Les modèles fondateurs de l’approche fondées sur les intentions : l’apport de la psychologie sociale
La théorie de l’action résonnée
La théorie de l’action raisonnée (TAR) a pour but la prédiction et la compréhension de comportements sociaux volontaires. La théorie postule que le comportement est déterminé par l’intention d’exécution de ce comportement. Dans la TAR, l’intention est déterminée par l’attitude d’une personne à l’égard du comportement et l’importance qu’elle accorde à l’opinion et aux réactions de son entourage proche quant à l’adoption du dit comportement (Fishbein et Ajzen, 1975) .
Ainsi, « l’une des principales caractéristiques qui distingue l’attitude des autres concepts est sa nature affective ou évaluative » (Fishbein et Ajzen, 1980)228. Ils définissent l’attitude comme la disposition d’un individu à réagir de façon plus au moins positive ou négative à un objet, une personne, une situation ou un événement. Dans cette conception, l’attitude vis-à-vis du comportement est donc déterminée par les croyances comportementales, qui représentent pour la personne les conséquences de l’action. La croyance est définie comme la probabilité subjective que l’objet ait un certain attribut (Ajzen, 2005)229.
Lorsque l’objet d’attitude est un comportement, l’attribut se réfère aux conséquences de l’accomplissement du comportement. L’attitude envers le comportement est déterminée par les croyances comportementales représentant les conséquences ou résultats attendus de l’action (Broonen, 2006).
Selon Cialdini, Reno et Callgren (1990)231 et Bettenhausen et Murninghan (1991)232, la norme subjective est fonction de ce que la plupart des gens font dans une situation donnée. C’est ainsi que l’accomplissement ou non du comportement se combine à la motivation de se conformer à l’opinion des autres ou à la force des croyances normatives. Si l’individu perçoit une pression ou, a le sentiment que les personnes importantes à ses yeux approuvent (ou désapprouvent) le comportement auquel il aspire, il sera plus (ou moins) enclin à l’effectuer.
Ajzen et Fishbien (1980) affirment que la TAR s’applique aisément à un éventail d’actions. D’un point de vue théorique et empirique elle a fourni des résultats intéressants dans les domaines tels que la santé, les loisirs, la politique et les comportements organisationnels.
La théorie du comportement planifie
La théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991)233 est une extension de la théorie de l’action raisonnée, dans laquelle une variable complémentaire a été ajoutée : Le contrôle comportemental perçu, « the theory of planned behavior differs from the theory of reasoned action in its addition of perceived behavioral control», (Ajzen, 1991).
La théorie du comportement planifié confère à l’intention de l’individu la place centrale de la genèse du comportement, (Tounès, 2003234 ; Fayolle et al, 2006235). Selon cette théorie, tout comportement qui nécessite une certaine planification (tel que la création d’une entreprise), peut être prédit par l’intention d’avoir ce comportement.
L’intérêt de cette théorie est de proposer un modèle théorique utilisable dans toutes les situations où le comportement est intentionnel puisqu’elle ne repose pas sur les variables externes comme déterminants immédiats du comportement, (Emin, 2003)236.
Selon la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991), l’intention est le résultat de trois déterminants conceptuels.
• L’attitude vis-à-vis du comportement,
• La norme sociale perçue et
• Le contrôle comportemental perçu.
Le comportement est déterminé par l’intention et par le contrôle comportemental perçu.
L’attitude vis-à-vis du comportement
L’attitude vis-à-vis du comportement désigne le degré d’évaluation favorable ou défavorable qu’une personne a, du comportement concerné, (Ajzen, 1991). Cette variable représente l’attractivité du comportement, (Emin et al, 2005)237. Par exemple, l’attitude envers le risque, amène une personne à considérer de façon positive ou négative le fait de prendre des risques. De même l’attitude envers le succès et l’échec de création d’entreprise favorise ou défavorise la décision de créer une entreprise chez un individu.
La norme sociale perçue
Elle désigne les pressions sociales perçues pour réaliser ou ne pas réaliser un comportement (Ajzen, 1991). En d’autre terme, la norme sociale perçue correspond à la perception de l’individu de la pression sociale, qui concerne ce que les personnes proches, la famille et les ami(e)s pensent de ce qu’il voudrait entreprendre, (Tounès, 2003 ; Fayolle et al, 2006).
Les attitudes vis-à-vis du comportement ainsi que la norme sociale perçue renvoient au concept de désirabilité proposé par Shapero et Sokol, (Tounès, 2003 ; Fayolle, 2005238 ; Emin et al, 2005).
Le contrôle comportemental perçu
Selon Ajzen (1991), le contrôle comportemental perçu correspond à la facilité ou la difficulté perçue pour réaliser un comportement. Entre autre, il renvoie à la perception qu’une personne a, de la faisabilité personnelle du comportement concerné, (Emin et al, 2005).
Le concept du contrôle comportemental perçu est très proche du concept de l’efficacité personnelle de Bandura (1977), (Ajzen, 1991) et du concept de faisabilité de Shapero et Sokol (1982), (Tounès, 2003 ; Emin et al, 2005).
L’idée principale qui découle de la théorie du comportement planifié se résume ainsi :
Les individus ne seront pas susceptibles de développer une forte intention d’agir et de se comporter d’une certaine façon s’ils croient ne pas avoir les ressources nécessaires ou les opportunités pour y arriver, et ce, même s’ils possèdent des attitudes favorables envers le comportement en question et s’ils estiment que les membres de leur entourage approuveraient le comportement (normes subjectives). La figure ci-dessous illustre clairement le contenu de ce modèle.
Comme on peut le constater dans la figure ci-dessus, les trois variables explicatives de l’intention sont corrélées. Elles se rapportent, directement ou indirectement à deux aspects indissociables de la pensée humaine (affectif : attitude et normes subjectives, et raisonné : contrôle perçu). En fusionnant leurs effets, elles conduisent à l’émergence d’une forme d’intention. Plus la norme subjective, l’attitude et le contrôle perçu sont favorables, plus l’intention d’accomplir le comportement envisagé sera forte.
L’importance de la théorie du comportement planifié réside, notamment, dans la proposition d’un modèle théorique utilisable dans toutes les situations où le comportement est intentionnel. En effet, la théorie de comportement planifié a été employée avec succès dans comparative auprès des TPE Françaises et Tunisiennes. » plusieurs études relevant de différents domaines (Budd, 1986240; Prestholdt, Lane et Mathews, 1987241; Sheppard, Hartwick et Warshaw, 1988242). Ayant fait ses preuves dans la prédiction de nombreux comportements (tels que la perte de poids, l’arrêt de la cigarette, les choix électoraux et de loisir, l’adoption des nouvelles technologies, le choix de carrière…), elle a également été utilisée dans d’autres disciplines et notamment dans la gestion (effets de l’adoption d’une nouvelle technologie sur la performance, comportement du consommateur, création d’entreprise). En effet, l’utilité de cette théorie, dans l’explication de la plupart des comportements sociaux, provient de son applicabilité à la plupart des individus (Shappard, Hartwick & Warshaw, 1988). Elle dirige l’attention vers l’apparition des idées entreprenantes, loin des traits et des contextes entreprenants largement étudiés (Bird, 1988, p.442)243. Plusieurs auteurs ont appliqué des modèles d’intention à l’acte de création d’entreprise (Krueger et Carsrud, 1993244 ; Davidsson, 1995245 ; Reitan, 1996246 ; Kolvereid, 1996247 ; Autio et al., 1997248 ; Tkachev et Kolvereid, 1999249 ; Krueger et al., 2000250 ; Audet, 2001251 et 2004252 ; Diochon, Gasse et al., 2002253 ; Tounès, 2003254 ; Emin, 2006 255;Elharbi et Mansour, 2008256 ; Boissin, Chollet et Emin, 2008257). Certaines de ces études concernent spécifiquement une population étudiante (Kolvereid, 1996; Autio et al., 1997; Tkachev et Kolvereid, 1999; Krueger et al., 2000 ; Audet, 2001 et 2004 ; Tounès, 2003). Ce sont les résultats de celles-ci qui nous intéressent particulièrement.
Les résultats de l’étude d’Audet (2001)258 sur un échantillon de 150 étudiants de troisième année en administration des affaires de l’université Concordia soulignent que la désirabilité et la faisabilité perçues expliquent mieux les intentions lorsque l’horizon de réalisation est à long terme (53 % de la variation de l’intention à long terme de démarrer une entreprise contre 26 % lorsqu’il s’agit de l’intention à court terme). Le pouvoir de prédiction de la désirabilité est sensiblement plus important que celui de la faisabilité dans les deux cas.
Le poids de la faisabilité est même non significatif pour un groupe de contrôle constitué de 31 étudiants en génie mécanique.
La recherche de Kolvereid (1996)259, réalisée sur 128 étudiants norvégiens en école de commerce, montre que l’intention d’accéder au statut d’indépendant est significativement corrélée à l’attitude, à la norme sociale et au contrôle comportemental perçu. Les poids de la perception de contrôle et de la norme sociale sont plus forts que celui de l’attitude dans la formation de l’intention. Au-delà, aucune variable démographique (sexe, expérience du statut d’indépendant et expériences familiales) n’a d’effet statistique significatif sur l’intention, alors qu’elles sont statistiquement corrélées à l’attitude, à la norme sociale et au contrôle perçu. Ainsi, comme défendu par Ajzen et Fishbein (1980), ces variables n’ont qu’une influence indirecte sur les intentions à travers leur effet sur l’attitude, la norme subjective et le contrôle comportemental perçu. L’étude reconduite en 1999, en coopération avec Tkachev, sur un échantillon de 567 étudiants russes, obtient des résultats similaires (45 % de la variance de l’intention sont expliqués).
Krueger et al. (2000)260 testent quant à eux le modèle de Ajzen sur 97 anciens étudiants en école de commerce faisant face à un choix de carrière au moment de l’étude. Seules la faisabilité perçue (p < .005) et l’attitude envers l’action (p < .05) prédisent significativement l’intention. Conformément à l’étude de Kolvereid (1996) la faisabilité perçue a un effet plus important que l’attitude sur l’intention. En revanche, l’étude souligne que la norme sociale n’a pas d’effet significatif. Ce résultat est contraire à celui de Kolvereid (1996), qui obtient un impact significatif de la pression sociale sur l’intention.
Kennedy et al. (2003)261 trouvent, pour un échantillon constitué de 1 075 étudiants australiens, que la désirabilité, la norme sociale et la faisabilité expliquent environ 53 % de la variance de l’intention de créer son entreprise. Contrairement aux deux études précédentes, et conformément à l’étude de Audet (2001), le poids de la désirabilité est le plus important.
Autio et al. (1997)262 ont testé auprès de 1 956 étudiants scandinaves, américains et asiatiques en sciences dures un modèle d’intention adapté de celui de Davidsson (1995)263.
Dans ce modèle, l’intention est expliquée par la « conviction entrepreneuriale » des étudiants et le contexte social (aide apportée par l’université et variables de situation). La conviction est influencée par l’image que les étudiants ont de l’entrepreneuriat et leurs attitudes générales.
L’image de l’entrepreneuriat renvoie aux attitudes associées au comportement d’Ajzen et aux perceptions de désirabilité de Shapero et Sokol. Les attitudes générales réfèrent à des dispositions psychologiques générales telles que le besoin de réussite, d’autonomie, de changement et la motivation financière. Ces éléments sont eux-mêmes influencés par des variables personnelles telles que le sexe, l’âge, la situation matrimoniale, le niveau d’étude, les expériences professionnelles et l’entourage familial. Les résultats soulignent que les attitudes générales, en particulier le besoin d’accomplissement et celui d’autonomie, influencent fortement la conviction entrepreneuriale. Les variables personnelles les plus importantes se révèlent être les expériences de travail en PME, le sexe (les hommes sont plus enclins à l’entrepreneuriat que les femmes) et l’existence de modèles de rôle (exemple : parent entrepreneur). La conviction est sans conteste celle qui influence le plus l’intention entrepreneuriale. Les effets de l’âge (et du nombre d’années d’études) ainsi que celui des expériences professionnelles en PME sont également importants. L’intérêt de cette recherche, qui repose sur un modèle différent de la théorie du comportement planifié, réside dans l’existence d’un effet direct exercé par des variables personnelles.
L’étude de Tounès (2003)264, réalisée auprès de 178 étudiants de gestion suivant des cursus à dominante entrepreneuriale (bac + 5), a notamment l’intérêt d’avoir été réalisée sur un échantillon d’étudiants français. Elle s’inspire du modèle d’Ajzen et de celui de Shapero et Sokol. Un des apports de l’étude est de fournir des éléments suggérant qu’un lien positif existe entre la formation et l’intention entrepreneuriale des étudiants. Si l’on considère de manière globale l’ensemble des études évoquées, il est possible de formuler plusieurs commentaires. L’examen de ces recherches confirme la validité des modèles issus de la théorie du comportement planifié pour expliquer l’intention entrepreneuriale.
De surcroît, le cadre théorique du comportement planifié ne prend pas en considération les effets d’autres variables influençant la conception de l’intention tels que : le concept de soi (Beck et Ajzen, 1991), le comportement antérieur (Bagozzi et Kimmel, 1995)265 ou encore les valeurs morales (Charng, Piliavin et Callero, 1988266 ; Sparks et Gurthrie, 1998267).
Dans cette perspective, il paraît important de s’interroger sur l’insuffisance des variables adoptées dans la représentation d’Ajzen (1991). Certaines variables économiques et sociales agissent aussi sur le comportement de la création d’entreprise. En effet, des facteurs d’ordres cognitifs, sentimentaux ou sociaux, comme l’indique la théorie du comportement interpersonnel (Triandis, 1977)268, sont aussi des variables explicatives de l’intention.
Modèle du comportement inter-personnel de Triandis (1977)
Sur de nombreux aspects, la théorie du comportement inter-personnel est similaire à celle de Ajzen. Pour expliquer l’intention, Triandis (1977) a inclus d’autres variables en complément de celles préconisées par Ajzen. Il a intégré ainsi des facteurs sociaux (dont la norme sociale), les sentiments envers le comportement (dimension affective de l’attitude)et les conséquences attendues du comportement (dimension cognitive de l’attitude). En plus de la norme sociale, les facteurs sociaux sont composés d’une variable reflétant la perception que les individus ont de leur rôle en tant que membres de groupes particuliers271, des normes personnelles (croyance en ce que l’on considère être bien ou mal de faire) et du concept de soi.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1
Entrepreneur et entrepreneuriat : approche théorique
Introduction
1.1 définitions
1.2 survol de quelques écoles de pensé en entrepreneuriat
1.3 « Trilogie » de la recherche dans le champ de l’entrepreneuriat
1.4 modèles processuel d’entrepreneuriat
Conclusion
Chapitre 2
Modèles d’entrepreneuriat et d’intention entrepreneuriale
Introduction
2.1 Modèles d’entrepreneuriat
2.2 Intention entrepreneuriale : concept théoriques et modèles
2.3 Modèle d’intention
Conclusion
Chapitre 3
Culture et entrepreneuriat
Introduction
3.1 origine du concept de culture et définition
3.2 les modèles théoriques de la culture nationale
3.3 approches culturelles en entrepreneuriat
Conclusion
Chapitre 4
Secteur privé et entrepreneuriat en Algérie
Introduction
4.1 synthèse des écrits en entrepreneuriat en Algérie
4.2 présentation de la création d’entreprise en Algérie
4.3 spécificités des régions d’études
Conclusion
Chapitre 5
Modèle conceptuel et méthodologie de recherche
Introduction
5.1 Modèle de Stephan (2007)
5.2 Culture entrepreneuriale et intention entrepreneuriale
5.3 Auto-efficacité et intention entrepreneuriale
4.4 Méthodologie de recherche
Conclusion
Chapitre 6
Méthodologie empirique, résultats et analyses
Introduction
6.1 Présentation des résultats
6.2 Effet de la culture entrepreneuriale sur l’intention entrepreneuriale
6.3 Effet modérateur de l’auto-efficacité entrepreneuriale
6.4 Discutions
Conclusion
Conclusion générale
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