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Cycle de vie du virus dans les cellules hôtes
➢ Entrée du virus dans la cellule hôte
Le virus entre dans la cellule hôte majoritairement via un mécanisme de macropinocytose. Cependant les étapes précises de la fixation du virus à la cellule hôte ne sont que partiellement connues à ce jour.
Concernant le mécanisme d’attachement du virus à la cellule hôte, deux particules virales de l’enveloppe du virus sont impliquées : la glycoprotéine GP (notamment la GP1) et les phosphatidylsérines. Elles vont toutes deux se lier aux TAM, protéines kinases situées sur la face externe de la membrane plasmique de nombreuses cellules hôtes. Ce mécanisme va permettre d’amarrer le virus à la cellule. L’entrée du virus fait intervenir différents mécanismes d’endocytose. Le mécanisme majoritaire est celui de la macropinocytose où le virus entre dans la cellule en étant inclus dans un endosome.
L’endocytose est favorisée par un environnement à pH acide médié par la GP.
Après pénétration dans la cellule, le virus se trouve dans un endosome et va devoir s’en libérer en fusionnant son enveloppe avec la membrane de l’endosome. Cela est possible grâce au clivage de la GP2 par les cathepsines, libérant ainsi un domaine sur la protéine GP2 capable de fixer la NPC1. Cette dernière est située dans les endosomes, et joue un rôle important de restructuration des membranes plasmiques, par le transport du cholestérol. L’ensemble de ces mécanismes va permettre de faciliter la libération des particules virales dans le cytoplasme (16,17). La Figure 7 ci-dessous illustre parfaitement ce mécanisme.
Figure 7 : mécanisme d’entrée du virus dans la cellule hôte par macropinocytose. 1) 2) 3) Le virus se lie à la membrane plasmique grâce à des facteurs d’attachement et active le mécanisme de macropinocytose puis est transporté au cœur de la cellule via des complexes protéiques (Rab5, Rab7, HOPS). 4) 5) 6) La GP est clivée par les cathepsines et va interagir avec la protéine NPC1 afin de fusionner les membranes virales et cellulaires et libérer les particules virales dans le cytoplasme (17).
➢ Transcription et réplication
Lorsque le virus a libéré son matériel génétique et ses protéines dans le cytoplasme de la cellule hôte, la transcription et la réplication virale vont débuter. L’ARN viral génomique, de polarité négative, va être libéré du complexe ribonucléoprotéique (RNP) grâce à la protéine virale VP35. Cet ARN génomique viral (brin de sens négatif) va donc pouvoir être transcrit directement en ARNm qui seront traduits en protéines virales par la machinerie cellulaire. L’ARN génomique va également permettre de synthétiser un brin d’ARN complémentaire (sens +) qui servira de matrice pour répliquer l’ARN génomique. L’ensemble de ces composants, ARN génomique et protéines virales, va pouvoir ensuite être assemblé afin de produire de nouveaux virions qui iront infecter les cellules voisines (16).
➢ Assemblage et bourgeonnement des virions
L’assemblage des virions débute par la formation de nucléocapsides qui vont être transportées vers les zones de bourgeonnement, en périphérie de la membrane plasmique où les protéines virales GP, VP24, NP et VP40 auront un rôle à jouer pour conférer au virus sa forme finale le faire bourgeonner hors de la cellule. Les mécanismes sont encore mal connus. On sait par exemple que la fixation de la VP40 aux phosphatidylsérines situées sur la face interne de la membrane plasmique joue un rôle majeur dans le processus de bourgeonnement. En même temps, la protéine GP2 va bloquer l’action de la téthérine, une protéine de surface cellulaire activée par les interférons alpha pour empêcher le bourgeonnement du virus à la surface de la cellule. L’ensemble de ces mécanismes va permettre aux virions de bourgeonner et d’être libérés en dehors de la cellule. L’enveloppe du virus est ainsi constituée d’une partie de la membrane plasmique de la cellule hôte.
Il a également été observé que les virus pouvaient bourgeonner à partir des endosomes tardifs et corps multivésiculaires à l’intérieur des cellules. Cela permet au virus d’utiliser une seconde voie d’infection des cellules voisines via les exosomes. Cette voie, bien que limitée, permet de répandre l’infection rapidement (16).
ECO-EPIDEMIOLOGIE ET MODES DE TRANSMISSION DU VIRUS
Pendant longtemps, il a été compliqué de déterminer la provenance du virus au cours des épidémies. Des études récentes ont permis de déterminer les espèces animales réservoirs du virus et celles qui étaient des hôtes ainsi que de cartographier la répartition de ces animaux sur le continent africain. Dans cette partie, nous essayerons de comprendre la transmission du virus Ebola de l’homme à l’animal ainsi que les réservoirs du virus.
Les hôtes réservoirs et hôtes finaux
Trois chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodidae ont été identifiées comme étant le réservoir du virus Ebola en Afrique : Epomops franqueti, Hypsignatus monstrosus et Myonycteris torquata (Figure 9). C’est-à-dire qu’elles abritent en permanence le virus dans leur organisme, sans développer une infection mortelle. Ces espèces sont donc responsables de la persistance du virus Ebola dans l’écosystème entre les épidémies, principalement de la souche Zaïre. Leur territoire s’étend de l’Afrique centrale à l’Afrique de l’ouest, où se situe précisément la forêt tropicale (Figure 10). Cette vaste zone coïncide également avec les pays d’Afrique qui ont connu des épidémies à répétition comme la République Démocratique du Congo (13).
L’Homme, les grands singes, les chimpanzés, d’autres chauves-souris ainsi que des animaux de la brousse, tels que les antilopes, constituent des hôtes sans issue pour le virus. En effet, l’infection engendre la mort de l’hôte en déclenchant une fièvre hémorragique ou bien est éliminée de l’organisme après guérison. Les animaux sauvages sont contaminés en se nourrissant de fruits ayant été en partie consommés par les chauves-souris réservoirs. La maladie Ebola chez l’Homme est qualifiée de zoonose. Elle se transmet par contact avec les animaux sauvages, notamment en consommant de la viande de brousse ou des fruits qui ont été contaminés par les chauves-souris (13). Le cycle écologique du virus Ebola est illustré dans la Figure 11 et peut se diviser en deux cycles :
– Le cycle enzootique, correspondant à la transmission du virus au sein des chauves-souris réservoirs.
– Le cycle epizootique, correspondant à la transmission du virus depuis les chauves-souris réservoirs aux primates, chimpanzés, antilopes, autres chauves-souris et à l’homme.
Modes de transmission interhumaine
La contamination interhumaine est due aux contacts étroits et directs des malades avec des individus sains. La transmission se fait lors du contact d’une peau lésée ou des muqueuses (buccales, conjonctivales) avec les fluides corporels infectés, tels que le sang, les selles et les vomissements, qui sont les plus infectieux. Ils sont particulièrement accrus lors de la prise en charge médicale des malades sans précautions d’isolement ni de matériel stérile. Le virus peut également se transmettre lors des soins dispensés par les guérisseurs ou encore lors des inhumations, durant lesquelles les rites funéraires ancestraux impliquent la manipulation du corps du défunt par de nombreuses personnes pendant plusieurs jours. Le taux de mortalité d’une maladie à virus Ebola est supérieur à 50% et peut atteindre 90%. Dans les formes hémorragiques qu’on décrira plus loin, la mort survient chez 80% des malades. Le virus a également été retrouvé dans le lait maternel, les urines et le sperme dans lequel il peut persister plus de 90 jours. La maladie peut également être contractée de façon indirecte par contact de surfaces contaminées mais avec un risque plus faible. Contrairement à des idées reçues, la transmission par voie aérienne (toux, éternuement) est extrêmement rare voire inexistante, contrairement à la rougeole ou la varicelle par exemple. Ainsi, comme le montre la Figure 12, le virus Ebola est bien moins contagieux que la rubéole ou la rougeole. La maladie à virus Ebola est une maladie grave en raison du taux de mortalité élevé après contamination quel que soit l’âge et le sexe de l’individu. De plus, une absence de traitements efficaces et des mesures d’hygiène de premier ordre, associés à des systèmes de santé précaires, favorisent les flambées épidémiques. Les premiers signes cliniques étant très proches de maladies courantes dans ces pays d’Afrique, telles que le paludisme et la fièvre de Lassa, ont pour conséquences de retarder souvent la prise en charge et la mobilisation des autorités de santé (22).
Evolutions et populations à risque
Depuis les années 2000, de nombreuses épidémies ont été signalées. Cela est dû à l’augmentation de la démographie ainsi qu’aux mutations de la société dans les pays d’Afrique : les personnes voyagent plus et les forêts exploitées rapprochent les hommes des animaux sauvages avec des risques accrus de contamination.
Aujourd’hui on estime près de 22,2 millions de personnes vivants dans une zone à forte probabilité de transmission d’Ebola de l’animal à l’Homme, dont 21,7 millions (97%) vivant en zone rurale. Parmi eux, environ 15 millions sont situés dans des pays ayant déjà subi une épidémie et 7 millions dans des pays à risques mais n’ayant encore jamais été touchés par la maladie. Au final, le virus peut être transmis de l’animal à l’homme dans près de 22 pays d’Afrique (Figure 10) (13).
La carte ci-dessous (Figure 13) illustre la répartition des fièvres hémorragiques à virus Ebola dans le monde. Comme on l’a décrit précédemment, ce virus est spécifique de l’Afrique centrale et de l’Ouest, notamment pour les sous-type Zaïre, Soudan, Taï Forest et Bundibugyo. En revanche, le sous-type Reston, non pathogène pour l’homme, est spécifique de l’Asie, où des cas ont été retrouvés chez des singes et des porcs d’élevage en Chine et aux Philippines. Les Etats-Unis ont d’ailleurs été les premiers à découvrir cette souche, à l’occasion d’importation de singes en provenance des Philippines. En effet, le territoire des chauves-souris frugivores ne se limitent pas à l’Afrique mais comporte également l’Asie et l’Océanie, où circule le sous-type Reston. Les pays en orange clair sont ceux où il existe une prévalence sérologique au virus Ebola sans qu’il y ait eu une épidémie. Cela peut s’expliquer par les mouvements de population mais également des formes asymptomatiques ou bégnines de la maladie.
LA MALADIE : PHYSIOPATHOLOGIE ET ECHAPPEMENT DE LA REPONSE IMMUNITAIRE
Clinique
Les virus Ebola et Marburg sont des virus dits pantropiques, c’est-à-dire qu’ils infectent de nombreux organes et tissus de l’organisme. Ils provoquent une maladie à évolution rapide qui associe une forte fièvre et un syndrome hémorragique généralisé survenant au stade terminal, avec un taux de mortalité pouvant s’élever jusqu’à près de 90% (2,15).
La période d’incubation peut varier de 2 à 21 jours (8 jours en moyenne) durant laquelle le patient est asymptomatique et non contagieux. La maladie se déclare progressivement en 3 phases (Figure 14). Dès le début des symptômes, le malade est contagieux.
➢ La première phase dure environ 5 jours. Elle est caractérisée par une altération de l’état général avec des signes cliniques aspécifiques : fièvre (dans 90% des cas), asthénie, céphalées, arthromyalgies. À ce stade, il est impossible de distinguer cliniquement une maladie à virus Ebola d’une autre maladie tropicale tel qu’un accès palustre, la fièvre typhoïde ou la Dengue.
➢ La seconde phase dure environ 2-3 jours et marque un tournant dans la maladie. Le patient souffre de troubles digestifs (environ 1 patient sur 2 chez les malades étudiés) tels que nausées, vomissements, douleurs abdominales et anorexie, responsables de déshydratations. Des éruptions cutanées peuvent également se manifester comme des érythèmes et des conjonctivites.
➢ La troisième phase peut être une phase de rémission avec guérison du malade, ou d’aggravation des symptômes entraînant la mort. Les patients entrant en phase de rémission (forme résolutive de la maladie) passent le cap des 8 premiers jours sans développer des signes de gravité, puis les symptômes vont régresser entre le 10ème et le 14ème jour. En revanche, les malades qui développent la forme grave vont présenter des déshydratations sévères par des vomissements et diarrhées profuses. Des défaillances multiviscérales vont affaiblir encore plus le patient et sont marquées par divers signes cliniques : insuffisance rénale aiguë, rhabdomyolyse, atteintes hépatiques, encéphalopathie, collapsus cardiovasculaire et coagulopathie responsables d’hémorragies. Les hémorragies peuvent être mineures (gingivorragies, saignements au point de ponction) ou majeures (méléna, hémoptysies, ménorragies, rectorragies) et peuvent se généraliser et devenir incontrôlables. Dans les CTE (Centres de traitement d’Ebola), ces syndromes hémorragiques ont été observés lors de l’épidémie de 2014-2015 au cours d’une étude chez 26% des patients en Guinée contre 5% des malades de Sierra Léone. Durant ces trois phases, la contagiosité augmente avec la gravité. C’est la raison pour laquelle les rituels funéraires de ces malades présentent des risques élevés de contamination car les dépouilles sont extrêmement infectieuses. La mort survient dans un état de choc après généralisation des symptômes. Les décès observés en Guinée concernaient 44% des patients du CTE et survenaient en moyenne dans les 3,5 jours suivant leur entrée contre 53% en Sierra Léone, où la moyenne de survie était d’environ 10 jours après leur entrée dans le site (11).
D’autres manifestations cliniques de la maladie durant la phase aiguë ont été rapportées et permettent d’enrichir notre connaissance de la maladie et de la dépister plus rapidement. Ainsi, des manifestations neurologiques (confusion, prostration, obnubilation), ophtalmiques (conjonctivite avec larmoiement non purulent très fréquent chez les malades) et rhumatologiques (40% des patients se plaignent d’arthralgies, myalgie et rachialgies) se trouvent être évocatrices d’une maladie à virus Ebola. Malheureusement, ces signes sont généralement sous évalués et sous diagnostiqués car masqués dans une multitude de symptômes.
Dans les formes non fatales, la convalescence est longue avec des accès fébriles épisodiques mais les symptômes disparaissent rapidement après élimination du virus dans le sang. Cependant, des troubles dus à la persistance du virus dans des zones immunologiquement protégées peuvent se manifester chez les patients. C’est ce qu’on nomme le syndrome post-Ebola. Le virus persiste dans l’humeur aqueuse, et est responsable d’uvéites (inflammation des structures internes de l’œil). Il a également été retrouvé dans le sperme des convalescents jusqu’à 9 mois après le début de la maladie, à de très faibles concentrations et très probablement non infectieux. Enfin, le virus a été identifié dans le liquide cérébrospinal d’une infirmière anglaise, plusieurs mois après sa guérison et donnant lieu à une méningite. Malheureusement, les scientifiques sous estiment ce syndrome en raison du manque de données sur le sujet. Par exemple, lors de l’épidémie au Soudan dans les années 2000, 60 patients, sur 257 survivants de la maladie, ont développé un syndrome post-Ebola avec des complications tels que des douleurs abdominales, une perte de la vue et de l’audition, des troubles psychologiques et une faiblesse générale. L’épidémie de 2014-2015 a permis de mieux analyser ces symptômes chez les convalescents (11,14).
Physiopathologie
Les filovirus ont pour cible les cellules du système immunitaire, les cellules dendritiques et les macrophages, présents dans la peau et les muqueuses. Ces cellules infectées vont passer dans la circulation sanguine et lymphatique pour toucher d’autres cellules. Ensuite, le virus se multiplie dans les organes lymphoïdes secondaires (rates, ganglions lymphatiques) et le foie. En phase terminale il infecte d’autres cellules comme les cellules endothéliales et épithéliales, les fibroblastes et d’autres organes comme les glandes surrénales et le foie (2,14). Le mécanisme est détaillé dans la Figure 15.
La forme fatale de la maladie est due à un dysfonctionnement de l’immunité innée et adaptative. Tout d’abord, les monocytes et macrophages infectés vont induire un relargage excessif et important de chimiokines et cytokines pro-inflammatoires (IL-6, IL-10, IL-8, TNFα,….). Cet environnement inflammatoire s’emballe lors de la phase
terminale et va avoir des conséquences destructrices sur l’organisme. En effet, la production accrue de TNFα, IL-6 et IL-8 pourrait être à l’origine de la perméabilité vasculaire entrainant des fuites de sang hors des vaisseaux, une détérioration des cellules endothéliales et la diminution du tonus vasculaire, responsables d’hémorragies et de chocs hypovolémiques. Les macrophages infectés par le virus vont induire des coagulations intravasculaires disséminées par l’augmentation du facteur tissulaire FT. Par ailleurs, les cellules dendritiques infectées sont responsables de l’effondrement de l’immunité adaptative en entraînant un défaut de maturation et d’activation des lymphocytes B et T. Cela a pour conséquence un manque de production d’IgG spécifiques nécessaires pour assurer les mécanismes de la réponse immunitaire. Enfin, la dissémination du virus à travers l’organisme crée des lésions organiques, notamment des nécroses hépatocellulaires. (2).
Dans le cas d’une infection non fatale, aucune cellule du système immunitaire n’entre en apoptose. Les cellules organisent une réponse inflammatoire précoce et modérée impliquant la réponse adaptative des IgG et des cellules cytotoxiques spécifiques. Le virus est contrôlé et éliminé de l’organisme. (2)
Les protéines virales sont également impliquées dans la pathogénèse. La GP est toxique pour les cellules endothéliales en induisant un détachement de ces dernières, augmentant la perméabilité vasculaire. Ce phénomène est amplifié par l’action des cytokines pro-inflammatoires. D’autres protéines virales sont impliquées dans l’inactivation de la voie des interférons et seront détaillées dans la partie suivante.
Au niveau biologique, la maladie à virus Ebola associe généralement une lymphopénie, présente aux premiers jours de l’infection, à une thrombopénie. Elle est ensuite suivie d’une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles. Des anémies ont été retrouvées dans les formes hémorragiques mais n’est pas systématique. Les troubles de l’hémostase varient selon les malades et peuvent comprendre des coagulations intravasculaires disséminées (CIVD) dans les formes sévères. Une atteinte hépatique avec augmentation des transaminases ainsi qu’une hypoalbuminémie sont courantes dans la maladie. Une rhabdomyolyse est également fréquemment retrouvée chez les patients. Elle est liée à l’augmentation des transaminases, des créatines phosphokinases CPK et de la bilirubine et peut engendrer une insuffisance rénale. Les analyses biologiques révèlent aussi chez ces patients des troubles hydroélectrolytiques avec hypokaliémie, hyponatrémie, hypomagnésémie et hypocalcémie. Une acidose métabolique peut être également être observée au cours de la maladie (25).
L’infection à virus Ebola est donc caractérisée par un effondrement du système immunitaire responsable des nombreuses défaillances multiviscérales.
Echappement de la réponse immunitaire lors d’une infection à virus Ebola
La particularité du virus Ebola est sa capacité à dévoyer le système immunitaire de l’hôte. Ces multiples dérèglements de l’immunité innée et adaptative, s’ils deviennent irréversibles, conduisent généralement à la mort du malade. Au cœur de ce système, les protéines virales VP24, VP30 et VP35 sont responsables des inhibitions de la cascade de signalisation de la réponse immunitaire, favorisant l’apoptose cellulaire et la réplication virale. Dans cette partie, nous verrons quels sont les différents mécanismes d’échappement à la réponse immunitaire afin de comprendre en quoi le virus Ebola est particulièrement virulent (27).
Le camouflage lors de l’entrée du virus dans la cellule hôte et mécanismes de sortie
En mesurant jusqu’à 1µm de long, le virus Ebola a une taille supérieure à la moyenne des virus. Afin de pénétrer facilement dans les cellules hôtes sans déclencher de réponse immunitaire, il va avoir recours à deux stratégies. La première consiste à dissimuler les glycoprotéines GP de surface dans des ‘’poches’’ afin d’en limiter l’accès aux anticorps qui reconnaîtraient la présence du virus. La seconde est d’avoir recours à un mécanisme de macropinocytose pour pénétrer dans la cellule hôte. Pour se faire, le virus se trouve recouvert de phosphatidylsérine (PS), des molécules présentes normalement sur la face interne des membranes plasmiques des cellules. Dans l’organisme, seuls les débris cellulaires de cellules entrées en apoptose exposent ces PS aux récepteurs extracellulaires. Ces corps apoptotiques sont ainsi reconnus par les cellules voisines et les cellules phagocytaires qui les internalisent par macropinocytose afin de les ‘’digérer’’. Le virus Ebola se comporte donc, aux yeux de la cellule hôte, comme un corps apoptotique à phagocyter. En mimant un mécanisme d’apoptose, le virus Ebola assure une pénétration rapide dans la cellule, en évitant de déclencher les cascades de l’inflammation et d’activer les facteurs de l’immunité humorale et cellulaire.
Après réplication, lorsque les virions sont assemblés dans le cytoplasme de la cellule hôte, ils vont bourgeonner à la surface et être libérés pour infecter d’autres cellules.
Lors d’une infection virale, la protéine téthérine est activée par les interférons et a pour rôle d’empêcher le bourgeonnement des virions, limitant la sortie du virus hors de la cellule. Le virus Ebola, via la protéine GP, est capable d’inhiber l’action de la téthérine et donc de bourgeonner plus facilement pour s’attaquer ensuite aux cellules voisines (27).
Interruption de la cascade de signalisation des interférons (IFN)
De nombreux virus ont recours à divers mécanismes pour contourner la réponse immunitaire innée, première ligne de défense de l’organisme. Dans le cas présent, le virus Ebola inhibe la réponse des IFN I et II dans les cellules cibles : macrophages, monocytes et cellules dendritiques. Cela a pour conséquence un défaut de maturation des cellules dendritiques entraînant la diminution de l’activation et de la prolifération des Lymphocytes T, responsable d’une lymphopénie, caractéristique de la maladie. Les mécanismes anti-interférons impliquent les protéines virales VP35 et VP24.
➢ La protéine virale VP35 :
Etant un cofacteur de la polymérase virale, elle participe à la réplication de l’ARN viral. VP35 a également un rôle dans l’inhibition de l’induction des IFN de type I (α et β). Dans le cytoplasme de la cellule hôte, deux types de récepteurs, RIG-I et MDA-5, traquent les ARN cytosoliques étrangers et activent la production d’IFN I et de cytokines pro-inflammatoires qui vont déclencher ensuite la réponse antivirale. Lors d’une infection à virus Ebola, VP35 agit comme un substrat leurre sur ces deux récepteurs, enrayant la voie RIG-I et empêchant le déclanchement de la synthèse des interférons.
De plus, VP35 agit en inhibant la PKR (protéine kinase ARN-dépendant), protéine antivirale sécrétée lors de la cascade d’activation jak-STAT, voie de signalisation antivirale et immunomodulatrice induite par les interférons. La PKR a pour rôle d’inhiber la traduction des ARNm viraux et cellulaires. Ainsi, l’action inhibitrice de VP35 sur la PKR permet à la cellule de continuer son activité, et au virus de se répliquer malgré les signaux induits en amont par les interférons.
➢ La protéine virale VP24 :
VP24 agit en aval de la cascade des interférons. Lorsque l’ARN viral est identifié dans le cytoplasme de la cellule hôte, les IFN I sécrétés vont se fixer sur leurs récepteurs situés sur les cellules voisines afin d’activer la voie Jak-STAT. La cascade d’activation qui en découle va déclencher les voies d’activité antivirales intrinsèques et les voies de signalisation des interférons. Elle permet donc au complexe de protéines STAT I et II qui la compose d’entrer dans le noyau de la cellule et stimuler la synthèse des protéines antivirales (dont la PKR décrite ci-dessus). La protéine VP24 agit en empêchant l’accumulation de STAT I dans le noyau de la cellule, limitant l’activité des interférons. VP24 agit également en bloquant la présentation des antigènes aux Lymphocytes T.
Ainsi, ces deux protéines VP24 et VP35 jouent un rôle efficace d’antagoniste de la réaction immunitaire innée médiée par les interférons (27).
Mécanismes d’évitement de la réaction immunitaire adaptative
Lorsque l’organisme est ‘’dépassé’’ par l’infection, on observe une destruction des cellules de l’immunité, avec une mauvaise réponse des IgG, alors que chez les survivants ces taux sont très élevés.
Le virus utilise des mécanismes pour contourner l’action des anticorps. Le premier mécanisme a déjà été évoqué plus haut et constitue la dissimulation de la GP à la surface du virus afin qu’elle soit inaccessible aux anticorps. Le deuxième mécanisme est encore à l’état d’hypothèse et avance le fait que la sGP, petite protéine produite à partir de l’ARNm viral de la GP, jouerait un rôle dans la modulation et le détournement de la réponse immunitaire de l’hôte. La sGP est synthétisée dans le cytoplasme des cellules infectées est ensuite sécrétée dans le milieu extracellulaire (et non fixé à la surface des virions). Par ailleurs, des études sur des souris ont démontré que la sGP était capable de servir de leurre aux anticorps anti-GP afin de ne pas déclencher de réaction immunitaire et que la GP avait des propriétés immunosuppressives en inhibant la prolifération des lymphocytes T (27).
Perturbation de la voie d’inhibition des ARNm viraux
Cette voie est activée lors d’une infection virale via le complexe RISC (RNA-induced silencing complex) qui va cliver les ARNm viraux en fragments, ce qui va avoir pour conséquence la perturbation de la traduction des protéines virales. Dans le cas du virus Ebola, les protéines VP35 et VP30 vont se lier au complexe RISC pour inhiber son action et favoriser la réplication virale.
De plus, le virus Ebola utilise des mécanismes du complexe protéique nucléaire pour stabiliser ses ARNm viraux, prolonger leur demi-vie et favoriser sa réplication (27).
Contre-attaque de l’hôte
Au cours de l’infection, les cellules ‘’informées de la situation’’ par les interférons peuvent activer de puissants mécanismes de défense qui vont limiter la propagation du virus. L’entrée du virus peut être bloquée via les IFITM (protéines transmembranaires induites par les IFN). Ces protéines sont particulièrement actives sur les monocytes et causent des fusions incomplètes du virus avec la cellule hôte. La protéine ISG-15, activée par les interférons permet, de son côté, de bloquer le bourgeonnement des virions (c’est le cas aussi de la téthérine, évoquée plus haut).
L’ensemble de ces actions permet de limiter l’entrée et la sortie du virus de la cellule et est primordial pour faire reculer la propagation virale dans l’organisme (27).
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Table des matières
TABLE DES ILLUSTRATIONS
PREAMBULE
1 – HISTOIRE DES EPIDEMIES DUES AU VIRUS EBOLA
1.1 – 1976-1979 : la découverte du virus au Zaïre et au Soudan
1.2 – 1989 : l’épisode de Reston, en Virginie (USA)
1.3 – 1994 : Ebola refait surface en Afrique
1.4 – 2000-2009 : Une nouvelle souche est découverte
2 – LE VIRUS EBOLA
2.1 – Classification
2.2 – Morphologie
2.3 – Génome
2.4 – Cycle de vie du virus dans les cellules hôtes
3 – ECO-EPIDEMIOLOGIE ET MODES DE TRANSMISSION DU VIRUS
3.1 – Les hôtes réservoirs et hôtes finaux
3.2 – Modes de transmission interhumaine
3.3 – Evolution et populations à risque
4 – LA MALADIE : PHYSIOPATHOLOGIE ET ECHAPPEMENT DE LA REPONSE IMMUNITAIRE
4.1 – Clinique
4.2 – Physiopathologie
4.3 – Echappement de la réponse immunitaire lors d’une infection à virus Ebola
4.3.1- Le camouflage lors de l’entrée du virus dans la cellule hôte et mécanismes de sortie
4.3.2 – Interruption de la cascade de signalisation des interférons (IFN)
4.3.3 – Mécanismes d’évitements de la réaction immunitaire adaptative
4.3.4 – Perturbation de la voie d’inhibition des ARNm viraux…
4.3.5 – Contre-attaque de l’hôte
4.3.6 – Le délicat équilibre de la réponse immunitaire
5.1 – Quelles personnes concernées ?
5.2 – Prélèvement des échantillons
5.3 – Les tests diagnostiques
5.3.1 – La RT-PCR : Reverse Transcription Polymerase Chain Reaction
5.3.2 – Le test ELISA – Enzyme Linked Immuno Assay
5.3.3 – Isolement du virus
5.3.4 – Tests d’immunohistochimie
5.4 – Les tests de diagnostic rapide (TDR)
5.4.1 – ReEBOV™ Antigene Rapid Test (USA)
5.4.2 – eZYSCREEN (France)
5.5 – Autres tests
6 – LES TRAITEMENTS CANDIDATS
6.1 – Médicaments antiviraux
6.1.1 – Le favipiravir (T-705)
6.1.2 – BCX4430
6.1.3 – Brincidofovir (BCV)
6.2 – Les immunoglobulines : le traitement par ZMAPP
6.3 – Petits ARN antiviraux inhibiteurs
6.3.1 – TKM-ebola
6.3.2 – PMOs antisens : phosphodiamidate Morpholino Oligomers : AVI-7537, AVI-7539, et AVI- 6002
6.4 – Les immunomodulateurs : Interférons β1a
6.5 – Autres traitements
6.5.1 – rNAPc2
6.5.1 – Plasma de convalescent
7 – LES VACCINS
7.1 – Les vecteurs viraux recombinants
7.1.1 – Vaccin rVSV-EBOV
7.1.2 – Vaccin MVA-BN-EBOV Filo
7.1.3 – vaccins utilisant des vecteurs à adénovirus
7.1.3.1 – Le vecteur Ad5, adénovirus humain
7.1.3.2 – Schéma vaccinal Ad26-ZEBOV suivi d’un boost de MVA-BN-Filo
7.1.3.3 – Chad3-EBOV-Z : vaccin à vecteur adénovirus de chimpanzé recombinant
7.2 – Les vaccins à ADN
7.4 – Les vaccins à VLP (virus-like particles)
8 – BILAN DE L’EPIDEMIE DE 2014-2105 EN AFRIQUE DE L’OUEST
8.1 – Circonstances de l’épidémie
8.2 – Les facteurs de propagation du virus
8.3 – Situation en Guinée, Libéria et Sierra Léone durant la crise
8.4 – Cas sporadiques dans les pays frontaliers et réémergence de la maladie en République Démocratique du Congo
8.5 – Cas exportés dans le monde
9 –PRISE EN CHARGE DANS LES CENTRES DE TRAITEMENT EBOLA DURANT L’EPIDEMIE DE 2014-2105
9.1 – Les Centres de Traitement Ebola
9.2 – Equipement des soignants
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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