EDUCATION «ARTISTIQUE» À L’IMAGE
Education à l’image ?
Il est difficile de trouver une définition précise de « l’éducation à l’image ». Aujourd’hui les termes se multiplient, se mélangent, les définitions se croisent : éducation à l’image, éducation aux médias, éducation artistique ou encore éducation au numérique.
Éducation à…
Qu’entend on par éducation à l’image ? L’image ayant longtemps été considérée comme un vecteur d’accès à la connaissance, comme l’illustration de la leçon (le lecteur trouvera un historique du lien entre éducation et images en annexe n°2, ci contre). Cette expression a sans doute été créée pour pointer la différence entre une éducation à l’image et une éducation par l’image. L’expression « éducation à » est aussi devenue une manière de caractériser les enseignements que l’on souhaite inclure dans les programmes mais qui sont par essence transdisciplinaires. Ces enseignements qui doivent être distillés, ventilés à travers les différents domaines sans devenir une discipline supplémentaire. On retrouve cette dénomination pour « l’éducation au développement durable » par exemple. Aujourd’hui, face à la révolution « médiatique » que nous traversons : l’explosion du numérique et les mutations profondes de nos modes de communication, les instructions officielles sont plus loquaces sur l’ « éducation aux médias », dont on trouve une définition émanant de l’inspection générale : Toute démarche visant à permettre à l’élèves de connaître, de lire, de comprendre et d’apprécier les représentations et les messages issus de différents types de médias auxquels il est quotidiennement confronté, de s’y orienter et d’utiliser de manière pertinente, critique et réfléchie ces grands supports de diffusion et les contenus qu’ils véhiculent.
PETIT HISTORIQUE DU LIEN ENTRE IMAGES ET ÉDUCATION…
L’image et l’image animée ont depuis longtemps fait leur apparition à l’école. Depuis 1880 et l’école de Jules Ferry, elles ont été utilisées comme illustrations au service d’un propos, d’une leçon d’histoire ou de géographie. La télévision entre à l’école dans les années 50, mais les pratiques n’évoluent pas et son utilisation reste illustrative. Dans les années 60, l’éducation nationale soutient des initiatives qui produisent des émissions de télé scolaires, mais par manque de moyens et de formations des enseignants, méfiants devant cet objet, ce programme se solde par un échec et tombe dans l’oubli. L’image comme objet de connaissance et non comme médium est apparue dans le courant des années 70, avec l’arrivée de la sémiologie. L’image alors considérée comme langage devait faire l’objet d’un apprentissage et d’analyse pour accéder au sens. Les élèves doivent s’inspirer de la pratique des critiques de cinéma. L’éducation artistique à l’école se développe à l’école dans les années 70 et 80. La loi du 6 janvier 1988 stipule que « les enseignements artistiques font partie intégrante de la formation scolaire primaire et secondaire. » Cette loi ouvre la porte aux professionnels et intervenants extérieurs qui peuvent venir partager leur savoirs artistiques à l’école. Parallèlement, au delà de la question du langage et de la sémiologie, se pose la question de l’enseignement du cinéma comme art. Les images, notamment animées, doivent devenir objets d’enseignement et d’étude. Pas seulement comme un langage qui doit être connu pour devenir un spectateur éclairé mais comme un objet d’art et de culture. C’est l’association « Les enfants de cinéma » qui, en 1994, est à l’origine du dispositif « Ecole et cinéma ». Ce programme propose aux enseignants qui participent des séances de cinéma pour faire découvrir à leurs élèves des films de qualité dont la programmation diffère tous les ans. L’objectif est de fabriquer une première culture cinématographique et de permettre l’accès à des œuvres auxquelles la majorité des enfants ne pourrait prétendre. Ce principe est héritier de l’éducation populaire, courant de pensée, qui depuis la révolution française et le rapport Condorcet, vise à organiser l’accès à la culture des couches les plus défavorisées de la société et à reconnaître l’existence d’une culture populaire. Au cours du 20ème siècle des initiatives comme les ciné-clubs, qui apportait le cinéma dans les campagnes et les endroits reculés, s’inscrivaient déjà dans cette mouvance. L’expression « éducation à l’image » semble apparaître dans les années 90, et à l’issue de cette décennie, ne définir que l’éducation aux images animées. L’éducation à l’image fixe : photographie, dessin, peinture, semble rester dans le cadre de l’éducation artistique. Si aujourd’hui on parle plus largement « d’éducation aux media », le terme éducation à l’image est implicitement associé au cinéma.
L’ « éducation aux médias », telle que définie ci-dessus, semble orientée vers le développement de l’esprit critique et l’acquisition du discernement responsable et citoyen. La définition ne mentionne pas l’apport de culture artistique ni la pratique. Dans son acception courante, l’expression « éducation à l’image » s’entend plus comme une éducation du regard dans sa dimension artistique et elle intègre la pratique : L’École donne une place importante au cinéma et à l’audiovisuel dans le cadre plus large de l’éducation à l’image. La première pratique culturelle des jeunes est celle de l’image : cinéma, photo, télévision, jeux vidéo, Internet, etc. (…) Dès l’école primaire, l’éducation à l’image, au cinéma et à l’audiovisuel permet aux élèves d’acquérir une culture, d’avoir une pratique artistique et de découvrir de nouveaux métiers.
Acquisition d’une culture
« Je pense (…) que le savoir s’acquiert par la culture. Pour moi, c’est la culture qui permet d’accéder aux savoirs et non pas les savoirs à la culture. » Philippe Meirieu Si l’on s’en tient à la définition de l’UNESCO : Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances, Cette définition énoncée à l’occasion de la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, (« Conférence mondiale sur les politiques culturelles Mexico City », du 26 juillet au 6 août 1982) est accompagnée du texte suivant : La culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même. C’est elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et éthiquement engagés. C’est par elle que nous discernons des valeurs et effectuons des choix. C’est par elle que l’homme s’exprime, prend conscience de lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres réalisations, recherche inlassablement de nouvelles significations et crée des œuvres qui le transcendent. La puissance de ce texte se passe de commentaire et résume la nécessité des enseignements culturels d’une manière générale et artistiques en particulier. Une éducation culturelle contient-elle l’éducation aux média, à l’image, artistique et numérique ? Afin de clarifier mon propos, dans ce qui suit, je propose une dénomination hybride et parlerai pour inscrire mon projet d’ « éducation artistique à l’image ». Je consacrerai le paragraphe suivant à essayer d’en cerner les enjeux.
enjeux
• la quête du sens
Les enjeux classiquement envisagés quand on pense à l’éducation à l’image sont des enjeux qui visent au développement de l’esprit critique. Suite à la définition de l’éducation aux média, l’inspection générale précise les enjeux suivants.
« Les apprentissages qui en découlent relèvent… de trois grands champs traditionnels de compétences – esthétiques, sémiologiques et civiques – qui s’interpénètrent et qui sont les suivants : la formation esthétique (…), la maîtrise des langages (…), l’éducation à la citoyenneté. » L’enjeu de la maîtrise des langages semble hérité de la tradition sémiologique d’appréhender le travail des images en vogue dans les années 70. Si, par maîtrise des langages, on entend « accès à la signification » alors il faut aussi en intégrer la dimension culturelle. Pour Jérôme Bruner, l’accès à la signification est inséparable de la culture. L’interprétation et la compréhension des codes de signification d’un récit, fut-il cinématographique, sont dépendantes de leur contexte culturel. Dans la retranscription de sa conférence intitulée « Images, de la sidération à l’éducation », Philippe Meirieu décrit ce qui est pour lui le deuxième enjeu d’une éducation à l’image : accéder à l’intelligence du récit. « Notre récit nous construit et l’accès au récit, en ce sens, n’est pas l’accès à la fiction, c’est l’inverse : le détour par la fiction nous permet d’accéder à la réalité, que l’on construit dans une structure narrative » . La thèse de Meirieu rejoint ici la conviction de Bruner, le récit, même fictionnalisé, modèle la personnalité de l’homme, sa perception de la réalité et donc sa réalité. Une des clés pour opérer cette contextualisation culturelle peut se trouver dans la proposition que fait Alain Bergala. Il milite pour que le cinéma ne soit plus enseigné comme un langage mais comme un art. « L’idée de la riposte, d’une pédagogie visant prioritairement à développer l’esprit critique relève d’une conception du cinéma comme mauvais objet. Si l’approche du cinéma est une chance pour l’école, c’est à condition que le cinéma y soit traité comme bon objet, c’est à dire avant tout comme un art. » Bergala pointe ici un autre aspect récurrent de la question de l’éducation aux images : le spectre de l’image nocive.
• La formation de l’esprit
« Car la culture donne forme à l’esprit » Jérôme Bruner Philippe Meirieu explique : « Historiquement, l’image, pour le pédagogue, c’est « le mal ». Platon nous l’a dit, nous l’a assez répété : « ce que nous voyons au fond de la paroi de la caverne n’est qu’illusion, il faut en dégager l’élève, pour le faire accéder à la seule chose qui vaille : le concept ». » D’après lui, le regard sur l’image a évolué pour passer de l’incarnation du « mal », au « miel sur la coupe » c’est à dire l’enluminure qui attire le lecteur, puis à l’icône quasi religieuse. Cette méfiance séculaire de l’image et des modes de représentation est à l’origine d’un autre enjeu fréquemment envisagé dans l’éducation aux images, il s’agit de l’éducation citoyenne. Cet enjeu est énoncé dans le texte qui accompagne la définition de l’éducation aux média. L’objectif d’éduquer des futurs citoyens éclairés et actifs est essentiel si on considère l’éducation aux média au sens large. En ce qui concerne l’éducation « artistique » aux images voici le premier enjeu formulé par Meirieu : « la formation et l’éducation à l’image c’est la formation à l’intelligence et à l’intentionnalité du regard. » .
Meirieu pense qu’il faut accompagner les élèves dans leur découverte de l’objet filmique. Le terme d’« objet « est pour lui fondamental. Un film est un « objet », fini dans le temps, et l’espace s’il est regardé dans le respect de son rituel de visionnage: la salle de cinéma. Considérer le film comme un objet rend possible la distanciation qui sort de l’état de sidération dans lequel est plongé le spectateur. Si la sidération est nécessaire pour vivre une réelle expérience de spectateur, il faut avoir les clés pour en sortir. Cette formation de l’intelligence est une des clés. Comprendre les mécanismes narratifs, les procédés de montage ou encore les techniques d’effets spéciaux, peuvent y participer. C’est une formation « culturelle » du citoyen que Meirieu propose. L’éducation à l’image se présente comme la possibilité donnée aux élèves d’appréhender un film comme un « objet » qui est produit par un auteur. Il propose de former un regard intentionnel, qui cherche, qui est actif et ainsi de sortir le spectateur de sa passivité.
Les propos de Meirieu peuvent éclairer le sens de l’expression « formation de l’esprit» utilisée à la suite de la définition de l’éducation aux médias dans le paragraphe consacré à l’enjeu de la formation esthétique :
La connaissance des œuvres iconiques, cinématographiques et télévisuelles, du point de vue de leurs formes, de leurs modes de signification, de l’histoire des représentations, participe de la culture générale et des repères fondamentaux pour la formation de l’esprit, particulièrement pour des élèves immergés dans le monde de l’image dès leur naissance.
Les enjeux de l’éducation à l’image sont multiples mais il semble que les textes relatifs à l’éducation aux médias ne soient pas exhaustifs. Dans le texte de sa conférence, Meirieu en pointe un autre qui trouve des résonnances dans la thèse de Bruner. Il s’agit d’un aspect psychologique de l’éducation à l’image, c’est l’accès au symbolique.
• L’accès au symbolique
Pour Meirieu, un des rôles fondamentaux de l’éducation à l’image est de permettre aux élèves de développer le symbolique qu’il oppose à l’obscène (où tout est montré). Pour cela, il faut choisir et proposer aux élèves des œuvres cinématographiques riches de symbolique, c’est à dire où tout n’est pas montré, où il y a de la place pour l’interprétation, « Parce que le symbolique, c’est ce qui lui permet de se penser. C’est ce qui lui permet de manipuler ses propres forces psychiques, y compris les forces archaïques qui l’habitent. » Par la construction d’une culture et de références communes, l’élève construit sa personnalité et apprend les codes et les symboles culturels de la société qui l’entoure. Grâce au symbolique il peut dépasser les frustrations et maîtriser ses pulsions mais aussi créer du sens. Meirieu abonde ainsi dans le sens de la théorie de Bruner quand il avance que le fondement de la psychologie humaine est la signification : Cette conviction est fondée sur deux arguments étroitement liés l’un à l’autre. Le premier est que, si l’on veut comprendre l’homme, il faut comprendre comment ce qu’il éprouve et ce qu’il fait est modelé par ses intentions ; le second est que la forme que prennent ses intentions ne peut se réaliser qu’au travers de la participation de l’individu aux systèmes symboliques de la culture dans laquelle il baigne.
• Pratique artistique et nouvelle donne
Enfin je voudrais aborder l’enjeu de la pratique artistique ou l’éducation « artistique » à l’image par l’expérimentation. Mon projet se veut avant tout un projet pratique. La manipulation effective des outils permet une appropriation des modes de création. La pratique artistique dans le domaine des arts plastiques permet l’identification à l’auteur et le développement de la créativité par la découverte de procédés ou de démarches. Il en va de même pour la création filmique. Pour Alain Bergala ce «passage à l’acte » est indispensable : « car il y a quelque chose d’irremplaçable dans cette expérience, vécue autant avec le corps que par le cerveau, un savoir d’un autre ordre, qui ne peut s’acquérir par la seule analyse des films, aussi bien menée soit-elle. » Enfin, sans le développer plus avant il semble important de mentionner qu’un autre enjeu fondamental se dessine aujourd’hui. Nous avons répertorié les enjeux d’une éducation à l’image tournée vers le passé. Conception naturelle puisque les différentes thèses semblent converger vers la nécessité d’acquérir une culture. Mais les enfants d’aujourd’hui deviennent également producteurs et diffuseurs d’images très tôt. Nombreux sont les enfants qui reçoivent un smartphone vers 11/12 ans à l’entrée en sixième, ils deviennent alors producteurs d’images. À l’adolescence, leur culture des réseaux sociaux et autres applications de communication visuelle les rendent aussi diffuseurs. Les nouvelles pratiques créatrices d’images animées comme le « mash up » ouvre un champ de possible quant au travail pratique et artistique de l’éducation à l’image. Si une sensibilisation à la diffusion d’images sur internet est prématurée au sein de ma classe de grande section, il semble plus que jamais essentiel de les initier à la pratique filmique et de commencer cette sensibilisation. Ce travail est une base qui je l’espère trouvera un écho dans le suite de leur cursus.
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Table des matières
Introduction
I- Éducation artistique à l’image
1. Éducation à l’image ?
a. Éducation à
b. Acquisition d’une culture
c. Enjeux
2. L’éducation à l’image en maternelle – instructions officielles
a. La nouvelle place de la culture
b. L’image dans les programmes
3. Comment concevoir un projet d’éducation à l’image en maternelle ?
II- Le projet : produire et manipuler des images
1. L’image comme projet : choix et construction
2. La progression
a. Une sensibilisation en amont
b. Un projet en trois séquences
3. L’évaluation
III- L’analyse des séquences
1. Séquence 1 : images fixes
a. Phase 1
b. Phase 2
2. Séquence 2 : des images fixes aux images animées
3. Séquence 3 : pixilations
Conclusion
Bibliographie
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