ECRITURE FEMININE ET FEMINISTE CHEZ LES ROMANCIERES SENEGALAISES

La peinture inรฉdite de la jeune fille engagรฉe

ย  ย Le personnage de la jeune fille est trรจs prisรฉ par les romanciรจres. Dans la trame narrative, la jeune fille, suscite un grand intรฉrรชt ; elle nous est prรฉsentรฉe sous diffรฉrents aspects. Elle est le plus souvent lโ€™hรฉroรฏne dโ€™une quรชte la mettant sur les traces dโ€™un objet-valeur ou dโ€™un manque quโ€™elle doit combler. Cela peut-รชtre, par exemple, une รฉducation quโ€™elle aurait souhaitรฉ recevoir, un savoir quโ€™elle aurait voulu dรฉtenir, une amรฉlioration matรฉrielle ou tout simplement le dรฉsir dโ€™รชtre reconnue par une sociรฉtรฉ ร  laquelle elle sโ€™identifie mais qui la rejette pour plusieurs raisons. Mariama Ndoye et Sokhna Benga, ร  travers les personnages de la jeune fille, essayent de palier aux manquements qui perturbent la vie de Sabel et de Soukey. Effectivement, dans Bayo, la mรฉlodie du temps,39 Sabel le personnage principal, est mise en marge de la sociรฉtรฉ du fait quโ€™elle est nรฉe en dehors du mariage. Car elle est le fruit dโ€™un amour interdit entre deux jeunes personnes dont le mariage nโ€™รฉtait pas acceptรฉ par les parents. Mariama Ndoye, pour sa part, dรฉcrit Soukey, le personnage รฉponyme de son ล“uvre, comme une jeune fille qui, ayant quittรฉ son village natal aprรจs la mort de sa mรจre pour rejoindre sa famille adoptive en ville sera confrontรฉe ร  plusieurs obstacles. Lโ€™objectif commun ร  ses deux personnages demeure le respect et la rรฉhabilitation sociale afin de rendre leurs mรจres respectives, Ken40 et Yaye Siga,41 fiรจres lร  oรน elles sont cโ€™est-ร -dire aux cieux. Avec ces personnages en lutte perpรฉtuelle pour la rรฉhabilitation sociale, les romanciรจres Mariama Ndoye et Sokhna Benga mettent en scรจne des jeunes filles aux trajectoires singuliรจres. Ces jeunes filles prรฉsentes sur la scรจne sont diffรฉrentes de celles que nous avions lโ€™habitude de voir dans les rรฉcits nรฉgro-africains, grรขce notamment aux portraits idรฉalisant des personnages fรฉminins ainsi quโ€™ร  leurs actes et propos. Dorรฉnavant, dans la fiction africaine, la jeune fille insouciante et passive, qui ne songeait quโ€™ร  se faire belle en se parant de beaux vรชtements, en mettant de somptueux bijoux pour se rendre attirante et trouver par lร  un potentiel รฉpoux, laisse la place ร  une nouvelle figure plus entreprenante. Nous avons un nouveau personnage qui sโ€™assume en tant que femme ayant des droits et des devoirs dans la sociรฉtรฉ dans laquelle la narratrice la fait รฉvoluer. En effet, lโ€™hรฉroรฏne que lโ€™on retrouvait dans les romans des annรฉes 60 qui faisait tout pour ressembler aux dames blanches et trouver un รฉpoux de race blanche comme Nini42 dโ€™Abdoulaye Sadji, ou encore celle qui, comme Maimouna43 du mรชme auteur, avait pour seul souci de rejoindre sa sล“ur Rihanna dans la capitale pour y vivre un conte de fรฉe, ces types de personnages fรฉminins ne sont plus dโ€™actualitรฉ. Cette jeune fille qui, ร  lโ€™image de Marรฉme, dans Karim, roman sรฉnรฉgalais ne rรชvait que du grand ยซ sabarยป durant lequel elle espรฉrait rencontrer le prince charmant qui lโ€™honorerait devant ses paires, meurt pour laisser renaitre un autre type de jeune fille dans le roman fรฉminin. Cependant les personnages de la jeune fille prรฉsents dans la fiction narrative de nos deux รฉcrivaines se diffรฉrencient ร  plus dโ€™un titre. Les auteures peuvent les laisser intervenir directement dans le rรฉcit comme ce fut le cas de Sakou, aprรจs le suicide de sa meilleure camarade de classe. Cette derniรจre se donna la mort parce que ses parents lโ€™avaient forcรฉe ร  se marier avec un cousin quโ€™elle ne connaissait pas. Et pour couronner le tout elle tomba enceinte des ล“uvres dโ€™un autre. Sakou nous livre dans un langage cru sa vision de la vie. Elle exprime sa pensรฉe comme suit : ยซ Quel jongleur de ces centaines de milliers de hasards qui jonchent nos existences, font et dรฉfont nos destins, qui les tissent, les entrecroisent, les dรฉchirent parfois par un souverain caprice ! Pourquoi ces grossesses indรฉsirรฉes, ou profondรฉment dรฉsirรฉes mais auxquelles il faut renoncer car la nature les refuse ou que les normes et convenances sociales sโ€™y opposent ? Des porteuses de vie sont exposรฉes au regard lourd de reproches dโ€™une infirmiรจre distribuant ร  la ronde pilules contraceptives ou prรฉservatifs ; ร  lโ€™inspection rรฉvulsante dโ€™un gynรฉcologue fixant un point invisible dans lโ€™espace en violant et farfouillant dโ€™une main impersonnelle leur intimitรฉ. Tout cela, je le sais pour lโ€™avoir vรฉcu ร  travers le tรฉmoignage de femmes รฉcorchรฉes par la vie, et je le ressens intimement. Tout serait tellement beau si lโ€™on nโ€™avait que ce que lโ€™on a demandรฉ humblement, si les haines viscรฉrales, les dรฉsillusions amรจres, les mauvaises rencontres, les intimitรฉs, les amours contrariรฉs, les rapports viciรฉs nโ€™existaient pasยป! A travers la voix de la jeune fille, la narratrice fait un plaidoyer pour les femmes qui tombent enceinte sans รชtre mariรฉes que la sociรฉtรฉ juge et maltraite. Cโ€™est avec un sentiment de haine et de frustration que la jeune fille exprime son mรฉcontentement face aux maux de la sociรฉtรฉ. Aussi, Sokhna Benga et Mariama Ndoye dรฉpeignent des jeunes filles qui prennent leur vie en main et nโ€™acceptent plus dโ€™รชtre des faire-valoir pour les hommes. Elles sont loin de ces personnages fรฉminins incapables de rรฉflรฉchir ou de mener leur vie sans รชtre guidรฉs par une autoritรฉ masculine. Sur le plan intellectuel et sur bien dโ€™autres domaines, elles parviennent ร  damer le pion aux hommes et aux femmes soumises. Cela est illustrรฉ par la description brรจve mais รฉlogieuse que Sokhna Benga fait de Poupette49 par la voix de sa mรจre Sabel qui dit : ยซNdeye Ami dite Poupette, vingt ans, est en deuxiรจme annรฉe de mรฉdecine. Malgrรฉ son air farfelu, elle sort toujours major de sa classe er rafle tous les premiers prix et cela depuis le primaireยป. Benga montre une jeune fille douรฉe, trรจs intelligente qui ne se laisse jamais devancer par les hommes. Elle se fait un point dโ€™honneur de rรฉussir dans son travail et dans ses รฉtudes. En effet, dans Bayo, la mรฉlodie du temps, des travailleuses et responsables comme Poupette ou Codou52 รฉvoluent sans complexe aux cรดtรฉs de jeunes garรงons dรฉsinvoltes ร  lโ€™image de Daouda, le fils cadet de lโ€™hรฉroรฏne Sabel ou encore son grand frรจre Rone, un individu en manque de repรจres, sans objectif fixe dans la vie. Cโ€™est avec regret dโ€™ailleurs que lโ€™auteure met fin ร  la vie de la jeune fille qui ne sโ€™assume pas en tant que responsable et sort, de ce fait, du lot des jeunes filles qui se singularisent par leur exemplaritรฉ. Cโ€™est ce que nous avons avec Madam la fille cadette de Sabel, personnage trรจs solitaire qui, ne sโ€™assumant pas en tant que jeune fille responsable et indรฉpendante, sombre dans la toxicomanie sous lโ€™influence de son petit-ami. Elle meurt tragiquement dโ€™une overdose. Ce qui peut รชtre considรฉrรฉ comme une incitation pour les jeunes filles ร  sโ€™assumer, ร  se prendre en charge, ร  sโ€™aimer telles quโ€™elles sont. Le choix et la description des enfants de lโ€™hรฉroรฏne laissent apparaitre une volontรฉ de vouloir idรฉaliser les jeunes filles de la part de la narratrice. Ce sont de nouveaux portraits qui rรฉvรจlent comme le remarque Odile Cazenave dans Femmes rebelles. Naissance dโ€™un nouveau roman africain au fรฉminin : ยซ des voix de femmes diverses, prรฉsentant la femme africaine vue de lโ€™intรฉrieurยป. La narratrice donne ร  ses personnages fรฉminins la possibilitรฉ de dire ce quโ€™elles pensent, ce qui permet de les voir sous un jour nouveau.

Lโ€™image de la mรจre responsable

ย  ย La mรจre garde une place centrale dans lโ€™imaginaire collectif africain que la reprรฉsentation littรฉraire, sโ€™accordant avec les exigences sociales, tente de restituer. Elle apparait sous diffรฉrents aspects dans les rรฉcits romanesques. Son rรดle qui est transversal couvre plusieurs domaines de la vie sociรฉtale. La mรจre รฉtait dโ€™une importance capitale dans la sociรฉtรฉ traditionnelle parce quโ€™elle pรฉrennisait la parole patriarcale et servait de support pour le respect de la tradition pour les enfants. Cโ€™est la raison pour laquelle, la sociรฉtรฉ traditionnelle nโ€™accordait de lโ€™importance ร  la femme que du moment oรน elle mettait un enfant au monde. Dans les sociรฉtรฉs modernes que dรฉpeignent les romanciรจres, le regard portรฉ sur la femme change positivement dรจs quโ€™elle donne naissance ร  des enfants. Mariama Ndoye en donne un exemple dans Soukey, oรน la narratrice nous apprend, parlant de la maniรจre dont les patriarches de son village voyaient la femme : ยซ Les sages de son village affirmaient, avec lโ€™infaillibilitรฉ dโ€™une expรฉrience sรฉculaire, quโ€™une femme au lendemain de ses noces nโ€™est pas encore une รฉpouse. Elle est sur le pied de guerre et, ร  la moindre remontrance, menace de retourner chez ses parents. Elle se tient debout. Lorsquโ€™elle est mรจre dโ€™un enfant, elle change de posture en mettant un genou en terre, signe dโ€™une confiante croissante ; lorsquโ€™elle a deux enfants, ses deux genoux touchent le sol ; quand survint le troisiรจme enfant, ses fesses, ร  leur tour, sont ร  mรชme la glรจbe, elle croise les jambes sous elle, confortablement. Dรจs lors, si son mari tarde ร  se rรฉveiller, elle le houspille :โ€™โ€™Pรจre de mes enfants, lรจve-toi donc et va chercher la pitance familialeโ€™โ€™. Alors seulement on possรจde une vรฉritable รฉpouse qui demeurera ancrรฉe au foyer contre vents et marรฉes et dont les enfants seront bรฉnisยป. Ce passage montre la maniรจre dont lโ€™homme perรงoit la femme et lโ€™importance accordรฉe ร  lโ€™enfantement qui est un signe de fรฉminitรฉ. Cette fonction procrรฉatrice confรจre ร  la femme une importance vitale et lui permet progressivement de sโ€™enraciner dans son foyer. Le rรดle primordial de la femme est donc de donner la vie, mรชme si en tant que mรจre, elle arbore plusieurs casquettes et remplit pleinement diffรฉrentes fonctions. Dans Le roman fรฉminin en Afrique de lโ€™ouest, Adrien Huannou soutient ร  ce propos que : ยซ Le paradoxe, cโ€™est que tout en affirmant que la femme est infรฉrieure ร  lโ€™homme, tout en la relรฉguant dans les domaines considรฉrรฉs comme secondaires, on confie ร  lโ€™รฉpouse la mission la plus importante, la plus dรฉlicate, lโ€™รฉducation des enfants, et on se plait ร  exalter la grandeur de son rรดle dโ€™รฉducatriceยป. Selon Huannou, au-delร  dโ€™รฉlever ses enfants afin quโ€™ils deviennent des individus moralement capables dโ€™intรฉgrer la sociรฉtรฉ, la femme forme des citoyens appelรฉs ร  servir la communautรฉ. Ce qui montre que son rรดle dรฉpasse le cadre familial et sโ€™รฉtend au groupe tout entier. Si dans la sociรฉtรฉ traditionnelle la fonction de la gรฉnitrice รฉtait de pรฉrenniser la parole du patriarche en faisant en sorte que les rejetons la respectent. Dans les sociรฉtรฉs mises en fiction par les รฉcrivaines africaines, on a des femmes trรจs responsables qui sโ€™assument en tant que procrรฉatrices. Comme le dรฉclare Sabel, le personnage principal de Bayo, la mรฉlodie du temps : ยซ Cette vie est celle dโ€™une femme qui nโ€™a pas acceptรฉ et qui nโ€™accepte plus que lโ€™Absurde prenne le pas sur elle. Celle dโ€™une mรจre qui nโ€™a pas voulu et qui ne veut pas que sa descendance soit victime dโ€™une situation quโ€™elle nโ€™a pas demandรฉ ร  vivre. Personne nโ€™a demandรฉ ร  naitre. Personneโ€ฆยป. Sokhna Benga, ร  travers le discours de Sabel, donne une nouvelle perception de la mรจre. Elle ne rรจgle plus son existence sur celle de son รฉpoux. Dorรฉnavant, elle prend des engagements personnels pour le bien-รชtre de ses enfants et clame la responsabilitรฉ des parents qui ont des devoirs envers leurs enfants. Selon Sabel ยซ personne nโ€™a demandรฉ ร  naitre ยป donc le nourrisson nโ€™est nullement responsable de sa venue au monde. Cโ€™est la gรฉnitrice qui doit rendre la vie de son bambin agrรฉable, quelles que soient les conditions dans lesquelles il naรฎt. Mรชme si, son รฉpoux lui fait des reproches comme par exemple : ยซ on nโ€™รฉduque pas ses enfants ร  coup de marchรฉs ยป elle a sa faรงon dโ€™รฉduquer ses enfants. De sa fonction dโ€™รฉducatrice, elle doit faire un sacerdoce comme le pense Tante Kinรฉ, qui, dans Soukey, se pose cette question : ยซ Le vล“u de toute gรฉnitrice nโ€™est-il pas de couver ses enfants, petits-enfants et arriรจre-petits-enfantsยป? Parce que le vล“u de toute femme qui donne la vie ou ร  qui on confie un enfant est de prendre soin de ce dernier. De Soukey ร  Yaye Siga, en passant par Tante Kinรฉ, Sabel, Yaye Daba et Ken, les mรจres restent prรฉoccupรฉes par la sรฉcuritรฉ, le bonheur, le bien-รชtre et la bonne รฉducation de leur marmaille. Mais il faut remarquer quโ€™elles diffรจrent de celles que nous avions lโ€™habitude de voir dans le roman africain. Les nouveaux personnages fรฉminins que lโ€™on retrouve dans les rรฉcits les plus rรฉcents se comportent en mรจre et en femme. Elles assurent leur rรดle de gรฉnitrice tout en prenant conscience de leur condition de femme. Elles rรฉclament leur reconnaissance au sein de la sociรฉtรฉ et lโ€™obtiennent tant bien que mal au prix de nombreux sacrifices.

 

La stรฉrilitรฉ : une dรฉnรฉgation de la fรฉminitรฉ

ย  ย  Dans presque toutes les sociรฉtรฉs, on accorde une grande importance ร  la capacitรฉ de procrรฉation de la femme. Ce qui fait que la stรฉrilitรฉ est devenue un problรจme fรฉminin que les รฉcrivaines ne manquent pas de dรฉcrier dans leurs ล“uvres. La stรฉrilitรฉ est un fait qui ne touche que les personnages fรฉminins. Parce que la plupart des รฉcrivaines nรฉgro-africaines ne parlent du corps fรฉminin que pour traduire la souffrance des femmes. Comme le remarque Cazenave qui explique ร  cet effet quโ€™: ยซEssentiellement le corps a fonctionnรฉ dans un premier temps comme signe de la souffrance psychologique des femmesยป. Cโ€™est pourquoi dans de nombreuses ล“uvres fรฉminines, nous retrouvons le thรจme de la stรฉrilitรฉ. Mรชme si elle ne constitue pas une partie tout entiรจre dans leurs ล“uvres, les รฉcrivaines usent de quelques lignes et de leur plume pour faire une place ร  ce thรจme. En effet, la stรฉrilitรฉ est la source dโ€™une perpรฉtuelle angoisse chez la femme. Nous relevons ce thรจme chez Benga, Ndoye et chez dโ€™autres auteures. A chaque fois, quโ€™elles le peuvent, elles sโ€™offusquent du traitement fait ร  la femme stรฉrile. Etre stรฉrile dans la sociรฉtรฉ africaine est une source de problรจme comme le montre Maryse Condรฉ dans son essai intitulรฉ : La parole des femmes : Essai sur les romanciรจres des Antilles de langue franรงaise dans lequel elle soutient que : ยซ Aux Antilles comme en Afrique ou en Europe jusquโ€™ร  une date rรฉcente, la femme se valorise presquโ€™exclusivement par la fonction maternelle. Toute une littรฉrature exalte lโ€™enfantement, lโ€™allaitement, magnifie lโ€™attachement de la mรจre ร  son petit. Depuis lโ€™enfance, la fillette est prรฉparรฉe ร  lโ€™รฉpoque oรน ร  son tour, elle mettra au monde ยซ les fruits de son sein ยป, la stรฉrilitรฉ nโ€™est jamais envisagรฉe, mais considรฉrรฉe comme la pire des mauxยป. Ce qui laisse entendre que la femme est perรงue ร  peu prรจs de la mรชme maniรจre dans toutes les sociรฉtรฉs. Nous retrouvons la fonction maternelle dans toute la littรฉrature mondiale. On ne pense jamais ร  une possible stรฉrilitรฉ chez la femme. La sociรฉtรฉ soutient toujours que dans un couple sโ€™il y a un problรจme de procrรฉation cโ€™est la femme qui est la seule responsable. La femme doit perpรฉtuer la lignรฉe ร  laquelle elle sโ€™est liรฉe, par les liens sacrรฉs du mariage. Dans certaines ล“uvres fรฉminines, on assiste ร  la mise en scรจne de la stรฉrilitรฉ. Des membres de la famille tiennent ouvertement des propos blessants ร  lโ€™endroit de la femme stรฉrile. Mรชme si le mari reste comprรฉhensif comme en attestent les propos de Sabel qui dรฉclare ร  cet effet : ยซ Jamais Kader, les annรฉes de mariage passรฉes, ne mโ€™avait reprochรฉ dโ€™รชtre โ€˜โ€™improductiveโ€™โ€™ยป. Dโ€™autres le sont moins comme Mamadou le conjoint de Juletane dans le roman รฉponyme. Celle-ci nous livre lโ€™avis de son รฉpoux comme suit : ยซ Il mโ€™avoua quโ€™une des raisons pour laquelle il nโ€™avait pas voulu rรฉpudier sa premiรจre femme รฉtait la crainte que je ne puisse pas lui donner des enfants. Avoir des enfants รฉtait le plus grand bonheur pour lui dans le cadre du mariage ยป. Celui-ci est lโ€™exemple du mari pas trรจs comprรฉhensif qui vient conforter les autres membres de la famille qui font ressentir ce manque ร  la femme. La narratrice dans Bayo, la mรฉlodie du temps, nous en donne une illustration : ยซ Bien sur des vipรจres comme Tante Soukeyna avaient longtemps pris plaisir ร  parler de ma tare avec dรฉdain. Elles parlaient de mes ยซ presque dix ans sans fruit ยป. Elles se demandaient, ร  haute voix, ce que Kader ยซ qui รฉtait bien passรฉ par lร  oรน il devait ยป, pouvait bien faire avec une ยซ chatte sans lait ยป. Ah ! Jโ€™entends encore les sarcasmes de Tante Soukeyna pourtant dรฉfinitivement รฉteints. Ces railleries blessantes mโ€™avaient poussรฉ, ร  lโ€™รฉpoque, ร  toujours chercher un prรฉtexte pour ne pas assister aux cรฉrรฉmonies familiales. Le fait que jโ€™รฉtais tenaillรฉe par un dรฉsir lancinant dโ€™avoir un enfant nโ€™arrangeait rienยป. Les procรฉdรฉs stylistiques comme le sarcasme ou lโ€™allรฉgorie utilisรฉs dans cette citation, montrent la souffrance de la femme stรฉrile dans le roman. Cette attitude de la femme vis-ร -vis dโ€™une autre femme, nous permet de donner raison ร  Calixthe Beyala quand elle demande : ยซ Avez-vous constatรฉ que la femme peut รชtre la premiรจre meurtriรจre de la femmeยป. Tante Soukeyna au lieu de soutenir sa niรจce dans ces moments pรฉnibles, se moque dโ€™elle devantย tout le monde. Elle ne cherche quโ€™ร  lui causer du tort. Alors, nous pouvons en dรฉduire que, la sociรฉtรฉ est trรจs peu comprรฉhensive face ร  la stรฉrilitรฉ. Cโ€™est ce qui fait que dans les villages, la planification familiale est quasiment inexistante. Les femmes ne se souciaient pas des problรจmes que pouvaient engendrer les grossesses rapprochรฉes. Puisque leur destin de femme sโ€™accomplissait dans la maternitรฉ. Cโ€™est ce qui fait dire ร  la narratrice de Mariama Ndoye que ยซ Soukey nโ€™avait connu que des femmes avec des โ€˜โ€™ribambellesโ€™โ€™ dโ€™enfantsยป.

Lโ€™analphabรฉtisme : le personnage fรฉminin considรฉrรฉ commeย  responsable de sa situation

ย  ย La femme analphabรจte vit une situation trรจs difficile dans le roman fรฉminin. En effet, nous savons quโ€™en Afrique, en ce qui concerne lโ€™instruction, la prioritรฉ est accordรฉe au garรงon. La rรฉticence de voir les filles frรฉquentรฉes lโ€™รฉcole est passรฉe par lร . Dans sa situation dโ€™analphabรจte, la jeune fille qui est une victime, devient lโ€™objet dโ€™une stigmatisation. Elle est considรฉrรฉe comme une aveugle devant les remous et les trรฉpidations de la sociรฉtรฉ. Quelques-uns la mรฉprisent alors que dโ€™autres lโ€™isolent ร  cause de ses origines rurales ou de son comportement peu citadin. Cโ€™est ainsi quโ€™ un des jeunes hommes du ยซ grand place ยป se moque de Soukey en ces termes : ยซ Elle descend fraichement de sa brousse celle-lร , tu as vu sa rรฉvรฉrence, cโ€™est tout juste si elle ne nous appelle pas โ€˜โ€™oncles vรฉnรฉrรฉsโ€™โ€™ยป. La moquerie de ce jeune homme montre que la jeune fille fait preuve dโ€™une bonne รฉducation reรงue et laisse voir par ses gestes quโ€™elle nโ€™a pas รฉtรฉ scolarisรฉe. Elle reรงoit des propos dรฉsobligeants de la part de quelques-uns. Les รฉcrivaines usent du thรจme de lโ€™analphabรฉtisme pour critiquer le comportement de certaines personnes. De plus, la jeune fille analphabรจte, dans le roman africain, est une proie facile pour les hommes malintentionnรฉs. Naรฏve, elle ne sent pas le danger qui la guette. Cโ€™est seulement aprรจs coup et devant la gravitรฉ des faits quโ€™elle prend conscience de ce qui lui est arrivรฉ. Nโ€™ayant pas รฉtรฉ ร  lโ€™รฉcole et nโ€™ayant pas reรงu dโ€™รฉducation sexuelle, Soukey comme beaucoup de jeunes filles, fut victime de sa naรฏvetรฉ. Elle se laisse berner par son amoureux et fait face, seule, ร  une grossesse dont elle ne savait que faire. Lorsque Bakar lโ€™accusa de vouloir le piรฉger, elle dรฉversa toute sa bile sur son compagnon et rรฉpondit en ces termes : ยซ Hรฉlas ! gรฉmit Soukey, pour acquรฉrir de la sagesse, il faut avoir pรขti de lโ€™inexpรฉrience. Ecoutemoi, homme de rien ! Regarde-moi bien ! De quoi ai-je lโ€™air ? Tโ€™ai-je suivi au premier claquement de doigts ? Mโ€™as-tu trouvรฉe vide comme un puits communal ? Tu mโ€™aurais mรชme offert les yeux de ta mรจre si je te lโ€™avais demandรฉ et cโ€™est toi maintenant qui me parles de โ€˜โ€™piรฉ โ€˜โ€™quoi ? De piรจge ? Quel mot horrible ? Est-il piรจge plus sournois et meurtrier que lโ€™amour qui vous livre pieds et poings liรฉs ร  lโ€™homme de bien, au malotru, au Blanc, au Noir, au croyant, au damnรฉ, indiffรฉremment pour une issue inexorable. Si piรจge il y a, cโ€™est moiย  qui suis tombรฉe dedans. Tu mโ€™as droguรฉe puis violรฉeยป. Soukey avait une confiance aveugle en Bakar, et celui-ci nโ€™a rien trouvรฉ de mieux que de se servir dโ€™elle. Devant les encouragements de ses amis, il sโ€™est montrรฉ lรขche en abusant de la confiance de la jeune fille et de sa personne. Malgrรฉ son dรฉsarroi et sa frustration, Soukey ne manque pas de dire ce quโ€™elle a sur le cล“ur par le biais de la mรฉtaphore ยซ vide comme un puits communal ยป qui lui permet dโ€™exprimer son indignation. Elle sโ€™offusque devant le refus de son amoureux. Les points dโ€™interrogation rรฉpรฉtรฉs montrent quโ€™elle se sent perdue. Son analphabรฉtisme lui cause des torts comme beaucoup de jeunes filles dans le roman africain cโ€™est le cas de Maimouna du roman รฉponyme du roman dโ€™Abdoulaye Sadji. Elle aussi, installรฉe en ville chez sa sล“ur Rihanna, crut pouvoir dompter le monde. Malheureusement, elle tomba sous le charme dโ€™un jeune homme malintentionnรฉ qui abusa de sa confiance. Elle rentra chez sa mรจre avec une grossesse et une maladie. Elle fut rรฉinsรฉrรฉe dans le tissu social, mais elle portera les stigmates de sa mรฉsaventure en ville durant le reste de ses jours. Cโ€™est dire que lโ€™analphabรฉtisme est un facteur bloquant pour les jeunes filles et les femmes prรฉsentes dans les romans africains. Cโ€™est un problรจme que les romanciรจres ne manquent pas de poser dans leurs ล“uvres. Estimant que les femmes mรฉritent un meilleur sort, elles laissent entendre quโ€™il est impรฉratif que les filles aillent ร  lโ€™รฉcole. Leur engagement se perรงoit ร  travers la mise en scรจne de jeunes filles placรฉes dans des situations catastrophiques. En plus de lโ€™analphabรฉtisme, les รฉcrivaines accordent une place importante aux rapports complexes qui sous-tendent la vie du couple.

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Table des matiรจres

INTRODUCTION
1รจre partie : La reprรฉsentation symbolique des personnages fรฉminins dans Bayo, la mรฉlodie du temps et dans Soukey
1-1/ Le traitement prototypique des personnages fรฉminins ร  travers des procรฉdรฉs littรฉraires
1-1-1/ La peinture inรฉdite de la jeune fille
1-1-2/ Lโ€™รฉpouse รฉveillรฉe ou la rรฉsurrection de la figure fรฉminine dans le roman africain
1-1-3/ Lโ€™image de la mรจre responsable
1-2/ Des statuts sociaux problรฉmatiques
1-2-1/ La jeune fille mรจre- cรฉlibataire : un รชtre marginalisรฉ
1-2-2/ La stรฉrilitรฉ : une dรฉnรฉgation de la fรฉminitรฉ
2eme partie : Une รฉcriture de lโ€™engagement fรฉministe
2-1/ La mise en scรจne de la situation dรฉsastreuse de la femme
2-1-1/ Lโ€™analphabรฉtisme : le personnage fรฉminin responsable de sa situation
2-1-2/ Le traitement littรฉraire des rapports complexes entre conjoints dans le roman fรฉminin
2-1-3/ La polygamie : un problรจme fรฉminin
2-2/ De nouvelles figures fรฉminines
2-2-1/ La double perception de la femme รฉmancipรฉe
2-2-2/ La femme, une hรฉroรฏne littรฉraire de la cause sociale
2-2-3/ La figure de la femme leader ou entrepreneure
3eme partie : Fรฉminisme et subversions scripturaires
3-1/ Parole de femme et รฉcriture : des mots pour dire les maux de la femme
3-1-1/ La polyphonie narrative dans le roman fรฉminin
3-1-2/ Lโ€™รฉcriture et la structure du rรฉcit chez nos deux romanciรจres
3-1-3/ Le mรฉlange des genres
3-1-4/ La tonalitรฉ dramatique dans le roman fรฉminin
3-2/ Lโ€™homogรฉnรฉitรฉ problรฉmatique du discours fรฉministe
3-2-1/ Le fรฉminisme un discours pluriel
3-2-2/ Des prรฉoccupations littรฉraires diffรฉrentes chez les fรฉministes
3-2-3/ Lโ€™impact du lieu de production et de parution dans les ล“uvres fรฉminines africaines
CONCLUSION

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