Les archéofaunes sont une importante source d’informations puisqu’elles constituent une part non négligeable de l’économie de subsistance des hommes préhistoriques et reflètent leurs stratégies d’acquisition et d’exploitation du monde animal. Les moyens mis en œuvre pour obtenir ces ressources par les Néandertaliens ont suscité de vifs débats. Pour certains auteurs, le charognage est à la base de leur économie alimentaire et seul l’Homme anatomiquement moderne est apte à chasser tout type de gibier (e.g. Binford, 1984a, 1985, 1988 ; Stiner, 1991a, 1993, 1994). Cependant, de nombreux travaux, intégrant approches taphonomiques et archéozoologiques, ont démontré l’inexactitude des arguments avancés (ex. Grayson & Delpech, 1994 ; Marean, 1998 ; Milo, 1998 ; Speth & Tchernov, 1998 ; Marean & Assefa, 1999) et les aptitudes de chasseurs des Hommes de Néandertal sont désormais largement reconnues (ex. Chase, 1988 ; Jaubert et al., 1990 ; Farizy et al. 1994 ; Burke, 2000 ; Bar-Yosef, 2002 ; Gaudzinski & Roebroecks, 2000, 2003 ; Speth, 2004a ; Speth & Clark, 2006). Il est surprenant de constater que les arguments développés d’après la documentation archéologique, pour prouver un charognage de la part de Néandertal, s’appliqueraient tout aussi bien aux assemblages osseux du Paléolithique supérieur, période pour laquelle cette question n’est que rarement soulevée. Pourquoi considérer ces hominidés inaptes à chasser alors même que cette pratique est admise pour des primates non humains (Watts, 2008) et que des chasses collectives avec rabattage des proies vers des membres de la meute embusqués et/ou des irrégularités servant de piège sont connues pour le Loup ou le Lion par exemple (Speth, 2004b) ? De plus, cette vision considère le charognage essentiellement comme passif, autrement dit une acquisition de carcasses déjà consommées par des Carnivores ou la découverte fortuite d’une charogne, dans un état avancé de décomposition. Or les viandes avariées sont nocives pour les hommes, et non nutritives, puisqu’ils ne possèdent pas le système digestif d’animaux réellement charognards comme le vautour (González Echegaray & Freeman, 1998) ; les ressources disponibles sont souvent limitées lorsque les Carnivores ont un accès primaire à l’animal mort, notamment s’il s’agit de l’Hyène puisqu’elle consomme également la moelle (Blumenschine, 1989). Le charognage peut, au contraire, être intégré à l’économie de subsistance afin de pourvoir aux besoins du groupe, comme chez les Hadza (Bunn et al., 1988 ; Bunn 2001 ; O’Connell et al., 1988a), et revêtir un caractère tout aussi dangereux que la chasse dans le cas de confrontation directe avec les Carnivores (power scavenging) afin d’obtenir la proie avant qu’elle ne soit consommée (Bunn & Ezzo, 1993 ; O’Connell et al., 2002).
Si l’image d’une économie de subsistance misérabiliste n’est plus de rigueur pour l’Homme de Néandertal, un autre antagonisme concernant l’acquisition du gibier l’oppose à l’Homme moderne. Pour certains, seuls les seconds sont capables de chasses « spécialisées », les premiers étant plus opportunistes (Straus, 1983 ; Mellars, 1989, 1996, 2004). Mais cette hypothèse ne peut être retenue, le spectre des espèces chassées de certains gisements du Paléolithique moyen étant largement dominé par un taxon (ex. Jaubert et al., 1990 ; Farizy et al., 1994 ; Turq et al., 1999 ; Costamagno et al., 2006) et la comparaison de plusieurs assemblages moustériens, châtelperroniens et aurignaciens ayant démontré l’absence de différences significatives dans la richesse taxonomique des gisements considérés (Grayson & Delpech, 2002).
Présentation du gisement
LOCALISATION DU SITE
La grotte des Fieux se trouve au lieu-dit Les Hauts-Fieux, à 3 km au nord ouest du village de Miers (Lot). Située dans la partie septentrionale du causse de Gramat, dans le Haut-Quercy, la grotte s’ouvre sur le plateau à 250 m d’altitude (fig-I.1). Le site est la propriété de la Communauté de communes du Pays de Padirac.
La Dordogne est la rivière la plus proche et coule à environ 6 km au nord du site ; il est possible d’y accéder par deux vallées sèches. La présence de la rivière ainsi que des vallées sèches sont considérées comme des critères déterminant l’installation de groupes humains aux Fieux ; le site se trouvant sur une voie d’accès naturelle qui pouvait être utilisée lors des migrations des troupeaux d’herbivores allant de la vallée aux causses et inversement (Champagne et al., 1996).
HISTORIQUE DES RECHERCHES
L’équipe du Spéléo-Club de Bergerac est à l’origine de la découverte du gisement. Accompagnés du propriétaire du site M. Caminade, les spéléologues tentaient d’accéder à la rivière souterraine de Padirac par un nouvel accès (fig-I.2). C’est ainsi que la grotte ornée des Fieux fut découverte le 2 novembre 1964.
En 1966, les travaux réalisés par le propriétaire, destinés à aménager l’accès à la grotte, mirent à jour des vestiges sauveterriens. Le propriétaire signala sa découverte à L. Méroc, alors directeur de la circonscription. Ce dernier demanda à F. Champagne et R. Espitalié d’entreprendre des fouilles archéologiques. De 1967 à 1998, les campagnes de fouilles furent dirigées par ces deux chercheurs, puis par F. Champagne seul, secondé par J. Jaubert et A. Fournier, puis P. Jauzon et Ph. Novel. En 1999, une campagne de fouille conduite par N. Valdeyron s’est limitée au porche Ouest et aux niveaux mésolithiques. Elle consistait en « une réfection des coupes, pour vérification et comparaison avec celles levées au moment de la fouille. Des prélèvements ont également été effectués, pour permettre la réalisation de différents types d’analyses (C14, palynologie, anthracologie, carpologie, sédimentologie) » (Valdeyron, 1999 : 131).
Un projet d’aménagement et de valorisation du site en vue de son ouverture au public est né en 1997, initié par la commune de Miers, la communauté de communes du Pays de Padirac et le Parc naturel régional des Causses du Quercy. Un aménagement a alors été mis en place pour permettre au public de visiter le site, mais aussi pour protéger les niveaux archéologiques, fortement détériorés par les intempéries en l’absence de couverture. Dans ce contexte, un diagnostic archéologique a été réalisé par l’Inrap pour évaluer « l’étendue et le degré de conservation de vestiges éventuellement présents » aux endroits où la structure métallique de protection sera érigée (Jarry & Salmon, 2003 : 7). Les sondages, réalisés autour du gisement archéologique, se sont tous révélés négatifs. Enfin, toujours dans la perspective d’une présentation au public, la rectification des coupes et la remise en état du site s’imposaient. Ainsi, un programme triennal de fouille, dirigée par V. Mourre s’est déroulé de 2007 à 2009. Cette opération avait également pour objectif de répondre à certaines interrogations suscitées par l’étude des collections archéologiques : nature des processus de mise en place des dépôts, datations des différentes couches, représentativité des assemblages osseux et surtout une meilleure connaissance de l’archéoséquence.
NATURE DU GISEMENT
Le réseau karstique s’est creusé en régime noyé au Tertiaire, au sein de calcaires lithographiques du Bathonien (Jurassique moyen). Le gisement des Fieux possède une topographie particulière puisqu’il s’agit d’une galerie en partie effondrée : bien qu’ayant été une grotte à l’origine, il est actuellement considéré comme un aven dans sa partie effondrée. Il s’avère difficile de retracer la genèse « de l’ouverture : effondrement de la voûte (…) ou effritement à partir d’un point de rupture avec comme conséquence le recul progressif des deux porches » (Champagne et al., 1990 : 1). Toutefois, les fouilles ont entièrement délimité la partie effondrée de la galerie, qui constitue le locus 1. « Au niveau du sol rocheux, son ouverture mesure 30 m de longueur sur une largeur maximale de 9 m, avec une orientation générale nord-ouest/sud-est » (Champagne et al., op. cit. : 2). Ce locus est divisé en secteurs (fig-I.3) : un secteur central encadré par les porches Est et Ouest. Dans la continuité de ce dernier, se trouve la grotte ornée. Un autre locus a été découvert lors d’un sondage dans le prolongement du locus 1 et correspondrait soit à un second effondrement de la galerie principale, soit à son prolongement par une faille ouverte vers un autre porche (Champagne et al., 1990).
DESCRIPTION DU MATERIEL ARCHEOLOGIQUE
LE LOCUS 2
Peu de vestiges archéologiques y ont été récoltés. L’industrie lithique est rapportée au Moustérien, mais serait plus ancienne que celle recueillie dans le locus 1 (Champagne, 1988). Elle fait actuellement l’objet d’un master à l’université de Paris X-Nanterre (G. Chataing, sous la direction d’E. Boëda). En raison de la faible quantité de vestiges fauniques, de leur mauvaise conservation et d’une attribution culturelle indécise, le matériel osseux du locus 2 n’est pas étudié dans le cadre de ce travail.
LA GROTTE ORNÉE
À l’origine de la découverte du gisement archéologique, la grotte ornée est classée comme Monument historique le 13 mars 1968. Une grille est mise en place en 1995 à l’entrée de la grotte pour protéger son accès. Dès la découverte de la cavité, la présence de mains négatives est constatée. Cette grotte ornée a fait l’objet de nombreuses publications (cf. notamment Glory, 1965 ; Nougier et Barrière, 1965 ; Méroc, 1967 ; Lorblanchet, 1984, 2004, 2010), notamment sur les mains négatives, les ponctuations et les gravures.
L’essentiel des figurations est rattaché à la phase ancienne de l’art paléolithique quercinois avec une phase gravettienne (mains négatives associées aux ponctuations comme à Pech-Merle, aux Merveilles ou à Roucadour) et une possible phase aurignacienne (gravures par piquetage). Les mammouths, gravés par incisions fines, pourraient être plus récents ; ils recoupent des traits piquetés et des mains négatives (Lorblanchet, 2004). La grotte est constituée d’une salle unique d’une trentaine de mètres de longueur sur une quinzaine de largeur à laquelle on accède par un couloir bas d’une vingtaine de mètres. Les figurations sont localisées sur un grand bloc isolé (fig-I.4), dans la première partie de la salle (un bouquetin, deux mammouths et une ligne dorsale de cheval notamment), mais aussi sur les parois dans la seconde moitié de la salle (mains négatives et ponctuations). Les premiers tracés se trouvent à 30 m de l’entrée. Un massif stalagmitique est interprété comme lithophone en raison de cassures présentes sur les concrétions.
Une vingtaine de silex taillés ont été récoltés (fig-I.5) mais aucune fouille n’a eu lieu dans la grotte proprement dite. Une « palette de peintre » a également été mise au jour, bloc de micaschiste (142 mm de long sur 95 mm de large) avec traces d’ocre rouge (fig-I.6). Aucun vestige faunique n’y a été recueilli.
Des datations par le radiocarbone ont été effectuées à l’issue de la campagne de fouille de 2007. Sept échantillons ont été envoyés au Poznań Radiocarbon Laboratory (Pologne). « Il s’agit exclusivement d’échantillons osseux prélevés en stratigraphie lors de la rectification de la coupe 30- 31, dans les niveaux du Paléolithique supérieur. L’objectif était de préciser la chronologie de cette partie de la séquence, et en particulier de dater la couche E » (Mourre et al., 2007 : 43). Les concentrations en azote et en carbone ont été mesurées, permettant de déterminer la fiabilité de datation des échantillons. Ainsi, un échantillon a été exclu en raison d’une concentration en azote trop faible (Fx.07 coupe WE 16-05) et pour quatre autres, le rapport carbone/azote laisse craindre une contamination du collagène par du carbone récent (Fx.07 31-I 1, Fx.07 31-0VI 6, Fx.07 31-0I 18 et Fx.07 31-0I 20). Un autre échantillon, pour lequel la datation est fiable, s’avère être en position secondaire (Fx.07 31-0II 3). Ainsi, une seule datation fiable peut être retenue (échantillon Fx.07 31-0VI 10) et concerne la couche F1c (cf. infra). « La couche E, rapprochée du Gravettien moyen-récent sur la base de critères techniques et typologiques (Guillermin 2006, Chalard et al. 2006), demeure donc partiellement calée chronologiquement puisque aucune date directe ni aucun terminus ante quem n’ont pu être obtenus à ce jour » (Mourre, op. cit. : 45). La couche E compte « plus de 21 000 lames brutes ou éclats de débitage et de très nombreux galets de toute dimension » (Champagne, 1986/87 : 66). La récente révision de la série lithique est limitée au matériel en silex du secteur central en raison de l’attribution incertaine du matériel du porche Est par rapport à la stratigraphie ; la majorité des vestiges est concentrée dans ce secteur central avec 19000 vestiges. Plus de la moitié des pièces sont de dimensions inférieures à 1 cm (Guillermin, op. cit.).
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Présentation du gisement, bases théoriques et pratiques
Chapitre I : Présentation du gisement
Chapitre II : Cadres conceptuels & méthodologie
Chapitre III : Eco-éthologie des mammifères présents sur le site
Partie 2 : Etude des ensembles osseux des niveaux Paléolithique
Chapitre IV : Etude paléontologique
Chapitre V : Couche Kouest (Kdenticulés & Kbase)
Chapitre VI : Couche Jouest
Chapitre VII : Couche Iouest
Chapitre VIII : Couche Ks
Chapitre IX : Couches G7 et I-J
Chapitre X : Couches G5-G6
Chapitre XI : Couche F2
Chapitre XII : Couches F1bc
Chapitre XIII : Couche E
Partie 3 : L’exploitation de la faune au Paléolithique en Quercy
Chapitre XIV : L’occupation du gisement des Fieux au Paléolithique, influences du climat et choix humains
Conclusions
Bibliographie
Annexes
Tables des figures
Tables des tableaux
Table des annexes
Tables des matières