Ecologie et chorologie d’une famille de lépidoptères méconnue

Introduction générale

                De nombreux programmes de conservation de la nature se basent sur l’analyse de données d’occurrences de taxons en lien avec la répartition spatiale des espèces. Les inventaires d’espèces constituent un support indispensable pour la connaissance et la conservation de la biodiversité (Touroult et al. 2012 ; Costello et al. 2013). Cependant, l’utilisation des données d’occurrence dans le cadre de la Stratégie Nationale pour la Biodiversité nécessite au préalable une analyse de la qualité de la donnée (Chapman, 2005). Le principal problème associé à l’analyse des données de répartition des espèces est l’analyse de l’absence (GuilleraArroita, 2017). Il est important d’avoir des informations sur (1) la pression d’échantillonnage (MacKensie & Royle, 2005), (2) la détectabilité de l’espèce (Yoccoz et al. 2001) et (3) la niche écologique de l’espèce (Guisan & Thuillier, 2005). Les données d’occurrence utilisées pour l’analyse de la répartition des espèces sont très majoritairement des données opportunistes. Depuis peu, on peut évaluer la pression d’échantillonnage et la détectabilité de l’espèce à partir de ces données (Kéry et al. 2010). Cependant, une démarche uniquement basée sur ce type de données peut générer de nombreux biais dû essentiellement à la non-connaissance des motivations réelles des observateurs (Kéry, 2011 ; Isaac & Pocock, 2015). L’analyse des données opportunistes est plus performante si elle est couplée avec des jeux de données standardisées par un protocole (Schmeller et al. 2015). Dans le cadre des inventaires nationaux, on privilégie les deux approches lorsque cela est possible (Dupont et al. 2014). De manière générale, la collecte de données d’occurrence passe par des problèmes liés à l’échantillonnage. Les difficultés peuvent dépendre de la taille de la population, de la détectabilité d’une espèce et plus globalement de l’écologie du taxon étudié. Pour de nombreux organismes de faibles tailles comme certains groupes d’insectes, il n’est pas possible d’avoir des données d’occurrence à vue à la différence de la majorité des grands mammifères (Berteaux et al. 2018). Chez la majorité des insectes holométaboles, les stades larvaires sont associés à des milieux de vie très différents. Par exemple, la très grande majorité des Lépidoptères sont phytophages au stade chenille et consommateur de nectar au stade adulte. La mise en place d’un protocole d’échantillonnage pour la collecte de données d’occurrence sur les chenilles est la plupart du temps difficile car la détectabilité est faible. En effet, la majorité des chenilles sont endophytes ou ont des mœurs nocturnes. La phase adulte est majoritairement ciblée par la collecte des données avec différentes techniques. Très souvent des pièges attractifs sont utilisés en lien avec les capacités de déplacements généralement beaucoup plus importants des adultes (pièges à appâts, pièges lumineux, pièges à phéromones, …). Ceci a pour conséquence une analyse des données centrée sur l’habitat des adultes et non pas l’habitat de l’espèce, sachant que l’habitat larvaire est souvent très différents (Turlure et al. 2009). Les Sésies sont des lépidoptères ou plutôt des Hétérocères (Papillon de nuit) de petite taille à activité diurne dont leur spécialité est d’imiter bien souvent des hyménoptères (famille des guêpes). Ce procédé est dénommé mimétisme batésien et sera développé par la suite. Cette famille de Lépidoptères a la particularité de renfermer des espèces dont l’observation est principalement liée à l’utilisation d’une technique d’attraction avec des phéromones. En effet, la détectabilité des espèces est très faible, aussi bien au stade adulte qu’au stade chenille. C’est depuis les années 1990, que le nombre de données d’observations de Sésies à réellement augmenté (cf. figure 1). Cette considérable augmentation du nombre de données recueillies s’explique par la mise en vente de phéromones de synthèses sur le marché par différents laboratoires. Avant 1990, le nombre de données annuelles étaient très faible, en dessous de 100 par an. Désormais, l’acquisition des phéromones de synthèses permet chaque année de récupérer plusieurs milliers de données. Après une description plus précise de ce groupe et du contexte de nos travaux, nous présentons dans ce rapport, un protocole pour l’acquisition de données proche de la « façon de faire » des naturalistes recherchant les espèces de ce groupe. Nous présentons ensuite, les résultats d’une modélisation de la niche écologique de certaines espèces comme aide à la prospection utilisée dans le cadre de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel coordonné par le Muséum National d’Histoire naturel. Après une discussion concernant les résultats obtenues dans le cadre de ce stage nous présentons des prospectives d’études sur les Sesiidae permettant une meilleure connaissance de la répartition de ce groupe et des paramètres biologiques associés

Chamaesphecia palustris

              Cette espèce est très localisée, seulement observée entre 1908 et 1930 dans les marais du sud-ouest des Deux-Sèvres, et non revue depuis. Une publication relate de l’espèce (Dutreix, C. & Perrein, C. 2002). Au vue de l’évolution du site et de sa gestion, l’espèce pourrait avoir totalement disparue. Ceci s’explique du fait que les marais qui abritaient cette Sésie, ont été dégradés, remembrés, je cite « assainie » comme évoqué dans l’article et le bouleversement des systèmes agro-pastoraux a été néfaste à la biodiversité de ces sites tant exceptionnels et rare à la fois. Les chances de recontacter l’espèce dans ces milieux sont quasi nulles. Cependant, il y a peut-être une infime chance, cas de certaines espèces déclarées disparues dans un secteur géographique mais retrouvées plusieurs décennies plus tard. Il est donc possible que C. palustris est trouvé une micro-niche écologique, la préservant de l’action de l’Homme. Cette Sésie se recherche principalement à vue dans les marais abritant son unique plante nourricière, l’Euphorbe des marais (Euphorbia palustris), de la fin juin à la mi-juillet. Actuellement, aucune phéromone de synthèse commercialisée n’attire ce lépidoptère. Par conséquent, les difficultés de déterminations des Sésies ont engendré des erreurs dans les collections et les citations, raison pour laquelle il faut être vigilant avec les anciennes données évoquant la présence d’espèce dans des milieux où actuellement aucun spécimen n’a été retrouvé de nos jours. Ce critère est à prendre en compte mais pour Chamaesphecia palustris, l’artificialisation des milieux et l’urbanisation sont des paramètres à prendre en compte. Le développement de notre société consumériste a visé pour seul but d’accroitre la production. En délaissant et oubliant que la nature a fait vivre leurs aïeux qui cultivaient de manière raisonnée la nature et les paysages environnants. Les milieux ont peu à peu été dégradés, la fragmentation des habitats a créée des barrières physiques entre les populations de cette espèce qui ne se dispersaient peu ou pas et de ce fait engendrer une perte de la dynamique des populations comme celles du marais du Bourdet (Deux-Sèvres), qui ont fini par disparaitre. Le drainage, l’intensification des cultures, le remembrement, l’utilisation de produits néfastes au développement de la Sésie des marais sont également à prendre sérieusement en compte.

La standardisation d’un protocole

                 L’utilisation de phéromones de synthèses permet d’obtenir des données de répartition fiables sur la famille des Sesiidae. Des protocoles de standardisation de données sont connus (Ichter, J. et al. 2014) mais aucun ne traite du cas des Sesiidae. Pour se faire, la mise au point d’un protocole est indispensable, sur la base des recherches menées durant ces deux années en collaboration avec Pascal Dupont, il a été possible de concevoir le premier protocole permettant d’attirer la plupart des Sésies connues en France métropolitaine. Les données collectées durant les prospections de terrain, sont donc des données d’occurrences issues du protocole standardisé paru dans oreina n° 33 de mars 2016 : « L’attraction des Sésies par phéromones. Vers l’élaboration d’un protocole standardisé (Lep. Sesiidae) » publié par Pascal Dupont et moi-même (cf. annexe 8). A la suite de la collecte de ces données, en combinant celles de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) ainsi que celles du Global Biodiversity Information Facility (GBIF), le logiciel Maxent a été utilisé pour comparer ces données entre les prédictions du modèle issu de Maxent et les répartitions réelles des espèces traitées. Le but était de contrôler la pertinence du modèle et des données collectées. Cela permet de vérifier la répartition potentielle d’une espèce issue du modèle théorique à la réalité de terrain. En faisant cette comparaison, il sera plus aisé de se focaliser sur les secteurs à échantillonner en priorité par rapport à d’autres qui ont peu de chance d’abriter l’espèce recherchée. Standardiser ces données pour cette famille est une méthode indispensable aux experts et permettra de modéliser ces données sous différents logiciels de traitements d’informations. Cette étape s’apparente comme un filtre et sera le plus efficace au moment où les données seront basculées de CardObs sur le site de l’INPN. A ce moment précis, les données aberrantes ne seront pas retenues et pour celles conservées en base INPN et GBIF, les experts n’auront plus qu’à vérifier ces données prétraitées. Ainsi, plus de données pourront être traitées dans un laps de temps plus restreint. De plus, les cartes de répartition seront plus fiables et utilisables pour les structures liées aux problématiques environnementales et de gestion des milieux naturels. Le protocole d’acquisition de données mise au point va permettre au plus grand nombre de passionnés et d’experts d’obtenir des données protocolées dites d’occurrences, exploitable pour de futures recherches et travaux traitant de ces insectes. Ce protocole, va servir de base de travail pour comparer les résultats obtenus après échantillonnage avec l’outil Maxent dans un but de déterminer l’efficacité du protocole élaboré sur le long terme.

La modélisation de niche pour les dix espèces comptant le plus de données à ce jour

                La modélisation de niche écologique passe par une analyse de données d’occurrences. Les données d’occurrence utilisées pour la modélisation de niche proviennent principalement de la base de données de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) et sont basées sur un maillage national de 10×10 km. Une série de critères sont établis pour trier les données d’origine (cf. annexe 5) afin d’aboutir sur les 10 espèces avec le plus de données fiables à intégrer dans le travail de modélisation. Une autre base de données a été consultée pour la modélisation, le Global Biodiversity Information Facility (GBIF, http://www.gbif.org) qui est une base internationale de données en libre accès, financée par les gouvernements. Elle permet d’accéder aux occurrences mondiales concernant plus d’un million d’espèces. Les données GBIF ont été téléchargées pour la modélisation des 10 espèces retenues dans le logiciel R, à travers la fonction gbif du package dismo (Hijmans et al., 2011). Ces données sont très hétérogènes et partiellement validées. Après avoir retiré toutes les occurrences non confirmées, les données restantes ne sont pas suffisantes pour modéliser les espèces retenues à l’échelle de l’Europe. Pour avoir une estimation précise de la niche d’espèces dans l’aire considérée, ici à l’échelle de la France, les données collectées en 2015 et 2016 durant mes prospections de terrain, ont été rajoutées dans la modélisation (données saisies sous CardObs). Pour effectuer cette analyse, le logiciel Maxent a été utilisé pour le traitement des données à l’aide de variables. Pour la modélisation de niche, les variables considérées sont des variables climatiques. La résolution soulève un problème dans le choix des déterminantes écologiques. La résolution considérée dans cette étude s’appuie sur des variables discriminantes relatives au climat. Ces variables climatiques jouent un rôle dans la discrimination des sites de distributions des espèces de Sésies (Peacock, L., Worner, S., & Sedcole, R. 2006). Toutes les couches environnementales sont re-projetées en Lambert-93 et croisées avec le maillage 10×10 km de la France continentale pour que chaque pixel corresponde à une maille de la grille et que chaque maille soit associée à une valeur de la variable. Le but étant d’obtenir pour chaque variable environnementale une matrice à la même résolution et sur la même étendue que les données d’occurrence. Les données d’occurrence sont aussi rastérisées. Bioclim. est constitué de 19 variables bioclimatiques en WGS84, à la résolution de 30 arc-seconds (~1 km), appartenant à l’ensemble de couches WorldClim version 2.0 (Hijmans et al., 2005) et représentatives du climat actuel (période 1960-1990). Ces données sont téléchargeables via le portail http://worldclim.org/, qui met également à disposition des projections climatiques futures et passées, idéales pour modéliser l’évolution des distributions géographiques dans le temps. Les données Bioclim sont issues de la synthèse de séries de valeurs mensuelles de température et de précipitations. Ces indicateurs sont développés afin de représenter des variables climatiques significatives en biologie (amplitude thermique, température moyenne du trimestre le plus sec, précipitations du mois le plus froid…) et sont donc idéales pour la modélisation de la distribution d’espèces. Ces données sont disponibles en format raster qui couvre le globe dans sa globalité et représentent des tendances annuelles et saisonnières, ainsi que des valeurs extrêmes considérées comme des facteurs potentiellement limitant pour les organismes biologiques. Les 19 couches Bioclim ont été découpées et projetées grâce à une interpolation bilinéaire, sur le maillage 10×10 km (cf. figure 7). Une variable ici n’est pas utilisée pour la modélisation de niche, celle de la plante-hôte. Cette variable n’est pas disponible avec Bioclim, ce qui signifierait l’ajout d’une 20ème variable (cf. figure 30 et 31).

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Table des matières

I. Introduction générale
1. Le groupe des Sésies, des lépidoptères particuliers
a) Description du groupe taxonomique (particularité principale : trait de vie)
a) La répartition des espèces en France (répartition départementale et les lacunes)
b) Spécificité du groupe pour la collecte des données (méthode des phéromones)
2. Problématique de la collecte des données chez les Sésies
a) La standardisation d’un protocole
b) Faciliter les zones de recherche en France par la modélisation de niche
II. Le protocole d’acquisition de données de Sésies
1. Matériels et méthodes
2. Résultats
3. Discussions et Conclusions
III. La modélisation de niche comme aide à la prospection
1. Introduction de la problématique. Modélisation de niche comme aide à la prospection
2. Matériels et méthodes
a) La modélisation de niche pour les dix espèces comptant le plus de données à ce jour
b) Analyse de la pertinence du modèle en regardant l’adéquation entre ce que prédit le modèle et ce que donnent les prospections
3. Résultats
a) Le modèle pour quelques espèces
b) L’adéquation modèle/nouvelles données d’occurrence
4. Discussion (pertinence du modèle, lacune de paramètre pour la modélisation de niche)
IV. Conclusions générale et perspectives
1. Conclusion générale
2. Perspectives d’avenir
Bibliographies
Annexes
1. Taxonomie des Sesiidae
2. Phénologie
3. Phéromones
4. Preuves
5. Niveau de validation automatique des données
6. Exemple d’une fiche espèce
7. Bioclim_variables
8. Protocole standardisé publié dans la revue OREINA

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