Effet du comportement empathique des expérimentateurs sur la perception douloureuse

L’expérience douloureuse est le résultat de l’activation conjointe et coordonnée de multiple aires cérébrales en réponse à une stimulation nociceptive (Garcia-Larrea and Peyron, 2013; Tracey and Mantyh, 2007). La communication entre les structures de ce réseau neuronal représente l’intégration des caractéristiques physiques du stimulus mais aussi de l’ensemble des composantes cognitives, affectives, mnésiques et sensorimotrices qui constituent la douleur. De cette séquence résulte une perception consciente et subjective de l’intensité du stimulus d’origine, accompagnée de réponses motrices et végétatives. La perception douloureuse n’est donc pas linéairement associée à l’intensité de la stimulation, et de nombreux facteurs nonpharmacologiques, externes ou internes à l’individu, peuvent venir naturellement la moduler. La perception est influencée par des processus émotionnels (Godinho et al., 2012; Wunsch et al., 2003), attentionnels (Peyron et al., 1999) ou diversifs (Valet et al., 2004), cognitifs tels que les effets placebo/nocebo liés aux attentes (Wager and Atlas, 2015; Wiech, 2016), par l’hypnose (Rainville et al., 1999), la méditation (Zeidan et al., 2011), ou encore le contexte social (Eisenberger and Lieberman, 2004; Krahé et al., 2013).

Dans la vie en société, l’empathie est un facteur couramment utilisé par celui qui observe afin de réduire la douleur de celui qui souffre. Dans le cas particulier du milieu soignant, ce facteur empathique est utilisé par le personnel pour tenter de soulager le patient. Le phénomène d’empathie est défini par la capacité d’un individu à adopter le point de vue de l’autre et à partager son ressenti. La conséquence peut être un comportement d’aide altruiste afin d’améliorer l’état de l’autre (Batson, 1991; Batson et al., 2003; Decety and Jackson, 2006; Preston and De Waal, 2002; Singer, 2006; Zaki and Ochsner, 2012). Les modèles théoriques sur la communication de la douleur (Edmond and Keefe, 2015; Hadjistavropoulos et al., 2011; Vangronsveld and Linton, 2012) et les observations comportementales (Oh, 1991; Sohn, 2003; Stevenson, 2002) laissent supposer qu’un comportement empathique ou non empathique influencerait le ressenti douloureux. Les hypothèses intuitives sont que des commentaires empathiques réduiraient la douleur, tandis qu’à l’inverse, recevoir des commentaires nonempathique l’augmenterait. Pourtant, il existe très peu de travaux expérimentaux dédiés à cette question de l’impact réel du support empathique porté par autrui sur la douleur d’un individu.

Genèse de l’expérience douloureuse

La douleur est la raison la plus courante d’une consultation médicale, cependant son mécanisme n’est pas encore totalement compris. Elle joue un rôle d’alarme nous protégeant des éléments pouvant nous nuire, mais pas toujours, et peut devenir pathologique dans le cadre des douleurs chroniques. Dans le Traité de l’homme, Descartes réalise pour la première fois la correspondance entre ce signal d’alarme et un système sensoriel de la douleur en situant la convergence des informations dans le cerveau. Il la décrit en utilisant la métaphore suivante : « ainsi que, tirant l’un des bouts d’une corde, on fait sonner en même temps la cloche qui pend à l’autre bout » (Traité de l’homme 1664, Descartes). Cet aspect de réflex protectif amène à la notion de nociception qui est à dissocier de la douleur, c’est la chaîne d’évènements par laquelle le système nerveux détecte et transmet l’information relative à une lésion éventuelle jusqu’au cerveau. Elle n’implique pas une perception pleinement consciente de la douleur, c’est la partie purement sensorielle, décrivant la réponse d’un groupe de neurones à un stimulus nocif sans que la perception de celui-ci soit douloureuse. Ce modèle de signal d’alarme cartésien est restrictif et ne laisse pas la place à des modulations. Or, nous ne ressentons pas toujours le même stimulus douloureux de la même façon. La perception sensorielle de la douleur va être influencée par l’état émotionnel et cognitif de l’individu. Actuellement, l’association internationale d’étude de la douleur (IASP) définit la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à des lésions tissulaires réelles ou potentielles, ou décrite en des termes évoquant de telles lésions ». La douleur physiologique est donc une expérience multidimensionnelle, généralement désagréable. Elle est donc le produit de notre état global, c’est-à-dire l’interaction de différents systèmes cortical, perceptif, émotionnel, cognitif, attentionnel, moteur, anticipatoire, etc.

La réponse douloureuse nécessite une traduction de cette stimulation en signaux neuronaux grâce à des capteurs. Ces signaux se propagent rapidement via les nerfs sensoriels en passant par la moelle épinière, qui connectent ensuite les parties du cerveau interprétant ces signaux comme étant de nature douloureuse. Le but de cette première partie sera de rappeler de manière succincte les étapes permettant de transmettre les inputs nociceptifs et de voir comment ils sont traités au niveau cortical afin de générer une réponse intégrative.

Anatomie des voies nociceptives ascendantes 

Les systèmes sensoriels somatiques permettent à notre corps de percevoir et d’évoluer dans l’environnement qui l’entoure. La nociception qui informe sur des stimulations potentiellement délétères est une partie inhérente du système somatosensoriel, au même titre que d’autres modalités comme la mécanoception (toucher, vibration, chatouillement, etc.), la proprioception (position du corps dans l’espace), la thermoception (perception de la température) ou encore la viscéroception (détection de l’état des viscères). Pour atteindre le cerveau, les informations issues des récepteurs sensoriels périphériques utilisent deux systèmes anatomiques ascendants distincts et parallèles à partir de la corne dorsale de la moelle épinière : i) La voie des colonnes dorsales ou lemniscale transmet les éléments relatifs au tact discriminatif mécanoceptif et à la proprioception. ii) La voie spinothalamique est impliquée dans le transfert des informations douloureuses et relatives à la détection de la température. Ce dernier faisceau implique trois principaux relais pour transmettre le signal jusqu’aux régions corticales, détaillés dans la suite de cette partie .

Premier relais : les récepteurs périphériques 

Des récepteurs sensoriels périphériques spécifiques connus sous le nom de nocicepteurs nous permettent de détecter les températures extrêmes (> ~ 40°C – 45°C ou < ~15°C), les pressions intenses et les éléments chimiques nocifs. Les nocicepteurs sont disséminés dans l’ensemble des tissus, leurs corps cellulaires se situent dans les ganglions des racines dorsales et sont constitués de terminaisons nerveuses libres très arborisées. Ils sont néanmoins absents du cerveau, sauf des méninges. D’un point de vue biochimique, au niveau de la membrane cellulaire des terminaisons nerveuses, la transduction du signal nociceptif implique la mise en jeu de canaux ioniques thermosensibles spécifiques de la famille des TRP (Transitient Receptor Potential). Les différentes catégories de canaux identifiées s’activent chacune pour un intervalle de température donné (Dubin and Patapoutian, 2010; Tominaga and Caterina, 2004; Wang and Woolf, 2005). Actuellement, le mécanisme de ces récepteurs constituent des cibles thérapeutiques pour le développement de nouveaux analgésiques, la capsaïcine par exemple, utilisée pour soulager les douleurs neuropathiques, est un agoniste TRPV1 (pour plus de détail voir Mickle et al., 2016; Patapoutian et al., 2009).

Second relais : les faisceaux ascendants 

Les axones des neurones de second ordre participent à la formation des faisceaux antérolatéraux et postérieurs qui permettront de transmettre l’information nociceptive aux structures du tronc cérébral et du diencéphale tel que le thalamus, la Substance Grise Périaqueducale (SGPA), la substance réticulée, le complexe amygdalien et l’hypothalamus (Almeida et al., 2004; Millan, 1999). Ces faisceaux sont décrits ci-dessous :

➤ La voie spinothalamique (Fig. 1.2.) est la plus importante. Les axones des neurones secondaires (couches I et IV à VIII) décussent et empruntent le cordon antérolatéral de manière somatotopique. Ils pénètrent ensuite dans le bulbe rachidien où ils sont rejoints par les axones du noyau spinal du trijumeau véhiculant la sensibilité nociceptive de la face, puis projettent sur plusieurs noyaux thalamiques latéraux et médians. Les projections de cette voie au niveau cortical participe ainsi aux aspects sensori-discriminatifs de la douleur et au codage de l’intensité du stimulus.

➤ Suivant une organisation similaire, le faisceau spino-reticulo-thalamique (issu des couches I, V, VII, VIII et X) se projette homo- et controlatéralement sur la substance réticulée et le thalamus médian en suivant une faible représentation somatotopique (Kevetter et al., 1982). Ces projections permettraient de générer l’aspect d’alerte associée aux stimulations nociceptives en modulant le tonus musculaire, et d’activer les systèmes d’analgésie endogène.

➤ Le faisceau spino-mésencéphalique (couches I, II, IV-VII et X) se termine dans la substance grise périaqueducale (SGPA) du mésencéphale et dans le noyau parabrachial (Willis and Coggeshall, 1991). Les projections de ces tractus sont impliquées dans les aspects affectifs, motivationnels comme les comportements aversifs et les réponses végétatives à la douleur.

➤ Des voies plus « directes » ne passant pas par le thalamus ont été découvertes (couches I, V et X). La voie spino-pontoamygdalienne qui passe par le noyau parabrachiale et se projette ensuite sur l’amygdale (Bernard and Besson, 1990). La voie spinohypothalamique suit un trajet parallèle aux autres voies ascendantes mais se projette directement sur l’hypothalamus, de manière assez spécifique aux stimulus nociceptifs (Cliffer et al., 1991). Les connexions corticales de cette voie pourraient être impliquées dans les réactions d’adaptation lente de type humoral ou de stress à la douleur.

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Table des matières

Introduction générale
I. CONCEPTS THÉORIQUES : DOULEUR & EMPATHIE
1. Genèse de l’expérience douloureuse
2. Empathie : comprendre la douleur d’autrui
3. Rôle de l’empathie dans l’environnement médical
II. RÉSULTATS
Partie psychophysique : Étude de l’effet du feedback empathique d’autrui sur les
réponses subjectives et physiologiques à la douleur de sujets sains
Chapitre 1 : Comment l’empathie d’autrui influence-t-elle ma douleur ? Effet d’un
support empathique ou non-empathique durant un test de douleur
Chapitre 2 : Modulation de la réponse autonomique cardiaque à la douleur par le
contexte non-empathique
Chapitre 3 : Traduction et adaptation du Client Attachment to Therapist Scale (CATS)
en version française
Partie neuro-imagerie (IRMf) : Investigation des structures cérébrales impliquées dans la modulation de la perception douloureuse par les feedbacks empathiques d’autrui
Chapitre 4 : Analyse en composante indépendante des réseaux neuronaux impliqués
dans l’effet du feedback empathique sur la douleur
Chapitre 5 : Etude des régions cérébrales répondant à la modulation douloureuse par l’empathie d’autrui, comparaison de leurs connectivités fonctionnelles
Chapitre 6 : Représentation de la structure modulaire du réseau fonctionnel de la
douleur, impact du contexte empathique sur son organisation
Étude complémentaire 1 : Relation entre activité cérébrale et réponses cardiaques à la douleur, premiers résultats
Étude complémentaire 2 : Généralisation de la CATS Française à l’ensemble du
personnel soignant. Relation entre attachement et effets des feedbacks empathiques sur la douleur
III. DISCUSSION GÉNÉRALE
Bibliographie
Annexe

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