Dynamique des protéines. Protéines intrinsèquement désordonnées
Couche d’hydratation et paysage énergétique conformationnel des protéines
Le règne animal et végétal a toujours déployé des trésors de sélection afin de survivre et de prospérer dans de vastes gammes de conditions, jusqu’à des températures extrêmes de froid et de chaud, des concentrations de sel très élevées, des pH extrêmement acides ou alcalins, des doses de radiation énormes et des pressions pouvant aller jusqu’à des centaines d’atmosphères (1). Ces évolutions se font par une adaptation constante du génome face à l’environnement, qui résulte en une modification dynamique du milieu intracellulaire. Des travauxréalisés sur différentes bactéries (psychrophiles, mésophiles et thermophiles) ayant chacune des exigences physiologiques particulières ont permis de mettre en évidence cette variabilité dynamique au niveau moléculaire (2). En mesurant les amplitudes moyennes des mouvements des composants (ADN, ARN, lipides, polysacharrides) pour chacune des bactéries, Tehei et collaborateurs ont pu mettre en évidence un lien entre thermo-adaptation et dynamique interne : une diminution de rigidité est associée à une température physiologique basse, de manière à garder une amplitude moyenne des mouvements constante. En revanche, une augmentation de la rigidité dans le cas des thermophiles a permis de maintenir la stabilité à des températures élevées, tout en fournissant la flexibilité requise. Une révélation importante de cette publication réside dans l’amplitude moyenne à chaque température physiologique (obtenue par extrapolation des données) s’est avérée être constante à quelques dixièmes d’Ångström près ; c’est la notion d’état équivalent pour la fonction biologique. Cette modulation de la dynamique à travers le règne du vivant montre l’importance que cette dernière prend dans le contexte de la fonction biologique de ces systèmes.
La dynamique à l’échelle moléculaire revêt donc une grande importance à l’échelle de la cellule. Nous distinguons deux classes principales d’effets sur la dynamique moléculaire d’une protéine, la séquence en acide aminés et l’environnement. On pourrait affirmer que la couche d’hydratation représente le lien entre ces deux classes d’effets. La portée de cette thèse est d’explorer les aspects dynamiques de ce lien pour plusieurs systèmes d’intérêt biologique.
Sous-états conformationnels d’une protéine Frauenfelder et collaborateurs ont introduit la notion de sous-états conformationnels à partir d’une analyse de la cinétique de la religation du monoxyde de carbone après photo-dissociation par flash laser dans la myoglobine (3, 4). L’existence d’une hétérogénéité de dynamique au sein de la protéine, même à 80 K ont amené les auteurs à supposer l’existence d’un ensemble d’états de basses énergies, appelés sous-états conformationnels, séparés chacun par des barrières énergétiques de faible amplitude. L’ensemble de ces sous-états forme le paysage énergétique conformationnel d’une protéine et les différentes conformations associées sont le reflet de la grande variété dans les mouvements des chaines latérales et de leurs interactions mutuelles.
Couche d’hydratation Des mesures de dynamique (en particulier par diffusion de neutrons) sur des poudres montrent cependant qu’une protéine déshydratée ne permet pas de rendre compte de cette grande diversité de mouvement. Des déplacements carrés moyens linéaires sont observés sur une large gamme de température (20-300 K) (7, 8) et la fonction biologique est absente. Si par contre, une couche d’eau par protéine, au minimum, est ajoutée au système, une dynamique supplémentaire s’ajoute et permet de reformer un paysage énergétique plus complexe et finalement de retrouver une fonction biologique (9). Il apparait donc que la couche d’hydratation autour des macromolécules biologiques est d’une grande importance pour leur activité, probablement par effet dynamique. Cette couche d’hydratation a été mise en évidence par diffusion aux petits angles de neutrons et de rayonsX (10). En jouant sur le contraste solvant deutéré-hydrogéné, il est possible de faire apparaitre une couche d’eau autour de la protéine, de l’ordre de 10% plus dense que l’eau libre (10) et qui présente la caractéristique de rester dynamique même à basses températures. Des mesures de spectroscopie THz (11) montrent qu’en solution, les mouvements collectifs de l’eau sont affectés jusqu’à 10 Å au delà de la protéine, 10 Å dans lesquels les propriétés dynamiques de l’eau diffèrent sensiblement de l’eau libre. Ces deux mesures sont complémentaires, l’une mesurant une densité locale, l’autre une excitation qui n’influe pas de manière significative sur la densité. Intéressons nous plus en détail aux rôles de cette couche d’hydratation.
The large number of conformational substates is essential ; proteins cannot function without this reservoir of entropy, which resides mainly in the hydration shell.” Hans Frauenfelder et collaborateurs .
En jouant le rôle de réservoir d’entropie, l’eau d’hydratation interagit avec les acides aminés de surface, leur donnant accès à des dynamiques supplémentaires. Ces dernières viendront enrichir le paysage énergétique, et former les sous états conformationels de faibles énergies.
L’eau, en plus de son rôle d’agent lubrifiant, est aussi impliquée de manière beaucoup plus directe dans la fonction des protéines (15, 16), autre que celui de réservoir d’entropie. Rodriguez et collaborateurs (17) montrent que l’eau d’hydratation peut jouer un rôle de modulateur de l’activité enzymatique, à travers le réseau de liaisons hydrogènes. Des molécules d’eau peuvent aussi jouer par exemple un rôle de transporteur d’électrons entre deux acides aminés (18), un rôle de coordinateur de cofacteurs métalliques (19). On la retrouve dans des protéines anti-gel (AFP ou Anti-Freeze Protein), où l’eau d’hydratation d’une des surfaces de la protéines s’ordonne, de manière à promouvoir la nucléation de la glace sur cette face et ainsi permettre l’attachement de la protéine sur de la glace. L’eau des autres faces, elle, adopte une configuration désordonnée, empêchant la formation de la glace. La protéine couvre donc ainsi une couche de glace, tout en empêchant celle-ci de croitre (20). Terminons avec l’exemple des fibres amyloïdes, par l’intermédiaire d’un réseau de liaison hydrogène entre l’eau d’hydratation et des résidus souvent impliqués dans l’agrégation (21). A notre connaissance, une seule étude a montré la fonction biologique d’une enzyme in near-anhydrous conditions .
Le rôle de l’eau ne se limite donc pas simplement à une modulation de la dynamique d’une macromolécule biologique. La grande diversité de fonctions biologiques possibles se reflète dans les multiples rôles que peut finalement jouer l’eau et cette dernière prend toute son importance à la lumière du contexte cellulaire auquel elle est associée.
Couplage dynamique couche d’hydratation – macromolécules et fonctions biologiques
Transition dynamique Malgré le fait que la plupart des processus biologiques s’effectuent dans des gammes de températures restreintes, la dynamique des protéines a été étudiée en fonction de la température, allant de 10 à 400 K, pour explorer ses bases physiques. En effet, dynamique et température sont intimement liées. Des modifications notables de la dynamique moyenne ont été observées en fonction de la température. A basse température (<200 K) et même en présence d’hydratation, la plupart des systèmes étudiés voient leur activité fortement diminuée, voire absente. Cela est corrélé avec une dynamique harmonique. La protéine semble être piégée dans un des minima locaux et ne peut pas passer dans un autre minimum. A des températures ciblées, en particulier ~200-230 K, apparaissaient un ou des processus supplémentaires qui rendent le système plus « dynamique ». Cet effet a été décrit comme une transition dynamique, bien que le concept d’une transition de phase soit controversé (23). Ces «transitions dynamiques» ont été observées par différents moyens, dans un premier temps par spectroscopie Mössbauer sur l’atome de fer (57Fe) de l’hème de la myoglobine (24), puis par diffusion incohérente de neutrons (7), et plus récemment par spectroscopie diélectrique (25). Il faut noter que les temps caractéristiques échantillonnés de ces différentes méthodes sont très différents, plaidant en faveur d’une transition entre états d’énergie libre différente. La vison alternative serait un ralentissement des mouvements par vitrification en baissant la température, dans quel cas l’émergence des processus supplémentaires apparaitrait à différentes températures en fonction des temps caractéristiques de la mesure et les énergies d’activation de ces processus. Les systèmes biologiques étant hétérogènes, les deux effets sont observés. Par exemple, dans une étude par diffusion de neutrons sensibles aux temps caractéristique de 1 ns, on observe les processus de rotation des groupements méthyles à environ 100 K.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 Dynamique des protéines. Protéines intrinsèquement désordonnées
1.1 Couche d’hydratation et paysage énergétique conformationnel des protéines
Sous-états conformationnels d’une protéine
Amplitudes et temps caractéristiques
Couche d’hydratation
1.2 Couplage dynamique couche d’hydratation – macromolécules et fonctions biologiques
Transition dynamique
Influence du solvant sur les transitions dynamiques
Conclusion sur l’hydratation
1.3 Les protéines intrinsèquement désordonnées (IDPs)
1.3.1 Définition et fonctions associées
Classification des IDPs
Fonctions associées
1.3.2 Caractérisations biophysiques et biochimiques
Cristallographie par rayons X
Résonance magnétique nucléaire (RMN)
Caractérisation biochimiques
Diffusion dynamique de lumière (DLS) et chromatographie par exclusion de taille
Dichroïsme circulaire (CD)
1.3.3 IDPs, dynamique et hydratation
Dynamique des protéines désordonnées
Dynamique des couches d’hydratation dans les conformations désordonnées
2 Diffusion de Neutrons et application à la dynamique des protéines
2.1 Diffusion de neutrons
2.1.1 Diffusions cohérente et incohérente
2.1.2 Deutération de protéines et hydratation des protéines
2.2 Diffusions élastique, quasi-élastique et inélastique
2.2.1 Diffusion élastique
Déplacements carrés moyens (MSDs)
Constante de force apparente
2.2.2 Diffusion quasi-élastique
Analyse théorique d’un spectre de diffusion
Expression du facteur de structure dynamique diffusif
Expression finale de la section efficace dynamique
Limite de l’approche
Facteur de structure élastique incohérent (EISF)
2.2.3 Procédure de traitements des spectres quasi-élastiques
2.3 Instruments de diffusion de neutrons
2.3.1 Spectromètre à rétro-diffusion
Résolution d’un spectromètre à rétro-diffusion
Spectromètres utilisés
2.3.2 Spectromètre à temps de vol
Résolution d’un spectromètre à temps de vol
Spectromètre utilisé
2.4 Relation entre diffusion élastique et quasi-élastique de neutrons
3 Dynamique des protéines désordonnées par diffusion élastique de neutrons. Couplage avec l’eau d’hydratation
3.1 Dynamique des IDP et de leur eaux d’hydratation
3.1.1 Problématiques et motivations
3.1.2 Systèmes biologiques : les protéines Tau et MBP
La protéine Tau
La Maltose Binding Protein (MBP)
3.1.3 Biochimie de la protéine Tau et culture de bactéries par fermentation
Biologie moléculaire
Milieu minimum et adaptation des bactéries
Croissance de bactéries en milieu minimum
Test d’expression
Culture des bactéries par fermentation
Purification de la protéine Tau
Diffusion de rayons X aux petits angles de la protéine Tau
3.1.4 Préparation et caractérisation des échantillons pour la diffusion de neutrons
Hydratation des échantillons
Caractérisation de l’hydratation des échantillons sur IN16
Hydratation des échantillons HTau et DTau
Caractérisation de l’hydratation des échantillons sur D16
3.1.5 Mesures de diffusion élastique incohérente de neutrons à haute résolution (0.9 µeV) sur les échantillons de Tau
Collecte des données
Traitement des données
3.1.6 Résultats et discussion
3.2 Dynamique des protéines dépliées par mutations en conditions natives
3.2.1 Problématiques et motivations
3.2.2 Système biologique : la MBP dépliée par mutations ou MBP0
3.2.3 Diffusion de rayons X aux petits angles de la protéine MBP0
3.2.4 Préparation des échantillons pour la diffusion de neutrons
3.2.5 Caractérisation de la MBP0 en solution par chromatographie d’exclusion de taille
3.2.6 Mesures de diffusion élastique incohérente de neutrons à haute résolution (0.9 µeV) sur les échantillons de MBP0
Collecte des données
Traitement des données
3.2.7 Résultats et discussion
3.3 Conclusion
4 Dynamique de la couche d’hydratation des protéines globulaires et intrinsèquement désordonnées, par diffusion quasi-élastique de neutrons et spectroscopie Terahertz
4.1 Problématiques et motivations
4.2 Mesure de diffusion incohérente quasi-élastique à haute résolution (0.6 µeV) sur les échantillons de Tau et de MBP
Collecte des données
Traitement des données
4.2.1 Résultats et discussion
4.3 Mesure de diffusion incohérente quasi-élastique à résolution intermédiaire (20 µeV) sur les échantillons de Tau et de MBP
Collecte des données
Traitement des données
4.3.1 Résultats et discussion
4.4 Spectroscopie d’absorption terahertz des couches d’hydratation des protéines Tau et MBP
Influence de la nature de la macromolécule biologique
4.4.1 Résultats et discussion
4.5 Conclusion sur la dynamique fine de l’eau d’hydratation
CONCLUSION