Une baisse ou une stabilisation observée à différentes échelles
«The Road Less Travelled: an Analysis of vehicle Miles Traveled Trends in the U.S.» est le titre d’un article publié par des experts de Brooking Institute, Puentes et Tomer (2009), sur les distances parcourues par les ménages aux Etats-Unis. Dans cet article, les auteurs étudient l’évolution des kilomètres parcourus sur la période 1999-2008. Le constat est frappant. Ces chercheurs observent un ralentissement de l’usage des véhicules à partir du début de la décennie 2000, suivi d’une décroissance dans les années 2004. Ces résultats viennent ainsi mettre fin à cinq décennies de croissance des distances parcourues, souvent associée par les chercheurs au mouvement de concentration de la population et des emplois sur les territoires autrefois ruraux des espaces urbains. Suite à la parution de ce travail, dans la mesure où un tel phénomène serait une aubaine pour les politiques publiques dont les objectifs consistaient à réduire l’usage des moyens de transport, les études visant à détecter une telle tendance se multiplient dans différents pays et à différentes échelles. Dans cette optique, Dender et Clever (2013) étudient l’indice du nombre moyen de kilomètres par tête parcourus par les usagers des véhicules légers (voitures et camionnettes), dans cinq pays, sur la période 1990-2010. Ils obtiennent des courbes un retournement pour certains pays et un ralentissement de la croissance pour d’autres (cf. graphique 2). Ainsi, au Royaume-Uni, ils observent une inversion de la distance parcourue par tête en véhicule utilitaire léger et en voiture individuelle, qui est précédée par un ralentissement de la croissance dès 2003. Aux Etats-Unis le constat est similaire, mais la baisse du nombre de kilomètres est apparue un peu plus tôt c’est-à-dire en 2005. Au Japon, ce déclin est observé depuis la fin des années 90. Ils observent un ralentissement de la circulation automobile totale depuis 2003 en France et un ralentissement de la demande de transport en Allemagne début 2000, pays où le kilométrage par tête est le plus élevé de l’échantillon. Millard-Ball et Schipper (2010) ont mené une analyse similaire à celle de Dender et Clever (2013) sur un échantillon de huit pays avancés entre 1973-2010. En analysant le kilométrage par tête en fonction du produit intérieur brut, ils contrôlent l’influence de l’activité économique sur le comportement de déplacement des populations. Ces auteurs aboutissent à la conclusion suivante : « malgré des différences substantielles entre les états, un profil commun émerge: l’activité de transport dans ces pays a atteint un maximum. Ce plafonnement est plus net lorsque nous considérons seulement l’utilisation des véhicules privés, qui a baissé dans la plupart des huit pays».
Une trajectoire de l’utilisation de la voiture démographiquement différenciée
Pour certains auteurs, l’évolution de l’usage de l’automobile résulte de l’articulation entre les modifications de la structure démographique, et les changements de mobilité des différentes classes d’âge. Ces contributions peu nombreuses convergent sur l’idée selon laquelle la modification du comportement des jeunes adultes aurait un effet primordial sur le « peak car travel ». Kuhnimhof et al. (2013) dans une étude remarquable sur quatre pays industrialisés (France, Grande Bretagne, Allemagne et USA) parviennent à donner des éclaircissements sur cette question. En comparant l’évolution des facteurs structurels et du comportement de mobilité de différentes catégories d’âge, entre deux périodes de temps, spécifique à chaque pays, ils sont ainsi capables de répondre à la question «Who Made Peak Car, and How ? ». Par exemple en France et aux USA, la baisse de l’usage du véhicule est particulièrement due au changement de la demande de mobilité en général (c’est-à-dire une évolution du taux de motorisation, du choix de l’automobile pour les déplacements et du nombre total de kilomètres parcouru). Cette évolution s’observe dans toutes les classes d’âges. Par contre, En Allemagne et en Grande Bretagne, le taux de motorisation joue un rôle primordial dans la baisse de la distance parcourue par individu entre 1976 et 1997. Elle a essentiellement stagné, surtout chez les jeunes adultes en Allemagne. Pour ces jeunes qui ne vivent souvent pas chez leurs parents, le taux d’équipement se différencie selon la composition du ménage. Dans les villes-centre, ces derniers ont tendance à moins s’équiper que dans les banlieues et dans les zones rurales. Quel que soit le niveau de densité de la commune du lieu de résidence, ils sont également plus enclins à s’équiper quand ils sont célibataires ou en couple et que lorsqu’ils sont parents (Oakil et al., 2016 ). Par contre, le taux de motorisation est élevé chez les plus de 60 ans, qui sont à l’origine de la hausse des distances parcourues dans ce pays. Notons que cette contribution positive s’est ralentie chez les [60 ans et +] au cours des dernières décennies. Van der Waard et al. (2013) dans un contexte similaire, réalisent une étude pour observer les raisons de la stabilisation de l’usage de l’automobile en Hollande. Ils montrent une décroissance de l’usage du véhicule chez les jeunes adultes depuis 2004. La raison de ce comportement chez les jeunes serait essentiellement due à des causes socio-économiques, spatiales et culturelles. Les jeunes, dans ces dernières décennies, participent moins au marché du travail, vivent plus dans les villes denses, ce qui leur permet l’usage des transports en commun et la vulgarisation de l’internet qui leur offre la possibilité de moins se déplacer pour certaines activités quotidiennes. Delbosc et al., (2013) pensent plutôt que la baisse de la détention du permis de conduire chez les jeunes adultes serait à l’origine d’un tel événement. Ils énumèrent six facteurs pouvant être à l’origine de la baisse de la détention du permis, dont :
– La modification du cycle de vie des jeunes adultes qui entraîne une baisse de la mobilité quotidienne chez les 18-30 ans. En effet, les jeunes rentrent de moins en moins vite dans la vie active ;
– Ils résident dans des zones à forte densité qui leur offrent plus d’alternatives de mobilité ;
– Le coût élevé de l’automobile ;
– Le rôle des nouvelles technologies et
– Les différents régimes de permis de conduire sont des facteurs qui les découragent de passer le permis et donc de participer à la hausse des distances parcourues
Le rôle des politiques publiques
Les inégalités économiques entre Paris et les territoires de province soulignées par Gravier (1960) ont poussé les autorités à mettre en place une politique de décentralisation industrielle. Ces politiques sont des mesures incitatives (agréments, primes aux établissements, redevance) mises en place dès les années 60 pour influencer la localisation des établissements dans les villes de province. Ces mesures incitatives ont accéléré la délocalisation des activités grâce à la disponibilité de la main d’œuvre, avec de faibles coûts de production (salaire relativement bas du fait d’une main d’œuvre peu qualifiée) (Saint-Julien, 1982). De plus, le Ve plan des années 70 contenant une liste de huit ensembles urbains appelés à bénéficier d’un effort d’équipement leur permettant de jouer un rôle de métropoles d’équilibre entre la région parisienne et les autres régions françaises a contribué à rééquilibrer les inégalités entre les territoires. Ces ensembles urbains sont : Lille-RoubaixTourcoing, Nancy-Metz-Thionville, Lyon – Saint-Etienne – Grenoble, Marseille-Aix-en-provence, Toulouse, Bordeaux, Nantes – Saint-Nazaire et Strasbourg). Ils ont bénéficié de soutiens publics orientés sur les équipements tertiaires de niveau supérieur. Aujourd’hui, la plupart de ces territoires sont les moteurs des dynamiques démographiques régionales. À ces politiques d’aménagement, il faut également ajouter la politique de compétitivité mise en place au début des années 2000 qui consiste à encourager la formation de structures locales de partenariats unissant les entreprises, les laboratoires de recherche et les institutions d’enseignement, destinés à favoriser le lancement de projets innovants. Des 71 pôles de compétitivité actifs en 2010, 11 sont concentrés en Ile-de-France, autant qu’en Provence-Alpes-Côte d’Azur et moins qu’en Rhône-Alpes. Dans le même temps, l’Union Européenne (UE) s’élargit et se donne pour objectif de réduire les écarts de développement entre les régions des États membres. Elle souhaite ainsi renforcer sa cohésion interne. La réforme des fonds structurels communautaires engage la politique régionale européenne. En France, les politiques se concentrent plus sur les régions de province. La carte des zones d’aménagement du territoire pour les entreprises industrielles pour la période 2000-2006 a exclu l’Île-de-France. Ces politiques à vocation économique, inspirées par le gouvernement et l’UE, s’additionnent à celles des autorités locales, qui à l’heure des mutations structurelles sont devenues des acteurs à part entière de la dynamique de métropolisation. La lutte des territoires pour s’affirmer – notamment pour attirer les meilleures entreprises – conduit à devoir afficher de manière éclatante des stratégies de développement (Ingallina, 2007). Ces projets sont partie intégrante des politiques urbaines visant à attirer la main-d’œuvre qualifiée et des compétences pour stimuler le développement économique de leur territoire. Pratiquement partout, des offres sont mises en avant pour vanter les attributs du territoire afin d’influencer le choix de localisation des entreprises. Dans la pratique, les autorités locales multiplient les discours sur les potentialités de leur territoire, effectuent des démarchages de prospection auprès des entreprises, participent à des salons, mettent en place des services après vente répondant aux besoins fonctionnels de l’entreprise….Le territoire est devenu un « bien » dont la commercialisation se fait selon des règles stratégiques suivant quelques principes du marketing mixte.
Définition de l’étalement urbain
Les phases hypothétiques de la croissance des territoires sont en réalité des aspects du phénomène d’étalement urbain ou « urban sprawl » dans la littérature nord-américaine. BessyPietry (2000) mesure l’étalement comme croissance démographique de la couronne périurbaine supérieure au reste du territoire. A partir de là, on conçoit que l’étalement regroupe les phases de suburbanisation, de désurbanisation et dans une moindre mesure la réurbanisation (seulement dans le cas où malgré le retour des populations au centre, la croissance de la couronne reste toujours supérieure). Par conséquent, l’étalement urbain n’est pas un phénomène constant dans le temps, mais il varie selon les phases du cycle urbain. En raison du mouvement de la fonction résidentielle qu’il implique, on le considère souvent comme une forme d’urbanisation extensive (Rerat, 2005).L’étalement n’est pas un simple mouvement de concentration de la population, il est également assimilé à un processus qui change l’utilisation du sol, qui convertit la surface naturelle du territoire en surface urbaine. Il s’oppose donc au modèle de la ville compacte basé sur le principe d’intensification de l’occupation du sol par l’augmentation de la densité à l’intérieur des limites de la zone bâtie du bassin urbain (Churchman, 1999). C’est un modèle urbain déséquilibré où la croissance des zones déjà bâties ou surface urbanisée est supérieure à celle de la population (Ewing et al., 2002). Cela donne comme caractéristique principale un phénomène engendrant de faibles densités en périphérie (Bessy-Piétri ,2000). L’étalement urbain, également accepté comme une déconcentration des fonctions urbaines se caractérise par de faibles concentrations des emplois et services aux extrémités des territoires (Ewing, 1997). Du point de vue de ses conséquences sur la morphologie de la ville, un espace étalé est souvent défini par trois caractéristiques de l’utilisation du sol: faible densité, développement diffus et développement commercial linéaire. Ainsi, c’est une décentralisation de l’emploi et une absence de centres d’activités distincts et prospères, tels que des villes-centre ou des centres de banlieues attrayants (Byun et Esparza, 2005 ; Ewing et Cervero, 2001). L’étalement modifie l’organisation traditionnelle monocentrique du territoire par la création de centre secondaire dans les franges urbaines (Galster et al, 2001). Ces pôles secondaires, destinés à contenir les populations et les emplois, affaiblissent ainsi la notion de centralité parce que ces derniers deviennent de plus en plus indépendants du cœur du territoire. Dans le cadre monocentrique, le développement pavillonnaire éparpillé et l’attraction des flux de déplacement pour le motif travail entraînent une extension du bassin d’emploi.
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Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE 1 : EVOLUTION DE LA MOBILITÉ CONTEMPORAINE ET FACTEURS EXPLICATIFS
1.1. La voiture, un bien essentiel dont la diffusion s’est ralentie
1.2. L’évolution de l’utilisation de la voiture
1.2.1. Une baisse ou une stabilisation observée à différentes échelles
1.2.2. Un déclin de la mobilité dû à des facteurs non spatiaux variés
1.2.2.1. Les facteurs économiques
1.2.2.2. Une trajectoire de l’utilisation de la voiture démographiquement différenciée
1.2.2.3. Les changements d’attitudes vis-à-vis de la voiture
1.3. L’évolution de la répartition de la population entre les territoires
1.3.1. La métropolisation : un processus aux facteurs non-exclusifs
1.3.1.1. Tertiarisation de l’économie et distribution spatiale des activités et des populations
1.3.1.2. Une concentration liée à la taille du territoire
1.3.1.3. Le rôle des politiques publiques
1.3.1.4. Les facteurs démographiques de la croissance urbaine : le bilan naturel et le solde migratoire
1.4. La Métropolisation : un processus difficile à caractériser
1.5. Les processus de répartition des populations au sein des territoires: l’étalement urbain
1.5.1. Les phases du cycle de vie d’un territoire
1.5.2. Etalement urbain : un processus contemporain
1.5.2.1. Définition de l’étalement urbain
1.5.2.2. L’étalement un processus multifactoriel
1.5.2.3. Les conséquences de l’étalement urbain
1.5.2.4. Les mesures de l’étalement urbain
1.6. Métropolisation, étalement et utilisation de la voiture
1.6.1. Permis de conduire, motorisation et espace
1.6.2. La place des dynamiques urbaines dans l’évolution de l’utilisation de la voiture
1.7. Conclusion
CHAPITRE 2 : DESCRIPTION DES DYNAMIQUES URBAINES
2.1. Présentation des données et traitements spatiales
2.1.1. Présentation des données utilisées pour l’analyse des dynamiques urbaines et gestion des données manquantes
2.1.2. Correspondance entre foyers fiscaux, ménages et populations
2.2. Gestion des fusions et éclatements de communes
2.3. Les périmètres urbains
2.3.1. Construction de la typologie des lieux de résidence
2.3.2. Les catégories de périmètres urbains
2.3.3. Les différences géographiques entre les périmètres
2.4. Evolution des ménages entre les périmètres urbains
2.4.1. Description de la croissance des ménages entre les périmètres urbains
2.4.2. Aux origines du processus de métropolisation
2.5. Description des formes de développement urbain des grands et moyens périmètres urbains
2.5.1. Les formes de développement urbain
2.5.2. Distribution et caractéristiques des formes de développement urbain
2.5.2.1. L’étalement accéléré : la forme de développement la plus observée
2.5.2.2. Les grands périmètres les plus denses suivent un processus d’étalement ralenti
2.5.2.3. L’évolution de la répartition des groupes sociaux
2.6. Description des catégories de rythme de croissance des petits périmètres urbains
2.6.1. Deux rythmes de croissance
2.6.2. Les déterminants de la croissance démographique des petits périmètres
2.7. Conclusion
CHAPITRE 3- DESCRIPTION DE L’UTILISATION DE LA VOITURE DANS LES PÉRIMÈTRES URBAINS
3.1. Présentation générale des données ParcAuto et traitements des données sur l’usage de la voiture
3.1.1. Présentation des données
3.1.2. Les types de fichiers
3.1.2.1. Les fichiers « ménage »
3.1.2.2. Les fichiers « véhicule »
3.1.3. Apurement des données pour l’analyse de l’utilisation de la voiture
3.2. Evolution de la motorisation
3.2.1. …selon la taille des périmètres urbains
3.2.2. …selon les formes de développement urbain
3.2.3. …selon le rythme de croissance des petits périmètres urbains
3.3. Evolution de l’usage de la voiture
3.3.1. Evolution du kilométrage par voiture
3.3.1.1. …selon les catégories de taille de périmètre urbain
3.4.1.1. …selon les formes de développement urbain
3.4.1.2. …selon le rythme de croissance des petits périmètres urbains
3.3.2. Evolution de la portée des déplacements
3.3.3. Evolution de la distance domicile-travail ou d’études
3.4. Les effets des facteurs non spatiaux
3.4.1. L’augmentation du prix du carburant
3.4.2. Des comportements différenciés par couches sociales
3.4.3. Différence entre niveau d’éducation
3.4.4. Les effets de génération et d’âge
3.5. Conclusion
CHAPITRE 4 : MODÉLISATION DE L’EFFET DE L’ÉVOLUTION DE LA DISTRIBUTION SPATIALE DES MÉNAGES SUR L’USAGE DE LA VOITURE
4.1. La mesure du lien entre espace et déplacement des populations
4.1.1. Les types de mesure
4.1.2. Des résultats ambigus
4.1.3. Les difficultés de mesure des écarts de mobilité selon les types de zone de résidence
4.2. Méthodologie d’estimation
4.2.1. Les données ParcAuto face à la modélisation
4.2.2. Spécification des modèles
4.2.2.1. Spécification du modèle du kilométrage et de la portée des déplacements
4.2.3. Transformation des variables dépendantes et identification des variables explicatives
4.3. Résultats des estimations
4.3.1. Les caractéristiques globales des modèles sur le kilométrage et la portée des déplacements
4.1.1. Résultats des estimations sur le kilométrage par voiture
4.1.1. Résultats des estimations sur la portée des déplacements
4.1.2. Effet distinct de la métropolisation et de l’étalement
4.1.3. Résultats sur l’estimation des distances parcourues pour le motif travail et/ou lieu de formation
4.2. Discussion et conclusion
Conclusion générale
LISTE DES GRAPHIQUES TABLEAUX ET CARTES
Liste des figures
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES CARTES
BIBLIOGRAPHIE
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