Ecologie visuelle de la seiche

Définitions et principaux concepts

De nos jours, le bien-être animal est une question de plus en plus débattue et médiatisée dans tous les domaines de recherche en biologie. En effet, ces dernières années de plus en plus d’études et de textes de loi tentent de répondre aux attentes de la société en proposant des outils et des moyens pour améliorer le bien-être des animaux et son suivi notamment au sein des laboratoires, des zoos et des structures d’élevage. En laboratoire les études sur le bien-être des animaux sont réalisées sur des espèces « domestiquées » et/ou élevées en laboratoire depuis plusieurs générations. Pour les espèces les plus sauvages les individus testés en laboratoire sont issus de la reproduction d’un nombre restreint de reproducteurs d’une population sauvage. De plus, les individus élevés et testés en laboratoire sont des individus qui par définition ne sont pas soumis au processus de sélection naturelle par les prédateurs naturels, les parasites ou les modifications environnementales de leur milieu d’origine (Zecchini, 2002).

On sait aussi que chaque espèce a son propre univers (umwelt) réparti entre ses capacités sensorielles (ce que l’animal peut percevoir, merkwelt) et ses capacités motrices (ce que l’animal est capable de faire en réponse aux stimuli sensoriels, wirkwelt) (Von Uexküll, 1934). La vision d’un animal aquatique est dépendante de la structure de son œil mais également de l’information visuelle disponible dans son environnement. En milieu marin, de nombreux facteurs peuvent diminuer ou perturber l’information visuelle : la luminosité, la profondeur, la couverture nuageuse, la position du soleil, le courant, les propriétés du milieu (réfléchissant, absorbant), la couleur, mais également la turbidité. La présente thèse est financée par la région Normandie, intéressée par les facteurs pouvant expliquer la diminution de la population des seiches communes très pêchées au sein de sa région. Comprendre si la seiche peut être affectée par différents niveaux de turbidité afin de transférer nos données dans les politiques de conservation de l’espèce ou en aquaculture relève de l’éthologie appliquée. En milieu naturel ces seiches sont soumises à des variations de turbidité importantes notamment près des côtes où la turbidité peut être d’origine anthropique. Par définition la turbidité diminue la visibilité sous l’eau et la seiche, comme d’autres prédateurs chassant à vue, est donc une espèce qui a dû s’adapter aux contraintes imposées par cet environnement. Nous n’avons pas de données sur les comportements de la seiche commune dans un environnement turbide et en ce sens nos résultats seront intéressants du point de vue de l’éthologie fondamentale de cette espèce. Puisque le projet concerne la vision en eau turbide nous aborderons des questions liées à l’écologie visuelle de la seiche.

Aujourd’hui le même animal n’est pas considéré de la même façon s’il fait partie des animaux domestiques, des animaux d’élevage en vue de sa consommation ultérieure, des animaux utilisés à des fins scientifiques ou des animaux sauvages (Mormède et al, 2018). La perception même que l’on a de ces animaux s’en trouve modifiée. La mobilisation de la société sur la question de la condition animale et des problèmes éthiques que posent l’utilisation des animaux en recherche ont permis de reconnaître la sensibilité des animaux (Mormède et al, 2018). Pour arriver à ces conclusions il faut revenir quelques années en arrière avec les premiers travaux majeurs d’étude du comportement animal par Charles Darwin (avec L’Origine des Espèces en 1859). Ses observations rigoureuses de multiples espèces tout autour du globe (1831-1836) lui suggèrent l’existence d’un processus de sélection naturelle qui donnera sens à l’Evolution des organismes. Darwin affirme que les espèces changent au fil du temps et que les individus les plus adaptés survivent et se reproduisent plus que les autres (Darwin, 1859). Au sein des populations il existe une variation entre les individus et lorsque cette variation confère un avantage à ceux qui la porte (en termes de fitness) et que cet avantage est transmissible à leurs descendants la proportion d’individu portant cette variation augmentera au fil des générations dans la population et conduira à l’Evolution de l’espèce.

Malgré ces idées novatrices il faudra attendre près d’un siècle pour que trois chercheurs, Karl von Fritsch, Konrad Lorenz et Nikolaus Tinbergen fondent la discipline qui plus tard étudiera le comportement de toutes les espèces animales : l’éthologie littéralement la science (logos) des mœurs (ethos). Tous trois sont partis d’une connaissance approfondie du milieu naturel des espèces auxquelles ils s’intéressaient et ont observé les comportements naturels de ces animaux. Les travaux de Lorenz sur l’oie cendrée (Anser anser) ont permis de montrer que les comportements et les mécanismes sous-jacents sont adaptés. Il existe donc un lien entre les comportements découlant de l’instinct de l’animal (comportements considérés par lui comme « innés ») et ceux qui nécessitent un apprentissage (comportements considérés par Lorenz comme « acquis »). En tenant compte de ses travaux et de ceux de Lorenz, Tinbergen propose en 1963 (Tinbergen, 1963) de circonscrire l’éthologie à quatre questions fondamentales à propos d’un comportement : quels sont les facteurs qui le déclenchent ? A quoi sert-il  Comment apparaît-il au cours de la vie d’un individu ? Comment se met-il en place au cours de l’Evolution ?

A l’heure actuelle les domaines de réflexion de l’éthologie sont multiples : en éthologie humaine on tente d’appréhender les comportements humains en utilisant les mêmes méthodes que pour l’étude du comportement animal (Eibl-Eibesfeldt, 1979) ; en éthologie appliquée l’étude du comportement cherche à améliorer les relations humain-animal (Stauffacher, 1992), la conservation des espèces et le bien-être des populations animales captives (Stauffacher, 1992). Néanmoins étudier des animaux captifs ne dispense pas les chercheurs d’imaginer les conséquences et les différences qui existent entre les comportements d’animaux captifs et leurs congénères issus du milieu naturel. En effet entre ces deux groupes d’animaux les milieux ne sont pas les mêmes ce qui peut impacter leurs comportements. Une science qui à l’échelle la plus large étudie les interactions entre les organismes et leur environnement (Mackenzie et al., 2001) est l’écologie. Cette discipline aussi vaste que complexe peut être appréhendée à différentes échelles, du gène au comportement. Beaucoup d’espèces utilisent majoritairement la vue pour appréhender leur environnement. Etudier comment les systèmes visuels permettent aux espèces de survivre, comment ces systèmes visuels ont évolué pour accomplir certaines fonctions ou encore comment ils se sont spécialisés dans certaines tâches visuelles relèvent de ce qu’on appelle l’écologie visuelle. Parmi ces différentes questions l’écologie visuelle s’intéresse particulièrement à comment les animaux utilisent la vision dans leurs activités et leurs comportements naturels mais également si la vision peut s’adapter lorsque l’environnement change.

Les effets de la turbidité chez les animaux

La turbidité est une caractéristique optique de l’eau, à savoir sa capacité à diffuser ou absorber la lumière incidente. Elle dépend de la quantité de particules en suspension qu’elle contient : plus elles seront abondantes et plus l’eau sera turbide et opaque (Kirk, 1985). Les particules en suspension peuvent être minérales (limon, argile, sable), animales (zooplancton) ou végétales (algues, phytoplancton). Par ses propriétés physiques l’eau turbide diminue la visibilité sous-marine et laluminosité. Pour certains auteurs, la turbidité ne peut inhiber d’autres modalités sensorielles que la vue (Eiane et al., 1999 ; Ohata et al.,2011) et ne devraient pas affecter les prédateurs non visuels comme les méduses (prédateurs tactiles) ou les crabes (prédateurs olfactifs). Cependant il est possible que les particules en suspension interagissent avec les composés chimiques en milieu naturel (lesabsorbent) modifiant ainsi les informations olfactives (Lunt et Smee, 2015).

Dans les cas d’eutrophisation de lacs ou des littoraux, l’augmentation de la turbidité est problématique puisque la turbidité est le résultat d’un dérèglement du milieu d’origine. Cependant, certains environnements sont naturellement turbides (des fleuves comme l’Amazone ou le Gange). De multiples espèces animales se sont adaptées à ces environnements particuliers. Par exemple, chez les larves d’invertébrés, la turbidité permet d’augmenter l’activité des larves et leurs taux de croissance (Meutter et al.,2013). Néanmoins de plus en plus d’activités humaines augmentent la turbidité de certains milieux. Elles peuvent occasionner des perturbations importantes en particulier lorsque les espèces inféodées ne sont pas adaptées à l’eau turbide (Smith, 2003). L’un des exemples les plus connus de perturbations du milieu est l’eutrophisation qui apparaît lorsque des algues prolifèrent dans une zone donnée (après rejets anthropiques de nutrimentsgénéralement) jusqu’à obscurcir totalement les premiers mètres d’eau et bloquer la lumière pour tous les organismes pouvant conduire à une réduction de la diversité spécifique des plantes et des organismes marins par compétition pour l’accès à la lumière (Mäemets et al,2010). La seiche commune est une espècevivant en zone côtière plusieurs mois par an, c’est donc une espèce qui peut être soumise aux rejets terrigènes dus à l’urbanisation du littoral ou aux processus d’eutrophisation dû à la prolifération d’algues à cause du réchauffement climatique même sices phénomènes n’ont jamais été étudiés sur les populations de seiches communes.

Les effets de la turbidité ont été très étudiés chez les poissons (Ortega et al, 2020). Ce paramètre est ainsi capable de modifier la physiologie, la morphologie mais aussi les comportements de différentes espèces (Ortega et al, 2020, voir aussi Introduction partie III).Les effets de la turbidité dépendent également du type de particules utilisées pour obtenir del’eau turbide : de l’argile, des algues, du sable. Il a été montré que chez les larves de poissons, l’utilisation d’argile permettait de réduire les proliférations bactériennes : contrairement aux algues l’argile sédimente et est donc facile à nettoyer (Attramadal et al., 2012 ; Daugherty, 2013 ; Stuart et al., 2015 ; Pierce et al., 2019). Une turbidté composée de plusieurs particules de natures différentes peut également avoir un effet différent d’une turbidité constituée d’un seul type de particules (monotype). Les poissons étant des organismes qui respirent en filtrant l’eau, les premiers organes internes à être touchés par la turbidité sont les branchies : on a pu montrer qu’en eau turbide il y avait un changement de structure des branchies (diminution des espaces entre lamelles, augmentation de l’épaisseur des lamelles, espèce génération combien voir Sutherland, 2006). Néanmoins une étude semble montrer que ces transformations sont sans conséquence sur la respiration et l’efficacité de la transmission de l’oxygène (Cumming, 2016). Chez les huîtres et les moules, il y a un changement du rapport entre lèvre et branchies et un élargissement de ces deux organes chez certaines espèces (huîtres) lorsque les animaux sont élevés en eau turbide. La seiche commune (Sepia officinalis) est une espèce avec une large aire de répartition, on peut donc supposer qu’elle est adaptée à une gamme étendue deturbidité. Cependant l’effet de cette turbidité sur la respiration, la circulation de l’oxygène, l’accumulation de particules sédimentaires dans les branchies ou encore le développement d’adaptation physiologique pour compenser les effets de la turbidité n’ont jamais été étudiés chez cette espèce .

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I. DEFINITIONS ET PRINCIPAUX CONCEPTS
II. LES EFFETS DE LA TURBIDITE CHEZ LES ANIMAUX
III. EFFETS DES CONDITIONS DE CAPTIVITE ET D’ELEVAGE SUR LES ESPECES ANIMALES
IV. LA DIRECTIVE : QUELS CHANGEMENTS POUR LES CEPHALOPODES ?
V. PRESENTATION DU MODELE SEPIA OFFICINALIS
V.1. Phylogénie
V.2. Anatomie
V.3. Respiration
V.4. Ecologie
V.5. Comportements et physiologie sensorielle
V.6. Reproduction
V.7. Développement
V.8. Exploitation et aquaculture
VI. METHODES GENERALES
VII. SYNTHESE DES OBJECTIFS DE LA THESE
CHAPITRE 1 : LA SEICHE A-T-ELLE UNE PREFERENCE SPONTANEE POUR LE MILIEU TURBIDE ?
I. EXPERIENCE 1 : PREFERENCE INDIVIDUELLE ET TURBIDITE
II. EXPERIENCE 2 : PREFERENCE DE GROUPE ET TURBIDITE
III. BILAN DU CHAPITRE 1
IV. CONCLUSION
CHAPITRE 2 : TURBIDITE ET COMPORTEMENT PREDATEUR
I. EXPERIENCE 1 : INFLUENCE DE LA TURBIDITE DE L’EAU D’ELEVAGE SUR LE COMPORTEMENT PREDATEUR
II. EXPERIENCE 2 : TURBIDITE ET COMPETITION ALIMENTAIRE
III. BILAN DU CHAPITRE 2
IV. CONCLUSION
CHAPITRE 3 : TURBIDITE ET COMPORTEMENTS CRYPTIQUES
I. LE CAMOUFLAGE
I.1. Expérience 1 : Turbidité, condition d’élevage et camouflage individuel
I.2. Expérience 2 : Lien entre turbidité, condition d’élevage et camouflage de groupe
I.3. Expérience 3 : Turbidité et adaptation dynamique du camouflage
II. L’ENSABLEMENT
III. BILAN DU CHAPITRE 3
IV. CONCLUSION
CHAPITRE 4 : TURBIDITE, MATURATION DU SYSTEME VISUEL ET MODALITES SENSORIELLES UTILISEES AU COURS DE LA PREDATION
I. EXPERIENCE 1 : DEVELOPPEMENT DU SYSTEME VISUEL
II. EXPERIENCE 2 : MODALITES SENSORIELLES PRIVILEGIEES EN EAU TURBIDE
III. BILAN DU CHAPITRE 4
IV. CONCLUSION
CHAPITRE 5 : TURBIDITE ET ECOLOGIE EMBRYONNAIRE
I. SEPIA OFFICINALIS
I.1. Expérience 1 : Influence du site de ponte, de la couleur de la capsule de l’oeuf et du milieu d’élevage sur les capacités visuelles des seiches juvéniles
I.2. Expérience 2 : Influence de la couleur de l’œuf et du milieu d’élevage sur le comportement prédateur des seiches juvéniles
II. SEPIA PHARAONIS
II.1. Expérience 3 : Turbidité, camouflage et capacités visuelles chez une espèce d’eau claire (Sepia pharaonis)
III. BILAN DU CHAPITRE 5
IV. CONCLUSION 212
DISCUSSION ET PERSPECTIVES
I. TURBIDITE ET BIEN-ETRE
II. COMPORTEMENT PREDATEUR ET TURBIDITE
III. COMPORTEMENTS DEFENSIFS ET TURBIDITE
IV. SYSTEMES SENSORIELS ET TURBIDITE
V. ECOLOGIE SENSORIELLE DE L’EMBRYON ET TURBIDITE
VI. CONCLUSIONS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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