L’urbanisation, l’écosystème urbain et les nouveaux enjeux de l’écologie urbaine
L’Humain est l’espèce dominante sur Terre et aujourd’hui, presque toutes les parties de la surface de la Terre sont directement ou indirectement influencés par l’activité humaine (Vitousek et al. 1997). La plupart des espèces se trouvent dans des écosystèmes gérés plus ou moins intensivement par l’homme. Seulement une petite fraction de la biodiversité vie dans des zones protégées (Pimentel et al. 1992; Hoekstra et al. 2005). Et, l’utilisation des terres des paysages adjacents influence la diversité biologique dans ces zones (Pimentel et al. 1992; Bengtsson et al. 2003). En écologie, un écosystème se définit comme un ensemble formé par un environnement (le biotope) et l’ensemble des espèces (la biocénose) qui y vivent, s’y nourrissent et s’y reproduisent. La diversité biologique est importante pour la stabilité du fonctionnement des écosystèmes en cas de perturbation, pour leur résilience (i.e. capacité à absorber une perturbation, à se réorganiser, et à continuer de fonctionner de la même manière qu’avant) (Elmqvist et al. 2003), ainsi que pour l’établissement des générations futures (Ehrlich & Wilson 1991). Les humains dépendent de biens et de services fournis par d’autres espèces au travers d’interactions intraspécifiques au sein des écosystèmes (Daily 1997). En règle générale, les écologistes et les biologistes de la conservation ont tendance à se concentrer sur les milieux présentant une faible densité de population humaine (Worster 1994; Miller & Hobbs 2002), dominés par des activités humaines (milieux agricoles) ou très peu modifiés par l’homme (milieux semi‐naturels). Cependant, si nous voulons conserver et utiliser la diversité biologique d’une manière durable, il est important d’étudier également les milieux peuplés (milieux urbanisés). La conservation et la restauration des habitats indigènes dans ces milieux ont aussi une valeur sociale, récréative et éducative (Niemelä 1999; Miller & Hobbs 2002).
La résultante : l’écosystème urbain
Parmi les activités humaines qui ont modifié les écosystèmes et leur fonctionnement, les plus importantes sont l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture (Wilcox & Murphy 1985; Burel et al. 1998; McKinney 2002, 2008;Ricketts & Imhoff 2003). Il n’y a encore aucune définition exhaustive de ce qui est urbain (McIntyre, Knowles‐Yánez & Hope 2000), ni d’ailleurs de ce qui est rural (Theobald 2004). Une multitude de façons de décrire le degré d’anthropisation a été utilisée : subjectivement, en utilisant des transects ou cartographie de la couverture terrestre, la densité de population, la densité de logement/construction et densité routière (Theobald 2004). Souvent, les descriptions d’urbanisation ont été unidimensionnelles à l’aide uniquement de mesures paysagères pour décrire le gradient, tout en négligeant les caractéristiques de la population humaine vivant dans la région (Kinzig et al. 2005). La forte empreinte de l’homme fait de l’écosystème urbain un écosystème tout à fait original, soumis à toutes les formes de contraintes anthropiques (diverses pollutions, perturbations liées à la simple présence de l’homme, et impact des modifications du paysage ; Venn, Kotze & Niemelä 2003). Les villes représentent une forte domestication humaine des paysages, et ce qui se passe aujourd’hui dans les écosystèmes des milieux urbains peut apparaître à l’avenir dans d’autres milieux (Venn, Kotze & Niemelä 2003). Par conséquent, l’étude des écosystèmes urbains peut révéler des informations des effets anthropiques sur les écosystèmes, ce qui pourrait être utilisé pour prédire les futurs changements dans d’autres milieux. Comme les humains dominent les écosystèmes urbains, ils établissent les bases pour toutes les autres espèces présentes (Alberti et al. 2008), par exemple par le biais de changements physiques du paysage qui accompagnent la construction des immeubles ou des routes. Bien que l’urbanisation ne soit pas uniforme à travers le monde, les villes contiennent des éléments similaires qui sont créés pour répondre aux besoins des espèces, et la nôtre en particulier (McKinney 2006).
Qu’est ce qu’un service écosystémique ?
Les premiers à donner une définition du concept de service écosystémique sont Ehrlich & Mooney (1983). Ils mentionnent que «les écosystèmes sont une source importante du bien‐être humain et que la dégradation des biocénoses affecte leur fonctionnement et donc les services que les humains en retirent». Quelques années plus tard, Daily (1997), a défini les services écosystémiques comme « les conditions et processus à travers lesquels les écosystèmes naturels et les espèces qui les composent soutiennent et respectent la vie humaine ». Costanza et al. (1997) ont évalué la valeur des services écosystémiques et du capital naturel à 33 milliards de dollars. Finalement, une définition du concept a été publiée dans le rapport du Millenium Ecosystem Assessment (MEA) : les services écosystémiques sont les bénéfices que les humains retirent des écosystèmes sans avoir à agir pour les obtenir (PNU 2005). Ils sont classés en quatre catégories : (1) les services d’ « entretien » ou de « soutien » (recyclage des nutriments, photosynthèse), (2) les services d’ « approvisionnement » (biens directement exploitables par l’Homme tels que l’eau douce, le bois ou les aliments), (3) les services de « régulation » (régulation du climat, filtration de l’eau par les sols, pollinisation) et (4) les services « culturels » (vision esthétique, récréative ou éducative des écosystèmes ; Figure 2). Comme exemples de services écosystémiques, on peut citer la pollinisation des cultures et des plantes sauvages, la lutte biologique contre les insectes nuisibles, la purification de l’air et de l’eau, et la désintoxication et décomposition des déchets (Daily 1997). Kremen & Ostfeld (2005) ont souligné l’importance de comprendre comment l’activité humaine affecte les espèces et les groupes fonctionnels qui fournissent ces services. La pollinisation en est un bon exemple. Dans les milieux urbains des pays les plus développés, la pollinisation au sein de la ville est importante pour la reproduction des plantes ornementales des jardins privés ou publics. Dans d’autres parties du monde, par exemple dans de nombreuses villes africaines, les citoyens sont dépendants de l’agriculture urbaine pour la production alimentaire (Bryld 2003). Si la biodiversité des écosystèmes urbains n’est pas prise en compte, nous risquons de perdre la possibilité de nous adapter aux besoins futurs. De plus, les espaces verts dans les villes peuvent fournir une multitude d’autres services écosystémiques, tels que la réduction du bruit, le drainage de l’eau de pluie. Ils ont également des valeurs récréatives et culturelles importante pour les humains (Bolund & Hunhammar 1999).
Socialité et parasitisme
La socialité serait l’une des étapes clé de l’évolution du vivant, étape que peu d’espèces auraient franchi. Comme dans tout procédé évolutif, il existe une certaine variabilité de caractères entre les espèces. On distingue plusieurs degrés et modalités dans le comportement social allant de strictement solitaire à totalement social. Chez les abeilles solitaires chaque femelle fabrique son propre nid composé de quelques cellules larvaires et meure souvent avant l’émergence de leur progéniture (Michener 2007). Ce comportement caractérise la grande majorité des abeilles, soit près de 85%. Certaines espèces sont grégaires, c’est‐à‐dire que les individus vivent groupés en échangeant des signaux chimiques, visuels, tactiles, mais fabricant leur nids individuellement. Parmi les espèces grégaires, on retrouve par exemple certaines Halictidae (ex. H. hesperus), certaines Colletes spp. (ex. C. cunicularius) ou encore certaines Andrenidae (ex. A. vaga) (Michener 2007). Chez les espèces quasisociales, les femelles forment un nid commun où les femelles coopèrent (espèces communales) ou non (espèces coloniales). Enfin, les abeilles eusociales réunissent trois caractéristiques le chevauchement des générations, la coopération dans les soins parentaux et la division du travail avec des castes d’individus (Michener 2007). Il existe aussi des abeilles parasites qui présentent des comportements différents selon les espèces. Elles pondent leurs œufs dans les cellules construites par leur(s) espèce(s) hôte(s). Leurs larves se développent alors aux dépens de celles pour lesquelles la nourriture a été stockée. Le genre Nomada spp., par exemple, regroupe des espèces cleptoparasites (ou abeilles‐coucous). Les adultes pondent leurs œufs dans les nids d’autres espèces d’abeilles, des Andrena spp. principalement, et les larves se nourrissent des réserves de nectar et de pollen accumulées par l’espèce hôte.
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Table des matières
Remerciements
Sommaire général
Introduction Générale
I. L’urbanisation, l’écosystème urbain et les nouveaux enjeux de l’écologie urbaine
I A. L’urbanisation : un exemple de perturbation forte
I B. La résultante : l’écosystème urbain
I C. L’impact sur la biodiversité
II. La pollinisation et les relations plantes‐pollinisateurs
II A. La pollinisation, un exemple de service éco‐systémique
II A 1. Qu’est ce qu’un service écosystémique ?
II A 2. La pollinisation
II B. Les insectes pollinisateurs
II C. Les interactions et les réseaux plantes‐pollinisateurs
II C 1. Les interactions et l’approche en réseaux
II C 2. Les réseaux plantes‐pollinisateurs
II C 3. La spécialisation dans les réseaux
III. Les Anthophila, des pollinisateurs diversifiés mais en danger
III A. Présentation générale
III B. Les traits fonctionnels des abeilles
III B 1. Reproduction et développement
III B 2. Socialité et parasitisme
III B 3. Le comportement de nidification
III B 4. Le comportement de butinage
III B 5. La distance de vol
III C. Le déclin des abeilles
III D. Les conséquences du déclin des abeilles
Chapitre 1: Changements de composition d’une communauté d’abeilles le long d’un gradient d’urbanisation
Avant propos et résumé
Abstract
I. Introduction
II. Materials and methods
II A. Study sites
II B. Wild bee surveys
II C. Landscape structure
II D. Data analyses
III. Results
III A. Characterization of the bee fauna
III B. Abundance and species richness
III C. Bee community composition and structure
IV. Discussion
Chapitre 2: Les relations plantes‐abeilles le long d’un gradient d’urbanisation
Avant propos et résumé
Abstract
I. Introduction
II. Material and methods
II A. Study site
II B. Bee survey
II C. Data analysis
II D. Correcting for potential methodological biases
III. Results
III A. Characterization of networks
III B. Evolution of specialization
III B 1. Network metrics
III B 2. Bee functional trait
III C. Floral functional traits
IV. Discussion
IV A. Generalization of plant‐bee interactions
IV B. The effect of plant functional traits in urbanized environments
IV C. Management implications and conclusions
Chapitre 3: La nidification des abeilles dans des aménagements pour la nidification en milieux urbanisés
Avant propos et résumé
Abstract
I. Introduction
II. Materials and methods
II A. Study sites
II B. Man‐made nesting structures
II B 1. Soil squares
II B 2. Bee hotels
II C. Recordings
II C 1. Soil squares
II C 2. Bee hotels
II D. Data analyses
III. Results
III A. The wild bee fauna that used our man‐made nesting structures
III A 1. Soil squares
III A 2. Bee hotels
III B. Diachronic analyses: the evolution of colonization over time
III C. Synchronic analyses: the influence of the age of the nesting site
III D. Differences of nesting among the substrates
IV. Discussion
IV A. Use of man‐made nesting structures in an urban environment
IV B. Nesting fidelity
IV C. Parasitism
IV D. Substrate selection
IV E. Management implications and conclusions
Discussion et perspectives
I. Les milieux périurbains : des habitats au service de la diversité
I A. Les milieux périurbains: l’interface entre ville et campagne
I B. Le concept d’hétérogénéité de l’habitat
I C. Une urbanisation moyenne pour une forte hétérogénéité
II. La ville : un filtre écologique
II A. Le concept d’espèces urbanophiles
II B. Les abeilles urbanophiles : réalité ou fiction ?
II C. Les atouts du milieu urbain pour les abeilles
III. Les aménagements pour la nidification: une ressource utile aux abeilles en milieu urbain
III A. L’efficacité des aménagements pour la nidication
III B. La philopatrie
III C. Parasitisme et autres formes négatives d’interactions interspécifiques
Bibliographie
Annexes
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