Les échanges côte-large océaniques
Les tourbillons et les écoulements méso-échelles océaniques contribuent de façon importante au transport de masses d’eau et de chaleur dans l’océan. La compréhension de leurs dynamiques, et de leurs interactions avec la topographie, est primordiale pour caractériser les échanges thermohalins, le déplacements d’espèces biologiques ou de polluants. En particulier, les courants et tourbillons de surface, situés dans les cent ou deux cents premiers mètres de profondeur, jouent un rôle capital dans les échanges entre la zone côtière et la zone hautûrière. Les régions côtières constituent un enjeu majeur de l’océanographie de demain : 60% de la population mondiale vit à moins de 80 km des côtes, et 80% de la pêche y est réalisé . C’est un milieu à échelle réduite qui présente des caractéristiques physiques particulières : l’interaction de nombreux phénomènes en fait la complexité (marée, vent, houle, stratification en densité, topographie).
De nombreux mécanismes dynamiques sont à l’origine du mélange ou du transport d’énergie et de matière le long des côtes. Parmi ceux-ci, on distinguera deux nouveaux processus, l’un associé au transport horizontal à méso-échelle, l’autre au mélange vertical à petite échelle. Les courants et les tourbillons peuvent transporter sur une très grande distance des eaux très différentes de celles qui les entourent. Un tourbillon de surface stable et cohérent peut par exemple piéger des eaux peu salées, et les transporter durant des mois (exemples de durées de vie de plusieurs années de certains tourbillons méditerranéens, étudiés par Puillat et al. [115] et Hamad et al. [58]). D’autre part, certains phénomènes peuvent engendrer du transport vertical, et perturber la stratification océanique. L’upwelling côtier et le cœur d’un tourbillon cyclonique sont deux exemples de possibilités de remontées d’eaux froides et riches en nutriments, ayant une incidence capitale sur la biologie en surface des océans. Les instabilités et la turbulence océanique au sein de structures intenses sont aussi une source de mélange actif influant sur les caractéristiques physiques des eaux côtières.
Sillages en rotation
Dans un référentiel tournant, les allées de von Kármán sont influencées par la force de Coriolis. Le nombre de Strouhal ne dépend plus du seul nombre de Reynolds, mais varie en fonction du nombre de Rossby. Pour des nombres de Rossby tels que Ro ∈ [1, 10], l’allée tourbillonnaire reste stable pour les instabilités tridimensionnelles, tant que le nombre de Reynolds reste inférieur à Re = 180.
Pour des nombres de Rossby finis, tels que 1 6 Ro 6 10, les structures anticycloniques sont instables dès que leur vorticité absolue q = ζ +f devient négative, ζ étant la vorticité relative, et f le paramètre de Coriolis (Stegner et al. [136], Leblanc et Cambon [85]). Une classe d’instabilités tridimensionnelles, comme les instabilités centrifuge ou elliptique-inertielle, peut ainsi provoquer une asymétrie dans l’allée tourbillonnaire en déstabilisant de façon transitoire les anticyclones (Fig. 1.2). Pour un sillage océanique de surface, le confinement vertical, caractérisé par le rapport entre l’épaisseur de la couche et l’échelle caractéristique horizontale α = h/L ≪ 1, doit jouer un rôle stabilisant, et on s’attend à un écoulement hydrostatique. Mais cela n’empêche pas les petites perturbations 3D d’avoir un taux de croissance élevé, et l’impact de la faible épaisseur sur ces instabilités n’a pas été étudié.
Mesures in situ et modélisations récentes
L’île d’Aoga-Shima, au large du Japon, est une île de petite taille, L ≃ 3km. Cette île en eau profonde interagit avec le Courant Kuroshio, s’écoulant vers l’est. Un sillage développé en cyclones et anticyclones se forme alors derrière. Hasegawa et al. [60] ont effectué des mesures autour de l’île : des profils de salinité et de température par CTD (Conductivity, Temperature, Density), et des mesures de vitesse de courants horizontaux par ADCP (Acoustic Doppler Current Profiler ). Les auteurs ont montré que la vitesse maximale du courant en amont de l’île pouvait atteindre V = 1.5m/s, et était accélérée jusqu’à V = 2m/s le long des côtes de l’île. Les mesures ADCP ont permis de réaliser des champs de vorticité dans le sillage de l’île .
Des mesures de vorticité ont été réalisées récemment dans le sillage de l’île d’Oahu, dans l’archipel d’Hawaii par Chavanne et al. [30]. Les auteurs ont utilisé des mesures radar et ADCP pour échantillonner un anticyclone dans le sillage de cette île. La taille de l’île, perpendiculairement au courant incident, est d’environ L ∼ 40km. Les sillages sont créés en surface par pompage d’Ekman lorsque les Alizés interagissent avec l’île. Plus particulièrement, des anticyclones d’un diamètre d’environ 40 km de rayon ont été observés, tailles plus petites que le premier rayon de déformation barocline à Hawaii (R∗ d ∼ 60km). La vorticité absolue ζ + f mesurée pour l’un de ces anticyclones (Fig. 1.4), exhibe dans son cœur des valeurs négatives. Ces valeurs négatives ont perduré pendant 4 jours, avant que la vorticité ne décroisse rapidement.
Enfin, dans des expériences numériques récentes, Dong et al. [38] ont étudié la dynamique de sillages d’île en eau profonde. Les auteurs ont utilisé le modèle hydrostatique ROMS (Regional Oceanic Model System), avec une haute résolution horizontale (δx = 250m) et verticale (δz = 25m). Cette résolution permet de décrire la dynamique des petites perturbations 3D qui peuvent déstabiliser les régions de vorticité anticyclonique. Pour de hauts nombres de Reynolds, et lorsque les nombres de Rossby et de Burger sont de l’ordre de Ro ∼ 0.5 et Bu ∼ 1, la norme de la vorticité peut dépasser la valeur de la vorticité planétaire .
Interactions d’un tourbillon de surface avec la côte ou la bathymétrie (Ro ≪ 1, Bu < 1)
De nombreuses observations attestent de l’influence de la topographie sous-marine et des côtes sur la création et la dynamique de tourbillons dans l’océan. C’est le cas des anneaux du Gulf Stream dans l’Océan Atlantique, qui se forment le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord, par déstabilisation du courant (Evans et al. [41]), et des tourbillons libyens dans la Méditerranée orientale qui se forment le long de la côte africaine (Hamad et al. [57]). Dans ce dernier exemple, les eaux atlantiques de surface (AW) méandrent le long de la côte en un courant fin ( ∼ 50km), qui génère par instabilité barocline des tourbillons anticycloniques (Hamad et al. [57, 58]). Ces toubillons ainsi formés ont des comportements encore mal documentés, notamment dans la Méditerranée orientale comme le suggère la récente campagne EGYPT-1 (site de l’Ifremer [128]).
En effet, en avril 2006, un tourbillon libyen (LE, formé au nord de la libye) a été observé dérivant vers l’ouest (Taupier-Letage et the EGYPT/EGITTO Teams [146]), alors que toutes les mesures satellitaires des dix dernières années montrent uniquement des dérives vers l’est (Hamad et al. [58]). Cet anticyclone robuste (plusieurs mois d’existence), et de grande échelle (Bu ∼ 0.2 − 0.3), a été suivi grâce aux trajectoires de bouées de surface (15 m) piégées dans le cœur du LE. La vitesse de dérive estimée (entre 1 et 2 km/j), vers l’ouest, est très supérieure à la vitesse qu’induirait une dérive par effet β (moins de 0.5 km/j). Des mesures par conductimétrie (CTD : Conductivity, Temperature, Depth), ont permis de caractériser la structure verticale du LE (Fig. 1.7). Les deux zones d’eau peu salée, que l’on voit sur la coupe verticale de la salinité, sont représentatives d’eaux atlantiques, venant de l’ouest. Ces zones, indiquant probablement la présence d’une poche d’eau peu salée de forme annulaire, sont piégées dans LE. Il va transporter cette poche annulaire pendant plusieurs mois vers l’est.
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Table des matières
1 Introduction générale
Les échanges côte-large océaniques
Structures de petite et de grande échelles
Instabilités 3D dans les tourbillons intenses (Ro > 1, Bu > 1)
Interactions d’un tourbillon de surface avec la côte ou la bathymétrie (Ro ≪ 1, Bu <1)
Objectifs
2 Notions théoriques
2.1 Les équations primitives
2.2 Le modèle de Saint-Venant
2.3 Conservation de la vorticité potentielle
2.4 Equilibre géostrophique
3 Modélisation physique
3.1 Modélisation bi-couche
3.1.1 Stratification océanique
3.1.2 Stratification en laboratoire
3.2 Comment créer des tourbillons en cuve tournante ?
3.3 Prédictions théoriques de l’ajustement d’un patch de PV circulaire
3.4 Dispositifs expérimentaux
3.4.1 Table tournante et dispositif bi-couche
3.4.2 Méthodes de mesures
3.4.3 Sillages géophysiques couche-mince en laboratoire
4 La méthode de vélocimétrie par image de particules
4.1 Principe Général de la PIV
4.1.1 Description mathématique de la PIV
4.1.2 La corrélation en pratique
4.1.3 La corrélation à plusieurs itérations
4.1.4 Une notation adimensionnelle de la PIV
4.2 La précision des mesures en PIV
4.2.1 Précisions des déplacements
4.2.2 Corrélations partielles (PIE)
4.2.3 Les quantités différentielles
4.3 Etude de notre système haute définition
4.3.1 Spécificités expérimentales
4.3.2 Images expérimentales utilisées dans le cadre de cette étude
4.3.3 Intercorrélations à une itération
4.3.4 Intercorrélations à plusieurs itérations
4.4 Conclusion : ingrédients d’une PIV réussie
5 Mesures haute-résolution de vorticité et de PV
5.1 Introduction
5.2 Ajustement d’un cyclone de faible rapport d’aspect
5.2.1 Dispositif expérimental
5.2.2 Mesures de l’interface par LIF
5.2.3 Mesures de vitesse et de vorticité par PIV
5.3 Ajustement d’un cyclone de grand rapport d’aspect
5.3.1 Dispositif expérimental
5.3.2 Mesures de l’interface par LIF
5.3.3 Mesures de vitesse et de vorticité par PIV
5.3.4 Mesures de la vorticité potentielle
5.4 Conclusion
6 3D instabilities of a rotating shallow-water Karman Street
6.1 Introduction
6.2 Article soumis à Dynamics of Atmospheres and Oceans
6.2.1 Introduction
6.2.2 Experimental setup and physical parameters
6.2.3 Results
6.2.4 Conclusion
7 Données in situ de la campagne EGYPT-1 101
7.1 Le bassin oriental de la Mer Méditerranée
7.2 La Campagne EGYPT-1 et les données relatives à LE
7.2.1 Données des bouées dérivantes
7.2.2 Mesures SST durant l’année 2006
7.2.3 Mesures de la structure verticale de LE par CTD
7.3 Problématique de la dynamique du tourbillon LE
7.3.1 Caractéristiques générales du tourbillon LE
7.3.2 Problème de la dérive du tourbillon LE
7.3.3 Modélisation expérimentale de LE
8 Conclusion générale
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