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Le rôle des parasites dans les écosystèmes
Par définition, les parasites sont des exploiteurs car ils vivent au détriment de leurs hôtes, qui leur fournissent le gîte, le couvert et le lieu de multiplication (Price 1980), mais des recherches récentes montrent le rôle majeur qu’ils jouent comme catalyseurs (Figure 1). Par exemple, ils jouent un rôle important dans l’évolution de l’immunité de l’hôte, notamment à travers leurs interactions avec le complexe majeur d’histocompatibilité (Kamath et al., 2014). De plus, dans les populations humaines, la théorie hygiéniste suggère que la diminution des infections liées aux agents pathogènes grâce aux nouveaux moyens de lutte contre les maladies et au développement de l’hygiène a conduit, dans les pays développés, à une forte augmentation de la fréquence des allergies et des maladies auto-immunes telles que le diabète de type 1 et la sclérose en plaques (Okada et al., 2010; Rook, 2009; Yazdanbakhsh et al., 2002). Une autre étude a montré qu’en Amérique, les Afro-Américains sont plus exposés au risque de cancers et maladies auto-immunes que les personnes de type caucasien car ils ne subissent plus régulièrement des infections par des helminthes sous la pression desquelles leur système immunitaire a évolué. Cette absence d’infections entraîne pour certains d’entre eux un dysfonctionnement à l’origine de différentes maladies dont des cancers (Jacqueline et al., 2017). Ainsi, l’éradication de certains agents pathogènes, notamment ceux qui ont coévolué avec nous, peut avoir des conséquences sur notre vulnérabilité ou notre résistance face à diverses maladies.
Bien que le parasitisme induise des coûts directs sur la condition physique et sur les traits d’histoire de vie de l’hôte, dans certaines situations, l’infection peut indirectement entraîner des avantages sur la condition physique qui dépassent ces coûts directs (Thomas et al., 2000). Dans le cas de l’immunité croisée, l’infection par un parasite de pathogénicité faible peut protéger les hôtes d’autres pathogènes, apparentés ou non, de virulence plus forte (Cox, 2001). Par exemple, la présence de la bactérie Wolbachia chez les drosophiles peut avoir un effet protecteur contre certains virus (Hedges et al., 2008).
Depuis quelques années, de nouvelles thérapies impliquant des helminthes, sont en cours de développement pour lutter contre des maladies auto-immunes. Par exemple, l’introduction des trichures (Trichuris suis) est testée pour réguler la réponse immunitaire de patients atteints de la maladie de Crohn (Summers et al., 2005). Il a aussi été montré que certains helminthes intestinaux peuvent bioaccumuler des métaux lourds, permettant l’élimination de quantités importantes de contaminants des tissus de l’hôte (Pascual and Abollo, 2005; Sures, 2004, 2003).
Certains chercheurs tentent de domestiquer les virus pour s’en servir comme médicament afin de les utiliser contre le cancer : la stratégie consiste à atténuer un virus pour qu’il puisse se répliquer seulement dans les cellules cancéreuses (Bourke et al., 2011; Tedcastle et al., 2012). De même, l’utilisation des phages, virus attaquant spécifiquement certaines bactéries, est mise en œuvre par certains pays comme alternative aux antibiotiques dans le contrôle des infections bactériennes (Ravat et al., 2015; Wittebole et al., 2014).
Il a aussi été mis en lumière que les parasites peuvent avoir une importance fonctionnelle dans les écosystèmes à différentes échelles spatiales et temporelles (Cleaveland et al., 2001). Ils peuvent en effet contribuer aux efforts de conservation en fournissant des informations sur l’état de ces écosystèmes. En raison de leur rôle dans les réseaux trophiques, les parasites peuvent notamment être des indicateurs de la structure des réseaux alimentaires (Lafferty et al., 2006; Marcogliese, 2004). Par exemple, les parasites constituent une grande partie de la biomasse dans la plupart des écosystèmes et peuvent être responsables de 78 % des interactions dans certains réseaux trophiques (Lafferty et al., 2006). Ils peuvent également être des indicateurs efficaces du stress environnemental, du bon état des réseaux trophiques et de la biodiversité (Marcogliese, 2005). Des études, se sont servies des parasites comme bio indicateurs de l’état de santé des écosystèmes aquatiques (Palm and Rückert, 2009; Sasal et al., 2007). Plusieurs travaux sur les parasites de poissons ont montré que les populations parasitaires peuvent augmenter ou diminuer lorsqu’elles sont confrontées à des changements environnementaux, en fonction à la fois de leur cycle de vie et de la nature du changement. Les facteurs de stress environnementaux, tels que les eaux usées ou les polluants industriels, peuvent entraîner une modification dans la communauté de parasites (Mackenzie et al., 1995; Snieszko, 1974).
L’étude des parasites peut également faire la lumière sur l’évolution de l’hôte et sa démographie, son histoire géographique (Nieberding and Olivieri, 2007), ses schémas migratoires (Killingley, 1980) et aider à identifier les origines de l’hôte (Harris et al., 2013). Une étude sur l’agent bactérien de la lèpre, Mycobacterium leprae, a montré que ce parasite pouvait être utilisé comme un marqueur utile pour tracer la migration des peuples et retracer les étapes menant aux populations modernes (Monot et al., 2008). Une autre étude phylogéographique sur Helicobacter pylori, bactérie gastrique humaine a permis également de fournir une signature génétique de certaines migrations humaines majeures, comme l’introduction néolithique de l’agriculture en Europe, l’expansion des populations Bantu en Afrique ou encore la traite des esclaves (Falush et al., 2003).
Il est ainsi important de prendre en compte l’importance des parasites dans les écosystèmes et les avantages décrits plus haut qu’ils peuvent apporter à l’Homme. Actuellement, l’importance des écosystèmes tend à se mesurer au moyen des valeurs utilitaires associées, c’est-à-dire les services et bien être que les écosystèmes fournissent aux humains. C’est la notion de service écosystémique qui renvoie donc à la valeur (monétaire ou non) des écosystèmes (http://www.millenniumassessment.org/fr/Synthesis.html). Cette idée a été développée dans les années 80.
Bien que les parasites fassent entièrement partie des écosystèmes, le maintien de la biodiversité parasitaire n’a jamais été une priorité de conservation (Dunn et al., 2009; Gompper and Williams, 1998; Griffith, 2012). L’objectif de la biologie de la conservation est de maintenir la biodiversité, y compris les processus évolutifs qui l’animent et la soutiennent (Gómez et al., 2011). Or, les parasites ont un rôle majeur dans l’évolution de leurs hôtes. Ignorer la conservation des parasites, c’est donc ignorer l’état de conservation de la majorité de la vie sur Terre, car le parasitisme représente la stratégie la plus courante sur la planète (Dobson et al., 2008; Poulin and Morand, 2000). Cela signifie aussi négliger une relation biologique fondamentale, car les interactions hôte parasite jouent un rôle fondamental dans les processus écologiques et évolutifs de la diversité biologique et de l’organisation de l’écosystème (Marcogliese, 2004). Toutefois, ces « services » sont difficiles à évaluer : mesurer l’impact positif des parasites sur leurs hôtes, leurs réseaux trophiques et leurs rôles fonctionnels nécessitera probablement de nombreuses expériences pour attribuer des valeurs, monétaires ou non.
Depuis, la nuit des temps, l’Homme a toujours cherché de façon empirique à soigner les maladies, que ce soit avec l’utilisation des plantes ou des interventions chirurgicales (Halberstein, 2005; Rifkinson-Mann et al., 1988). Les premiers documents écrits sur les maladies infectieuses proviennent de la médecine égyptienne de 3000 à 400 avant Jésus-Christ ; des traces de l’utilisation de peignes à poux ont aussi été retrouvées (Mumcuoglu, 1996). D’autres descriptions proviennent de médecins grecs de 800 à 300 av J.-C et de médecins romains de 700 avant J.-C à 400 après J.-C (Simpson et al., 2002). En Europe, il faut attendre la fin du XIXe et début du XXe siècle, avec la découverte par Pasteur que les maladies peuvent être causée par des bactéries, puis la découverte des virus par Pierre-Paul Emile Roux et les premières méthodes de prévention contre les maladies par Robert Koch (Simpson et al., 2002).
Ensuite, l’arrivée du premier antibiotique, découvert par Fleming en 1928, et seulement exploité dix ans après par une équipe américaine et anglaise, permettra de sauver des millions de personnes (Encyclopædia Universalis). Mais, deux ans après l’utilisation intensive de la pénicilline, des souches de Staphylocoque résistantes ont été identifiées et leur nombre n’a cessé d’augmenter (Alizon et al, 2016). La découverte d’autres antibiotiques n’a fait qu’amplifier le problème et on connaît aujourd’hui des souches multirésistantes, qui posent d’énormes problèmes en santé publique (OMS, 2000). Néanmoins, le problème de l’émergence de résistances ne se pose pas qu’avec les antibiotiques, mais aussi avec d’autres médicaments tels que les antihelminthiques ou les antiviraux. Avec l’épidémie de Sida dans les années 1980, on a vu apparaître des résistances chez le virus du VIH qui est capable de muter rapidement ; les premiers médicaments antiviraux développés sont devenus inefficaces et il a fallu mettre en place des trithérapies, voire des multi-thérapies pour contrer les résistances (OMS, 2012).
Malgré ce que les scientifiques pensaient au début du 20e siècle, et ce que disait Pasteur : « Il est dans le pouvoir de l’Homme d’éradiquer l’infection de la Terre ». Seul un très petit nombre de parasites ont été éradiqués par l’Homme à ce jour, notamment grâce aux vaccins. On peut citer la variole, éradiquée en 1980 (Breman and Arita, 1980) ou encore la peste bovine en 2011 (OIE, 2011). Il est important de continuer à lutter contre des maladies ayant des impacts importants sur la santé humaine et animale. Toutefois, il est crucial de se poser les bonnes questions sur les moyens mis en place, notamment afin d’éviter d’engendrer des problèmes de résistance et pour limiter les conséquences négatives sur la biodiversité des programmes de lutte. Pour cela, il faut appréhender le système dans son ensemble et bien faire la distinction entre la présence d’un parasite dans un écosystème (l’aléa) et le risque, qui est dépendant du contexte, que la maladie représente pour l’Homme (Hosseini et al., 2017).
Il existe un lien très étroit entre l’hôte et le parasite, qui peut être rapidement modifié et qui est très sensible aux perturbations. Ainsi, Emile Duclaux en 1882 a proposé une nouvelle approche intégrative, l’épidémiologie. Il ne considère plus que c’est l’apparition d’un micro-organisme qui engendre une épidémie mais que, très souvent, c’est la perturbation de l’équilibre entre l’agent pathogène et ses hôtes naturels qui fait naître l’épidémie (Guegan et al., 2008).
Les perturbations anthropiques à l’origine de l’émergence et de la réémergence
Le monde connaît depuis ces cent dernières années, une nouvelle ère « d’émergence des maladies infectieuses » (Jones et al., 2008; Taylor et al., 2001). La prévalence et l’impact des maladies transmissibles sur nos sociétés avaient fortement diminué dans la période de l’après-guerre, grâce notamment à l’introduction massive de la vaccination et des antibiotiques. Cependant, depuis ces dernières décennies, on observe, l’émergence de maladies inconnues jusqu’à une date récente (Sras, grippe aviaire, Ebola etc.) et la réémergence de maladies que l’on pensait presque éradiquées (tuberculose, choléra), ainsi que des difficultés pour enrayer certaines pandémies comme celle du Sida (Woolhouse and Gowtage-Sequeria, 2005; World Health Organization, 2008)
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette nouvelle crise sanitaire. La responsabilité de la résistance aux antibiotiques et aux autres médicaments, rendant les différentes thérapies existantes moins efficaces, a souvent été pointée du doigt par les milieux médicaux (Alizon et al., 2016). Néanmoins, il est de plus en plus évident que cette crise est aussi liée à la modification des écosystèmes due aux perturbations anthropiques (Jones et al., 2008). En effet, aujourd’hui, l’érosion de la diversité biologique continue de s’accélérer du fait d’un nombre considérable de processus humains, tels que la mondialisation des échanges, l’anthropisation des habitats ou le réchauffement climatique. Toutes ces modifications ont un effet sur les dynamiques épidémiologiques des maladies infectieuses en créant de nouveaux contacts entre populations, en favorisant la diffusion des parasites, en concentrant les populations d’hôtes, en créant ou intensifiant des pressions de sélection sur les parasites et en modifiant la distribution géographique de vecteurs potentiels et/ou d’espèces hôtes compétentes (Budischak et al., 2015; Morse, 1995; Smith and Guégan, 2010; Wolfe et al., 2007).
Les maladies liées à l’eau sont particulièrement sensibles à ces perturbations anthropiques. En effet, les milieux aquatiques sont les plus touchés par la perturbation des écosystèmes et cette situation est en constante dégradation. On considère qu’en 2025, plus de la moitié de la population mondiale sera confrontée au stress de l’approvisionnement en eau et/ou de la qualité de l’eau (OMS, 2018). Les besoins en eau dans le monde sont importants, qu’il s’agisse des besoins pour l’Homme, pour l’agriculture ou l’élevage. Des modifications de la gestion de l’eau et de la qualité de l’eau peuvent engendrer l’émergence de maladies (Petney and Taraschewski, 2010). Johnson and Chase (2004) ont mis en évidence une relation entre l’accroissement des activités agricoles et l’augmentation de la prévalence de malformations chez les amphibiens. Ces auteurs montrent que l’eutrophisation des eaux due aux activités agricoles bouleverse la composition des communautés d’eau douce. Cela se traduit par une modification des réseaux trophiques, qui favorise la prolifération des mollusques du genre Planorbella. Ceci profite au parasite Ribeiroia ondatrae, dont les planorbes sont les premiers hôtes intermédiaires.
La construction de barrages ou de système d’irrigation peut avoir également une incidence sur l’émergence ou la réémergence de certaines maladies tropicales négligées, car leur épidémiologie est liée à l’écologie des zones humides et à la gestion de l’eau. Par exemple, la construction d’un barrage peut créer des nouveaux habitats pour la survie et/ou la reproduction de vecteurs ou hôtes intermédiaires (Petney and Taraschewski, 2010; Steinmann et al., 2006). Des chercheurs ont montré que des ouvrages hydriques ont permis l’augmentation de la densité de (nouvelles) espèces vectrices, ce qui entraîne généralement une augmentation de l’incidence du paludisme (Ijumba and Lindsay, 2001), par exemple en Ethiopie (Ghebreyesus et al., 2002). Il a aussi été montré que les cas de schistosomiase augmentent souvent dans les populations vivant à proximité de grands barrages en Afrique de l’ouest (Sokolow et al., 2017; Steinmann et al., 2006). Au Laos, la construction de routes et de bassin d’aquaculture ont entraîné une recrudescence de cholangiocarcinome causé par le trématode Opisthorchis viverrini (Ziegler et al., 2013).
Plusieurs maladies comme le choléra ou encore la bilharziose, dans les pays en voie de développement, sont liés directement au stress hydrique. Les populations ont un accès limité aux sanitaires et n’ont souvent pas d’accès à l’eau potable, ce qui contribue à la progression rapide d’épidémies (Grimes et al., 2015; Taylor et al., 2015). Les populations humaines et les animaux domestiques sont parfois très proches ce qui entraîne la transmission de maladies zoonotiques à l’Homme via l’eau. C’est le cas des schistosomiases mais aussi de la cryptosporidiose (Huyse et al., 2009 ; Soba et al., 2008).
Beaucoup d’exemples de maladies d’origines hydriques décrites plus haut sont causées par des trématodes ; c’est le cas des schistosomiases ou de l’opisthorchiase. Les trématodoses sont présentes dans le monde entier et ont un impact important sur l’économie et la santé (Rim et al., 1994; Taylor et al., 2001). Leur transmission, essentiellement liée à l’eau ou à la nourriture, fait que ces parasites sont parmi les plus répandus dans les populations humaines et animales. Les trématodes ont des cycles de vie complexes impliquant des vertébrés comme hôtes définitifs et généralement, des mollusques comme premier hôte intermédiaire (Keiser and Utzinger, 2009). Les trématodes infectent plus d’un milliard de personnes dans le monde et causent plus de 600 millions DALYs (disability-adjusted life years) chaque année (Fürst et al., 2012; Hotez et al., 2008).
De plus, les trématodes jouent aussi un rôle important dans les réseaux trophiques. Dans des écosystèmes tels que des mares leur biomasse est comparable à celle des insectes très abondants dans ces écosystèmes comme les coléoptères, les éphéméroptères ou encore les odonates ((Preston et al., 2013). Une autre étude, en Nouvelle Zélande, a montré que le trématode Curtuteria australis joue un rôle sur la prédation de son hôte intermédiaire (Thomas and Poulin, 1998). En effet, l’étude suggère que les métacercaires ont un impact important sur la croissance du pied de son hôte intermédiaire empêchant son enfouissement correct dans les sédiments, il est donc plus facilement prédater.
Mollusques et trématodes, des interactions anciennes en plein bouleversement
Les mollusques et les trématodes digènes sont associés depuis au moins 200 millions d’années (Blair et al., 2001). En effet, les digènes ont besoin d’utiliser exclusivement les mollusques pour effectuer une partie de leur cycle, puis leur reproduction sexuée se réalise chez des hôtes vertébrés dont l’Homme.
L’interaction entre le parasite digène et son hôte intermédiaire est très étroite (Lockyer et al., 2004). Premièrement, l’attraction de la larve miracidium (ie. stade infectant) vers l’hôte intermédiaire se fait par chimiotactisme. Les digènes ont généralement une gamme d’hôtes intermédiaires restreinte à un groupe d’espèces phylogénétiquement proches (ie : sténoxène) voire à même une seule espèce (ie oioxène). Une fois entré dans le mollusque, le parasite l’infecte en causant des dommages importants : il envahit littéralement les glandes digestives et le système génital provoquant une castration (Gutierrez et al., 2001; Gutiérrez et al., 2002; Sorensen and Minchella, 2001). Par exemple, le parasite Trichobilharziaocellata inhibe le développement du tractus reproductif de Lymnaea stagnalis (Schallig et al., 1991).
Les traits d’histoire de vie du mollusque en sont bouleversés : sa fécondité et sa survie sont menacées, sa fitness ou valeur sélective est diminuée de façon conséquente. Dans la course aux armements entre l’hôte et le parasite, des mécanismes de défense immunitaire (van der Knaap and Loker, 1990) ou de polymorphisme de compatibilité (Bouchut et al., 2008)se mettent en place chez le mollusque. En parallèle des mécanismes d’évitement du système immunitaire se mettent en place chez le parasite (Walker, 2006).
Les mollusques sont présents sur toute la planète et ils présentent souvent une grande capacité d’invasion. De plus, les écosystèmes d’eau douce sont particulièrement vulnérables aux invasions biologiques (Lodge et al., 1998). Les activités humaines liées à ces écosystèmes comme l’aquariophilie, la pêche, ou encore les balades en bateau sont des facteurs de dispersion important. Les connexions naturelles qui existent entre les rivières sont aussi des facteurs qui facilitent l’installation des mollusques (Lodge et al., 1998; Loo et al., 2007). Plusieurs familles d’escargots (Physidae, Thiaridae, Planorbidae et la Lymnaidae) ont été introduites accidentellement, en Amérique du Nord et dans beaucoup d’autres régions du monde via le marché de l’aquariophilie (Cowie and Robinson, 2003; Pointier and Augustin, 1999).
Plusieurs, espèces de mollusques sont impliquées dans la transmission de nombreuses maladies infectieuses pour l’Homme et l’animal. Des espèces jouant un rôle comme hôtes intermédiaires ont colonisé de nouvelles aires géographiques sur de très grandes distances et en très peu de temps. Par exemple Melanoides tuberculata qui est l’hôte intermédiaire de deux parasites zoonotiques, Centrocestus formasanus et Haplochispumilio (Pulido-Murillo et al., 2018), s’est installé sur le continent américain et dans les îles caraïbes depuis l’Asie de l’Est à partir des années 50 (Facon et al., 2003). Les mollusques d’eau douce du genre Biomphalaria, hôte intermédiaire de Schistosoma mansoni ont aussi envahi de façon spectaculaire les caraïbes et Madagascar. Leur introduction a posé des problèmes d’émergence de bilharzioses (Charbonnel et al., 2002).
Parmi les trématodoses dont la réémergence est liée, entre autres, à l’invasion récente de nouveau milieux par des mollusques dulçaquicoles, la fasciolose est celle dont la distribution géographique est la plus large (Fürst et al., 2012). De plus, elle est aussi favorisée par certains changements de pratiques agricoles cités plus haut (Article 1).
En effet, les Lymnaeidae, hôtes intermédiaires les plus courants des parasites Fasciola spp. n’échappent pas à la règle et plusieurs espèces représentent des menaces en termes d’invasion et de risques épidémiologiques associés. Par exemple, Galba truncatula, hôte majoritaire de la grande douve du foie en Europe, Afrique du Nord et Russie a récemment, au cours des dernières dizaines d’années, envahi la Cordillère des Andes au Venezuela, en Bolivie, au Pérou, au Chili et en Argentine (Pointier., 2015, Article 4 soumis). Cette invasion a notamment induit sur l’Altiplano bolivien, la plus forte hyperendémie de fasciolose connue au monde (Meunier et al., 2001). Un autre vecteur de la fasciolose, Pseudosuccinea columella, probablement originaire d’Amérique du Nord, a colonisé l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Europe ou encore les îles Pacifique en moins d’un siècle (Article 5 soumis, Lounnas et al., 2017; Pointier et al., 2007). Cette espèce fait maintenant partie des mollusques d’eau douce les plus largement répandus avec le physidé Physa acuta et le planorbidé Helisoma duryi (Pointier., 2015).
La fasciolose, une maladie négligée réémergente
La fasciolose est une maladie d’origine hydrique et alimentaire causée par deux espèces de trématodes : les grandes douves du foie Fasciola hepatica et Fasciola gigantica. Fasciola hepatica a une distribution mondiale, tandis que la transmission de F. gigantica est limitée à certaines régions d’Afrique et d’Asie (Chen et al., 2013; Dreyfuss et al., 2005; Keyyu et al., 2005; Mekky et al., 2015; Morozova et al., 2004; Nzalawahe et al., 2015; Rojas et al., 2010; Walker et al., 2011). Il y a aussi des zones où les deux espèces de Fasciola spp coexistent (Ashrafi et al., 2015; Bui et al., 2015; Fentie et al., 2013). Ces parasites sont des vers plats (embranchement des Platelminthes) appartenant aux groupes des Trématodes Digènes. Contrairement, à la plupart des autres trématodes, qui ont une spécificité étroite vis-à-vis de leurs hôtes intermédiaires, les Fasciola spp. infectent une large diversité d’hôtes intermédiaires. Le cycle de vie des Fasciola spp. implique, en tant qu’hôte définitif, une très large gamme de mammifères domestiques et sauvages (moutons, bovins, chevaux, chameaux, chameaux, ragondins, lapins, Homme, etc.) (Cotruvo et al., 2004)(Figure 3). Les principales sources d’infection pour les hôtes définitifs sont les plantes associées à l’eau ou l’eau de source (Hurtrez-boussès et al., 2001). En effet, les métacercaires (c’est-à-dire les stades infectieux) peuvent s’enkyster sur les plantes aquatiques et la surface de l’eau. a La douve adulte se reproduit et ses œufs quittent l’hôte via les fèces ; Les œufs sont non embryonnés puis le deviennent dans l’eau. Ensuite, l’éclosion des œufs de douve donne lieu au premier stade larvaire (miracidium). b. La larve ciliée (miracidium) va rechercher activement l’hôte intermédiaire, un mollusque de la famille des Lymnaidae. Une fois entrée dans son hôte intermédiaire, la douve effectue une importante multiplication asexuée et envahit le système digestif et génital de l’hôte (400 métacercaires pour un miracidium). Lestade miracidium évolue en sporocytes, puis rédies. c. Les rédies donnent naissance à des cercaires, dernier stade larvaire. Les cercaires sortent du mollusque et s’enkystent sur des végétaux et deviennent des métacercaires (forme résistante) prêtes à être ingérées (Andrew, 1999; Hurtrez-boussès et al., 2001). d. Ingestion de métacercaires par l’hôte définitif, un vertébré. Le développement adulte de la douve commence ici. Le désenkystement donne une douve juvénile et la douve migre jusque dans les canaux biliaires. Lien pour voir le cycle dans sa version animée réalisée pendant ma thèse : https://www.youtube.com/watch?v=oUHynn4fS-s.
La fasciolose est à l’origine de graves problèmes de santé publique dans plusieurs régions du monde. Elle touche principalement les personnes vivant dans la pauvreté, qui n’ont pas accès à l’eau potable, aux équipements d’assainissement adéquat et qui sont en contact étroit avec le bétail. Elle est considérée comme étant une maladie tropicale négligée (WHO, 2007). A l’heure actuelle, on estime que 17 millions de personnes sont infectées sur l’ensemble des continents (Valero et al., 2009). Cependant, ce nombre est probablement sous-estimé dans de nombreux pays, en particulier en Asie et en Afrique (Mas-Coma, 2005). Le nombre réel de cas pourrait se situer entre 35 et 72 millions de personnes, avec plus de 180 millions de personnes vivant dans des zones où il y a un risque d’infection (Nyindo and Lukambagire, 2015). Comme pour les autres maladies négligées, les fascioloses sont généralement non mortelles (au moins à court terme), cliniquement bénignes et non déclarées, mais ce sont des maladies invalidantes qui maintiennent ou augmentent la pauvreté avec 197 000 DALYs estimées (Fürst et al., 2012).
La fasciolose est également considérée comme un problème vétérinaire majeur, puisqu’elle est responsable de pertes importantes dans la capacité de production du bétail (viande et lait) (Torgerson and Claxton, 1999). Elle entraîne des pertes économiques annuelles de plus de 3 milliards de dollars US en agriculture car elle affecte des millions de ruminants dans le monde entier. Ces coûts sont en grande partie non quantifiés au niveau national ou régional, alors qu’au niveau des exploitations agricoles, il a été rapporté que la douve affecte le rendement laitier, la composition de la carcasse et prolonge le temps nécessaire pour atteindre le poids d’abattage (Johannes Charlier et al., 2014b; Howell et al., 2015). La fasiolose est actuellement en augmentation dans certains pays d’Europe, probablement en raison du changement climatique, de l’évolution des pratiques agricoles, des déplacements d’animaux et de l’utilisation des terres, et de l’émergence de résistances aux traitements, notamment à la molécule la plus utilisée, le Triclabendazole (Cwiklinski et al., 2015).
Les douves ont la capacité de proliférer dans un large éventail d’écosystèmes d’eau douce. En effet, la fasciolose est reconnue pour être la trématodose qui a la plus large distribution latitudinale et altitudinale à l’échelle mondiale (Fürst et al., 2012)(Carte 1). Cette large distribution permet d’étudier la dynamique de son parasite dans différents habitats avec divers hôtes définitifs et intermédiaires. Pourtant, cela complique grandement la lutte contre cette maladie, car les solutions doivent être adaptées à des contextes environnementaux et socio-économiques très différents. Que ce soit pour son hôte intermédiaire ou son hôte définitif, la fasciolose peut avoir un large spectre d’hôtes. Afin de l’appréhender pour la contrôler, il est crucial d’identifier les protagonistes participant au cycle pour pouvoir étudier les interactions et de comprendre l’épidémiologie de la maladie. En effet, le défi du contrôle de la fasciolose ne peut être relevé que si nous traitons en même temps, les interactions complexes entre l’environnement, les hôtes (mollusques, bétail, faune) et les activités humaines. Il est essentiel de prendre en compte tous ces facteurs, qui sont impliqués dans un monde en constante évolution (climat, fragmentation de l’habitat, pollution). Le contexte socio-économique et écologique de chaque pays, région, ville et ferme doit être pris en compte pour prévenir la fasciolose. En effet, de nombreuses études portant sur les schistosomiases et d’autres maladies tropicales négligées ont montré que l’application d’un programme de lutte intégrée, adapté et durable est la solution la plus efficace pour prévenir la (ré)émergence de ces maladies.
En préambule, à mon travail de thèse, j’ai tenté d’identifier les impacts des activités humaines sur la transmission de la fasciolose à travers un article de revue (Article 1 ; publié dans Trends in Parasitology). En m’appuyant sur la littérature scientifique, j’ai fait un état de l’art des connaissances existantes sur les effets des activités et des habitudes humaines sur le risque de fasciolose. Je me suis concentrée sur trois groupes d’activités qui semblent être les principaux facteurs affectant la fasciolose : i) la gestion des systèmes d’irrigation, ii) la gestion du bétail, iii) l’alimentation humaine et les habitudes hygiéniques. Pour chacune de ces activités, j’ai ensuite identifié plusieurs solutions comme des mesures préventives et des stratégies de contrôle. L’’idée principale qui ressort de ce travail de synthèse est que la clé du succès de la lutte contre cette maladie réside dans l’application de programmes de lutte intégrée adaptés à chaque contexte.
Afin de pouvoir tester cela, il est donc essentiel de trouver un site pilote, où nous pouvons avoir accès à tous les protagonistes de la maladie afin de pouvoir comprendre la dynamique de la fasciolose et essayer de proposer des moyens de lutte dans ce contexte.
La Camargue : laboratoire d’étude de la dynamique de la fasciolose
La fasciolose est connue comme étant présente dans l’ensemble du bassin méditerranéen, que ce soit sur la rive Nord ou la rive Sud. Dans certains pays de la rive Sud, comme l’Egypte, elle touche les populations humaines. Sur la rive Nord, elle affecte essentiellement le bétail (Curtale et al., 2005; Esteban et al., 2003; Periago et al., 2008; PNR Camargue, 2011). La zone méditerranéenne apparaît particulièrement vulnérable aux changements globaux avec notamment une forte pollution des sols et de l’eau, l’impact important du changement climatique qui entraîne une diminution des précipitations et l’aridification du climat Méditerranéen, la fragmentation des habitats avec l’augmentation de l’urbanisation et le changement de l’utilisation des sols (Observatoire des Zones Humides Méditerranéennes, 2014). De plus, d’ici 2050, les situations de pénurie d’eau en Méditerranée devraient s’accroître et les disparités entre les rives s’exacerber (Plan bleu, 2012). C’est un territoire en pleine mutation mais qui est aussi reconnu comme un point chaud de biodiversité. La zone méditerranéenne se prête donc très bien aux questionnements sur la préservation des systèmes écologiques et les risques épidémiologiques (Vittecoq, 2012).
En particulier, le territoire camarguais (Carte 2), vaste zone humide de 150000 km2 située au niveau du delta du Rhône, est très pertinent pour tester ces problèmes. C’est une des régions où les risques d’émergence sont très élevés (Vittecoq et al., 2014), les zones humides étant les plus sensibles du point de vue épidémiologique (Jones, 1990). En effet, la Camargue est composée d’une véritable mosaïque d’écosystèmes, fluctuants dans le temps (marais, sansouïres, étangs, canaux, rizières, bois, salins, etc.). Elle est aussi fortement anthropisée (notamment par la gestion des entrées d’eaux douces). Les contacts entre populations humaines, faune domestique et faune sauvage y sont très courants entraînant des risques d’émergence élevés. De plus, la Camargue est particulièrement exposée aux invasions biologiques : 39 espèces (17 végétales et 22 animales) y sont reconnues comme envahissantes (Costa, 2005). Parmi celles-ci, plusieurs sont des réservoirs de zoonoses pouvant se transmettre à l’Homme (fasciolose et leptospirose pour le ragondin ; giardiase et cryptospordiose pour le rat musqué etc). Enfin, à l’instar des régions où l’élevage des bovins ou des ovins est important, la Camargue est décrite comme une région où la fasciolose sévit notablement (18% de foies de taureaux camarguais saisis aux abattoirs d’Arles (PNR Camargue, 2011). La maladie est donc considérée comme « à surveiller » et les éleveurs sont encouragés à traiter contre ce parasite. La Camargue allie donc plusieurs caractéristiques faisant de cette région, un site de choix pour étudier la dynamique de F. hepatica chez son hôte intermédiaire et ses hôtes définitifs.
Objectif et problématique de la thèse
Dans ce contexte, l’objectif de cette thèse est d’étudier la dynamique de la fasciolose au sein d’un territoire restreint, dans lequel nous pouvons simultanément suivre l’hôte intermédiaire, caractériser les habitats et échantillonner les parasites chez les hôtes définitifs et intermédiaires, afin de mieux comprendre l’épidémiologie de la fasciolose, de mieux cerner les risques d’émergence et les moyens d’y faire face. Ce territoire a donc été choisi en Camargue, sur le domaine de la Tour du Valat (Carte 3), qui couvre 2600 hectares. Le domaine comporte tous les habitats naturels représentatifs de la Camargue, avec un réseau de drainage et d’irrigation dense et une grande biodiversité d’oiseaux migrateurs, de mollusques mais aussi de mammifères sauvages comme le ragondin et le sanglier. De plus, quatre manades de taureaux pâturent sur le domaine, toute l’année : la manade de la Tour du Valat, dont les animaux ne sont pas traités aux antihelminthiques et les manades Blanc, Bon et Mailhan qui traitent les taureaux une fois par an.
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Table des matières
I. Les parasites, acteurs majeurs des écosystèmes ou ennemi de l’Homme
I.1. Le rôle des parasites dans les écosystèmes
I.2. Les perturbations anthropiques à l’origine de l’émergence et de la réémergence
I.3. Mollusques et trématodes, des interactions anciennes en plein bouleversement
II. La fasciolose, une maladie négligée réémergente
III. La Camargue : laboratoire d’étude de la dynamique de la fasciolose
IV. Objectif et problématique de la thèse
Chapitre 1 : Dynamique de population de Galba truncatula en Camargue
I. Caractérisation de l’habitat des limnées et la prévalence de F.hepatica chez l’hôte intermédiaire Galba truncatula
II. Permanence de la mise en eau des habitats : Quels impacts sur la structuration génétique de Galba truncatula ?
III. Connexion des habitats : Impacts sur la dispersion des limnées.
Chapitre 2 : Dynamique de population de Fasciola hepatica dans la faune sauvage et domestique en Camargue
I. Les risques associés à la transmission de la fasciolose
II. Effets de la grande douve du foie sur la condition corporelle du bétail
III. Dynamique de la douve au sein de la manade non traitée
IV. Dynamique de la douve entre des troupeaux traités et non traités
V. Les échanges entre la faune sauvage et domestique
Discussion générale
I. Une nouvelle approche, la gestion intégrée adaptative
I.1. Une surveillance accrue pour éviter
I.2. La prévention du risque de la fasciolose
I.3. Une utilisation des traitements non systématique
I.4. Travailler ensemble pour une meilleure gestion
II. Connaître les activités humaines du passé pour préparer l’avenir
II.1. Les modifications des pratiques d’élevages
II.2. Les modifications dans les communautés
II.3. Les modifications de l’utilisation des terres
III. La Camargue, une région en constante évolution
IV. Conclusion : une nouvelle approche des maladies parasitaires, travailler à la réduction des impacts plutôt qu’à l’éradication
Bibliographie
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