Phagothérapie
Généralités
Les phages, ou bactériophages, sont des virus antibactériens utilisés depuis 1917 par Félix d’Hérelle à l’institut Pasteur dans le traitement des bacilles dysentériques.(32) Ils s’attaquent d’une manière spécifique à une ou certaines bactéries sans être capable d’infecter les cellules eucaryotes. Ce sont principalement des virus à ADN et plus rarement à ARN. La majorité des phages décrits ont une morphologie comprenant une tête et une queue avec un génome à ADN double brin (Figure 6). Ils appartiennent à l’ordre des Caudovirales qui comprend 14 familles et un gène d’après la classification de l’International Committee on Taxonomy of Viruses (ICTV) de 2021.
Phagothérapie
Généralités
Les phages, ou bactériophages, sont des virus antibactériens utilisés depuis 1917 par Félix d’Hérelle à l’institut Pasteur dans le traitement des bacilles dysentériques.(32) Ils s’attaquent d’une manière spécifique à une ou certaines bactéries sans être capable d’infecter les cellules eucaryotes. Ce sont principalement des virus à ADN et plus rarement à ARN. La majorité des phages décrits ont une morphologie comprenant une tête et une queue avec un génome à
ADN double brin (Figure 6). Ils appartiennent à l’ordre des Caudovirales qui comprend 14 familles et un gène d’après la classification de l’International Committee on Taxonomy of Viruses (ICTV) de 2021.
Infection et décolonisation digestive
Une seule étude humaine a évalué l’intérêt d’une phagothérapie par voie orale dans le traitement des diarrhées bactériennes à E. coli entéropathogènes mais l’efficacité du traitement n’était pas supérieure au placebo ni d’un point de vue clinique ni d’un point de vue bactériologique.(42) Devant les premiers résultats négatifs l’étude a été stoppée prématurément après l’inclusion et l’analyse de 120 sujets (225 inclusions étaient initialement prévues). Les auteurs ont conclu que les connaissances sur l’interaction in-vivo entre phages et bactéries étaient actuellement insuffisantes pour espérer maîtriser une telle thérapeutique.(42)
Un cas clinique a été publié en 2020 où un patient de 57 ans a été décolonisé avec succès grâce à une phagothérapie orale et rectale contre K. pneumoniae multirésistant (KPC-3).(43) Cette stratégie suscite des espoirs thérapeutiques mais dont les preuves en médecine humaine sont actuellement inexistantes.(44) En revanche de nombreux modèles animaux ont été décrits notamment au sein d’élevages de volailles (environ 50 publications en 2021) en ciblant principalement les infections à Salmonella enterica et Campylobacter jejuni.(45) La phagothérapie, dans ce contexte, semblaient efficaces sur le plan microbiologique en diminuant significativement la concentration en bactéries en moyenne de 0,82 log 10 CFU/g au niveau du cæcum.(45) Chez les mammifères de nombreux modèles ont également été développés (environ 40 publications en 2021). Nous les avons analysés dans une revue de la littérature en y incluant des modèles infectieux et de colonisation digestive.(46) Nous nous sommes concentrés sur les mammifères car le microbiome intestinal diffère entre les mammifères et les oiseaux.(47) Notre analyse de l’impact
microbiologique des phages s’est essentiellement focalisée sur les échantillons les plus distaux du tractus digestif, c’est-à-dire la concentration bactérienne présente dans les selles de préférence. En effet, cela résume non seulement l’effet global sur l’ensemble de l’appareil digestif mais aussi évalue la dissémination bactérienne dans l’environnement.
Revue de la littérature : « Intestinal Bacteriophage Therapy: Looking for Optimal Efficacy»
Ci-dessous l’article publié dans Clinical Microbiology Reviews (CMR, IF 2020 = 26.132) en octobre 2021.
Compléments de la revue de la littérature
Ce travail était initialement une revue systématique de la littérature qui a été menée selon les lignes directrices du PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses).(48)
Critères d’inclusion
Type d’études et d’interventions: les études interventionnelles publiées en anglais ont été incluses sans restriction de date.
Résultats et population: nous avons inclus des études expérimentales réalisées chez des mammifères et évaluant l’efficacité de l’administration de phages ciblant les bactéries provoquant une infection ou une colonisation digestive.
Critères d’exclusion
Nous avons exclu les modèles utilisant les oiseaux car leur microbiote intestinal diffère significativement de celui des mammifères.
Ont également été exclus : les études in vitro, les modèles d’infection non-digestive tels que les péritonites ou les septicémies, l’ absence d’infection ou de colonisation digestive expérimentale, l’utilisation de protéines phagiques, l’utilisation de phages uniquement pour modulerle microbiote intestinal sans infection ni colonisation par une bactérie spécifique ainsi que l’absence d’administration de phages.
Méthodes de recherche
Nous avons effectué nos recherches dans les bases de données suivantes en avril 2020:
– Le registre central Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL) sur la bibliothèque Cochrane
– MEDLINE (via Pubmed)
– EMBASE (via Ovid)
– La base de données Française PASCAL de l’Institut d’information scientifique et technique
Nous avons vérifié les références énumérées de tous les articles inclus et effectué des recherches dans les bases de données des journaux correspondants. Nous avons également recherché la littérature grise via OpenGrey. Nous avons mis à jour ces recherches en Avril 2021. Nos algorithmes de recherche pour les différentes bases de données comprenaient les termes suivants: (phage, bactériophage) et (tractus gastro-intestinal, intestin, microbiome gastro-intestinal, microbiome, microbiote, flore intestinale).
Sélection des articles
Trois examinateurs indépendants (François Javaudin, Chloé Latour et Quentin LamyBesnier) ont sélectionné les titres, les résumés puis les textes intégraux en respectant les critères d’inclusion et d’exclusion. Les divergences ont été résolues par consensus (n= 2).
Résultats de la recherche d’articles
Cette recherche a donné 1091 résultats dans MEDLINE, 264 résultats dans EMBASE, 25 résultats dans leRegistre Central Cochrane des essais contrôlés (CENTRAL), 20 résultats dans la base de données PASCAL et 5 résultats dans OpenGrey. Une mise à jour a été effectuée en avril 2021 et comprenait 129 références supplémentaires. Dix-neuf articles supplémentaires ont été identifiés par d’autres sources (connaissance des auteurs, n = 3 ; à partir des références bibliographiques des articles sélectionnés,n = 16). Après avoir supprimé les doublons, 1449 articles ont été analysés et soumis aux critères de sélection, ce qui a abouti à un ensemble final de 41 articles sélectionnés (Figure 8).
Les études ont été publiées entre 1963 et 2020 et se sont réparties entre 9 pathogènes: Clostridium difficile (n= 3), Enterococcus faecalis (n= 1), Escherichia coli (n = 22), Listeria monocytogenes (n = 1), Pseudomonas aeruginosa (n = 1), Salmonella typhimurium (n=7), Shigella sonnei (n = 1), Vibrio cholerae (n = 4) et Yersinia enterocolitica (n = 1). La plupart de ces études ont été réalisées sur des souris et des porcs et, dans une certaine mesure, sur des veaux, des hamsters, des agneaux, des lapins, des rats, des moutons et des bœufs.
Phagothérapie séquentielle (2 + 1 jours) avec IPP en continu
Méthodes
Douze souris C57BL/6J ont été séparées en deux groupes (phagothérapie et placebo) puis ont été exposées à huit jours de traitement par amoxicilline à la concentration de 0,5 g/L dans l’eau de boisson de j-6 à j1 post inoculation et au pantoprazole à la concentration de 0,1 g/L dans l’eau de boisson également de j-3 à j22 (Figure 10)
Résultats
Une souris du groupe contrôle est morte à j2 en raison d’une probable inhalation de la bactérie E. coli BLSE lors du gavage gastrique à j0.
Le poids des souris n’étaient pas différents entre les deux groupes au cours de l’expérience (p > 0,05 pour chaque point ; Figure 11).
Discussion
Obstacles à l’utilisation des phages au sein du tractus digestif
Notre revue de la littérature a soulevé de nombreux obstacles quant à l’utilisation des bactériophages pour une décolonisation digestive et notamment d’un portage asymptomatique (46). En effet, tout comme dans les modèles pulmonaires (49), une synergie avec le système immunitaire semble un facteur clef d’efficacité clinique.Le manque de preuves provenant de modèles expérimentaux et soutenant que l’application de phages par voie orale peut réduire efficacement les bactéries intestinales, peut être en partie lié à l’absence, dans ces modèles, d’un contexte de maladie qui pourrait fournir un environnement plus favorable à l’activité des phages. En effet, deux tiers des études incluses dans notre revue ont montré que les traitements par phages avaient une efficacité transitoire ou inexistante pour réduire les niveaux des bactéries cibles, montrant clairement que la phagothérapie intestinale n’est pas aussi facile qu’on pourrait s’y attendre. Trois principaux obstacles à l’efficacité des phages dans l’intestin ont fait l’objet de discussions.
Premièrement, les phages doivent atteindre l’intestin, deuxièmement, ils doivent trouver une cible sensible et troisièmement, ils doivent réussir à diminuer la concentration en bactéries cibles. La façon dont les phages surmonteront mécaniquement ces barrières dépendra non seulement de leur nature (défis physiques, chimiques ou biologiques) mais aussi de l’environnement auquel les phages seront confrontés aux trois échelles que sont l’hôte, l’organe et la cellule bactérienne. Outre le pH acide, les enzymes hydrolytiques peuvent également réduire le nombre de particules de phage transitant dans l’intestin. Une solution à la dégradation des particules de phage au cours du transit intestinal peut résider dans l’utilisation de phages encapsulés (50,51).
Une fois que les phages ont atteint la section intestinale où résident les bactéries cibles, ils doivent trouver un hôte sensible. En effet, l’environnement intestinal(comme la disponibilité des nutriments ou la concentration en oxygène, entre autres) affecte la physiologie bactérienne, qui à son tour pourrait affecter la sensibilité des bactéries aux phages (52–54). De plus, un agent pathogène perturbera probablement la physiologie de l’hôte, ce qui pourrait à son tour affecter la sensibilité bactérienne aux phages (55,56). Enfin, la distribution spatiale des phages et des bactéries dans les sections intestinales peut être bénéfique pour l’une ou l’autre des populations, favorisant leur coexistence, comme montré in vivo (58).
La propriété de certains phages à se lier aux mucines altérerait leur diffusion, mais pourrait augmenter leur capacité à atteindre les bactéries incrustées dans cette structure extracellulaire située à la surface des cellules épithéliales (58,59). Par conséquent, les solutions pour surmonter les défis susmentionnés résident dans la sélection de phages avec des capacités améliorées pour atteindre leur cible, ce qui nécessiterait une connaissance préexistante sur le(s) comportement(s) spécifique(s) de ces cibles dans l’intestin.
Une fois qu’ils ont atteint la surface des cellules bactériennes, les phages doivent vaincre les systèmes de défense bactériens qui entraînent la croissance des bactéries résistantes aux phages. Ces défenses comprennent des mutations, des modifications de surface, des modifications de restriction, des infections abortives et des systèmes CRISPR (répétitions palindromiques courtes régulièrement espacées en cluster). A travers les âges de coévolution avec les bactéries, les phages ont vaincu les systèmes de défense en faisant évoluer des variants génétiques, en modifiant leurs bases nucléotidiques ou encore en inventant de nouvelles fonctions telles que les protéines anti-CRISPR. Réciproquement pour les bactéries, tous les phages ne possèdent pas la capacité de développer une grande variété de mesures de contre-résistance. Il a été également montré que les phages peuvent passer des bactéries sensibles aux bactéries résistantes dans l’intestin de souris par une seule mutation sur les fibres de leur queue, ce qui démontre que les phages peuvent s’adapter assez rapidement aux populations bactériennes fluctuantes afin de persister dans cet organe (60). Chaque couple phage/bactérie possède son propre potentiel de coévolution, ce qui complique fortement le choix des phages et de leur combinaison (cocktail de phages) pour des applications thérapeutiques.
Les données les plus convaincantes, sur la phagothérapie intestinale, examinées dans notre revue de la littérature provenaient de modèles dans lesquels une infection intestinale symptomatique était en cours contrairement auxmodèles de colonisation digestive asymptomatique. Les recommandations ESCMID-EUCIC concernant les stratégies de décolonisation digestive des sujets porteurs de bactéries Gram-négatives multirésistantes proposent d’évaluer urgemment l’efficacité des bactériophages dans cette indication par des essais contrôlés randomisés (61). Toutefois nous estimons que de nombreuses connaissances sont encore à acquérir et qu’une harmonisation de la recherche fondamentale est nécessaires avant d’initier de nouveaux essais randomisés sur l’homme (46). En effet le seul essai sur des enfants hospitalisés au Bengladesh pour diarrhées bactériennes (E. coli entérotoxinogène essentiellement) a été un échec (62).
Modèles murins de colonisation digestive
Nous avons réussi à développer plusieurs modèles de portage intestinal d’E. coli BLSE grâce à l’administration de médicaments dans l’eau de boisson. L’avantage de nos modèles était que la bêta-lactamine et l’IPP étaient dilués dans l’eau des biberons, ce qui est plus simple que certains modèles précédents à injections souscutanées.(63 65)
Effets des inhibiteurs de la pompe à protons
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) font partie des dix médicaments les plus utilisés dans le monde. L’utilisation des IPP affecte le microbiome intestinal dans tout le tractus gastro-intestinal.(66) Imhann et al. ont observé une diminution significative de la diversité de Shannon et des changements dans 20% des taxons bactériens chez les utilisateurs d’IPP. Plusieurs bactéries orales étaient surreprésentées dans le microbiome fécal des utilisateurs d’IPP, notamment le genre Rothia, et une augmentation significative des bactéries : genres Enterococcus, Streptococcus, Staphylococcus et l’espèce potentiellement pathogène Escherichia coli (Figure 16).(67) L’utilisation des IPP a également été associée à un risque accru d’infections entériques, plus particulièrement de Clostridium difficile.(68) Mais un modèle murin récent a montré que l’oméprazole ne favorise pas la colonisation de Clostridioides difficile, et a un impact minime sur la structure du microbiote murin.(69)
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Table des matières
Introduction
1. Résistances bactériennes
1.1. Un enjeu majeur de santé publique
1.2. Bêtalactamases à spectre étendu
1.3. La résistance OXA-48
2. Microbiote digestif et résistome
3. Phagothérapie
3.1. Généralités
3.2. Infection et décolonisation digestive
3.3. Revue de la littérature : « Intestinal Bacteriophage Therapy: Looking for Optimal Efficacy»
3.4. Compléments de la revue de la littérature
Méthodes et résultats
1. Article : “Impact of Phage Therapy on Multidrug-Resistant Escherichia coli Intestinal Carriage in a Murine Model”
2. Résultats complémentaires
2.1. Antibiogramme de l’E. coli sélectionné
2.2. Influence de l’inoculum bactérien in vivo
2.3. Phagothérapie séquentielle (2 + 1 jours) avec IPP en continu
2.4. Effets des IPP sur la colonisation digestive en E. coli BLSE
Discussion
1. Obstacles à l’utilisation des phages au sein du tractus digestif
2. Modèles murins de colonisation digestive .
3. Effets des inhibiteurs de la pompe à protons
4. Modèles de décolonisation de bactéries multi-résistantes grâce aux phages
5. Etat des lieux et perspectives de la phagothérapie chez l’humain
5.1. Tractus digestif
5.2. Peau
5.3. Tractus urinaire
5.3. ORL
5.4. Etudes en cours ou à venir et perspectives
Conclusions
Références
Annexes