L’effet magnétocalorique (EMC) peut être considéré comme une propriété fondamentale de tous les matériaux magnétiques, même si son ampleur est très variable. Mis en évidence par E. Warburg en 1881 autour de la température de Curie du fer (TC ≈ 1043 K), cet effet se manifeste par une élévation (abaissement) de température lors d’une application (ou désapplication) soudaine d’un champ magnétique externe. Ce phénomène ne fut interprété qu’en 1918 par Weiss et Piccard. Outre un intérêt académique, cet EMC a rapidement donné lieu à des applications. C’est effectivement l’EMC qui -dès 1933- fut mis en œuvre dans la désaimantation adiabatique, permettant ainsi d’atteindre pour la première fois des températures autour de 0.25 K et conduisant au prix Nobel de W. F. Giauque en 1949. Bien que les caractéristiques des matériaux et les principes de fonctionnement soient sensiblement différents que pour la désaimantation adiabatique, c’est aussi l’EMC qui est à la base de la réfrigération magnétique (RM). Il s’agit cette fois d’une vraie machine frigorifique (avec puissance de froid en continue) susceptible de fonctionner à des températures beaucoup plus élevées et en particulier autour de l’ambiante.
Cette technique a potentiellement plusieurs avantages par rapport aux méthodes utilisées actuellement qui sont basées sur des cycles compression/détente d’un fluide. Les deux principaux sont (i) une amélioration du coefficient de performance (COP, rapport puissance utile/puissance consommée) et (ii) l’absence d’emploi de gaz à effet de serre. En effet le COP semble pouvoir être accru de 50 voire 100 % par rapport au système de réfrigération classique (les efficacités théoriques pouvant dépasser les 60 % de celle de Carnot, alors que dans les systèmes classiques elles sont au maximum autour de 40%). En outre, la RM utilise des fluides caloporteurs comme l’eau (air ou He aux basses températures) au lieu de fluides frigorifiques comme les fameux fluorocarbones CFC ou HCFC qui, soit sont de puissants gaz à effet de serre (2000 à 8000 fois leur poids en équivalent CO2) soit sont nocifs pour la couche d’ozone.
Présentation de l’effet magnétocalorique
L’effet magnétocalorique (EMC) peut, comme on le verra par la suite, prendre de nombreuses formes. Néanmoins, il est fort bien illustré par le cas historique d’une transition ferromagnétique/ paramagnétique (qui est aussi le cas le plus fréquemment étudié à l’heure actuelle). Autour d’une telle TC, l’application rapide d’un champ magnétique induit une élévation de température du matériau , la désaimantation produisant l’effet inverse, donc un refroidissement.
Deux procédures d’aimantations limites sont envisageables (en partant de l’état champ nul, T autour de TC) :
► La première consiste en une application rapide du champ : cette aimantation adiabatique se réalise par définition à entropie constante et se traduit par une variation de température, un ΔTad. Dans une vision basique, ce changement de température peut être interprété par le fait que : la diminution de l’entropie magnétique lors de l’aimantation doit être contrebalancée –pour maintenir S total constant- par une augmentation de l’entropie de réseau, et donc, pour un spectre de phonons donné, une élévation de température.
► La seconde procédure consiste à appliquer le champ tout en maintenant la température constante (aimantation isotherme) : la mise en ordre induite par le champ magnétique diminue l’entropie magnétique et donc engendre une variation de l’entropie totale du système ΔS.
Ces ΔTad et ΔS sont les deux grandeurs de l’EMC et il est manifeste sur un tel schéma S-T qu’elles sont maximales autour de la température critique « ordre-désordre » (une TC comme ici, ou bien « ordre-ordre » à une TN).
On peut s’interroger sur l’origine fondamentale du ΔS. En effet, la vision précédente où l’application du champ magnétique engendre uniquement une variation d’entropie magnétique est trop limitative. Lorsque la variation du champ induit une transition de phase à Ttr, plusieurs contributions au ΔS total peuvent être modifiées. Ainsi la variation d’entropie totale pourrait être vue comme –par exemple- la somme de contributions magnétique, structurale, électronique… [GAR83] :
ΔS = ΔSmagnétique + ΔSstructurale + ΔSélectronique
Une illustration des conséquences de cette décomposition du ΔS total peut être trouvée dans le classement « performance » des composés à EMC autour de la température ambiante :
► Le meilleur composé avec une transition de second ordre (TSO) est le Gd métallique avec un ΔS total d’origine magnétique. Comme il n’existe pas (peu) de matériaux présentant un moment J supérieur au Gd, aucun matériau ne devrait pouvoir présenter un ΔSmag = Rln(2J +1) plus important, et c’est effectivement ce qui est observé.
► Pour augmenter le ΔS total, il faut alors faire intervenir d’autres contributions à l’entropie. Cela est possible en travaillant sur des matériaux avec des transitions de premier ordre (TPO) magnétostructurales. C’est le fameux cas des Gd5(Si,Ge)4, où les contributions magnétiques et structurales s’additionnent autour d’une même TPO et contribuent à parts quasi égales à obtenir un EMC supérieur au Gd [PEC06b].
L’EMC est ainsi une propriété très multiforme (différentes transitions ordre/désordre, diversités des contributions…), qui peut cependant être divisée en diverses catégories. Premièrement, on distinguera l’EMC suivant (i) l’ordre de la transition : transition de second ordre (TSO) ou de premier ordre (TPO) (ii) le « signe » de l’EMC : « normal ou standard », comme le cas précédent d’un ferromagnétique avec un échauffement à l’application adiabatique du champ, ou bien inverse avec un refroidissement (ex : TN antiferromagnétique-ferromagnétique) .
Principe de la réfrigération magnétique
Tout d’abord, il faut souligner que l’objectif de la réfrigération magnétique est différent de la célèbre désaimantation adiabatique. En effet, le fonctionnement de cette dernière n’a pas le caractère cyclique permettant de maintenir l’écart de température créé par la désaimantation. Par contre, le réfrigérateur magnétique (RM) transfert de manière cyclique de la chaleur d’un point à un autre, le but étant -par des échanges judicieux entre certains points du cycle- de créer et maintenir un écart de température entre une source froide et une chaude, l’objet à refroidir étant placé au contact de la source froide. Le principe de cette RM est donc très proche de celui de la réfrigération classique à compression/détente. Ici ce sont les variations du champ magnétique qui engendrent des variations de température, contrairement au réfrigérateur traditionnel où ce rôle est principalement joué par la pression. Il existe d’ailleurs de grandes analogies de fonctionnement entre réfrigérateurs classiques et magnétiques .
En comparaison, le meilleur matériau utilisé actuellement dans les démonstrateurs (Gd) ne possède qu’un ΔTad de l’ordre de 2 K/T, et les champs réalisables par des aimants permanents, qui sont la source de champ la plus adaptée pour un usage domestique, ne dépassent pas 2T. Pour contourner ce problème, une avancée technique considérable fut l’idée du fonctionnement AMRR. Cette réfrigération magnétique active à régénération a été décrite dans les années 80 par Barclay [BAR82] et est aujourd’hui le système RM le plus employé [LEB05]. Le terme AMRR provient du rôle joué par le matériau, qui est à la fois la partie active (c’est lui qui induit le ΔTad) et le régénérateur (c’est lui qui stocke temporairement les variations positives ou négatives de chaleur pour les échanger ensuite avec le fluide caloporteur). Concrètement, lors des cycles aimantation/désaimantation, les échanges de chaleur sont assurés par un fluide entraîné alternativement par deux pistons. Le principe de l’AMRR est alors de créer un gradient de température le long du matériau magnétocalorique par des échanges thermiques incomplets entre le bloc actif et le fluide caloporteur .
L’intérêt de ce processus réside dans son aspect cumulatif, c’est à dire qu’après quelques cycles l’écart de température entre sources chaude et froide (Tspan) est supérieur au ΔTad du matériau. L’AMRR peut alors être perçu comme un moyen d’amplifier l’EMC intrinsèque du matériau. En termes de diagramme S-T, cet effet cumulatif peut être vu comme le résultat de plusieurs cycles de Brayton en cascade n’impliquant qu’un seul matériau . Chaque position le long du bloc actif réalisera un cycle Brayton centré sur un T0 (température initiale avant de démarrer un cycle de Brayton) qui lui est propre.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Effet magnétocalorique et réfrigération magnétique : Généralités
1.1. Présentation de l’effet magnétocalorique
1.2. Principe de la réfrigération magnétique
1.3. Critères d’évaluation des matériaux à fort EMC
1.4. Critères généraux pour les applications RM
1.5. Les meilleurs matériaux aujourd’hui
Chapitre 2 : Préparation des échantillons. Méthodes expérimentales
2.1. Préparation des échantillons
2.2. Méthodes expérimentales « standard »
2.3. Une méthode spécifique pour la capacité calorifique : SPM
Chapitre 3 : Détermination de l’EMC
3.1. Vue d’ensemble
3.3. Méthodes magnétiques
3.4 Méthode calorimétrique
3.5 Problèmes spécifiques aux TPO
3.6 Comparaison entre les méthodes magnétiques et calorimétriques
Chapitre 4 : Approches pour l’optimisation / découverte d’oxydes à EMC
4.1. Cas des manganites
4.2. Cas des spinelles
4.3. Pistes suivies
Chapitre 5 : Etude de cas
5.1. Manganites pour test RM à l’ambiante
5.2. Influence d’une mise en ordre cationique : RBaMn2O6
5.3. Cas des super-réseaux La0.7Sr0.3MnO3/SrRuO3
5.4. Un exemple de spinelle : Mn3O4
5.5. Séparation de phase et métastabilité : Eu0.58Sr0.42MnO3
5.6. Transition d’état de spin : Pr0.49Sm0.21Ca0.3CoO3
5.7. EMC inverse dans un alliage d’Heusler : Ni45Co5Mn37.5In12.5
Chapitre 6 : Prolongements des études magnétocaloriques
6.1. Etat de base de l’Eu0.58Sr0.42MnO3
6.2. Séquence de transitions dans Mn3O4
6.3. Transition de valence et de spin dans (Pr-Sm,Ca)CoO3
Conclusions et perspectives
Annexes
A.1. Analyses de la capacité calorifique
A.2. EMC et histoire magnéto-thermique
A.3. Calcul de l’EMC en cas de séparation de phase
Bibliographie