Generalités sur les méthodes de simulation
Les généralités sur le calcul des grandeurs macroscopiques comme des moyennes sur les états microscopiques des observables associées sont rappelées en annexe A. L’objectif des simulations est d’explorer par ordinateur l’espace des configurations pour effectuer soit des moyennes d’ensemble (simulations de Monte-Carlo) soit des moyennes temporelles (simulations de dynamique moléculaire). Ces deux méthodes partagent des points communs :
1. la modélisation des interactions
2. le calcul efficace (autant que possible) des énergies (Monte-Carlo) et des forces (dynamique moléculaire)
3. la nécessité d’évoluer à partir d’un état initial (chaîne de Markov en MC et intégration des équations du mouvement en DM)
4. la reproductibilité (rôle des conditions initiales, effets de taille finie).
Nous allons préciser pour chaque méthode les aspects principaux pour les simulations que nous avons effectuées.
Vers la situation canonique
Il est fréquemment nécessaire de décrire l’évolution temporelle d’un système en contact avec un thermostat. La température est une variable globale caractérisant les échanges du système avec son environnement qui n’apparaissent pas explicitement dans le hamiltonien du système. C’est une contrainte qu’il faut introduire de manière ad-hoc dans les équations du mouvement qui décrivent alors généralement une pseudo-dynamique. Ces algorithmes appelés thermostats introduisent la température de différentes manières, la plus simple étant le velocity rescaling qui revient à redéfinir périodiquement les vitesses afin que la température cinétique du système fluctue au tour de la température cible (équipartition). Parmi les versions élaborées, on peut citer le thermostat de Nosé-Hoover qui en principe conduit à une trajectoire déterministe dans l’espace des phases échantillonant réellement l’ensemble canonique. Dans ce qui suit, nous décrirons un autre type de thermostat qui est le thermostat de Langevin permettant de prendre en compte la présence du milieu porteur via les forces de frottement s’exerçant sur les particules colloïdales. C’est ce thermostat qui est implémenté dans ESPResSo.
Simulations de l’équilibre de phase du mélange en volume et face à un mur
Prenons comme référence un système en phase volumique (bulk) sans champ. Nous pouvons déterminer les courbes de coexistence des phases pour plusieurs non-additivités à l’aide d’une simulation Monte-Carlo dans l’ensemble de Gibbs (GEMC) [47], [40, p. 203], (cette méthode est succinctement présentée dans la sous-section 2.2.3). Lorsque les deux boîtes ont atteint l’équilibre, nous traçons les points de la courbe de coexistence grâce à l’histogramme des densités [40, p. 216] (e.g. avec NumPy et Matplotlib) : nous obtenons ainsi la figure 3.2a. Comme attendu, une non-additivité croissante favorise la démixtion. Notons cependant que les écarts en densité (pour δ = 0,01 → 0,05 puis 0,05 → 0,2) sont approximativement constants. La non-additivité semble donc perdre de son efficacité. De plus, la réalisation expérimentale d’une forte « ségrégation » ne doit pas être aisée. Enfin, les interactions dipolaires étant intenses, nous nous contenterons d’une non-additivité intermédiaire de δ = 0,05. Pour une densité de ρtotal = 0,4, notre mélange équimolaire serait donc stable, tout en étant proche de la ligne de coexistence. Nous plaçons à présent le mélange entre deux murs (slab). La brisure de la symétrie soulève quelques difficultés techniques. Tout d’abord la méthode d’Ewald (section 2.5, page 22) doit être corrigée. Tel est le but de la Dipolar Layer Correction (DLC) [59], [60], cf. annexe D (page 111) pour l’implémentation. Ensuite, la simulation GEMC est modifiée comme dans [61] pour maintenir H constante. Nous obtenons ainsi la figure 3.2b. Nous remarquons que globalement la courbe en géométrie slab est plus haute que celle en bulk, e.g. pour xSD = 0,5, ρtotal = 0,41 → 0,48. Les murs stabilisent donc le mélange [62]. D’autres simulations GEMC ont été lancées avec des densités inférieures à celles representées dans la figure afin de nous assurer que le mélange est alors stable. Cependant, pour certaines densités, la composition s’éloignait momentanément de la valeur 0,5 pendant quelques milliers de pas de temps avant d’y revenir. Cette difficulté indique probablement la nécessité d’utiliser des algorithmes plus avancés afin d’améliorer l’échantillonnage. Il se pourrait aussi qu’une zone métastable soit présente sous la courbe. Nous considérerons trois états de référence de densités croissantes, figure 3.2b. Le premier se situe loin de la ligne de démixtion à ρtotal = 0,35. Le second reste sous la ligne mais s’en approche (ρtotal = 0,47). Enfin, le dernier état à ρtotal = 0,64 se séparera en deux phases. Chaque système monophasique sera étudié dans l’ensemble canonique.
Comparaison Monte-Carlo – dynamique moléculaire
Nous nous assurons dans un premier temps de la cohérence des données obtenues par Monte-Carlo (MC) et dynamique moléculaire (DM) en comparant les profils de densité ρ(z) des particules dans région du pore. La figure 4.4 montre des profils très similaires pour les deux constituants. Il s’agit donc d’une première validation des modifications apportées au code de dynamique moléculaire, notamment les aspects reliés à l’effet d’un champ inhomogène. Ensuite, nous vérifions sur cette même figure que notre mélange reste monophasique après allumage et extinction du champ. Enfin, lorsque le champ est appliqué, nous observons bien la structuration des dipôles sur la figure 4.5 comme dans le chapitre précédent. Afin de mieux visualiser l’effet du champ sur le mélange, nous représentons l’évolution de la densité et de la composition sur la figure 4.6. La situation initiale montre que les sphères apolaires, représentées en vert, sont majoritaires (‘ 90%). Lorsque le champ est appliqué, nous observons que les dipôles représentés en bleu, se concentrent dans le pore. Une structuration est visible comme dans la figure précédente. Enfin, la situation finale, quasi identique à la situation initiale, nous assure que le mélange était stable. Dans ces conditions, le cycle de champ est reversible. Pour résumer, en l’absence du champ, la population dans le pore est «normale», i.e. les concentrations des deux espèces sont presque les mêmes que dans la phase (SA). Les croix sont issues d’une simulation Monte-Carlo. Les cercles et les carrés proviennent de la dynamique moléculaire avant l’allumage du champ et après son extinction respectivement. volumique. Au contraire, la population s’inverse en présence du champ : les dipôles deviennent majoritaires dans le pore. L’effet principal du PINBI sous champ (inversion de population près de l’instabilité de la phase volumique), mis en évidence précédemment en géométrie idéalisée, est donc bien présent dans ces conditions plus réalistes (avec interface explicite). Les résultats de cette étude préliminaire nous permettent de passer à l’étape suivante : la dynamique de l’inversion population sous champ.
Conclusion générale
Sur la base du même modèle général – le mélange binaire de sphères dures – neutres et dipolaires – nous avons étendu, dans deux directions différentes, les études antérieures de l’équipe sur les effets d’un champ extérieur sur des dispersions colloïdales confinées. Dans la première partie, nous avons approfondi l’étude des propriétés d’équilibre, en prenant cette fois un mélange symétrique en composition et en considérant des interactions dipolaires plus intenses. De plus, nous avons considéré le cas d’un pore large, afin de mieux mettre en évidence les propriétés du mélange sous champ, face à un seul mur. Comme précédemment, nous avons considéré des situations en phase volumique proches de l’instabilité de séparation de phase, pour lesquels des champs de faible intensité peuvent produire des effets importants dans le fluide confiné. Tout en confirmant certaines observations faites en fort confinement, il a été observé que pour les mélanges symétriques en composition, la variation de la densité totale conduit, en l’absence de champ, à deux régimes : avant la séparation de phase, les dipôles sont expulsés de la région proche des parois. Après séparation de phase, au contraire, les dipôles mouillent les parois, la phase conjuguée ne comportant pratiquement pas de dipôles. Sous champ, deux comportements distincts sont observés : en champ normal, la stabilité du mélange est renforcée, dans l’intervalle exploré de l’espace des paramètres. Cette observation est consistante avec la formation de courtes chaînes de dipôles perpendiculaires aux murs. A faible champ, les dipôles mouillent progressivement les parois lorsque la densité totale augmente. Des champs intenses entraînent une structuration en couches des dipôles. L’effet principal d’un champ parallèle est la formation de longues chaînes, elle-mêmes parallèles aux parois, favorisant la séparation de phase. De nouveau, la phase riche en sphères dures neutres ne contient pratiquement pas de dipôles. Il est observé aussi un démouillage des parois par les dipôles. La possibilité d’observer directement la coexistence de phase dans une simulation en situation canonique, par l’apparition de profils de densité spatialement séparés a aussi été relevée. Finalement, tout en confirmant des observations plus ou moins connues sur les effets de champ, cette première partie a souligné encore plus la grande variété de transitions structurelles ou de phase découlant de la combinaison du confinement, des interactions entre particules et de la réponse à un champ extérieur, laissant entrevoir différentes applications possibles de leur contrôle par un champ. Dans la seconde partie, nous nous sommes intéressés aux aspects dynamiques des changements de composition induits par un champ extérieur. Un effort a été fait pour adapter le modèle, notamment pour rendre plus réaliste la géométrie de confinement, confirmant ainsi les observations faites précédemment sur les états d’équilibre dans un pore ouvert, sans interface explicite avec la phase volumique. Dans ce travail, l’aspect nouveau est l’accès à l’évolution temporelle du fluide suite à l’allumage et l’extinction du champ, par le biais de simulations hors équilibre, en dynamique de Langevin. Parmi les paramètres physiques, nous avons discuté principalement l’influence de deux d’entre eux, pour leur importance. En premier lieu, nous avons étudié l’influence de l’intensité du champ appliqué, dont on pouvait penser que l’accroissement permettrait d’accélérer les changements dans le fluide confiné. Cela a bien été observé d’abord, mais son efficacité sature de manière inattendue. Un autre facteur important est le caractère défavorable des interactions entre particules différentes, favorisant l’instabilité de séparation de phase et donc l’efficacité de champs de faible intensité. Dans le modèle des cœurs durs non additifs, l’influence du paramètres de non-additivité δ sur la réversibilité des cycles induits par le champ a été montrée. Dans les conditions proches de la séparation de phase, l’allumage du champ permet notamment de sélectionner la phase riche en dipôles. Finalement, dans l’intervalle qui nous a été accessible pour la force de frottement agissant sur les colloïdes, nous avons mis en évidence, en dynamique de Langevin, une évolution linéaire des temps caractéristiques du remplissage et du vidage en fonction du coefficient de frottement réduit γ∗. Sur cette base, il a été possible d’extrapoler les résultats jusqu’au régime colloïdal. Tout en couvrant ainsi une variation sur plusieurs ordres de grandeur des temps physiques, la nécessité de décrire alors le système à la bonne échelle, avec les valeurs des paramètres physiques correspondantes, a été soulignée. Une suite immédiate de ce travail dans le cadre des systèmes colloïdaux, serait d’abord d’augmenter encore plus l’intensité du frottement, afin de mieux cerner le domaine de validité de la variation linéaire des temps caractéristiques. Au niveau du modèle, on pourrait aussi considérer des dispersions chargées, dont les macro-ions pourraient être des candidats possibles pour tester ce phénomène d’inversion de population et sa dynamique, bien que l’effet du champ, n’agissant ici que sur les dipôles, serait alors bien plus complexe. La prise en compte ou non des co et contre-ions, voire d’un solvant explicite nécessiterait alors des développements méthodologiques afin de rendre les temps de calculs acceptables. On peut espérer alors que certains des développements logiciels effectués à l’occasion de ce travail, voire le recours à d’autres dynamiques, seront utiles dans ce but. Elaborer des modèles précis de la structure réelle des particules colloïdales peut aussi constituer une perspective, notamment pour susciter l’intérêt des expérimentateurs. Dans la même veine et à l’autre extrémité de l’échelle des longueurs, la prise en compte d’interactions spécifiques entre les particules, et entre celles-ci et le milieux confinant, décrite à la même échelle (“live wall”) devrait permettre l’étude de la dynamique des effets de champ dans les fluides moléculaires confinés. Pour ces derniers, les temps caractéristiques attendus, des ordres de grandeurs plus petits que pour les colloïdes, permettent alors d’envisager des applications qui s’appuient sur la modulation sur des temps très courts des propriétés du fluide confiné.
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Table des matières
1 Introduction
2 Méthodes
2.1 Generalités sur les méthodes de simulation
2.2 Simulations Monte-Carlo
2.2.1 Echantillonnage préférentiel
2.2.2 Algorithme de Metropolis
2.2.3 Mise en œuvre dans différents ensembles
2.3 Dynamique moléculaire
2.3.1 Présentation
2.3.2 Relation avec l’ensemble microcanonique
2.3.3 Critères de sélection d’algorithmes
2.3.4 Intégration par différences finies, algorithme de Verlet vitesse
2.3.5 Vers la situation canonique
2.4 Dynamique de Langevin
2.4.1 Présentation de l’équation et des hypothèses
2.4.2 Théorème de fluctuation-dissipation
2.4.3 Implémentation
2.5 Interactions à longue portée
2.5.1 Description du système
2.5.2 Décomposition en plusieurs sommes
2.5.3 Propriété lors d’un changement de volume
3 Effet d’un champ sur un mélange confiné de sphères dipolaires et apolaires : propriétés à l’équilibre
3.1 Modèle
3.2 Simulations de l’équilibre de phase
3.3 Résultats
3.3.1 Effet de la densité à champ nul
3.3.2 Structuration sous l’effet du champ
3.4 Conclusion
4 Effet d’un champ sur un mélange confiné de sphères dipolaires et apolaires : aspects dynamiques
4.1 Modèle
4.1.1 Géométrie de confinement
4.1.2 Potentiels d’interaction
4.1.3 Expression du champ extérieur
4.2 Methodes de simulation
4.2.1 Etat d’équilibre : simulations Monte-Carlo
4.2.2 Dynamique : dynamiques moléculaire, brownienne et de Langevin
4.2.3 Implémentation numérique
4.2.4 Choix des paramètres
4.3 Resultats
4.3.1 Comparaison Monte-Carlo – dynamique moléculaire
4.3.2 Dynamique de l’inversion de population sous champ
4.3.3 Cycles irréversibles
4.3.4 Cycles réversibles : rôle de la taille des particules, loi d’échelle
4.4 Conclusion
5 Conclusion générale
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