Sources laser ultrabrèves
L’avènement des sources laser – imaginées en premier lieu par Schawlow et Townes (1958) et mises en œuvre pour la première fois par Maiman (1960) – et leur développement fulgurant a permis de franchir plusieurs paliers technologiques pour sonder ces processus en temps. Les premiers lasers impulsionnels produisaient ainsi des impulsions de quelques centaines de micro-secondes. Plusieurs techniques permirent de faire décroître ces durées d’impulsions. Le Q-switch(ou commutation-Q), développé parMcClung et Hellwarth(1962) consiste à faire varier brutalement le gain de la cavité laser au cours du temps, et à ainsi obtenir des impulsions de l’ordre de la dizaine de nanosecondes. Dans les années 1970, les lasers à colorant, combinés avec la technique de modelocking (blocage de mode) 1 permirent pour la première fois de produire des impulsions sub-picosecondes (1 ps = 10−12s) (Shank et Ippen, 1974). Le contrôle fin de la phase associée à chaque fréquence grâce à des réseaux de diffraction permit ensuite d’atteindre l’échelle de temps de la femtoseconde pour les impulsions à partir des années 1980 (Fork et al., 1987). La technique Chirped Pulsed Amplification (CPA, en français amplification par dérive de fréquence) mise au point par Strickland et Mourou (1985) à la même époque est à la base de l’architecture des sources laser femtosecondes intenses, qui a permis d’augmenter les éclairements laser de plusieurs ordres de grandeur, progrès qui continue encore aujourd’hui. Elle vise à amplifier une impulsion ultrabrève en plusieurs temps : l’impulsion initiale est d’abord rallongée temporellement grâce à un réseau dispersif (étireur), puis amplifiée dans des milieux à gain (sans risquer de les endommager car la puissance instantanée est alors faible), puis recomprimée grâce à un second système optique dispersif (compresseur). La CPA a ainsi été déterminante pour induire des processus extrêmement non linéaires tels que l’ionisation multiphotonique et la génération d’harmoniques d’ordre élevé, deux phénomènes qui seront centraux dans cette thèse.
Sources de rayonnement ultraviolet
De nombreuses sources de photons ont été développées en parallèle des sources laser au cours du XXème siècle comme outil privilégié d’étude de la matière. La spectroscopie de photoionisation, parmi les autres techniques pour sonder la matière a largement bénéficié de ces avancées. L’apparition des synchrotrons dans les années 1950-1960, initialement conçus comme des accélérateurs de particules annulaires, a permis d’accéder à de nouveaux rayonnements allant de l’IR aux rayons X durs. Jusqu’aux années 1980, le rayonnement synchrotron était utilisé de façon parasitaire (synchrotrons de 1ère génération). Ces grands instruments (de plusieurs centaines de mètres de diamètre) ont ensuite été perfectionnés pour augmenter la brillance moyenne et l’intervalle spectral accessibles sur leurs lignes de lumière. Ils permettent d’effectuer de la spectroscopie de photoémission grâce à des impulsions accordables, très stables et étroites spectralement et à haute fréquence (MHz). La durée d’impulsion sur synchrotron est cependant de l’ordre de la picoseconde, et ne permet pas d’accéder aux dynamiques plus rapides. D’autres sources dérivées des synchrotrons, les lasers à électrons libres (FEL pour Free Electron Laser – reposant sur un effet mis en évidence par Madey (1971)) – émergent et permettent de générer des impulsions beaucoup plus brèves et énergétiques, mais à des taux de répétition de quelques dizaines de Hz (LCLS) à quelques kHz (European XFEL). Les jouvences en cours feront monter les cadences au MHz.
Cas de l’Above Threshold Ionization
Dans le cas où les paramètres sont tels que l’électron diffuse dans le continuum, ce processus se répète de façon cohérente à chaque extremum du cycle optique, soit deux fois par période optique. Les électrons étant émis dans des sens opposés selon le demi-cycle où ils sont émis, la périodicité effective est en fait celle du cycle optique. Spectralement, cela se traduit par l’obtention d’un spectre de photoélectrons qui présente des pics espacés de l’énergie de photon laser ħhω. Des spectres ATI typiques obtenus dans des gaz rares sont présentés Figure 1.2. Quelle que soit l’espèce considérée, ces spectres peuvent se décomposer en trois parties :
— pour des énergies d’électrons comprises entre 0 et 2Up , l’intensité du signal décroit exponentiellement, cette région correspond aux électrons qui sont diffusés directement hors du potentiel atomique; par ailleurs, elle correspond aussi aux électrons issus d’un régime multiphotonique;
— pour des énergies d’électrons comprises entre 2 et 10Up , l’intensité du signalmarque un plateau; cette région correspond aux électrons qui ont été rediffusés par le potentiel et ont ainsi pu gagner plus d’énergie dans le champ laser;
— pour des énergies d’électrons au-delà de 10 Up , l’intensité du signal décroit de nouveau exponentiellement, l’énergie maximale pouvant être gagnée suite à la rediffusion étant dépassée.
Le paramètre de Keldysh dans ces conditions est proche de 1, et varie autour de cette valeur selon le gaz considéré (de 0,90 pour le xénon à 1,20 pour le néon). Dans le cas de la spectroscopie par ATI présentée au chapitre 3, le paramètre de Keldysh vaut 6,8 (en prenant pour potentiel d’ionisation 9,54 eV et une intensité IR de 1,7×1012W/cm2), ce qui place ces études dans un régime multiphotonique.
Source laser
Cette plateforme est composée de deux lignes laser, Femtosecond-Attosecond Beamlines (FAB) à 1 et 10 kHz. Les premières étapes de conditionnement du laser sont communes aux deux lignes; son fonctionnement est décrit dans Golinelli et al. (2019) et schématisé Figure 1.6. Ce double système a été développé par la société Amplitude Technologie en collaboration avec le LIDYL dans le cadre du laboratoire commun Impulse. Son fonctionnement est basé sur la technique de Chirped Pulse Amplification (CPA) (Strickland et Mourou, 1985).
Front-end : La première étape de la production d’impulsions femtosecondes est un laserfront end à 10 kHz, qui produit les impulsions « graines » (seed) qui vont alimenter les lignes d’amplification à 1 et 10 kHz. Son fonctionnement est détaillé dans Golinelli et al. (2017). Il est constitué d’un oscillateur (Femtolaser Rainbow CEP4) qui produit des impulsions à 75 MHz, stabilisées en CEP, qui sont étirées grâce à un réseau pour allonger leur durée à plusieurs centaines de picosecondes. Un filtre dispersif acousto-optique programmable (abrégé en AOPDF) appelé Dazzler permet de contrôler la dispersion et la CEP et en particulier de précompenser la dispersion introduite dans le reste de la chaîne d’amplification. Les impulsions sont ensuite amplifiées une première fois en passant dans un amplificateur à six passages appelé Booster. Une cellule de Pockels (sorte de lame d’onde contrôlée électriquement) permet de réduire le taux de répétition à 10 kHz. L’amplification est assurée par un premier cristal de saphir dopé au titane (Ti :Sa) pompé par un laser Continuum MESA 10 kHz, lui même pompé par diodes. Un second amplificateur, appelé Regenerative amplifier constitué de deux cristaux Ti :Sa, également pompés par des MESA, et de deux cellules de Pockels permet d’augmenter encore l’intensité des impulsions tout en minimisant les effets de lentille thermique grâce à cette architecture double. A la sortie de cet étage d’amplification, un second filtre acoustooptique (AOPGCF) appelé Mazzler permet de limiter la réduction de la bande spectrale du gain de la cavité et permet une amplification sur une large bande spectrale. Il est éventuellement possible de modifier le réglage de ce système Dazzler-Mazzler afin de réduire la bande spectrale amplifiée et de varier légèrement la longueur d’onde de l’IR afin d’accorder les harmoniques d’ordre élevé générées pour atteindre des résonances. C’est une technique mise en œuvre notamment à Lund (Swoboda et al., 2010) mais qui affecte l’ensemble des lignes alimentées par le front-end dans le cas de notre double système, d’où le choix d’autres techniques pour atteindre des résonances dans les travaux présentés ici.
Lignes laser FAB1 et FAB10 : Le diamètre du faisceau est ensuite agrandi en sortie du front-end afin de ne pas endommager les optiques en aval. Les impulsions qui en résultent sont ensuite séparées en deux et suivent une ou deux étapes d’amplification avant d’être recomprimées par des compresseurs à réseaux, placés dans deux salles expérimentales différentes, pour fournir
— une ligne à 1 kHz délivrant des impulsions d’énergie 15 mJ (FAB1);
— une ligne à 10 kHz délivrant des impulsions d’énergie 2 mJ (FAB10).
Les deux lignes ont des impulsions centrées à 800 nm, stabilisées en CEP et de durée 25 fs. Il est possible de descendre à 18 fs, proche de la limite de Fourier (Golinelli et al., 2019). La ligne laser FAB1 alimente la ligne harmonique située dans la salle expérimentale 1, dénommée SE1. Le compresseur, dernière étape de la Chirped Pulse Amplification, peut être ajusté indépendamment des autres lignes laser afin d’optimiser la compression des impulsions au niveau de foyer de génération des harmoniques d’ordre élevé. Un spectre typique du laser est présenté Figure 1.7. La polarisation en sortie de compresseur est verticale. La CEP est diagnostiquée après le compresseur grâce à un interféromètre BIRD (Beat Interferometer for Rapid Detection) qui permet éventuellement de la stabiliser activement.
Génération d’harmoniques à deux couleurs
Les trains d’impulsions attosecondes sont idéaux pour la spectroscopie de systèmes complexes car ils permettent, notamment dans la technique RABBIT (détaillée chapitre 4, de combiner résolution temporelle et spectrale et ainsi d’identifier et d’étudier finement les différents canaux d’ionisation (Isinger et al., 2017). Une fois ces états bien connus, on souhaiterait contrôler les dynamiques à l’échelle attoseconde, ce qui n’est possible qu’à partir d’impulsions attosecondes isolées (IAP). On peut en particulier mentionner des applications en attochimie, avec l’étude de dynamiques de migration de charges dans des molécules d’intérêt biologique (Calegari et al., 2014 ; Vacher et al., 2017). C’est pourquoi l’un des axes de développement de la ligne SE1 est la génération d’impulsions attosecondes isolées et intenses. Plusieurs solutions techniques ont été développées pour restreindre la génération harmonique temporellement et ainsi générer des IAP (Li et al., 2020). La plupart d’entre elles impliquent de générer l’XUV à partir d’ impulsions laser ultrabrèves (de seulement quel- ques cycles optiques, i.e. de durée inférieure à ∼10 fs à 800 nm et CEP stable) (Hentschel et al., 2001 ; Sola et al., 2006 ; Sansone et al., 2006). Elles reposent sur l’idée de circonscrire les conditions où la HHG est possible au sein de l’impulsion de génération sur un seul demi-cycle :
— par polarization gating (porte de polarisation), où la polarisation n’est linéaire qu’au maximum de l’enveloppe, (Sola et al., 2006 ; Sansone et al., 2006),
— par amplitude gating (porte d’amplitude), où le contrôle de la CEP permet que seul le demi-cycle le plus intense ne participe significativement à la HHG (Goulielmakis et al., 2008)
— parionization gating (porte d’ionisation), où le maximum d’intensité de l’impulsion IR (de CEP stable) dépasse l’intensité de saturation du gaz : la population d’atomes neutres est complètement déplétée par le front montant de l’impulsion, ce qui circonscrit la HHG temporellement (Ferrari et al., 2010). Ces impulsions IR de quelques cycles optiques ont longtemps été limitées à des énergies inférieures au mJ – les nouvelles technologies OPCPA changent maintenant la donne
–, résultant en de faibles énergies XUV (de l’ordre de quelques nJ). D’autres techniques permettent de générer des impulsions isolées à partir d’un IR multicycle. On peut mentionner le phare attoseconde (Vincenti et Quéré, 2012) reposant sur les couplages spatio-temporels de la HHG dans le cas d’une impulsion de génération dont le front d’onde est incliné, ce qui permet de sélectionner spatialement une impulsion particulière. La génération d’harmoniques d’ordre élevé avec la somme cohérente d’impulsions laser présente l’avantage de pouvoir mieux maîtriser le champ de génération, et ainsi maximiser la probabilité de recollision afin de générer les harmoniques le plus efficacement possible (Chipperfield et al., 2009 ; Siegel et al., 2010 ; Haessler et al., 2014). Cela permet également de contrôler la forme des impulsions XUV afin d’obtenir des impulsions attosecondes isolées et intenses (Kovács et al., 2015 ; Takahashi et al., 2013) ou encore des énergies de photons plus élevées (Schütte et al., 2015). Une campagne d’expériences sur SE1 initiée par Margherita Turconi dans le cadre d’une collaboration avec Stefan Haessler (du Laboratoire d’Optique Appliqué), a ainsi consisté à générer des harmoniques d’ordre élevé à l’aide d’un champ laser dans lequel deux fréquences sont mélangées. Les battements au sein de l’impulsion provoquent alors des maxima de champ électrique plus espacés qu’une impulsion monochromatique : il est dès lors possible de ne générer qu’à certains cycles précis de l’impulsion. En maîtrisant le délai entre les deux fréquences, et éventuellement la Carrier-Enveloppe Phase (CEP, phase enveloppe-porteuse), il est possible de générer des impulsions attosecondes isolées et très intenses (Takahashi et al., 2013). Dans le cadre de ma thèse, j’ai ainsi analysé et simulé les données de ces premières campagnes expérimentales dédiées à la mise en place de la HHG à deux couleurs sur SE1. Comme illustré sur la Figure 1.11(a), une impulsion IR à 800 nm (de durée 15 fs sur le schéma) présente plusieurs cycles optiques près du centre de l’enveloppe où l’intensité est suffisamment élevée pour générer des harmoniques; à chaque demi-période, une impulsion XUV est produite, d’où la génération d’un train d’impulsions attosecondes, de longueur totale de quelques femtosecondes. Le rapport d’amplitudes entre les deux couleurs de pulsations respectives ω1 et ω2, le rapport de leurs fréquences, leurs phases et éventuellement la CEP des impulsions sont autant de paramètres qu’il est nécessaire de bien maîtriser pour que le champ de génération ait la forme désirée. Le principe de la synthèse d’onde pour la HHG est illustré dans la Figure 1.11 (b) et (c). La somme de deux couleurs fait apparaître des battements plus ou moins espacés selon le rapport des fréquences. Si ces battements ont une période suffisamment longue, comme c’est le cas en (c), un maximum du champ a lieu suffisamment près du maximum de l’enveloppe : seule une impulsion XUV est générée par impulsion IR.
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Table des matières
Introduction
1 Processus fondamentaux et aspects expérimentaux
1.1 Interactions en champ fort
1.1.1 Cas de l’Above Threshold Ionization
1.1.2 Génération d’harmoniques d’ordre élevé
1.2 Dispositif expérimental
1.2.1 Source laser
1.2.2 Ligne harmonique SE1 en configuration RABBIT
1.2.3 Gaz de détection
1.3 Génération d’harmoniques à deux couleurs
1.3.1 Interféromètre pour la synthèse d’onde
1.3.2 Résultats expérimentaux
1.3.3 Simulations
1.4 Conclusions
2 Instrumentation pour la spectroscopie de photoélectrons
2.1 Spectromètre à temps de vol à bouteille magnétique
2.1.1 Description du MBES de la ligne 1 kHz
2.1.2 Calibration spectrale de la bouteille magnétique
2.1.3 Résolution spectrale de la bouteille magnétique
2.1.4 Limitations à la résolution
2.2 Spectromètre imageur de vecteur vitesse
2.2.1 Principe de l’imagerie de vecteur vitesse
2.2.2 Les autres modes d’utilisation du VMI
2.2.3 Description du VMI de la ligne 1 kHz
2.2.4 Points de fonctionnement du VMI
2.3 Caractérisation de la résolution du VMI
2.3.1 Estimation théorique de la résolution
2.3.2 Méthode de mesure de la résolution
2.3.3 Dépendance spectrale de la résolution
2.4 Conclusion
3 Etude de la dissociation de l’iodométhane à l’échelle femtoseconde
3.1 Mécanismes dissociatifs envisagés pour nos études pompe UV-sonde IR
3.2 Aspects expérimentaux
3.2.1 Schéma optique
3.2.2 Dispositif de triplage de fréquence
3.2.3 Evaluation des durées d’impulsions
3.2.4 Evaluation de l’intensité des impulsions
3.3 Etude dans un mélange de xénon et d’iodométhane
3.3.1 Identification des pics
3.3.2 Dépendance temporelle des pics
3.4 Etude dans l’iodométhane pur
3.4.1 Spectre typique
3.4.2 Dépendance en intensité du processus
3.4.3 Evolution temporelle
3.5 Interprétation des résultats à l’aide de simulations
3.5.1 Cas de l’absorption d’un seul photon UV
3.5.2 Cas de l’absorption de deux photons UV
3.6 Conclusion
4 Spectroscopie RABBIT pour la caractérisation XUV et l’étude de dynamiques de photoionisation
4.1 Caractérisation temporelle des impulsions obtenues par HHG
4.1.1 Principe de la technique RABBIT
4.1.2 Exemple de reconstruction du profil temporel d’un train d’impulsions attosecondes
4.1.3 Conclusion
4.2 Dynamique de photoionisation
4.2.1 Diffusion électronique sur un potentiel central
4.2.2 Délais de Wigner
4.3 Accès à la dynamique de photoionisation
4.3.1 Délais de photoionisation
4.3.2 Dynamiques à proximité de résonances et Rainbow RABBIT
4.4 Accès à la phase et au module d’un POE résonant à partir de Rainbow RABBIT
4.5 Spectroscopie attoseconde résolue angulairement
4.5.1 Reconstruction analytique
4.5.2 Reconstruction de matrices RABBIT à un angle donné
4.6 Conclusion
5 Dynamiques de photoionisation résolues angulairement dans l’hélium
5.1 Dispositif expérimental
5.2 Cas de l’hélium non résonant
5.2.1 Résultats expérimentaux
5.2.2 Interprétation
5.2.3 Reconstruction des ondes partielles
5.3 Cas de l’hélium résonant
5.3.1 Mesures par Rainbow RABBIT
5.3.2 Incertitude associée aux phases extraites
5.3.3 Simulations numériques
5.3.4 Accès au POE résonant
5.3.5 Résultats de la reconstruction
5.3.6 Interprétation
5.3.7 Reconstruction de la dynamique temporelle
5.4 Conclusion
Conclusion
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