Ecriture et politique dans l’œuvre théâtrale de Wole Soyinka

La conquête du pouvoir

       La conquête du pouvoir dans un Etat constitué ne peut et ne doit se traduire que par ce qu’on appelle communément la vérité des urnes. C’est par le vote que les électeurs expriment leur suffrage et choisissent par voie démocratique celui ou celle qui est à même de répondre à leurs sollicitations. Il est bien établi que le vote est le critère par excellence de choix. Les institutions des Etats modernes définissent les élections comme les voies et moyens légaux par lesquels on accède au pouvoir. De toute la bande, Kamini, Kasco, Barra Tuboum et Basha Bash aucun n’a accédé au pouvoir par des moyens démocratiques. Kongi a déposé King Danlola un roi charismatique dans un royaume où, tradition, folklore et valeurs monarchiques s’entremêlent. Entouré de ses épouses, il mène une vie assez tranquille, loin des soubresauts de la politique moderne : musiques, danses, chants et fêtes rythment le calendrier annuel et procurent une atmosphère de paix sociale Á l’opposé de beaucoup de coups d’Etat, celui qui met fin au règne de King Danlola s’effectue de façon paisible, sans carnage, ni terreur ou désolation. Est-ce dû au caractère civil du coup ? La scène du renversement politique n’est pas expliquée dans le texte, mais il est évident que Kongi s’est appuyé sur « l’aile physique » de sa milice, La Brigade des Charpentiers, pour mener à bout sa conquête comme il le dit avec prétention : These ones (the Aweris) look after my intellectual needs, the Brigade take care of the occasional physical requirement10 Comme le règne de Dandola, les conditions de détention du roi aussi entonnent des airs de fête. Entouré de sa suite, il n’a jamais cessé de narguer les nouvelles autorités par le rythme effréné des chants et danses auxquels trompettes, balafons et tam-tam sont associés : (The bugles join in royal cadences; the two kings dance slow, mournful steps, accompanied by their retinue. Coming down on the scene, a cage of prison bars separating Danlola from Sarumi and the other visitors who go out backwards herded off by the superintendent11) La scène montre un roi déchu qui esquisse des pas de danse, suivi de son frère Sarumi. La prison est le lieu de rencontre de toute la suite royale au grand dam du régisseur à l’autorité bafouée. Ce dernier a du mal à contenir cette foule. La seule note discordante est représentée par la cage et les barreaux, symboles de privation de liberté. Gunema, parmi le lot des despotes, est le seul à accéder au pouvoir sans l’appui d’une quelconque force. Il s’offusque du fait de n’avoir pas pris les rênes du pouvoir à la manière de ses pairs. Gunema : I envy you three, amigos. Warriors you take power through army. You fight. You conquer. It is difficult for me. I feel like odd man out. Power is something I must experience another way, a very different way. Your method is straightforward; it has clarity, muy hermoso (…) mathematical. I inhabit, I think, the nebulous geography of power. That is why, always, I am searching to taste it. You understand, really taste it on my tongue. (…)12 Gunema est séduit par le pouvoir militaire, les récits de guerre, les conquêtes et les exploits militaires. Fait troublant que celui de Gunema qui donne l’impression de ne pas goûter au pouvoir tout en étant au pouvoir tant la métaphore culinaire est explicite. La façon dont il a accédé au pouvoir est nébuleuse. Le contraste est frappant. Soyinka use de cette forme d’ironie déroutante pour renverser les pôles : la méthode de ses pairs militaires paraît à ses yeux plus valorisante que la sienne. Il y a une expérience du pouvoir qui lui manque. Gunema n’est pas un militaire. Il n’a pas de frères d’armes dans le groupe. Il n’a pas non plus de mérites militaires parce qu’il n’a aucune médaille accrochée à la poitrine.

Les mobiles de la prise de pouvoir

      Tout homme politique qui lutte pour conquérir le pouvoir a des raisons qui lui sont propres. Il peut taire ou exprimer celles- ci publiquement. Dans une démocratie saine, il est de tradition que ces raisons soient exprimées devant le peuple pour gagner leur suffrage par la conviction et le bien-fondé des mobiles. Lorsque le pouvoir est arraché à la faveur d’un coup d’Etat, les mobiles sont toujours édictés après coup, même s’ils ne sont pas fondês. Basha Bash et Kongi sont les seuls personnages qui ont exprimé de façon assez claire les raisons pour lesquelles ils se sont emparés du pouvoir. L’assemblée inaugurale qui réunit le nouveau groupe de Basha Bash à la tête duquel est installé le Général Potipoo est dénommé The SCAR. Ce sigle en dit long sur les intentions du groupe : The Supreme Council for Advance Redemption. Le vent du changement se manifeste par une volonté ferme de rompre avec les méthodes de l’équipe précédente. Très fourni en concepts comme: rédemption, salut, progrès, redressement suprême, le lexique du renouvellement participe d’une rhétorique d’absolution qui condamne le régime antérieur tout en ouvrant des voies d’espérance au peuple. La métaphore biblique, réutilisée à dessein, auréole la nouvelle équipe d’un pouvoir messianique. Le peuple est délivré d’un grand supplice. La souffrance du peuple est à l’image du supplice du Christ avant l’arrivée de l’équipe qui apporte la félicité. En établissant le lien direct entre résurrection, devoir, rachat, délivrance on aboutit à Dieu, l’ultime référence du petit peuple. Dieu nous a donné le pouvoir prêchent les nouveaux arrivants, nonobstant le carnage qui s’en est suivi. Dès lors, l’évocation de Dieu fonctionne comme une sacralisation et une légitimation de la nouvelle autorité. Á l’image de l’équipe de Potipoo et Basha Bash, Kongi aussi inaugure son règne sous des auspices religieux à la Fête de l’Igname Nouvelle. La platitude du discours doublée de relents narcissiques à la limite pathologiques, illustre une fois encore la médiocrité du personnage. Il reconnaît aux dieux la bénédiction du Plan Quinquennal, mais s’arroge sur ses ennemis toutes les petites divinités : l’Esprit de la récolte, l’Esprit des Semailles et l’Esprit de la Victoire. Un discours peu conciliateur qui renoue avec la personnalité de tyran qu’il incarne le plus. On n’y décèle aucune conscience politique novatrice. Comme un personnage imbu d’une fonction religieuse, il comprend sa mission en termes de salut éternel. Le vide du personnage devient caricatural lorsqu’il accapare toutes les fonctions qui lui siéent : Le sacre de L’igname nouvelle, objet de convoitise entre son prédécesseur et lui devient alors le lieu d’une surenchère politique pour légitimer un pouvoir et pour donner une pesanteur spirituelle à un régime. L’Esprit des Semailles dont il proclame être le détenteur est son vœu le plus cher après son installation au pouvoir. Le secrétaire général livre la volonté de Kongi en ces termes : Gentlemen, please. All we want is some way of persuading king Danlola to bring the New Yam to Kongi with his own hands (…) 21 . L’igname nouvelle, symbole de fertilité, de réjouissances populaires et d’opulence reste le meilleur argument pour crédibiliser un régime arraché par la force. Recevoir le tubercule des mains du roi déchu, Danlola, loin de résonner comme un acte d’humiliation infligé au roi, revêt un autre aspect plus important. Il symbolise un transfert de compétence en le sanctifiant. Le roi, par ce geste, transmet à Kongi le droit divin dont son règne est investi : l’homme au pouvoir profane et temporel. L’acte de soumission par lequel l’igname lui est remise renforce son pouvoir et lui attribue une dimension spirituelle. Le roi tire sa légitimité de la puissance divine. Son pouvoir est sacré. L’igname nouvelle, comme le sceptre royal réconcilie fête et spiritualité – ce dont Kongi a besoin pour légitimer son pouvoir.

La militarisation des régimes

       Cette partie de l’étude s’intéresse particulièrement à l’organisation de l’armée dans les régimes dits dictatoriaux, à ses démembrements, aux différents corps ou unités qui la constituent et aux autres groupes qui s’apparentent plus ou moins à des milices ou bandes organisées. Les règles et normes qui régissent une armée régulière et classique cèdent le pas à des organisations lugubres et des groupements disparates sous l’égide d’un chef aux pratiques peu orthodoxes contraires à l’esprit militaire. Ainsi, auprès de Barra Tuboum découvre t-on un corps militaire dont la configuration rompt avec les normes établies d’une armée classique. Ce groupe s’identifie plutôt à une bande de guerriers du Moyen-âge. Barra Tuboum l’a dénommé “The Striped Leopards”, synonyme de Léopard à peau rayée, une espèce qui n’existe pas dans la race des félins. Le Léopard est un genre de félin d’Afrique et qui n’a pas de raies mais plutôt des tâches noires sur un pelage jaune. Kamini bat le record par le nombre d’unités, de corps et de légions insolites à sa disposition. On lui connait la “Task Force Special”, un corps expéditionnaire spécial à l’image des légionnaires qui ont acquis leur célébrité sur les fronts étrangers. Le croirait-on ? L’ironie devient mordante quand il voyage avec ce corps et l’utilise pour sa propre protection. Les Léopards à peau rayée du Général Baara Tuboum sont entourés de mystère comme leur nom l’indique.

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Table des matières

Introduction
Première partie : Á L’ÈPREUVE DU POUVOIR ET DE LA VIOLENCE
Chapitre premier : Les militaires et le pouvoir
1. La conquête du pouvoir
2. Les mobiles de la prise de pouvoir
3. La militarisation des régimes
Chapitre II : L’exercice du pouvoir
1. Les formes de communication
a. Le culte de l’image
b. La littérature de propagande
2. L’élite et le petit peuple
3. Liturgie politique et société civile
Chapitre III : L’infamie en politique
1. La banalité de la torture et de la mort
2. La hantise d’une rébellion
3. Erotisme et sadisme: A Play of Giants, un théâtre de chair et de sang
Deuxième partie : LE VERBE ET LA SCÈNE
Chapitre premier : Le poids de la tradition et les ethnotextes
1. La passion du spectacle
a. Musique, chants et danses
b. Décors, costumes et masques
2. Les mythes et les rituels
a. Les mythes
b. Les rituels
3. Rhétorique et sagesse africaine
a. Le style et la langue : une myriade de voix
b. Les ethnotextes : les proverbes, dictons et adages
c. La gestuelle et les non-dits
Chapitre II : Les contours d’une thématique
1. Death and the King’s Horseman ou la question coloniale
2. De l’acte individuel à l’idée de la mort
3. Lire Soyinka au féminin
Chapitre III : Une nouvelle écriture dramatique
1. La constance des grandes oeuvres
2. Le glissement vers les dernières parodies
3. Modèles de référence et intertexte : de Ubu Roi à King Baabu
Troisième partie: LA CARICATURE DU POUVOIR
Chapitre premier : Une esthétique de la vulgarité et du sarcasme
1. La confusion des genres
a. Idiotie ou inculture
b. Mensonge et vérité historique
2. Le complexe du philistin
a. Le déni d’usage ou le mépris de la langue
b. « Le bas matériel et corporel »
3. Onomastique et dérision
Chapitre II : Les pratiques mystiques et leur subversion
1. Les marabouts, charlatans et diseurs de bonne aventure
a. Modes de représentation et signification
b. La fonction des marabouts
2. Voyance et superstitions
3. Le culte vaudou et le mythe du zombie
Chapitre III : Pouvoir et pathologie
1. La folie des grandeurs
2. Le cannibalisme : réalité et représentations
3. La rhétorique de la virilité et ses vertus curatives
Conclusion
Bibliographie

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