Effet d’un entraînement syntaxique sur la théorie de l’esprit d’enfants TSA et TDL

La théorie de l’esprit est la capacité à attribuer des états mentaux à autrui et à soimême (Premack et Woodruff, 1978). Cette compétence a un rôle majeur dans les interactions sociales (Miller, 2006) et se construit à partir de trois ans et jusqu’à l’âge de sept ans chez l’enfant avec un Développement Typique (DT) (Duval et al., 2011). Depuis les premiers travaux de Astington et Jenkins (1999), le lien entre le développement du langage et celui de la théorie de l’esprit est désormais établi. Grâce à ces interactions sociales, l’enfant développe ses compétences langagières mais il expérimente également des situations mettant en jeu la réalité et les pensées d’autrui (Farrar, Benigno, Tompkins et Gage, 2017). Les aspects lexicaux et syntaxiques du langage sont alors mis en jeu dans cette construction des pensées. Le lexique intervient dans la sémantique et se place comme un précurseur de la syntaxe, tandis que celle-ci permet la conceptualisation de la théorie de l’esprit. Au sein de la syntaxe, les propositions subordonnées complétives sont particulièrement intéressantes car elles possèdent une valeur de vérité indépendante. Elles permettent ainsi de se représenter la notion de fausse croyance (Durrleman, Burnel et Reboul, 2017).

L’entraînement de ces compétences syntaxiques, et notamment des propositions subordonnées complétives, a permis de montrer un impact sur le développement de la théorie de l’esprit d’enfants avec un DT (Hale et Tager-Flusberg, 2003 ; Lohmann et Tomasello, 2003). Toutefois, les compétences en théorie de l’esprit peuvent être déficitaires chez les enfants avec un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) (Yirmiya, Erel, Shaked et Solomonica-Levi, 1998), ainsi que chez les enfants avec un Trouble Développemental du Langage (TDL) (Nilsson et Jensen de Lόpez, 2016).

Un entraînement syntaxique ciblant l’acquisition des propositions subordonnées complétives pourrait permettre d’améliorer la théorie de l’esprit d’enfants avec un TSA ou avec un TDL. L’entraînement syntaxique cible améliorerait leurs compétences en théorie de l’esprit, par comparaison avec l’entraînement lexical contrôle dont l’effet serait moindre. Les bénéfices observés en théorie de l’esprit seraient différents entre les deux populations cliniques en raison de la diversité des profils langagiers dans ces deux pathologies. La comparaison de ces deux entraînements permettra d’étudier leur effet sur la théorie de l’esprit d’enfants avec un TSA et celle d’enfants avec un TDL.

Matériel & Méthode 

Populations 

30 enfants de langue maternelle française ont participé aux entraînements. Les trois groupes se composent ainsi : le groupe d’enfants avec un DT se constitue de 14 enfants âgés de 3 ans 10 à 5 ans 4 (m=4,69, ET=0,42), le groupe d’enfants avec un TSA se constitue de 8 enfants âgés de 6 ans 1 à 11 ans 6 (m=8,64, ET=2,25) et le groupe d’enfants avec un TDL se constitue également de 8 enfants âgés de 6 ans 1 à 8 ans 9 (m=7,3, ET=0,96). Les participants sélectionnés ont rempli différents critères d’inclusion. Le critère d’âge variait selon la population : les enfants avec un DT devaient avoir entre 3 et 6 ans, les enfants avec un TSA entre 5 et 12 ans et les enfants avec un TDL entre 5 et 8 ans. Tous les enfants devaient avoir un niveau de langage suffisant pour comprendre une phrase simple de type Sujet-Verbe-Objet, ce qui correspond au niveau de langage d’un enfant avec un DT de 3 à 6 ans. Lors des pré-tests, le score obtenu devait être inférieur à 20/24 aux tâches de théorie de l’esprit afin de proposer les entraînements à des enfants dont la théorie de l’esprit est encore en cours de développement. Pour la compréhension des propositions subordonnées complétives, le seuil maximum était fixé à 10/12. Pour les deux groupes cliniques, le diagnostic de TDL ou de TSA devait être formellement posé selon les critères des recommandations officielles (Bishop, Snowling, Thompson et Greenhalgh, 2017 ; Haute Autorité de Santé [HAS], 2018). Les enfants présentant des troubles associés (trouble du comportement, surdité, troubles visuels, etc) pouvant entraîner une incapacité à suivre un entraînement intensif sur un support numérique n’ont pas été inclus. Le recrutement des participants s’est effectué en contactant des centres référents, des structures d’accueil, des cabinets d’orthophonistes libéraux, des écoles ou des associations spécialisées, en France (Paris, Lyon et Grenoble) et en Suisse (Genève). Pour chacun de ces trois groupes, les enfants ont été aléatoirement répartis entre l’entraînement syntaxique et l’entraînement lexical de façon semi-randomisée. En effet, l’entraînement lexical a été proposé par défaut aux premiers participants qui ont été inclus avant la finalisation de l’entraînement syntaxique.

Matériel 

Les pré-tests évaluent le niveau de langage sur les versants syntaxique et lexical, les compétences en théorie de l’esprit, ainsi que certaines compétences cognitives générales.

Un test sur support informatique a été spécifiquement créé pour l’étude. Il comprend une série de trente-six items divisés en trois parties : théorie de l’esprit nonverbale, théorie de l’esprit verbale et propositions subordonnées complétives. Pour chaque catégorie, on compte le même nombre d’items faisant appel à la notion de vraie croyance que d’items se référant à la notion de fausse croyance. Le pré-test existe en deux versions qui sont utilisées de façon aléatoire d’un enfant à l’autre. Dans chaque version, les mêmes trente-six items sont utilisés mais dans un ordre de présentation différent. Pour les items évaluant la théorie de l’esprit non-verbale, les situations sont illustrées par des bulles de pensées d’après l’idée de Woolfe, Want et Siegal (2002). Un personnage veut effectuer une action qui nécessite de récupérer un objet caché. Les yeux de ce personnage sont bandés au moment où l’objet est dévoilé à l’enfant. Selon qu’il s’agit d’items de vraie ou de fausse croyance, l’objet est conforme ou non à la réalité. À l’aide des bulles de pensée, on demande ensuite à l’enfant ce que le personnage pensait attraper. On parlera toutefois de tâches de théorie de l’esprit minimalement verbales en raison du support oral inévitable qui accompagne la scène. Pour les items évaluant la théorie de l’esprit verbale, les situations s’inspirent des premières tâches d’évaluation de la théorie de l’esprit, telles que le paradigme de changement de lieu avec Maxi et le chocolat (Wimmer et Perner, 1983, cités par Duval et al., 2006) ou le test de Sally et Anne (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985). Dans ces situations, deux personnages sont présentés avec plusieurs contenants destinés à cacher quelque chose. Le premier personnage place un objet dans son propre contenant. Selon qu’il s’agit d’items de vraie ou de fausse croyance, ce premier personnage reste ou sort du cadre, avec une explication donnée verbalement à l’enfant. Pour les situations de vraie croyance, le second personnage utilise l’objet puis le repose à sa place initiale en l’absence du premier personnage, ou le déplace dans un autre contenant en présence du premier personnage. Pour les situations de fausse croyance, le second personnage déplace l’objet dans un autre contenant en l’absence du premier personnage. On demande ensuite à l’enfant où le premier personnage va chercher son objet (Annexe A). Enfin, la troisième sous-partie de ce test spécifique est constituée de scènes utilisant des propositions subordonnées complétives (Annexe B) inspirées par la tâche de de Villiers et Pyers (2002). Deux personnages discutent pour savoir ce que fait une tierce personne. L’un d’eux répond à l’aide d’une proposition subordonnée complétive avec un verbe de communication. Dans une autre pièce, on voit ensuite le troisième personnage effectuer réellement l’action précisée pour les items dits de vraie complétive, ou faire une autre activité pour les items se rapportant à une fausse complétive. En complément de l’évaluation des compétences syntaxiques, le subtest d’aptitudes morphosyntaxiques de la batterie Exalang 3-6 (Helloin et Thibault, 2006) a été utilisé afin de vérifier la compréhension globale d’une phrase de type Sujet Verbe-Objet. On évalue également les compétences lexicales grâce aux subtests de dénomination et de désignation de cette même batterie. Les capacités de raisonnement non-verbal sont évaluées grâce aux Matrices de Raven en couleurs (Raven, Court et Raven, 1998). En complément, l’attention auditive est appréciée grâce à l’épreuve correspondante dans l’Exalang 3-6. Les post-tests immédiats et post-tests différés ont été créés avec trente-six nouveaux items chacun et selon le même modèle que les pré-tests. Le niveau de langage est évalué à nouveau, uniquement lors des post-tests immédiats.

L’entraînement syntaxique a été spécifiquement créé pour l’étude. Il se compose de cinq activités regroupées au sein d’une application présentée sur iPad (Annexe C). Elle s’intitule « Différencier Idée et Réalité par Exercices » (DIRE) (Durrleman et Da Costa, 2017). Chaque scène présentée dans les activités est suivie d’une question de compréhension. Des renforçateurs visuels et sonores viennent ponctuer les sessions. L’activité 1 travaille la compréhension d’une phrase simple de type Sujet Verbe-Objet avec un verbe de perception (Wilson et Fox, 2013). L’activité 2 repose sur la compréhension d’une phrase avec un verbe de communication introduisant une proposition subordonnée complétive pour rapporter des propos. L’activité 3 travaille la compréhension d’une phrase simple qui est transformée en une phrase avec un verbe de parole introduisant une proposition subordonnée complétive. On demande ensuite à l’enfant de répéter cette phrase pour la produire. L’activité 4 repose sur la différence entre une phrase simple décrivant une action et une phrase avec un verbe de communication introduisant une proposition subordonnée complétive pour rapporter cette action. L’activité 5 met en parallèle la réalité décrite par une phrase simple et des propos rapportés avec un verbe de communication introduisant une proposition subordonnée complétive. Dans les activités 2, 3 et 5, l’utilisation d’objets visuellement proches oblige l’enfant à se focaliser sur la proposition subordonnée complétive entendue.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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