La douleur est une préoccupation majeure chez les patients atteints d’un cancer. Il est difficile pour ces derniers de la contrôler et de la stabiliser. Les patients se heurtent à un manque de connaissance et de compréhension sur leurs douleurs et leurs traitements. En effet, il leur est difficile de vivre avec ces douleurs qui ont un réel impact sur leur qualité de vie qui, de plus, sont souvent considérées comme une fatalité. « C’est pour cela que depuis 2014 le Centre François Baclesse a mis en place un programme d’éducation thérapeutique : EFFADOL (Ensemble, Faire, Face à la Douleur) afin d’aider les patients et leur entourage à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie.
Les études de pharmacie à Caen permettent aux étudiants d’être sensibilisés et formés à l’Education Thérapeutique du Patient (ETP). Cette formation est consolidée par des mises en pratiques et par un stage hospitalier durant la cinquième année. Tout au long de mon stage et de ma formation j’ai été persuadée de l’effet bénéfique que pouvait apporter l’éducation thérapeutique aux patients au niveau de la compréhension et du bien-être du patient. Mettre le patient au cœur de la démarche et avancer en fonction de lui me parait être un très bon moyen d’avoir les résultats.
Pendant mon stage en soins palliatifs au Centre François Baclesse, j’ai eu comme mission de repérer des patients susceptibles de bénéficier du programme EFFADOL. J’ai pu participer aux ateliers que propose ce programme mais très vite un problème est apparu : une baisse d’inclusion des patients dans le programme. L’équipe de santé a des difficultés pour le recrutement des patients malgré la satisfaction de ceux qui ont participé à EFFADOL. Il nous a apparu important de chercher à comprendre quels étaient les freins liés au recrutement des patients. Beaucoup de questions ont alors émergé : est-ce lié aux patients, aux professionnels de santé ? … Pour essayer de répondre à cette problématique nous avons mis en place deux enquêtes présentées dans ce mémoire.
Douleurs et cancers
Définition de la douleur
Selon la définition officielle de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) de 1976, « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes ». (1) Cette définition nous montre bien la dimension pluridimensionnelle complexe de la douleur, propre à chaque individu et par conséquent parfois difficile à décrire par les patients .
D’après cette définition il y a donc :
– une composante sensorielle qui correspond aux mécanismes neurophysiologiques permettant de décoder le message sensoriel. Cela nous renseigne sur le type (brûlure, picotement…), la durée (brève, intense, constante…), l’intensité́ et la localisation des messages douloureux. Cette composante nous donne les caractéristiques de la douleur ;
– une composante émotionnelle ou affective, entrainant des réactions d’anxiété́, d’angoisse, de dépression. Cette composante nous renseigne sur la manière dont le patient va réagir face à la douleur ;
– une composante cognitive qui résulte de tous les processus mentaux influençant la perception de la douleur : signification, interprétations, idées reçues et valeurs attribuées à la douleur. Ces éléments renseignent sur le comportement que va adopter le patient face à la douleur ;
– une composante comportementale qui se traduit par l’expression physique (agitation, immobilité́ …) ou verbale (gémissements, plaintes…) du patient.
La douleur cancéreuse
Si nous nous intéressons maintenant aux douleurs liées aux cancers, il est important de savoir que c’est une complication majeure en cancérologie. C’est un sujet très complexe car il n’existe pas une mais plusieurs douleurs. (3) D’après la méta analyse de Van Den Beuken, 50,7 % des patients souffrent de douleurs, tous stades de cancers confondus et plus de 30 % ont des douleurs modérées à sévères. (4) De plus, selon l’enquête VICAN 5 réalisée par l’Institut National du Cancer (INCa), cinq ans après le diagnostic, la douleur et la fatigue sont les deux principaux troubles responsables d’une gêne dans la vie quotidienne. La douleur cancéreuse a donc réellement un impact sur le quotidien des patients.
Modèle multidimensionnel de la douleur
Comme le décrit très bien le modèle de Boureau , la prise en charge des douleurs doit être à la fois somatique et physico-sociale. L’intensité de la douleur ne doit pas être le seul élément à prendre en compte. Il est aussi essentiel de comprendre les causes, les mécanismes, l’impact de la douleur sur la qualité de vie, le contexte psychologique, social et familial…
Épidémiologie de la douleur cancéreuse
En France selon l’INCa, il y a 382 000 cas de nouveaux cancers par an. (6) L’augmentation de l’incidence du cancer associée aux progrès thérapeutiques en oncologie entraine une augmentation de la prévalence de patients douloureux en phase avancée de leur maladie. (7) En effet en 2010, l’INCa a réalisé une enquête sur 1507 patients ambulatoires atteints de cancers (rein, sein, prostate…).
Physiopathologie de la douleur
La physiopathologie de la douleur dans le cancer est un sujet complexe car elle peut s’expliquer de plusieurs façons et peut être la cause de nombreux éléments tels que :
– une réponse inflammatoire systémique et locale, accompagnée d’une production de cytokines pro-inflammatoires qui induisent la douleur ;
– une douleur directement liée à la tumeur : les cellules cancéreuses peuvent entrainer des compressions et des lésions au niveau des nerfs ;
En effet, les tumeurs contiennent des cellules du système immunitaire qui libèrent divers facteurs comme l’endothéline, les prostaglandines, le facteur de nécrose des tumeurs (TNFα), qui excitent les principaux nerfs afférents nociceptifs périphériques. Les cellules tumorales produisent également des enzymes protéolytiques qui peuvent endommager les fibres nerveuses sensorielles et sympathiques en donnant lieu à des douleurs neuropathiques .
– une douleur osseuse causée par les métastases. Il y a une modification du processus normal de renouvellement des cellules osseuses, qui provoque un déséquilibre entre l’activité des ostéoclastes et des ostéoblastes ;
– les douleurs neuropathiques peuvent être causées par la chimiothérapie et se produisent par divers mécanismes, notamment l’interruption de la fonction de la tubuline par les agents chimiothérapiques, avec la libération de cytokines, entrainant une dégénérescence des neurones sensoriels et une sensibilisation des principaux nerfs afférents nociceptifs. La radiothérapie peut entrainer une fibrose tissulaire avec une compression nerveuse.
Pour pourvoir comprendre au mieux les douleurs liées aux cancers et les soulager il est essentiel d’en connaitre le mécanisme.
Il y a quatre étapes dans le mécanisme de la douleur :
– la réception de la douleur ;
– la transmission de la douleur ;
– l’intégration des douleurs ;
– la modulation et la perception des douleurs.
La réception de la douleur : les nocicepteurs
Les nocicepteurs permettent la réception de la douleur. Ce sont des terminaisons de fibres nerveuses sensitives qui s’activent lorsqu’il y a un stimuli direct par une source thermique, chimique (sérotonine, histamine…), électrique ou mécanique ou par un stimulus indirect par des substances comme les ions hydrogène, l’adénosine triphosphate (libérés lors de la lésion tissulaire), les prostaglandines, des leucotriènes et des cytokines pro-inflammatoires… Ces stimulations vont entrainer un potentiel d’action se poursuivant tout au long de la fibre nerveuse pour atteindre la moelle épinière.
Ils sont omniprésents dans le corps humain : la peau, les organes, les muscles…
Transmission périphérique de la douleur
La transmission périphérique de la douleur est réalisée grâce à un protoneurone (1er neurone). Ce dernier est constitué de fibres nociceptives qui permettent d’acheminer les messages sensitifs . En fonction de leurs calibres, elles ont des rôles différents :
– les fibres A alpha et bêta. Ce sont des fibres de 5 à 15 μm de diamètre, myélinisées, à conduction rapide. Elles s’activent par des stimulations mécaniques mais ne peuvent pas transmettre de message douloureux ;
– les fibres A delta. Ces fibres de 1 à 5 μm de diamètre, faiblement myélinisées, conduisent l’influx nerveux à une vitesse de 5 à 40 m/ seconde. Elles s’activent lorsque le stimulus mécanique dépasse un certain seuil d’intensité́, lors d’une brûlure ou d’une stimulation chimique entrainant des picotements, une sensation de piqûre par exemple;
– les fibres C, mesurent 0,3 à 1,5 μm de diamètre et sont amyéliniques, la vitesse de conduction de l’influx nerveux est de l’ordre de 1 à 2 m/seconde. Elles s’activent avec des stimuli mécaniques, chimiques et thermiques.
Il y a également la transmission de l’influx nerveux entre les différents neurones. Ce processus est réalisé́ par des neurotransmetteurs comme la substance P, le CGRP (Calcitonin Gene Related Peptid), le CCK (CholeCystoKinine), la neurokine A, l’angiotensine…
|
Table des matières
Introduction
PARTIE 1 : Douleurs et cancers
I. Définition de la douleur
1. Modèle multidimensionnel de la douleur
2. Épidémiologie de la douleur cancéreuse
II. Physiopathologie de la douleur
1. La réception de la douleur : les nocicepteurs
2. Transmission périphérique de la douleur
3. Relais médullaire de la douleur
3.1 Les corps cellulaires des fibres nociceptives
3.2 Les voies ascendantes de petits calibres
3.3 Les voies ascendantes de gros calibres
4. Relais supra médullaire
4.1 Les grosses fibres du cordon postérieur
4.2 Les petites fibres
5. Un exemple de mécanisme de contrôle des douleurs : la théorie du gatecontrol
III. Différents types de douleurs
1. Classification neurophysiologique
1.1 Douleurs par excès de nociception
1.2 Douleurs neuropathiques
1.3 Douleurs mixtes
1.4 Douleurs nociplastiques
2. Classification en fonction de l’évolution dans le temps de la douleur
2.1 Douleur aiguë
2.2 Douleur chronique
2.3 L’Accès Douloureux Paroxystique (ADP)
2.4 Douleur procédurale
2.5 Douleurs séquellaires
IV. Traitement de la douleur cancéreuse
1. Palier 1
1.1 Paracétamol
1.2 Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
1.3 Floctafénine et Néfopam
2. Palier 2
2.1 Codéine
2.2 Tramadol
2.3 Effets indésirables
3. Palier 3
3.1 Morphine
3.2 Oxycodone
3.3 Fentanyl
3.4 Les effets indésirables des opioïdes
4. Médicaments adjuvants
4.1 Traitements des douleurs neuropathiques
4.2 Traitements locaux
4.3 Autres traitements adjuvants
4.4 Traitements non médicamenteux
V. Évaluation de la douleur
1. Outils d’auto-évaluation
1.1 Échelle visuelle analogique (EVA)
1.2 L’échelle numérique (EN)
1.3 L’échelle verbale simple (EVS)
1.4 Schéma corporel humain
2. Échelles d’auto-évaluation pluridimentionnelles
3. Outils d’hétéro-évaluation
3.1 Algoplus
3.2 Doloplus
4. Évaluation des douleurs neuropathiques
5. Évaluation du retentissement de la douleur sur la qualité de vie
VI. Croyances et idées reçues des patients
Conclusion de la partie bibliographique
PARTIE 2 : Éducation thérapeutique – EFFADOL
I. Définition de l’éducation thérapeutique
II. Présentation du programme EFFADOL
1. Généralités sur la mise en place du programme
2. A qui est adressé ce programme ?
3. Déroulé du programme
III. Construction des enquêtes
1. Intérêt des enquêtes
2. Enquête patient
2.1 QQOQCCP
2.2 Conception du questionnaire – Types de questions
2.3 Frise chronologique
2.4 Les conditions de l’entretien
2.5 Bilan du questionnaire
2.6 Limites du questionnaire
3. Entretiens avec les professionnels de santé
3.1 QQOQCCP
3.2 Conception du questionnaire – Type de questions
3.3 Bilan du questionnaire
3.4 Limites du questionnaire
IV. Bilan sous forme de SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats)
1. Utiliser les forces
1.1 Formation des professionnels de santé
1.2 Un programme déjà bien mis en place
1.3 Accessibilité sur l’ensemble du territoire
1.4 Bénéfices pour les patients
1.5 Patients de plus en plus acteurs dans leur prise en charge
2. Prendre en compte les faiblesses
2.1 Difficulté pour venir à Baclesse et manque de temps des patients
2.2 Manque d’intérêt des patients
2.3 Manque de sensibilisation des patients et des professionnels de santé
2.4 Manque de temps des professionnels de santé́
3. Saisir les opportunités comme axe d’améliorations
3.1 Intégrer la formation de l’ETP dans l’ensemble des cursus de santé
3.2 S’appuyer sur les externes en pharmacie
3.3 Meilleur ciblage des patients
3.4 Mettre en place des aides pour le transport
3.5 Regroupement des programmes de manière pluridisciplinaire
3.6 Communication via une approche « multicanal »
3.7 Éducation thérapeutique du patient en numériques (E-ETP)
3.8 S’appuyer encore plus sur la pluridisciplinarité́
3.9 EFFADOL en ambulatoire : s’appuyer sur les pharmaciens d’officines
4. Prendre en compte les menaces
Conclusion
Bibliographie
Annexes