Effets de la trace écrite d’institutionnalisation sur l’apprentissage des élèves en Physique-Chimie

L’apprentissage d’un savoir scientifique fonctionnel

               La pédagogie fut longtemps centrée sur l’enseignant. Dans le modèle transmissif, l’enseignant se positionne en porteur de savoirs qu’il transmet aux élèves. L’exemple du cours magistral est parlant, l’enseignant dispense un savoir considéré comme une information scientifique valide. L’élève écoute pour apprendre et le contenu correspond plus ou moins à son profil. Particulièrement dans les lycées professionnels, la pédagogie centrée sur l’apprenant (Meirieu, 2020) est de plus en plus présente. D’abord Piaget avec le modèle constructiviste, puis Vygotsky et Bruner avec le modèle socio constructiviste, ont redéfini ce qu’est enseigner : c’est faire apprendre. Dans ce modèle, l’élève devient non seulement acteur de la construction de ses savoirs mais on peut même dire qu’il en devient l’auteur (Connac, 2017). L’enseignant prend garde à sa présence-distance (Connac, 2017). Il se positionne en retrait pour permettre de rendre les élèves responsables de leur apprentissage mais il intervient aussi car tous les élèves ne sont pas égaux face à cette démarche qui leur demande de se poser des questions, notamment en raison de la diversité de leurs origines socio-culturelles. C’est donc le rapport avec les élèves qui est privilégié. L’apprentissage des sciences physiques et chimiques a particulièrement suivi ces remises en question pédagogiques. En effet, les sciences au-delà d’être une encyclopédie de savoirs, sont surtout des explications pour des phénomènes observés, souvent à partir de modèles expérimentaux. C’est un savoir fonctionnel, dans le sens qu’il fonctionne parce qu’il valide le fonctionnement des phénomènes. C’est un savoir qui relève plus « du nécessaire et du possible que du vrai et du faux » (ORANGE et ORANGE RAVACHOL, 2007). Dans le modèle transmissif, l’élève peut ne pas avoir les clefs pour comprendre les enjeux du savoir que l’enseignant lui transmet et il peut se retrouver en incapacité de réussite scolaire. Un savoir n’est rien si l’élève ne se l’approprie pas, c’est pourquoi le modèle socioconstructiviste peut faire sens. Celui-ci peut s’apparenter à un modèle de réussite différenciée, ce qui le rend pertinent vis-à-vis de l’hétérogénéité du public de lycée professionnel. Mais il faut alors veiller à l’aphorisme de Deligny : « Sois présent surtout lorsque tu n’es pas là » (Deligny, 1960).

L’institutionnalisation et sa trace écrite

                 Comme nous venons de le voir, lors d’une démarche d’investigation, l’élève construit des connaissances par la résolution d’un problème lié à l’observation d’un phénomène. L’enseignant doit alors veiller à ce que cette connaissance contextualisée devienne un savoir scientifique, donc décontextualisé. Cette phase qui reconnait et légitime l’objet de l’enseignement est la situation d’institutionnalisation d’une connaissance, telle que définie par Brousseau (Brousseau, 2011b). C’est elle qui finalise et donne aux élèves du sens à l’activité. Brousseau explique que cette phase d’institutionnalisation valide le savoir contextualisé, construit par l’élève au travers de l’observation d’une situation particulière, et le reconnait hors du contexte particulier de cette situation. Ce savoir servira dans d’autres occasions, encore non connues. L’élève devra alors reconnaître qu’utiliser ce savoir sous sa forme réduite décontextualisée est plus avantageux que de l’établir à nouveau – cela passant par l’acceptation de ce savoir décontextualisé. Si la démarche d’investigation permet de répondre à différents enjeux de la construction d’un savoir scientifique, cette démarche peut s’avérer difficile à appréhender pour certains élèves. Ce « jeu scolaire » requiert des clés de compréhension spécifiques que l’élève est censé avoir construit dans son passé à travers son cursus scolaire d’une part, mais aussi à travers ce qu’il a appris à la maison. Un élève partageant les attendus des situations scolaires de l’enseignant pourra aller au-delà de l’activité et de son contexte pour y construire un savoir : c’est le processus de secondarisation. Mais l’identification de l’enjeu cognitif des activités scolaires peut s’avérer difficiles chez des élèves accédant à une mauvaise « secondarisation ». Certains élèves peuvent se retrouver inégaux en matière d’apprentissages et d’accès aux savoirs. Et cette mauvaise secondarisation peut s’expliquer selon (Bautier et Goigoux, 2004) par une confrontation entre :
– d’une part, les dispositions socio-cognitives et socio-langagières des élèves, liées à leurs modes de socialisation, et qui les préparent de façon fort inégale à faire face aux réquisits des apprentissages scolaires
– et d’autre part, l’opacité et le caractère implicite de ces réquisits, des modes de fonctionnement du système éducatif et, pour ce qui nous concerne ici, des pratiques professionnelles qui y sont mises en œuvre.
Ces auteurs avancent notamment que la contextualisation des activités proposées par les enseignants peut dévier l’élève de l’enjeu d’apprentissage. On peut facilement comprendre que ces difficultés d’apprentissage, accumulées le long du cursus scolaire peuvent se transformer en exclusion du système d’apprentissage dès le collège. Nos élèves en lycée professionnel font souvent partie de cette catégorie d’élèves, il est donc important de comprendre les origines potentielles des difficultés qu’ils rencontrent. « Car ce qui pouvait donc être initialement à travailler sur le seul registre de l’incompréhension et des difficultés cognitives se situe ensuite également sur le registre de la construction subjective de l’adolescent et des conflits identitaires et sociaux dans lesquels il se sent pris » (Bautier et Goigoux, 2004). Tel un savoir retranscrit dans une encyclopédie, le savoir construit lors de la démarche d’investigation doit faire l’objet d’un travail de mise en texte. Cet écrit est destiné à être lu, par l’auteur ou par un autre élève, telle une référence à laquelle il peut se fier. Ce texte pourra être alors utilisé ultérieurement pour du réinvestissement et de nouvelles constructions de savoirs. Le programme de 2de Bac Pro évoque cette nécessité : « Lorsque les problématiques traitées sont contextualisées (issues du domaine professionnel, des autres disciplines ou de la vie courante), il est indispensable qu’après leur traitement, le professeur mette en œuvre une phase de décontextualisation au cours de laquelle sera rédigée une synthèse des activités menées. Cette synthèse décontextualisée, trace écrite laissée sur le cahier de l’élève, permet de mettre en évidence et de définir les modèles et lois que les élèves pourront utiliser dans d’autres contextes et, ainsi, consolider les savoirs en vue d’une utilisation dans d’autres contextes. Elle doit être courte, fonctionnelle et avoir un sens pour l’élève. » (Ministère de l’éducation nationale, 2019) Mais comment rendre alors tous les élèves acteurs de leur apprentissage lors d’une démarche d’investigation, y compris ces élèves en difficulté ? Nous explorerons ici la potentielle incidence d’une co-construction de la trace écrite d’institutionnalisation sur l’apprentissage. Cette trace écrite est traditionnellement donnée par l’enseignant à la fin de la démarche d’investigation, ce qui place l’enseignant en « porteur de savoir ». En impliquant les élèves dans sa construction, on pose l’hypothèse que cela lui facilite l’accès aux savoirs visés par l’institutionnalisation. Pour cela, on peut par exemple organiser des temps pour que l’élève puisse s’exprimer dans son langage propre, pour qu’il formule les choses comme il les comprend, les entend. En effet pour certains élèves, le langage peut être un obstacle non négligeable dans la construction du savoir. Leur laisser la possibilité de formuler les choses par eux-mêmes permet de travailler ensuite pour éclaircir certains points. Ce langage propre, associés aux observations de l’expérience permet de faire ressortir les concepts spontanés ressortant de la démarche d’investigation. Et l’institutionnalisation doit pouvoir transformer ces concepts spontanés, du domaine du sens commun, en concepts scientifiques à caractère apodictique. De manière générale, le débat et la confrontation à ses pairs est une part essentielle de la démarche scientifique. Dans nos classes, le débat participe activement à la construction des savoirs chez les élèves. En confrontant leurs observations, leurs idées, leurs hypothèses, les élèves construisent un argumentaire les amenant à valider ou invalider leurs propos. C’est aussi un outil utile pour permettre aux élèves n’ayant pas réussi à rejoindre le raisonnement nécessaire à la construction des savoirs, de le saisir a posteriori, et donc de le comprendre rétrospectivement. Afin que cette trace écrite fasse sens, il faut aussi veiller à ce qu’elle soit construite selon le déroulé de la démarche d’investigation. L’élève doit pouvoir y retrouver le savoir construit, avec son origine. En incluant les élèves dans la construction de cette trace écrite on pose l’hypothèse que les élèves se mettent tous d’accord sur les argumentations produites et leur donnent donc un caractère général (Coulange, 2014).

Caractère de nécessité de la situation-problème

                 Les résultats de l’expérience d’institutionnalisation ont montré comment la situation-problème (le fonctionnement de la sorbetière coco en Guadeloupe) a été appréhendée par les élèves. Il s’agit d’une situation d’action, qui pour l’élève ne représentait pas explicitement d’enjeu didactique : expliquer comment fonctionne cette sorbetière à l’air libre sans électricité et dans un pays si chaud. J’avais identifié les nécessités (Orange, 2012) dont les élèves avaient besoin pour construire le savoir scientifique : l’échange de chaleur avec une source froide, l’équilibre thermique et le changement d’état. J’avais anticipé un espace-problème centré sur le lait de coco et ce qui permet sa transformation en sorbet. Je constate a posteriori que l’espace-problème perçu par la majorité de mes élèves concerne principalement l’action du sel sur la glace. Quelques élèves s’interrogent aussi sur l’action mécanique sur le lait de coco.La situation-problème n’a visiblement donc pas été présentée de manière à garantir la construction des savoirs prévus. Les nécessités que j’avais identifiées n’étaient pas celles qui ont été identifiées par les élèves. Mais cette situation délibérément ouverte a pu permettre aux élèves de se sentir libres d’explorer toutes leurs pistes. La variété des productions est ainsi très riche en informations.

Le langage : obstacle dans la construction du savoir ?

                   Les élèves sont habitués à écrire depuis de nombreuses années de « jeuscolaire ». Pourtant la nouvelle enseignante que je suis a été naïvement surprise de cette difficulté si récurrente chez mes élèves. Les différentes productions relatent bien une difficulté quotidienne à laquelle se confrontent les élèves dans le milieu scolaire : la difficulté de retranscrire leurs idées et de former des phrases correctes. Cette expérience d’institutionnalisation a mis en avant les difficultés langagières auxquelles se confrontent les élèves. Un grand nombre de productions de la phase 1 contenait des phrases grammaticalement incorrectes, et avec une orthographe plus que fantaisiste. D’autres productions se limitaient à un minimum sécurisant, une phrase avec un sujet+verbe+complément. On a vu aussi quelques élèves utilisant des termes scientifiques à mauvais escient, pensant sûrement là jouer le « jeu scolaire » attendu. Je relève également que nombre d’élèves ont écrit au crayon papier. C’est une habitude que beaucoup ont, car il leur est ainsi facile d’effacer et de faire disparaître leurs tâtonnements, leurs erreurs. Cette habitude traduit que les élèves ne se reconnaissent pas le droit à l’erreur qui est pourtant nécessaire à l’apprentissage. Mais on constate que tous les élèves ont fait l’effort de rendre une production. Le nombre de mots des fiches de la phase 1 précédemment exposé en est un bon reflet. La diversité des contenus de cette fiche montre bien aussi la volonté de rendre un travail le plus conforme possible à la consigne donnée. Enfin la tâche de la phase 2, à savoir synthétiser les fiches de son binôme sur des post-it, a démontré la difficulté de synthétiser. Il s’agissait pour les élèves d’écouter, de repérer les informations importantes, de les trier voire de les hiérarchiser, pour enfin former un savoir. De plus les informations à synthétiser venaient d’un camarade, l’élève devait alors s’approprier encore autre chose que ses propres observations et conclusions. Je constate a posteriori que la multiplicité des tâches cognitives était trop grande et permettait difficilement aux élèves de réaliser les « sauts cognitifs » (Bonnéry, 2009) nécessaires à la décontextualisation des savoirs construits. Cette phase de l’expérience d’institutionnalisation n’a donc pas favorisé la décontextualisation. Si j’avais pu revenir en arrière, ou refaire une expérience, j’aurais modifié le déroulement de cette phase.

Temps de mutualisation / Débat scientifique

                Plusieurs temps de mises en commun ont été prévus dans la démarche d’investigation et l’expérience d’institutionnalisation qui a suivie. Ces temps de partage et de possible débat scientifique devaient notamment permettre à certains élèves de saisir a posteriori l’ensemble du raisonnement, donc de le comprendre rétrospectivement. Il est difficile de conclure sur ce point. Il semble que ces temps de mutualisation aient plutôt étayé les concepts évoqués par certains élèves. Je m’appuie là notamment sur les élèves qui ont évoqué des concepts pendant la démarche d’investigation et/ou la phase 1, et qu’on ne retrouve plus dans la phase 3. Cléo en 2MCPI a par exemple évoqué le verre qui ne garde pas la chaleur. C’est la production écrite la plus proche du concept de transfert de chaleur et pourtant on ne la retrouve pas dans les post-it. Cela réapparaît en phase 4, au tableau, avec l’évocation de la paroi qui gèle à côté de quelque chose de froid. Il semble que les temps de mutualisation aient rassemblé les élèves sur la problématique de l’action du sel sur la glace, élaguant ainsi les autres concepts de certains élèves. Les phases 2 et 3 devaient permettre aux élèves de débattre de leurs choix de motsclefs sur les post-it. Cela a été dépassé par la difficulté de l’exercice demandé : synthétiser et trier. Les élèves étaient trop préoccupés par l’activité pour réaliser le débat que j’avais imaginé. C’était une tâche trop implicite.

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Table des matières

Introduction
1. Cadre théorique
1.1. L’apprentissage d’un savoir scientifique fonctionnel
1.2. La démarche d’investigation
1.3. L’institutionnalisation et sa trace écrite
2. Méthodologie de recherche
2.1. Contexte de classe 
2.2. La démarche d’investigation
2.3. L’expérience d’institutionnalisation
2.4. L’évaluation formative
3. Expérience en situation de classe
3.1. Résultats de l’expérience
3.1.1. Phase 1
3.1.2. Phase 2
3.1.3. Phase 3
3.1.4. Phase 4
3.1.5. QCM
3.1.5.1. QCM 1 contextualisé
3.1.5.2. QCM 2 décontextualisé
3.2. Bilan de l’expérience
3.2.1. Analyse des résultats
3.2.2. Pistes pour la suite
Conclusion
Bibliographie
Annexes
4ème de couverture

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