Dynamiques comparées de l’urbanisation en milieu tribal (Tunisie et Mauritanie)

L’académisme doctoral nous incite parfois à éluder une part de notre expérience de terrain pour ne retenir que les hypothèses de travail, les méthodes élaborées, les réflexions et les résultats scientifiques. Mais cette expérience se compose aussi de micro-événements quotidiens qui participent de la confrontation sociale et contribuent tout autant à la construction d u chercheur. À ce titre, il m’a semblé utile d’en rendre compte. Car neuf missions réalisées en près de six années de recherches menées dans trois pays situés à chaque extrémité du Monde arabe ont apporté leur contingent de surprises et d’enseignements. En guise d’entrée en matière, voici donc quelques “moments choisis” des premiers contacts avec un objet alors non apprivoisé : une manière de “planter le décor” de cette comparaison, de permettre à chacun de “tâter” un terrain qui a ses spécificités, mais également de souligner que l’anecdote est rarement insignifiante et que les imprévus sont souvent de précieuses opportunités à saisir.

À la rencontre de l’inconnu 

Maan (Sud jordanien)
Mon premier séjour en Jordanie ne fut pas des plus aisés. À mon arrivée à Amman, capitale au calme déroutant dans cette région troublée, j’entrai pour la première fois au Proche-Orient sans en posséder les clés les plus utiles. Loin de ce Maghreb qui m’était si familier pour l’avoir parcouru depuis l’âge de dix ans, je comptais sur Riccardo Bocco, le secrétaire scientifique du CERMOC, pour m’initier à la société jordanienne et faciliter mes prises de contact dans cette ville du Sud, connue pour ses mouvements sociaux, que j’étais venu étudier : Maan. Hélas, Riccardo croulait sous les charges et il m’annonça que ses contacts n’y résidaient plus… Sentant mon impatience à rejoindre la ville, il me conseilla vivement d’attendre la fin des fêtes de l’Aïd, soit une semaine encore, persuadé que j’aurais davantage d e chances d’y rencontrer des interlocuteurs disponibles. Lassé d’attendre, défiant le bon sens, je quittai Amman dès le lendemain matin et débarquai à Maan, morose carrefour routier en direction de l’Arabie Saoudite, un vendredi, en pleine fête musulmane.

Ignorant tout des lieux, dépourvu de contacts locaux, je me mis e n chasse d’un hypothétique professeur de français, pariant autant sur les facilités linguistiques que sur l’intérêt d’une prise de contact avec un corps enseignant généralement sensible à une recherche universitaire. En quelques heures, l’hypothèse s’évapora : renseignements pris, le professeur tant espéré n’existait pas, et seules quatre personnes étaient censées parler français sur près de 30 000 habitants. Trois d’entre elles avaient émigré dans les pays du Golfe, et la quatrième enseignait l’informatique à Amman. Tel u n sourd-muet obligé de compenser sa déficience par le développement de ses autres sens, je décidai de sillonner la ville afin de “voir”, puisque l a géographie m’avait appris à décrypter la forme et à en extraire les stratégies humaines. Me voici donc à errer dans Maan, un vendredi, en plein aprèsmidi… Arrivé en limite de la ville après avoir croisé au grand maximum dix passants fuyant le soleil, je fus interpellé par trois habitants qui discutaient à l’entrée d’une mosquée en construction. L’un d’eux, barbe soignée, l a quarantaine, se présenta comme un professeur d’anglais (j’apprendrai plus tard qu’il s’agissait d’un “sharî‘a professor”, ex-colonel et imam de l’armée, député de Maan l’année suivante). Poliment invité à venir bavarder au cœur de la mosquée, je confiais sans retenue mes objectifs et mes espoirs. C’est alors que, contre toute attente, l’homme me dit : « Mon cousin, le professeur d’informatique parlant français, arrive ce soir pour passer les fêtes e n famille ; je peux vous le présenter dès demain, si vous le souhaitez »…

C’est ainsi que le lendemain matin je fus présenté à la seule personne de la ville parlant français, qui plus est, un français absolument parfait et sans accent. Lorsque je m’enquis des raisons d’une telle maîtrise, quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre qu’il avait passé onze ans e n France et étudié… “au Parc de Grandmont” : autrement dit, juste en face d u département de géographie de l’Université de Tours où j’avais fait mes études ! Grâce à cette rencontre providentielle, je pus tout de suite bénéficier d’un premier tableau, vaste et en langage clair, de l’organisation de la ville e t de ses habitants ; puis il m’introduisit auprès d’amis et cousins enseignants, m’ouvrant quelques précieuses portes avant son départ ; mais surtout, le jour de l’Aïd-el-kebir, comme le veut la coutume, je fis en sa compagnie l a tournée des principales grandes familles de la ville : à chaque reprise, autour d’un riz oriental et d’une décoction de café brûlante, il me présenta aux notables locaux, leur expliquant à ma place les raisons de ma présence. Au terme d’une bonne journée de salutations (et de gavage d’estomac), le summum fut atteint lorsque nous nous retrouvâmes dans le même salon que le gouverneur de la région de Maan : les présentations prirent alors u n caractère tout à fait officiel. Décidément, le monde est petit… à condition d’aller à sa rencontre .

Se concilier les autorités et échapper à la manipulation 

Maan (Sud jordanien)
Quelques jours plus tard, je fis “par hasard” la rencontre d’un honorable habitant de Maan, lui aussi la quarantaine, mais imberbe, qui rapidement m’invita à le rejoindre à une cérémonie de mariage. Mieux encore, il se proposa de me faire rencontrer un vieux cheikh de la ville qui, paraît-il, possédait des documents historiques… C’est la raison qui motiva m a décision de donner suite à l’invitation de ce Jordanien “qui ne me voulait que du bien”. Je profitai des préparatifs du mariage pour observer son comportement : trop autoritaire pour être un banal honnête citoyen, pensaije. Mes appréhensions s’accrurent lors de l’entretien avec le vieux cheikh : à aucun moment je ne pus m’entretenir seul avec mon hôte, et mon “assistant” ne manqua pas une occasion d’orienter mes questions dans un sens qui n’était pas vraiment celui que je souhaitais. Simple contrôle social de l a société tribale ? ou véritable neutralisation policière ? Répondant davantage à mon instinct qu’à ma raison, je décidai de prendre immédiatement – mais l e plus imperceptiblement possible – mes distances, invoquant les fois suivantes quelques empêchements de dernière minute ou des rendez-vous officiels auxquels je ne pouvais me soustraire. Pendant près de deux semaines, l e jeu fut délicat car il s’agissait de progresser librement dans mes enquêtes sans susciter une trop grande attention de sa part, et en évitant à tout prix de laisser transparaître mes propres soupçons.

Le fin mot de l’histoire apparut plus impromptu qu’à ses débuts. Au terme de mon séjour de recherche, je m’étais octroyé deux jours d e tourisme à Aqaba. Le retour sur Amman se faisait en car. Après avoir quitté l a gare routière, le car sembla faire un détour en périphérie de la ville, puis s’immobilisa devant l’entrée d’un imposant bâtiment officiel : le QG des forces de police d’Aqaba. C’est alors qu’en sortit un officier supérieur e n superbe uniforme, bardé de galons, qui monta rapidement et s’assit à l a place avant qui lui était réservée, non sans avoir jeté auparavant un coup d’œil éclair à la masse des passagers endormis : je reconnus soudain l’homme de Maan ! Engoncé dans mon siège comme pour mieux m e transfigurer, son regard glissa. Je suis certain d’avoir échappé, ce jour-là, à plusieurs heures d’interrogatoire en règle…

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Table des matières

INTRODUCTION
LES PARAMÈTRES D’UNE RECHERCHE
1. Espace, tribu et État dans le Monde arabe : la ville en ligne de mire
2. États, villes et tribus : le tiercé comparatif
3. Cartographier la tribu dans la ville : une conception problématique
PREMIÈRE PARTIE
LA VILLE DE TRIBU DU SAHARA TUNISIEN : QUAND UN ÉTAT “FORT” SE HEURTE AU DROIT COUTUMIER
Introduction
Chapitre I : Douz, la ville d’une tribu
1. De points d’ancrage de nomades à la ville unifiée
2. De communautés “décapitées” à une commune “à tête tournante”
3. Une gestion foncière sous emprise tribale
Chapitre II : Kébili, la ville d’un homme de tribu
1. De l’ancien village oasien à la nouvelle Kébili
2. Une conquête urbaine face à la domination “kébilienne”
3. Une gestion foncière aux mains d’un seul homme
Chapitre III : La ville de tribu à l’épreuve de la confrontation tunisienne
1. L’inscription urbaine des ‘açabiyyât tribales : des différences de nature ou de temporalité ?
2. Le droit à la ville : une dialectique locale entre “autochtones” et “allogènes”
3. Les raisons du maintien de pratiques coutumières
Conclusion : La tentation de la spécificité
Dynamiques comparées de l’urbanisation en milieu tribal
DEUXIÈME PARTIE
LA VILLE DE TRIBU DU SAHARA MAURITANIEN : UN INSTRUMENT POLITIQUE POUR INTÉGRER L’ÉTAT “TRIBAL”
Introduction
Chapitre I : Kiffa, un fief tribal usurpé
1. D’un poste colonial à un pôle régional de sédentarisation
2. Main basse sur la ville : une prise de contrôle sous conditions
3. Une gestion foncière aux mains de l’État
Chapitre II : De Tijikja à El Asma : les pôles symboliques d’une “démocratie tribale”
1. De la “grandeur” d’une cité à une localité dégradée
2. Un bastion tribal, refuge et ressource de la notabilité
3. El Asma, une ville virtuelle
Chapitre III : La ville de tribu à l’épreuve de la confrontation mauritanienne
1. L’inscription urbaine des ‘açabiyyât tribales : des différences de temporalité
ou de régulation politique ?
2. Le droit à un fief : la ville, point d’ancrage politique à visées nationales
3. Les raisons du développement d’un néo-tribalisme
Conclusion : La primauté du politique
CONCLUSION

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