L’érosion hydrique des sols résulte de la combinaison de nombreux facteurs dont certains sont constants (substrat géologique, nature des sols, relief, pente) alors que d’autres évoluent dans le temps (couvert végétal, occupation des sols, pratiques culturales) ou sont aléatoires (pluviométrie et crues). L’apparition de ce phénomène dans les zones cultivées du NordOuest de l’Europe (Bolline et Laurant, 1983 ; Monnier et al., 1986 ; Boardman et al., 1994) fait suite aux mutations agricoles des années 50-60. Les modifications des pratiques culturales et l’évolution de l’occupation des sols ont en effet augmenté de façon importante la surface des zones ruisselantes : dans le Nord-Ouest de la France, l’augmentation de la surface des parcelles de culture et la suppression des haies ont notamment été identifiés comme des facteurs aggravants de l’érosion hydrique (Ouvry, 1992). Dans ces régions, la compréhension des processus érosifs constitue un enjeu économique et environnemental majeur. En effet, les transferts de matières engendrés par l’érosion des sols ont des conséquences multiples, depuis la destruction des sols, les coulées boueuses et les inondations, jusqu’à la modification de la qualité des eaux de surface, les problèmes d’alimentation en eau potable et la modification des biotopes aquatiques (Papy et Douyer, 1991 ; Boardman et al., 1994).
Les phénomènes érosifs peuvent être appréhendés et quantifiés selon différentes approches : l’analyse des formations superficielles, l’étude géomorphologique des paysages et l’estimation des flux de matériel particulaire et dissous transitant dans les eaux superficielles. A l’échelle mondiale, une étude des facteurs contrôlant les bilans d’érosion dans les rivières et les fleuves a été proposée par de nombreux auteurs (Milliman et Meade, 1983 ; Milliman et Syvitsky, 1992 ; Probst, 1992 ; Ludwig et Probst, 1998, Meybeck et al., 2003 ; Syvitski, 2003). A l’échelle régionale, de nombreux travaux visant à la compréhension et à l’estimation de l’érosion dans le Nord-Ouest du Bassin Parisien ont porté sur l’étude des sols (Auzet, 1987 ; Auzet et al., 1992 ; Ouvry, 1992 ; Martin et al., 1997 ; Le Bissonnais et al., 1998 ; Lecomte, 1999 ; Leguédois, 2003). Il s’avère, néanmoins, que les travaux présentés sur les bilans d’érosion ont généralement utilisé des données mensuelles ou semestrielles, acquises selon différentes méthodologies et pour des périodes variables, alors que les études régionales sur les sols ont été réalisées à l’échelle de la parcelle (de quelques m2 à quelques hectares) ou du bassin versant élémentaire (quelques km2).
De par leur situation géographique (interface continent/océan) et leur forte sensibilité à l’érosion, les bassins versants littoraux de l’Ouest du Bassin Parisien constituent des sites d’étude pilotes pour estimer l’impact de l’érosion et quantifier les flux sédimentaires exportés à la Manche, conformément à la Directive européenne Cadre sur l’Eau.
Description générale du Bassin de la Seine et des fleuves côtiers normands
Le réseau hydrographique du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands occupe une surface de 97 000 km2 . Il comprend 55 000 km de linéaire fluvial. La majeure partie de ce réseau converge vers la Seine, qui draine un bassin versant total de 78 000 km2 à travers un parcours de 780 km (entre sa source sur le plateau de Langres et son estuaire au Havre). La zone littorale de la Manche s’étend sur 640 km et comprend une trentaine d’exutoires principaux. Les cours d’eau côtiers normands représentent 13 200 km drainant 14 000 km2 . Située à l’Ouest du bassin de la Seine, la région administrative Haute Normandie, occupe une surface de 12 317 km2 , soit plus de 12% du bassin « Seine-Normandie » .
Les reliefs sont peu accentués avec une altitude moyenne de 160 m. Le bassin de la Seine est soumis à un régime pluvial océanique, recevant en moyenne 720 mm de précipitations par an mais pouvant varier de 1100 mm.an-1 à 800 mm.an-1 en zone littorale (AESN, 2004). Le débit moyen interannuel de la Seine est faible : 310 m3.s-1 à Paris et 481 m3.s-1 au barrage de Poses, limite de la zone d’influence tidale. Les principaux cours d’eau côtiers présentent une gamme de débit moyen interannuel variant de quelques m3.s-1 à 15 m3.s-1 pour la Vire et 24 m3.s-1 pour l’Orne, apportant un débit total de 100 m3.s-1 à la Manche (AESN, 2004).
Le bassin de la Seine-Normandie compte 17,25 millions d’habitants. La densité de population est très variable : de 35 à plus de 20 000 hab/km2 . Plus de la moitié de la population (55%) se concentre en région parisienne et les agglomérations de Rouen, Caen, Le Havre, Reims et Troyes comptent chacune plus de 150 000 habitants. L’économie industrielle du bassin repose sur les industries de chimie de spécialités, automobile, énergie, chimie de base, sidérurgie ; l’industrie chimique de base est notamment très développée autour de l’estuaire de Seine. L’agriculture joue un rôle primordial dans l’aménagement du paysage et du territoire avec 104000 exploitations agricoles réparties sur 6 millions d’hectares, soit 62% de la surface du bassin. Enfin, du point de vue du patrimoine et des milieux naturels, le bassin compte 3 650 zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristiques (ZNIEFF) qui recouvrent 26 500 km2 . Une partie d’entre elles, à composante humide, joue un rôle essentiel dans la fonctionnalité des milieux aquatiques et contribue à la diversité biologique de ces écosystèmes (AESN, 2004).
Géomorphologie et hydrographie de la Haute Normandie
L’analyse globale du relief à l’échelle de la Région Haute Normandie a été effectuée grâce à la visualisation d’un Modèle Numérique de Terrain (MNT au pas de 50 m) traité avec un Système d’Information Géographique : ArcView 8.3 © . L’Ouest du Bassin de Paris est caractérisé par de vastes plateaux d’altitudes modérées (< 300 m) et un modelé lié au soussol sédimentaire et à son évolution récente. L’altitude des plateaux varie régionalement et il est possible de distinguer :
– les plateaux élevés (altitudes supérieures à 150 m) comprenant le Pays de Bray, le Sud du Talou, le Pays d’Ouche, le Nord du Vexin Normand et le Sud Est du Pays de Caux ;
– les plateaux moyennement élevés (altitudes comprises entre 125 et 150 m), tels que le Pays de Caux central, le Roumois, la Plaine du Neubourg et la Plaine de Saint André ;
– les zones basses (altitudes inférieures à 125 m) comprenant le littoral de la Manche (qui ne concerne pas le bassin versant de la basse Seine), l’extrémité occidentale du Pays de Caux, le Lieuvin, le Sud du Vexin Normand et les vallées qui entaillent les plateaux, dont la vallée de Seine.
Les caractéristiques géomorphologiques de part et d’autre de la Seine sont très différentes (Laignel et al., 2003). Au Nord de la Seine, les plateaux sont fortement disséqués par des vallées actives et des vallons secs tandis que la partie sud de la Seine est constituée de vastes plateaux découpés par un réseau hydrographique très pauvre et peu hiérarchisé (Hauchard, 2001).
Géologie de la Haute Normandie
Le substratum
Cinq étages du Crétacé supérieur sont rencontrés en Haute Normandie : Cénomanien, Turonien, Coniacien, Santonien et Campanien. Néanmoins, dans le Pays de Bray apparaissent à l’affleurement des formations du Crétacé inférieur et du Jurassique . Différents travaux (Laignel, 1997, 2003) ont permis de proposer une synthèse des caractéristiques lithologiques et physiques de ces craies selon l’étage considéré .
Les travaux de Laignel (1997) ont permis de montrer que les compositions chimiques de la fraction silicatée fine (insolubles fins) des craies sont relativement homogènes au sein d’un même étage stratigraphique, à l’exception du Turonien pour lequel il existe des différences entre le Turonien inférieur et moyen et le Turonien supérieur.
Les craies coniaciennes, santoniennes et campaniennes sont chimiquement proches. Le Turonien supérieur est également chimiquement proche des craies précédentes, à l’exception de sa teneur en alumine (Al2O3) légèrement plus faible et de sa teneur en oxyde de magnésium (MgO) légèrement plus élevée. Les craies du Turonien inférieur et moyen se démarquent des précédentes, notamment pour SiO2, Al2O3 et MgO. Néanmoins, ces teneurs sont mesurées sur le résidu insoluble de la craie (Santonien 1 à 3 %, Coniacien 3 à 5%, Turonien 5 à 10 % environ) (Laignel, 1997). Ainsi en rapportant ces teneurs à la craie totale, les différences sont beaucoup moins importantes. Le cortège argileux des craies est composé presque exclusivement de smectite (80 à 95 %) et d’une faible proportion d’illite (5 à 20 %). La minéralogie des argiles ne présente ni variation stratigraphique, ni variation régionale (Laignel, 1997).
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Table des matières
INTRODUCTION
I. CADRE DE L’ETUDE
1. DESCRIPTION GÉNÉRALE DU BASSIN DE LA SEINE ET DES FLEUVES CÔTIERS NORMANDS
2. GÉOMORPHOLOGIE ET HYDROGRAPHIE DE LA HAUTE NORMANDIE
3. GÉOLOGIE DE LA HAUTE NORMANDIE
4. KARST ET HYDROGÉOLOGIE RÉGIONALE
5. CLIMAT ET HYDROLOGIE
6. SOLS ET ÉROSION
II. MATERIELS ET METHODES
1. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES BASSINS VERSANTS ÉTUDIÉS
2. APPROCHE STATIQUE POUR LA DÉTERMINATION DES VARIABLES D’ÉTAT DES BASSINS
3. APPROCHE DYNAMIQUE POUR LE SUIVI EN CONTINU DES TRANSFERTS FLUVIATILES
4. MÉTHODES DE TRAITEMENT DES DONNÉES
III. ANALYSE DU POTENTIEL D’ERODIBILITE
1. COMPARAISON INTERBASSINS DES VARIABLES D’ÉTAT
2. ANALYSE DE LA STABILITÉ STRUCTURALE DES SOLS
3. VERS UNE ÉVALUATION DU POTENTIEL D’ÉRODIBILITÉ DES BASSINS ÉTUDIÉS
IV. FONCTIONNEMENT HYDROLOGIQUE ET REACTIVITE EROSIVE
1. LE CONTEXTE HYDROLOGIQUE 2005
2. LA RÉPONSE PLUIE-DÉBIT DES BASSINS
3. LE TRANSPORT PARTICULAIRE
4. LE TRANSPORT DISSOUS
5. LES FLUX DE MATIÈRES À L’ÉCHELLE ÉVÉNEMENTIELLE
V. SYNTHESE ET DISCUSSION
1. IDENTIFICATION DES FACTEURS DE CONTRÔLE DES BILANS D’ÉROSION RÉGIONAUX
2. ESTIMATION PLURIANNUELLE DES BILANS D’ÉROSION ET DES APPORTS DES RIVIÈRES LITTORALES DE HAUTE NORMANDIE
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
ANNEXES