Effet de la réduction en sodium sur la texture et la bioaccessibilité des protéines d’un fromage à pâte molle à croûte fleurie
Revue de la littérature:
L’état de la consommation du sodium au Canada:
En 2003, l’Organisation Mondiale de la Santé a établi un objectif de consommation mondial du sel à 5 g de NaCl (chlorure de sodium) par jour (World Health Organization & Food and Agriculture Organization of the United Nations, 2003). Actuellement, l’apport moyen en sodium chez les Canadiens est estimé à 3136 mg de sodium (Na) par jour (Fischer et al., 2009). Or, l’apport maximal tolérable a été établi à 2300 mg de sodium par jour par l’« Institute of Medecine » (Institute of Medecine of the National Academy of Sciences, 2005). Les études indiquent que l’apport maximal tolérable est ainsi dépassé chaque jour par environ 85 % des hommes et par entre 63 % à 85 % des femmes (Health Canada, 2010).
Impacts de la surconsommation du sodium:
Le sodium ingéré en surplus est difficilement excrété par les reins, ce qui engendre une élévation de la pression artérielle (He & MacGregor, 2007; Intersalt Cooperative Research Group, 1988; Meneton et al., 2005). L’hypertension causée par la surconsommation du sodium a été démontrée chez des chimpanzés (Denton et al., 1995; Elliott et al., 2007). Différentes études épidémiologiques ont également démontré que les personnes habitant des régions ayant facilement accès à du NaCl présentaient une pression artérielle généralement plus élevée que celles n’ayant pas accès à du NaCl (He & MacGregor, 2008). La surconsommation du sodium est considérée mondialement comme étant liée à l’incidence de l’hypertension artérielle et des problèmes cardiovasculaires (Governement of Canada, 2013; Health Canada, 2010; Kaplan, 2000; O’Shaughnessy & Karet, 2004; Salahdeen & Alada, 2007; Strazzullo et al., 2009). D’autres complications de santé telles que le diabète, le cancer de l’estomac (Joossens et al., 1996; Tsugane et al., 2004), les pierres aux reins (Cappuccio et al., 2000) et l’ostéoporose (Cappuccio et al., 2000) sont aussi reliées à la surconsommation du sodium (Sultanpur et al., 2011). L’hypertension est un facteur de risque évitable des maladies du cœur (World Health Organization, 2013).
Au Canada, la deuxième cause de mortalité correspond aux maladies cardiovasculaires (Statistics Canada, 2013). Elles sont responsables de plus de 20 % des décès au Canada en 2009 (Statistics Canada, 2013). Les risques de maladies cardiovasculaires, comme les accidents vasculaires cérébraux, les crises cardiaques, l’insuffisance cardiaque (Cook et al., 2007; Tuomilehto et al., 2001) et les risques de maladies rénales (Heeg et al., 1989; Swift et al., 2005) sont accrus lorsque la pression artérielle est élevée. À moins que des mesures préventives soient prises, la prévalence de l’hypertension et le nombre de décès en découlant tendent à augmenter en raison de la population vieillissante, des mauvaises habitudes alimentaires, de la sédentarité et de l’obésité (Kearney et al., 2005). Plus de 15 % des hospitalisations en 2005 sont associées aux maladies cardiovasculaires (Public Health Agency of Canada, 2009). En 2000, les coûts engendrés par les maladies cardiovasculaires ont été estimés à 22,2 milliards de dollars, soit 7,6 milliards de dollars en coûts directs (soins hospitaliers et médicaux, médicaments d’ordonnance, professionnels de la santé) et 14,6 milliards de dollars en coûts indirects (production économique perdue suite à une incapacité de travailler ou décès prématuré) (Public Health Agency of Canada, 2009). Il a été estimé en 2000 que des dépenses globales de 2,29 milliards de dollars par année doivent être attribuées à la gestion de l’hypertension (Public Health Agency of Canada, 2009).
Effets bénéfiques de la réduction de la consommation du sodium :
La réduction de la consommation du sodium de 3500 mg à 1660 mg par jour (une réduction de 1840 mg par jour) aurait plusieurs bénéfices santé comme la diminution de la pression artérielle (He & MacGregor, 2008), de l’ostéoporose (Devine et al., 1995) et du cancer de l’estomac (Joossens et al., 1996). Il est estimé notamment qu’il y aurait une diminution de 30 % au niveau de la prévalence de l’hypertension (plus d’un million de personnes qui ne seraient plus touchées par l’hypertension) (Joffres et al., 2007), une diminution de 8,6 % des incidents cardiovasculaires (Penz et al., 2008), une diminution de 6,5 % des visites chez les professionnels de santé, ainsi qu’une économie de 18 % à 23 % des dépenses (430 à 540 millions de dollars) pour les frais incluant les médicaments, les visites aux professionnels de santé et les tests effectués en laboratoire (Joffres et al., 2007).
Cibles de réduction du sodium dans les aliments transformés:
Des cibles de réduction volontaires du sodium dans de nombreux produits alimentaires transformés ont été suggérées par Santé Canada (2012). Les aliments transformés apporteraient plus de 75 % du sodium consommé (Governement of Canada, 2013). C’est pendant la fabrication et la préparation des aliments que 88 % du contenu en sodium est ajouté. Seulement 12 % du sodium correspond à la quantité naturellement présente dans les aliments (Mattes & Donnelly, 1991). Les produits de boulangerie, les viandes transformées, les légumes transformés, les soupes, les plats de pâtes et les fromages sont les six sources principales qui apportent quotidiennement du sodium avec des proportions respectives de 14 %, 9 %, 7 %, 7 %, 6 % et 5 % (Fischer et al., 2009). De nombreuses variétés de fromages ont été ciblées par Santé Canada en ce qui concerne la réduction du sodium, telles que le fromage Cottage, le fromage à la crème, les fromages fondus, le Brie, le Camembert, le Cheddar, le Suisse, le Monterey Jack, le Brick, le Colby, le Gouda, le Mozzarella, le Parmesan et le Feta (Health Canada, 2012). Le fromage est un aliment intéressant non seulement par la grande variété de fromages disponibles, mais particulièrement pour sa grande qualité nutritive (protéines, minéraux, gras et vitamines) (Institut Fromages et Santé, 2012; O’Brien & O’Connor, 2004). La réduction du sodium dans les fromages est complexe, car il faut considérer les nombreux rôles du NaCl. Ceux-ci seront discutés dans les sections suivantes
Rôles du NaCl dans les fromages:
La fabrication des fromages comporte plusieurs étapes contrôlées afin d’obtenir un produit final de qualité (Fox & McSweeney, 2004) incluant le salage par l’ajout de chlorure de sodium (NaCl). Le NaCl joue plusieurs rôles importants dans les fromages aux niveaux technologique, microbiologique et organoleptique (Guinee & Fox, 2004; Guinee & Sutherland, 2011). Le sel complète l’égouttage en diminuant le contenu en humidité (Mistry & Kasperson, 1998; Schroeder et al., 1988) en favorisant la sortie du lactosérum par la synérèse du caillé (Guinee & Fox, 2004). Les caractéristiques fonctionnelles de la matrice sont influencées par le NaCl (Floury et al., 2009) qui affecte l’hydratation (Gillis, 2004; Guinee & Sutherland, 2011; Kindstedt et al., 1992) et l’agrégation (Guinee & Fox, 2004) des caséines. Le sel aide à la conservation en prévenant la croissance de pathogènes et de microorganismes de détérioration avec son effet de diminution de l’activité de l’eau et d’augmentation de la pression osmotique de la phase aqueuse (Aly & Galal, 2002; Gillis, 2004; Guinee & Fox, 2004). Le sel permet aussi de sélectionner et de réguler les populations microbiennes désirables (Gillis, 2004). Il influence les activités résiduelles des enzymes coagulantes, microbiennes et natives du lait (Gillis, 2004; Guinee & Fox, 2004). Au niveau organoleptique, en plus du goût salé, le sel contribue à procurer au fromage plusieurs de ses caractéristiques comme la couleur, la croûte formée, etc. (Gillis, 2004) et par sa contribution à la texture par ses effets sur les souches microbiennes impliquées dans chaque fromage. Le sel est aussi connu pour masquer et rehausser les arômes et les saveurs (Gillis, 2004).
La réduction du sodium dans les fromages:
La prise de conscience de la problématique de consommation excessive du sodium, depuis les dernières années, a mené à la mise en place de stratégies de réduction du sodium dans les fromages afin de continuer d’offrir des produits sains, nutritifs et surtout appréciés par les consommateurs. L’importance du sel dans les fromages rend la tâche ardue pour les industries fromagères qui veulent réduire la teneur en sodium de leurs produits, puisque les répercussions sur la qualité des produits sont peu connues. La réduction du sodium dans divers fromages a été abordée par différentes études (Cruz et al., 2011; El-Bakry, 2012; IDF, 2014; Johnson et al., 2009). L’un des fromages les plus étudiés est le Cheddar, un fromage à pâte ferme non cuite dont le salage est effectué dans la masse, notamment à cause de sa popularité auprès des consommateurs. Des études ont démontré que contrôler plus précisément la teneur en sodium en diminuant la variabilité du salage (Agarwal et al., 2011), réduire simplement la teneur en sodium (Rulikowska et al., 2013) et réduire la teneur en sodium en conservant une humidité comparable au produit standard (Møller et al., 2013) ne suffisent pas pour réduire considérablement la teneur en sodium du fromage Cheddar. La substitution partielle du sodium a alors été étudié dans différentes variétés de fromage avec diverses teneurs et divers sels de remplacement (MgCl2, CaCl2 ou KCl) (Aly, 1995; Ayyash et al., 2011; Demott et al., 1984; El-Bakry et al., 2011; Fitzgerald & Buckley, 1985; Karahadian & Lindsay, 1984; Katsiari et al., 1997, 1998; Kaur et al., 2011; Reddy & Marth, 1993, 1995). D’autres alternatives à la réduction en sodium pourraient aussi être envisagées comme les mélanges commerciaux de sels faibles en sodium (« Pansalt », « Lo®salt », « Saxa So-low salt » et « Morton Lite Salt® ») déjà disponibles sur le marché et ayant été utilisés dans des produits de viandes tels que le jambon, le bacon et la dinde (Desmond, 2006). Des rehausseurs de saveurs ont aussi été étudiés dans le but de réduire le sodium dans les fromages (Karahadian & Lindsay, 1984) et afin de rétablir un bon goût aux fromages moins salés (Guinee & Fox, 2004). Les rehausseurs de saveurs sont nombreux et regroupent les extraits de levures, l’acide lactique, le glutamate monosodique et les nucléotides (Desmond, 2006). Bien que les mélanges de sels commerciaux et les rehausseurs de saveurs puissent être intéressants à utiliser dans les fromages, il faut d’abord évaluer les impacts de la réduction nette en sodium et de la substitution par des sels plus simple avant d’étudier des changements plus complexes .
Préparation des échantillons de fromages
La préparation des échantillons de fromage est effectuée par broyage dans un moulin à café (figure 3-6 à l’annexe 3-1) le matin même de la digestion dans une salle réfrigérée à 4 °C. Le fromage broyé est placé dans un bécher recouvert d’un papier d’aluminium et d’un élastique afin d’éviter les pertes en humidité. La pâte est mélangée à l’aide de spatules avant chaque prélèvement. Le prélèvement de la pâte de fromage s’effectue en faisant des petites boulettes de pâte à l’aide de deux spatules d’environ 1 cm3 .
Modèle statique de digestion in vitro
Le modèle utilisé par Fang et coll. (2016b) est un modèle de digestion gastro-intestinal mono-compartimenté de type statique dont les conditions simulent la digestion humaine basées sur le modèle de Versantvoort et coll. (2005). La préparation des jus digestifs artificiels des étapes buccale, gastrique et duodénale a été décrite par Rinaldi et coll. (2014) en utilisant les enzymes obtenues chez Sigma Aldrich (Oakville, ON, Canada), soit l’α-amylase (A3176), la pepsine (P7000), la lipase (L3126), la bile (B8631) ainsi que la pancréatine (P7545) (tableau 3-2 à l’annexe 3-2).
Bioaccessibilité des protéines
Pendant la digestion du fromage, les protéines sont davantage accessibles pour être hydrolysées par les protéases lorsque la matrice fromagère se désintègre. L’hydrolyse des protéines permet alors la libération de courts peptides et acides aminés qui pourront alors être absorbés par le corps humain. La libération des protéines du fromage Brie CTL augmentait en fonction du temps de digestion (p < 0,0001) avec des valeurs de 12 %, 32 %, 38 %, 51 % et 62 % respectivement aux étapes O2, G30, G60, G120 et D60 (figure 3 4B). La libération des protéines augmentait de façon similaire au phénomène de désintégration du fromage (figure 3-4). Une grande variabilité des données a été observée à l’étape G30, ce qui a été constaté également lors du phénomène de désintégration. Davantage de protéines étaient libérées pendant l’étape duodénale en raison de la forte activité protéolytique des enzymes pancréatiques. Le fromage Camembert étudié par Fang et coll. (2016a) a présenté un comportement similaire aux étapes O2 et G30, pour ensuite avoir une plus faible libération de protéines aux étapes G60 et G120. Cependant, dans l’étude de Fang et coll. (2016a), il est possible que la libération des protéines ait été sous-estimée, puisqu’elle a été calculée selon des valeurs obtenues avec la méthode au BCA (« bicinchoninic acid ») qui ne détecte que les acides aminés, les di-, tri- et tétra-peptides renfermant des résidus cystéine, tyrosine et/ou tryptophane (Wiechelman et al., 1988), tandis que dans cette étude, la libération des protéines a été calculée selon des valeurs d’azote total obtenues par la méthode de combustion selon le principe de Dumas. Comparativement au fromage Brie CTL, les fromages Brie expérimentaux R et S ont démontré une libération des protéines similaire en fonction du temps de digestion (p = 0,7333) (figure 3-4B).
Conclusion générale et perspectives:
Ce projet de maîtrise avait pour but d’évaluer l’impact de la réduction en sodium sur la texture et le degré de protéolyse pendant l’affinage, ainsi que la bioaccessibilité des protéines pendant la digestion in vitro d’un fromage Brie industriel de type stabilisé.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 :
Revue de la littérature .
Chapitre 2 :
Effet de la réduction en sodium et de sa substitution sur la texture d’un fromage à pâte molle à croûte fleurie .
Chapitre 3 :
Effet de la réduction en sodium sur la bioaccessibilité des protéines d’un fromage à pâte molle à croûte fleurie lors d’une digestion in vitro simulée .
Conclusion générale et perspectives
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