L’éducation thérapeutique consiste à enseigner à des patients pour la plupart atteints de maladies chroniques à se soigner par eux – mêmes. Elle a connu ses premiers développements aux Etats – Unis dans les années 1970 auprès de patients diabétiques. Depuis cette année, cette pratique s’est étendue à un grand nombre de maladies chroniques; elle concerne aussi bien les adultes que les adolescents et les enfants. De plus en plus, les professionnels de santé et leurs instances (sociétés savantes, collèges, etc.), les patients, leurs proches et leurs associations, ainsi que les institutionnels (ministère de la santé, caisses de prévoyance maladie, sécurité sociale) souhaitent à la fois, un développement ou une pérennisation de l’éducation thérapeutique du patient en tant qu’élément indispensable de la prise en charge d’une maladie chronique, la définition des bonnes pratiques, et même l’évaluation en termes d’efficacité et d’efficience.
Par maladies chroniques, on entend des problèmes de santé qui nécessitent des soins sur le long terme (pendant un certain nombre d’années ou de décennies) et qui comprennent par exemple : le diabète, les maladies cardiovasculaires, l’asthme, la broncho-pneumopathie chronique obstructive, le cancer, le VIH/SIDA, la dépression et les incapacités physiques [58]. Il existe de multiples autres affections chroniques mais leur point commun est qu’elles retentissent systématiquement sur les dimensions sociale, psychologique et économique de la vie du malade.
DONNEES DE BASE
Historique
De l’Antiquité au XVIII e siècle, la médecine a été basée sur la théorie des humeurs formulée par Empédocle, et reprise par Hippocrate aux V e et IV e siècles avant J.C. Les écrits de Galien au II e siècle de notre ère reposent sur les mêmes croyances médicales. Pour ces auteurs, les maladies du corps humain proviennent du déséquilibre de quatre humeurs qui correspondent chacune aux quatre éléments du cosmos : le sang, chaud et humide comme l’air, la bile, chaude et sèche comme le feu, la mélancolie, sèche et froide comme la terre et le flegme, froid et humide comme l’eau [11].
La tâche des médecins consistait donc à rétablir l’équilibre des humeurs par des moyens assez violents; ainsi, les pratiques médicales faisaient appel aux sudations, saignées, purgatifs et vomitifs. Tant que la maladie était perçue comme un mal captif du corps, le retour à la santé se traduisait par la lutte contre le mal. En se faisant chasser du corps, le mal était réputé dégager des mauvaises odeurs. Pour les combattre, l’utilisation du parfum, le changement fréquent de linge, par exemple étaient devenus chez certaines classes sociales des pratiques courantes. La bonne odeur, par opposition aux puanteurs des flux du corps était la représentation sociale du corps sain. La purification et l’évacuation ont ainsi dominé pendant longtemps toute autre pratique superstitieuse ou scientifique dans le domaine de la santé [77]. La découverte du rayonnement radioactif par Pierre et Marie Curie, l’invention des stéthoscopes par Laennec; l’emploi de la radiographie par Contremoulins et Chicotot, la mise au point de la vaccination antivariolique par Jenner contribuent à la lutte contre la mortalité des populations les plus exposées aux risques infectieux : les enfants. Suite à ces découvertes qui révolutionnent le monde de la médecine, la maladie n’est plus comprise comme la conséquence d’un déséquilibre des humeurs mais comme celle de l’irruption d’un agent extérieur a l’organisme.
La médecine du XX e siècle est confrontée à de nouveaux problèmes de santé, qui trouvent leurs sources dans les nouveaux modes de vie des populations. Le progrès, particulièrement en matière de technologie industrielle amène une transformation des habitudes. Les hommes changent leurs activités, leurs pratiques d’hygiène, physique, mentale, alimentaire et sexuelle. Les maladies respiratoires, cutanées, cardiaques, les maladies sexuellement transmissibles s’ajoutent aux autres problèmes de santé publique. Le modèle médical organique longtemps retenu par les médecins est progressivement remplacé par un modèle appelé biomédical.Désormais, la santé est définie par l’absence des maladies du corps. Elle est favorisée par la prévention qui préconise une politique de prophylaxie faisant appel à tous les moyens possibles. A partir de 1970, on insiste sur cette approche biomédicale de la santé. L’être humain est pris en compte dans sa globalité c’est –à dire, comme une personne unique dotée d’une capacité à s’adapter aux changements de son environnement.
Selon I. ILLICH [39], “L’État de santé est le niveau d’autonomie avec lequel l’individu adapte son état interne aux conditions de l’environnement en s’engageant dans le changement de ces conditions pour rendre son adaptation plus agréable et plus effective. » De ce fait, il devient possible de penser encore aujourd’hui, que la santé est synonyme d’indépendance. Cette nouvelle conception de la santé se traduit par l’idée que l’homme, quelle que soit la culture dont il est issu, dispose d’une liberté d’action dans sa vie. Il devient donc autonome et capable d’agir sur son environnement, de réagir et de se défendre contre les agressions. C’est probablement depuis qu’il existe des soignants que la fonction éducative a dû faire partie de la relation avec le malade, et ceci comme un cas particulier d’une éducation à la santé. Dans la première partie du XXe siècle, les infirmières assumaient clairement une fonction d’enseignement aux patients et à leurs familles, notamment en ce qui concernait la nutrition, des conseils d’hygiène et de promotion de la santé, ainsi que des informations concernant les interventions médicales.
Lorsque, dès 1921, l’insuline put être isolée et administrée aux diabétiques de type 1 dont le pronostic vital était toujours engagé, une nouvelle ère de la médecine s’ouvrait, et avec elle le besoin d’élaborer de nouveaux paradigmes, adaptés à la maladie chronique. L’administration, puis l’auto-administration de l’insuline devint une nécessité vitale quotidienne. Devait-on alors hospitaliser ces patients, « en bonne santé » puisque traités, pour pouvoir leur injecter, au moment adéquat, la bonne dose d’hormone ? Fallait-il un médecin 24 heures sur 24 pour piloter la thérapie ? Un certain nombre de savoirs allaient devoir être transmis au patient qui deviendrait alors son propre soignant, en tout cas co-thérapeute. Mais il a fallu près de 50 ans pour en arriver à ce type de conclusion.
Les changements étaient peut-être trop profonds, trop dangereux pour l’institution médicale. Le traitement était décidé pour le patient, ajusté en milieu hospitalier et selon une procédure qui ne variait plus, quels que soient les événements vécus et les besoins réels. Et même si certaines démarches isolées du type « manuel pour diabétiques » sont apparues, le nombre d’informations transmises au patient est resté faible jusque dans les années 1970.
En 1972, une femme médecin, Leona Miller, a pu montrer l’effet d’une éducation du malade [55]. Elle a développé une démarche de conscientisation des « laissés pour compte » de la médecine, des patients diabétiques issus de milieux défavorisés de Los Angeles. Grâce à une approche de pédagogie thérapeutique, elle a pu aider les patients à contrôler leur diabète et à gagner en autonomie sans consommer plus de médicaments. Un réel transfert de compétence des soignants vers les patients est donc au cœur de ce changement de paradigme, amorcé il y a près de 30 ans [2,5]. L’enseignement aux médecins s’y adapte, bien que, selon certains auteurs, encore trop timidement et trop lentement [38]. Cette lenteur institutionnelle explique que nombre de soignants sont aujourd’hui encore peu préparés à la fonction éducative.
Définitions
L’éducation thérapeutique du patient a été définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1998 de la façon suivante : « l’éducation thérapeutique permet au patient d’acquérir et de maintenir des compétences dont il a besoin pour gérer de façon optimale sa vie avec sa maladie. Il s’agit d’un processus continu intégré à la prise en charge du patient. Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, des traitements prescrits, de l’organisation hospitalière et des comportements liés à la santé et à la maladie. Elle a pour but d’aider les patients et leur famille à comprendre leur maladie et leur traitement, et à coopérer avec les professionnels de santé afin de maintenir ou améliorer leur qualité de vie » [80].
Si la santé et le suivi thérapeutique des patients et des groupes sociaux ont toujours fait partie des préoccupations majeures des soignants, l’éducation thérapeutique des patients est devenue l’un des enjeux de notre société et de la santé des individus. Définie comme l’aide apportée aux patients, à leurs familles et/ou leur entourage pour « comprendre la maladie et les traitements, collaborer aux soins, prendre en charge leur état de santé et conserver et/ou améliorer la qualité de vie » [19], nul doute que l’éducation thérapeutique ne peut se réduire à l’instruction, au développement du sujet psychique ou à son formatage culturel et social. Cependant, les pratiques se réduisent encore trop souvent à de l’information, de la transmission de savoirs et de savoir-faire ne prenant que partiellement en compte les facteurs sociaux, environnementaux et personnels qui interagissent dans les problèmes de santé. Le processus d’autonomisation et d’autorisation du patient est alors secondaire à l’adoption des bonnes pratiques en santé.
On peut dire que l’éducation thérapeutique a pour but d’aider les patients à prendre soin d’eux-mêmes.
Le fait de prendre soin de soi et de sa santé ne se résume pas à la réalisation de gestes techniques et n’est jamais le résultat d’une conformation, passive ou non, à des recommandations médicales. La manière de prendre soin de soi et de sa santé est au contraire le résultat, souvent provisoire, de processus multiples et dynamiques, de négociations intra- et interpersonnelles en réponse aux différentes tensions que rencontre inévitablement toute personne qui apprend à vivre avec une maladie chronique et qui est, de fait, confrontée à la nécessité de trouver une nouvelle forme de routine journalière pour intégrer ou inventer des schémas de fonctionnement compatibles avec la gestion d’un traitement au quotidien :
➤ tension entre des objectifs de santé physique ou biologique et d’autres objectifs de santé, par exemple psychique et sociale, tout aussi importants pour le malade ;
➤ tension entre des priorités de vie pour soi ou pour autrui, lorsque les exigences du traitement empiètent sur un temps que l’on souhaiterait consacrer en priorité à sa famille, à son travail ou à tout autre activité qui donne du sens à sa vie ;
➤ tension entre différentes images de soi, par exemple l’image idéalisée de soi avant la maladie, l’image incertaine de soi aujourd’hui, et l’image redoutée de soi projetée;
➤ tension entre différents positionnements possibles de la santé et de la maladie par rapport au soi (superposition, opposition, cohabitation…) ;
➤ tension entre différents types de besoins potentiellement contradictoires – besoins de sécurité, d’autodétermination, d’autoefficacité et de cohérence – qui composent le processus d’empowerment des patients tel que le décrit Aujoulat : un processus de transformation personnelle par lequel les patients renforcent leur capacité à prendre effectivement soin d’eux-mêmes et de leur santé, et pas seulement de leur maladie et de leur traitement comme décrit le plus souvent dans la littérature médicale. » .
L’éducation thérapeutique s’adresse aux patients atteints essentiellement de maladies chroniques (diabète, asthme, hypertension artérielle…) mais aussi de maladie dont la durée est limitée (pathologies nécessitant un traitement anticoagulant ou antalgique prolongé par exemple). Les pathologies en cause sont souvent asymptomatiques mais nécessitent au quotidien de la part du patient une adhésion étroite aux diverses modalités du traitement et de la surveillance afin d’éviter la survenue de complications.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
Chapitre 1: Données de base
1.1. Historique
1.2 Définitions
1.3 Objectifs
1.3.1 Objectifs pour le patient
1.3.2 Objectifs pour le soignant
1.3.3 Objectifs pour la société
Chapitre 2 : Problématique
2.1 Pourquoi s’intéresser à la maladie chronique ?
2.1.1 L’important travail d’adaptation psychologique lors du diagnostic
2.1.2 La nécessaire acceptation de la maladie, base de la compliance
2.1.3 L’impact très fort sur la vie quotidienne
2.1.4 La difficile cohabitation avec le monde des biens portants
2.2 Pourquoi s’intéresser à « l’accompagnement » du patient ?
2.2.1 Concepts de santé, de qualité de vie et de la maladie chronique
2.2.2 Concepts de l’éducation thérapeutique
2.3 Rôle du médecin dans l’éducation du patient atteint d’une maladie chronique
2.3.1 Les avantages d’être médecin généraliste pour faire l’éducation thérapeutique
2.3.1.1 Le temps : une prise en charge dans la durée
2.3.1.2 Une intervention à plusieurs temps éducatifs
2.3.1.3 Le format de consultation
2.3.1.4 La connaissance du patient et son contexte
2.3.1.5 La prise en charge de situations poly-pathologiques
2.3.1.6 Un avantage en termes de santé publique
2.3.2 L’intégration passe par une posture éducative
2.3.2.1 Développement de l’approche centrée sur le patient
2.3.2.2 Méthodes pédagogiques
2.4 Rôle du pharmacien dans l’éducation thérapeutique du patient atteint de maladie chronique
2.4.1 Promouvoir l’observance au traitement : prévalence et impact d’une mauvaise observance
2.4.1.1 Définition de l’observance thérapeutique
2.4.1.2 Prévalence et impact d’une mauvaise observance
2.4.1.3 Intervention pharmaceutique et observance
2.4.2 prévenir la survenue d’effets indésirables
DEUXIEME PARTIE
1. Objectifs du travail
1.1 Objectif général
1.2 Objectifs spécifiques
2. Mise en œuvre d’un programme d’éducation thérapeutique
2.1 Données d’entrée
2.1.1 Dossiers sanitaires du patient
2.1.2 Les besoins spécifiques des malades chroniques
2.1.3 Connaissances et aptitudes
2.1.3.1 L’information du patient
2.1.3.2 Les compétences acquises par le patient
2.1.4 Compétences essentielles pour la prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques
2.1.5 Moyens disponibles
2.2 Les éléments constitutifs de l’éducation thérapeutique du patient
2.2.1 Diagnostic éducatif
2.2.2 Le contrat d’éducation
2.2.3 Programme d’éducation thérapeutique
2.2.4 Séances d’éducation thérapeutique initiales
2.2.5 Evaluation des compétences acquises et actualisation du diagnostic éducatif
2.3 Finalité de l’éducation thérapeutique
3. Logigramme
4. Application thérapeutique (exemple : Le diabète)
4.1 Le diabète sucré
4.2 Le traitement du diabète
4.3 Démarche éducative
4.3.1 Education individuelle
4.3.2 Education en groupe
a-Principes de fonctionnement
b-Organisation et déroulement du programme d’éducation thérapeutique
c-Documents de liaison entre les soignants habituels d’un patient et l’équipe d’éducation
d- La Formation des soignants à l’éducation thérapeutique
e- Evaluation
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
CONCLUSION