Dysfonctionnements neuropsychologiques
Généralités sur la dépression
La dépression est l’une des pathologies psychiatriques les plus fréquentes, constituant un enjeu majeur de santé publique. Les troubles dépressifs impactent significativement le fonctionnement de la personne dans la vie quotidienne, sur le plan occupationnel et psychosocial (Godard, Grondin, Baruch, & Lafleur, 2011 ; Peretti, 2013). En France, le taux de prévalence des troubles dépressifs est estimé à 11%, avec une prédominance féminine (sexe ratio de 2 femmes pour 1 homme) (Blackburn & Cottraux, 2008). Ils sont fréquemment associés à des comorbidités psychiatriques, correspondant principalement aux troubles anxieux, aux comportements de consommation d’alcool ou de substances toxiques (Lépine et al., 2005) et aux troubles de la personnalité (Blackburn & Cottraux, 2008). De même, le risque suicidaire est élevé, avec une surmortalité chez les personnes dépressives (Blackburn & Cottraux, 2008).
La dépression est définie dans la catégorie des « troubles de l’humeur » par les classifications internationales des maladies mentales, la CIM 10 (Classification Internationale des Maladies, Organisation Mondiale de la Santé, 1992) et le DSM-IV-TR (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux, American Psychiatric Association, 2000). Il existe une cinquième version du DSM (APA et al., 2016), toutefois les critères de la dépression sont sensiblement les mêmes de la version précédente. Nous présenterons donc les critères du DSM-IV-R qui ont été utilisés pour cette étude. Deux types de troubles de l’humeur sont définis, les troubles unipolaires et les troubles bipolaires (associant un état de dépression et d’excitation maniaque). Le trouble dépressif majeur regroupe différentes formes cliniques symptomatiques qui peuvent se caractériser selon la sévérité, le caractère chronique et par la présence de caractéristiques catatoniques, mélancoliques, psychotiques, atypiques, saisonnières ou post-partum (Peretti, 2013). Il se traduit par l’existence d’un ou plusieurs épisodes dépressifs caractérisés (EDC), en l’absence d’antécédent d’épisode maniaque, hypomaniaque ou mixte.
L’EDC est caractérisé selon les critères diagnostiques du DSM-IV-TR (APA, 2000 ; voir annexe 1), par la présence soit d’une humeur dépressive et/ou d’une irritabilité, ou d’une diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir dans la plupart des activités de la vie quotidienne, pendant au moins 2 semaines. L’un de ces 2 principaux symptômes doit être présent et il doit être accompagné d’au moins 4 symptômes, non imputables à d’autres causes, parmi les suivants : une perte ou gain de poids, des troubles du sommeil (insomnie ou hypersomnie), une agitation ou un ralentissement psychomoteur, une fatigue ou une perte d’énergie réduite, un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive, une diminution de la capacité à penser ou à se concentrer ou de l’indécision et des pensées fréquentes reliées à la mort ou au suicide. De plus, leur présence induit des répercussions significatives dans la vie quotidienne de la personne, tant sur le plan social que professionnel. D’un point de vue clinique, la dépression est caractérisée par une hétérogénéité des profils symptomatologiques, dont les manifestations diffèrent d’une personne à l’autre.
Celles-ci peuvent être définies selon 3 grandes dimensions, une dimension émotionnelle marquée par des affects négatifs, une dimension cognitive et comportementale et une dimension comprenant les signes somatiques associés (Peretti, 2013). Par ailleurs, la symptomatologie dépressive varie au cours du temps de manière dynamique. Celle-ci rend compte d’un continuum entre les différentes formes cliniques de la dépression, caractérisées selon un style cognitif dépressogène (Gibb, Alloy, Abramson, Beevers, & Miller, 2004 ; McCullough et al., 2003). Il n’est pas rare que les symptômes observés dans la dépression se chevauchent entre plusieurs troubles psychiatriques (Van der Linden, 2015). Il s’avère, en outre, que la sévérité des symptômes est corrélée aux perturbations du fonctionnement cognitif (McDermott & Ebmeier, 2009).
Profil cognitif et neuropsychologique de la dépression Les dysfonctionnements cognitifs qui accompagnent les troubles de l’humeur contribueraient au développement et au maintien des symptômes dépressifs selon les théories cognitives de la dépression (Jermann & Van Der Linden, 2008). Ainsi, ces dysfonctionnements cognitifs sont considérés comme des facteurs de vulnérabilité à la dépression (Jermann & Van Der Linden, 2008 ; Moritz et al., 2002), qui s’associent à d’autres facteurs génétiques et sociaux-environnementaux, à des traits de personnalité et à des facteurs de développement individuel (Blackburn & Cottraux, 2008). Selon le modèle cognitif de Beck (1967, cité par Beck, 2008), cette vulnérabilité dépend de schémas cognitifs qui sont à la base de croyances dysfonctionnelles. Ceux-ci jouent un rôle de filtres dans la perception des expériences qui vont guider notre attention sélective. Les schémas cognitifs sont représentés comme des structures cognitives profondes, stockées en mémoire à long terme, dont le seuil d’activation dépend des expériences négatives préalables. Dans la dépression, ces schémas, dits dépressogènes, sont caractérisés par une vision négative de soi, du monde et du futur. Ils seraient responsables de biais cognitifs attentionnels et mnésiques envers les stimuli internes et/ou externes de valence négative et de distorsions cognitives (e.g., abstraction sélective, personnalisation, biais d’interprétation, etc.). Nous détaillerons dans un premier temps les différents biais cognitifs, avant d’aborder les dysfonctionnements cognitifs constatés dans la dépression en se basant sur des modèles neuropsychologiques.
Biais cognitifs
De nombreuses études ont démontré, chez les personnes présentant une dépression, l’existence de biais de traitement envers l’information congruente à l’humeur (Gotlib & Joormann, 2010 ; Mathews & MacLeod, 2005 ; Jermann & Van Der Linden, 2008). A l’inverse, les individus de la population générale, présentent quant à eux des biais de traitement positif (Mathews & MacLeod, 2005). Au niveau attentionnel, l’étude de Joormann, Talbot et Gotlib, (2007) compare des jeunes filles de mère souffrant de dépression avec des jeunes filles dont la mère n’a jamais eu de dépression. Chacune devait alors réaliser une tâche de détection de cible (expressions faciales) après l’induction d’une humeur triste. Les résultats ont mis en évidence l’existence de biais attentionnels vers les expressions faciales négatives chez des jeunes filles présentant un haut risque de dépression. En revanche, les jeunes filles contrôles présentaient un biais vers les expressions faciales positives. Surguladze et al., (2004) ont notamment démontré que les personnes souffrant de dépression présenteraient, à l’inverse, une réduction des biais attentionnels positifs pour les expressions de visages joyeux.
Gotlib, Krasnoperova, Yue et Joormann (2004) ont présenté, à travers une tâche de détection de cible, des visages tristes et des visages neutres apparaissant simultanément pendant 1000 ms. Ils observent des biais d’attention sélective et de maintien vers les visages tristes chez les personnes souffrant de dépression contrairement aux sujets contrôles. Il semblerait alors que les biais attentionnels retrouvés dans la dépression soient en lien avec des difficultés de désengagement attentionnel des stimuli négatifs (inhibition) plutôt qu’à l’orientation automatique vers la menace retrouvée chez les sujets anxieux (Mathews & MacLeod, 2005 ; Jermann & Van Der Linden, 2008). En outre, ces biais attentionnels tardifs (non liés à l’orientation automatique) seraient influencés par les capacités de contrôle exécutif (Van der Linden, 2004). Ainsi, l’effort cognitif à mettre en oeuvre pour se désengager des stimuli négatifs serait plus important chez les personnes souffrant de dépression.
Des biais mnésiques sont également observés dans des tâches de rappel explicites, caractérisés par un meilleur rappel du matériel négatifs que du matériel positif (Matt, Vazquez et Campbell, 1992, cité par Joormann & Quinn, 2014, p. 310). Jermann, Van der Linden, Laurençon et Schmitt, (2009) ont étudié la nature des biais mnésiques pour des mots positifs, négatifs et neutres dans une tâche de reconnaissance. Ils ont utilisé la procédure « je me rappelle /je sais /je devine » afin d’évaluer la récupération des informations et le degré de familiarité associé. Les auteurs mettent en évidence un biais mnésique de congruence à l’humeur chez les personnes dépressives pour les réponses « je me rappelle ». En revanche, cet effet n’est pas retrouvé lorsque les 3 états de conscience sont confondus. Ainsi, les auteurs présupposent que le biais de maintien attentionnel sur
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Table des matières
INTRODUCTION
CONTEXTE THEORIQUE
A Généralités sur la dépression
B Profil cognitif et neuropsychologique de la dépression
Biais cognitifs
Dysfonctionnements neuropsychologiques
2a. Mémoire
2b. Sphère attentionnelle
2c. Fonctions exécutives
C Fluence verbale
D Fluence verbale et dépression
PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
MATERIEL ET METHODE
A Participants
B Matériel
Evaluation psychiatrique
Evaluation neuropsychologique
Variables dépendantes
Hypothèses opérationnelles :
C Procédures
RESULTATS
A Analyse statistiques
B Analyse intergroupe
C Analyse intragroupe
D Analyse de corrélation
E Etude des profils individuels
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES TABLEAUX
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