quantités de sédiments charriés par les rivières ou les eaux de pluie (Spalding et al., 2001), dont les effets néfastes sont largement reconnus (cf. chapitre 3).
Les coraux sont adaptés pour vivre dans des milieux dits « oligotrophes », c’est à dire pauvres en nutriments, cependant leurs concentrations peuvent être variables d’un récif à l’autre. Ainsi, un récif barrière recevra peu d’apports nutritifs terrigènes, alors que les récifs frangeants peuvent en concentrer davantage. Par exemple, les récifs frangeants encerclant un îlot à forte densité en oiseaux peuvent bénéficier d’un apport en azote important dérivant directement des déjections des oiseaux marins (Lorrain et al., 2017). Le statut oligotrophique des eaux récifales repose notamment sur les faibles concentrations des formes inorganiques de l’azote et du phosphore (Sorokin, 2013), longtemps considérées comme les principales ressources du métabolisme corallien (Furnas et al., 2005 ; Lapointe, 1997 ; Tyrrell, 1999). Toutefois, des études tendent à montrer que les coraux seraient parfaitement à même d’utiliser les formes organiques (Suzuki & Casareto, 2011), comme l’urée issue du catabolisme d’organismes tiers (Biscéré et al., 2018 ; Crandall & Teece, 2012 ; Grover et al., 2006) ou encore les acides aminés libres (Ferrier, 1991 ; Gori et al., 2014 ; Grover et al., 2008) ou combinés (Fairoz et al., 2008). Ces composés peuvent justement être trouvés à des concentrations relativement fortes sur les récifs par rapport à celles des formes inorganiques. Par exemple, alors que les concentrations d’azote inorganique se situent en général entre 0.1 et 1 µmol L-1 (Boyer et al., 2006 ; Suzuki & Casareto, 2011), les concentrations d’azote organique, dont les acides aminés et l’urée peuvent représenter, respectivement, près de 10 et 20% (Crandall & Teece, 2012 ; Sipler & Bronk, 2014), se situent entre 5 et 20 µmol L-1 (Sharp et al., 2004). Toutefois, la nécessité que les eaux ne soient pas trop riches en nutriments est primordiale, afin d’éviter une compétition pour le substrat avec les algues, dont les capacités de prolifération sont telles que les coraux auraient peu de chance de se développer (Hughes et al., 2007 ; McManus & Polsenberg, 2004) (cf. chapitre 3)
Enfin, l’hydrodynamisme du récif revêt également une grande importance et influence directement ou indirectement la présence, la santé ou encore la distribution des coraux (Aronson et al., 2005 ; Done, 1982 ; Madin & Connolly, 2006). Par exemple, les eaux à faible hydrodynamisme, dont l’oxygénation est faible, ne sont pas propices à leur développement. La force du courant permettrait également une meilleure croissance des coraux en améliorant le transfert des nutriments et des métabolites à travers leurs tissus (Falter et al., 2004 ; Lesser et al., 1994). Indirectement, un plus fort hydrodynamisme permet de réduire la pression des corallivores, induisant une augmentation des taux de croissance journaliers de 4% (Lenihan et al., 2015). Parallèlement, l’hydrodynamisme engendre une zonation spatiale des coraux selon leurs formes. En effet, alors que les zones exposées abriteront majoritairement des formes massives et compactes, plus résistantes, une zone plus calme verra se développer davantage de formes branchues (Achituv & Dubinsky, 1990 ; Lenihan et al., 2015).
Importances écologiques et socio-économiques
Les récifs coralliens abritent une diversité hors du commun, avec près de 35 à 60000 espèces connues qui en dépendent. Ce chiffre est surement grandement sous estimé en raison du manque de connaissances sur le monde microbien qui y est associé, et sur certains habitats qui difficilement accessibles (Payri & Moatti, 2018 ; Reaka-Kudla, 1997). La richesse, l’abondance et la biomasse d’un récif découlent directement de la diversité des formes du squelette corallien, qui donne sa complexité au récif (Gratwicke & Speight, 2005b, 2005a ; Idjadi & Edmunds, 2006 ; Wilson et al., 2007). La complexité des récifs favorise, par exemple, la protection des espèces face à leurs prédateurs et constitue un lieu de reproduction et de refuge pour les juvéniles (Bruno & Bertness, 2001 ; Willis et al., 2005). Par ailleurs, le corail représente une source de nutrition pour certaines espèces qualifiées de « corallivores », c’est notamment le cas de nombreux poissons (Pomacentridae, Chaetodontidae, Scaridae…). En plus du rôle évident que les récifs jouent dans la préservation de la biodiversité marine, ils sont d’une importance cruciale pour les nombreux pays dont ils bordent les côtes, quel que soit leur statut économique. Ainsi, la valeur économique totale d’un petit récif de 200 km2 aux Philippines a été estimée à 38 millions de dollars américains par an (Cruz-Trinidad et al., 2011) et Constanza et al. (2014) ont estimé qu’un hectare de récifs rapportait 352 dollars annuellement. Si on transpose ces chiffres aux 284 000 km2 de récifs dans le monde, alors ce sont des dizaines de milliards de dollars annuels (Spalding et al., 2001 ; Stoeckl et al., 2011) qui sont générés par les récifs. Leurs rôles sont multiples, depuis la protection des côtes face aux évènements environnementaux tels que les cyclones ou les tsunamis, limitant l’érosion naturelle voire la submersion des petites îles, jusqu’à l’importance de leur attrait touristique. Riegl et al. (2009) estimaient à plus de 4 milliards de dollars annuel, les revenus générés par l’utilisation récréative et touristique des récifs en Floride. Ils représentent également une source nourricière indispensable pour de nombreuses populations, ainsi qu’une myriade d’emplois, liés à la pêche et au tourisme notamment (Laurans et al., 2013 ; Moberg & Folke, 1999). On estime ainsi à près de 500 millions, le nombre de personnes concernées directement par les bénéfices que les récifs coralliens génèrent (Wilkinson, 2008).
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Table des matières
Introduction
1.1 Les récifs coralliens
1.1.1 Genèse et typologie des récifs
1.1.2 Distribution circum-tropicale
1.1.3 Conditions de vie récifale
1.1.4 Importances écologiques et socio-économiques
1.1.5 La Nouvelle-Calédonie : Archipel de corail
1.2 Le corail : origine et anatomie du polype
1.2.1 Taxonomie
1.2.2 Anatomie du polype
1.3 Le corail : les symbiotes photosynthétiques
1.3.1 Qu’est-ce qu’une symbiose ?
1.3.2 Taxonomie et caractéristiques des Symbiodinium
1.3.3 La symbiose : bénéfices et coûts
1.4 La physiologie corallienne
1.4.1 La calcification
1.4.2 La photosynthèse
1.4.3 La mixotrophie corallienne
1.5 Modèles biologiques
2.1 Le réchauffement des océans
2.1.1 Modifications du milieu par le réchauffement des eaux
2.1.2 Conséquences physiologiques du réchauffement des eaux sur les coraux : rupture de la symbiose (blanchissement)
2.1.3 Défenses des coraux face au stress thermique
Remerciements
Avant-Propos
Résumé / Abstract
Table des illustrations
Table des tableaux
Liste des principales abréviations
Liste des noms d’espèces de coraux
Chapitre 1 | L’écosystème corallien
Chapitre 2 | Les menaces globales
2.2 L’acidification des océans
2.2.1 Modifications biochimiques du milieu par l’acidification des océans
2.2.2 Conséquences physiologiques de l’acidification des océans sur les coraux
2.2.3 Mécanismes de régulation de l’acidification des océans
2.3 La Nouvelle-Calédonie face aux changements climatiques
2.3.1 Épisodes de blanchissement
2.4 Les résurgences volcaniques : un laboratoire naturel pour étudier l’acidification des océans
2.4.1 Cas de la Papouasie Nouvelle-Guinée
2.4.2 Caractérisation du site (Pichler, T., Biscéré, T. et al. 2018)
Synthèse des résultats obtenus
Publication n°6
2.4.3 Effets de l’acidification sur la photosynthèse et la respiration corallienne (RESULTATS PERSONNELS)
Synthèse des résultats obtenus
Publication n°5
3.1 Généralités sur les métaux
3.1.1 Les sources d’enrichissements et les principaux pays concernés
3.1.2 Spéciation des métaux
3.1.3 Biodisponibilité des métaux
3.2 Les métaux et les coraux
3.2.1 Processus de bioaccumulation
3.2.2 Caractéristiques des principaux métaux du lagon calédonien
3.2.2.1 Métaux utilisés au cours de ce doctorat
3.2.2.2 Métaux non utilisés au cours de ce doctorat
3.2.3 Effets des métaux sur les différents stades de vie des coraux
3.2.3.1 Métaux utilisés au cours de ce doctorat
3.2.3.2 Métaux non étudiés
3.3 La Nouvelle-Calédonie : Terre de métal
3.3.1 Origine géologique des métaux
3.3.2 Contexte minier et métaux concernés
3.3.3 Choix des métaux étudiés et niveaux de concentration selon les habitats
3.3.4 Expérience de transplantation corallienne (RESULTATS PERSONNELS)
4.1 Interaction métaux et réchauffement des eaux
4.1.1 Effets du réchauffement des eaux sur la spéciation des métaux
4.1.2 Effets du réchauffement des eaux et des métaux sur les coraux
4.1.3 Effets du réchauffement des eaux et d’un enrichissement en nickel sur les coraux
(RESULTATS PERSONNELS)
Synthèse des principaux résultats obtenus
Chapitre 3 | Les coraux face aux pressions locales : le cas particulier des métaux
Chapitre 4 | Les métaux dans le cadre du changement climatique : Effets sur les coraux
Publication n° 2
Publication n° 3
4.1.4 Effets du réchauffement des eaux et d’un enrichissement en manganèse et en fer sur les coraux (RESULTATS PERSONNELS)
Synthèse des principaux résultats obtenus
Publication n°4
4.2 Interaction métaux et acidification des océans
4.2.1 Effets de l’acidification des océans sur la spéciation des métaux
4.2.2 Effets de l’acidification des océans et des métaux sur les coraux
4.2.3 Effets de l’acidification des océans et d’un enrichissement en cobalt sur les coraux
(RESULTATS PERSONNELS)
Synthèse des principaux résultats obtenus
Conclusion