Une réappropriation du terme plus récente
Plus de cinquante ans après l’intégration du mot dans les milieux scientifiques, la notion connait un nouvel engouement auprès d’un public plus large. En janvier 2010, la revue des Sciences Humaines 8 édite un article sur le livre de PEK VAN ANDEL, spécialiste mondial de la sérendipité, et DANIELE BOURCIER, directrice de recherche au CNRS. Dans ce numéro spécial la sérendipité est présentée comme le mot / concept de l’année. Les auteurs du livre avaient réussi à regrouper, lors d’un colloque à Cerisy en juillet 2009 9, trente-huit spécialistes d’horizons différents. Suite à l’édition du livre de PEK VAN ANDEL et DANIELE BOURCIER (op. cit.) en 2008, de nombreux articles apparaissent en ligne. Des sites de stratégie managériale10, de consultants en innovation (JEAN LOUIS SWINERS 2008 – en ligne) (RAISON MARK 2008 – en ligne) ou marketing (HENRI KAUFMAN 2009 – en ligne) commencent à s’emparer du mot sérendipité. Les articles concernent les échanges informels en entreprise, l’impact du réseau, la liberté et la responsabilisation des individus en entreprise (DUPERRIN 2008 – en ligne). En 2009, suite à un article du New-York Times : Serendipity, lost in the digital deluge (DAMMON 2009 – en ligne), l’idée que le web puisse être un outil favorisant la sérendipité s’empare des publications françaises en ligne. Des articles comme : Six idées pour mettre en place votre laboratoire à sérendipité (DESCHAMPS 2009 – en ligne), Comment intégrer la sérendipité (PISANI 2009 – en ligne), Sérendipité en entreprise (ASSOUAD 2009 – en ligne), Comment valoriser la sérendipité en entreprise (TECHTOC 2009 – en ligne), citent le web comme une passerelle vers la créativité et s’interrogent sur la place de cette fonction en entreprise. Les flux RSS, les moteurs de recherches en tous genres (Google, StumbleUpon, Spezify, …) qui permettent de découvrir des pages web en fonction de ses intérêts, sont mis à l’honneur. Plus récemment, alors que les travaux des chercheurs et des entreprises se poursuivent sur ce thème, quelques articles pointent leur nez dans les médias (France Inter11, Psychologie magazine12) et permettent de faire découvrir la notion au grand public alors que le terme vient tout juste d’intégrer les dictionnaires. Des structures commerciales commencent également à s’emparer du nom, parmi lesquelles une boutique design à Paris13, un blog de mode14, ou encore une chambre d’hôte sur une péniche15. Cet élargissement du public ne fait aucunement perdre sa valeur au concept qui gagne à être adopté par les entreprises comme moteur d’innovation.
DE LA SÉRENDIPITÉ À L’INNOVATION
Classement et fonction de la sérendipité
C’est en réunissant des exemples de sérendipité issus de domaines variés que les chercheurs transforment le mot en concept. Les histoires de sérendipité sont décortiquées peut-être dans l’espoir de saisir l’intégralité du processus et de le rendre reproductible. C’est Walter B. CANNON qui aurait commencé à lister différents cas de sérendipité, uniquement dans la science. Mais Robert King MERTON ira beaucoup plus loin en constituant une liste plus riche et en analysant chaque cas de découverte. L’idée est de vérifier si la sérendipité se retrouve dans toutes les découvertes et à quel point celles-ci sont dépendantes de l’observation d’un fait inattendu. Il convient également d’observer si certains domaines sont plus propices à ce type de découverte que d’autres. En étudiant différents cas MERTON aboutit à une définition qui se rapproche d’une règle : la sérendipité est l’observation d’une donnée inattendue, anormale, et stratégique. L’inattendu se traduit dans les faits par une théorie que le chercheur n’avait pas pris en compte lors de sa recherche, un fait non-anticipé qui s’impose à lui par « hasard ». L’anormalité désigne un fait qui ne s’inscrit pas dans les théories existantes. Si le chercheur parvient à l’expliquer, celle-ci pourra être à la source d’une nouvelle théorie ou de l’élargissement d’une norme. L’anormalité est une manière plus construite de désigner la « nouveauté », car elle prend en compte la réflexion du chercheur qui est à même de remarquer le décalage. Enfin, le caractère stratégique de la donnée va lui donner une valeur, il s’agit de son champ d’application. La donnée n’est pas stratégique d’elle-même, encore une fois le rôle du chercheur est déterminant.
Cependant, les exemples employés pour définir la sérendipité répondent-ils tous à cette définition proposée par MERTON ? Parmi seize histoires de sérendipité, relevées dans le livre de PEK VAN ANDEL et DANIELE BOURCIER (op. cit.) et basées sur des faits réels et reconnus, la plupart correspondent au schéma proposé par MERTON. Dans quatorze cas, il est possible de relever une donnée inattendue, anormale, et stratégique alors que dans les deux derniers, la narration ne nous donne pas assez de précisions. La découverte des rayons X par Wilhelm C. RÖNTGEN (1845-1923) illustre bien le processus relevé par MERTON. Lors d’une expérience, RÖNTGEN laisse par inadvertance un papier recouvert de barium platinocyanide sur sa table. Alors qu’il observe dans son tube de Crookes des rayonnements cathodiques, il remarque une lumière provenant de l’écran luminescent posé par hasard sur la table. Ce qui le conduit à l’observation d’une donnée inattendue, les rayons qu’il observe peuvent traverser des matériaux solides et agissent sur les plaques photographiques. Cette donnée est anormale, aucun rayon ne peut traverser l’air ou le verre. La donnée devient stratégique, il venait très certainement d’observer un nouveau type de rayonnement. C’est en exposant des objets puis la main de sa femme aux rayons X, qu’il constate leurs effets et réalise la première radiographie.
Dans la plupart des définitions qui expliquent la sérendipité, il s’entend que la sérendipité est vécue intégralement par une seule personne, un chercheur. Or dans certains cas, les étapes se décomposent et se partagent entre plusieurs chercheurs qui dialoguent ensemble ou travaillent sur le même sujet. L’observation du phénomène inattendu peut être vécue par un chercheur, tandis que le caractère anormal ou stratégique et la vérification de l’abduction peuvent être formulés par d’autres chercheurs, parfois des années plus tard. Ainsi, Christophe COLOMB (1451-1506) constate qu’il vient de découvrir un territoire inconnu, mais il meurt en pensant qu’il s’agit d’une partie de l’Asie. C’est VESPUCCI (1454-1512) qui découvrira ce continent, appelé Amérique, en vérifiant par des voyages en mer s’il n’est pas rattaché à l’Asie ou à l’Inde. Dans ce même cas, il est intéressant de souligner que VESPUCCI trouve ce qu’il cherche, l’identité de ce territoire, alors que Christophe COLOMB n’est pas parvenu à approfondir sa découverte.
De la sérendipité à l’innovation
La définition de la sérendipité réside dans l’idée que le chercheur trouve ce qu’il ne cherche pas. Pourtant lorsque la curiosité et les moyens du chercheur sont suffisants, celui-ci peut par sérendipité trouver ce qu’il cherche. Ainsi, Jean ARP (1886-1966) l’un des fondateurs du mouvement dada crée son oeuvre : Collage avec carrés disposés selon les lois du hasard16 en arrachant un tableau qu’il tentait de créer. C’est en regardant plus tard les fragments sur le sol, qu’il remarque que leur disposition correspond parfaitement à ce qu’il souhaitait composer initialement. Il décide alors de saisir ce hasard et de coller les morceaux dans cet ordre pour construire l’oeuvre qu’il cherchait à créer. Un autre exemple pourrait être celui de Bill BOWERMAN (1911-1999), entraineur d’athlétisme qui rêvait de créer une nouvelle semelle de chaussure. A la fin des années 70, en regardant sa femme faire des gaufres il eu l’idée d’utiliser un gaufrier pour mouler du caoutchouc. C’est ainsi qu’il devint le co-fondateur de la célèbre marque Nike. Les Nike Waffle (signifiant gaufre en anglais) furent un modèle très vendu qui convertit l’entraineur en homme d’affaires (THE LEMELSON CENTER 2014 – en ligne). Certaines découvertes accidentelles peuvent donc mener au but recherché. Afin de pallier à la définition incomplète du terme, ROYSTON M. Roberts invente le mot pseudo sérendipité en 1989 (VAN ANDEL & BOURCIER, p. 116) (op. cit.). Pek VAN ANDEL et Danièle BOURCIER reprennent cette idée dans leur livre, ils parlent des différents degrés de la sérendipité : « positive » (l’observation surprenante est expliquée, testée et confirmée), « négative » (l’observation est faite mais non expliquée), « pseudo-sérendipité » (l’observation singulière permet au chercheur de trouver ce qu’il cherche), « non-sérendipité » (le chercheur trouve ce qu’il cherche sans qu’il y ait d’observation étonnante). Deux de ces formulations sont étonnantes : la « non-sérendipité » et la « sérendipité négative ». La « non-sérendipité » désigne simplement un autre processus de réflexion, basé sur une connaissance a posteriori, empirique, factuelle, issue de l’expérience. Il ne s’agit pas de sérendipité, alors pourquoi s’y référer ? La sérendipité « négative » est, quant à elle, illustrée par des découvertes qui ne sont pas réalisées par l’observateur reconnu du fait surprenant, mais par un (ou plusieurs) autre(s) chercheur(s) parfois même à une autre époque. Cela signifie-t-il que la sérendipité s’inscrit dans un temps limité et qu’elle « appartient » à celui qui observe l’élément inattendu ? Alors la sérendipité, à l’instar de la découverte pour Sylvie CATELLIN, serait un « processus », qui « s’inscrit dans une temporalité et un contexte », et qui « fait appel à une démarche » (CATELLIN 2014, p. 200).
Il semblerait qu’il y ait parfois confusion entre la sérendipité et l’introduction de son résultat, c’est-à-dire l’innovation. Comme vu précédemment, la sérendipité désigne à la fois l’observation d’un fait surprenant, l’abduction qui en découle et la vérification de celle-ci pour aboutir à une découverte. La sérendipité s’inscrit donc dans le temps, elle naît lors de l’observation du fait surprenant et se termine par la validation de la découverte. Cette dimension temporelle est importante, car elle participe à distinguer une découverte ou une invention d’une innovation. La découverte peut être considérée ici comme très proche de l’invention : Découverte, nf. Action de trouver, d’inventer un produit, un matériau, un système nouveau ; invention : découverte de la pénicilline (LAROUSSE 2014 – en ligne). Les deux termes désignent le fait de trouver quelque chose sans que cela soit pour autant intégré dans la société, il pourrait même s’agir de découvrir quelque chose d’inutile. Même si la découverte et l’invention sont généralement considérées comme le bien car semblent apporter efficacité, rendement et confort. L’invention comme la découverte sont limitées dans le temps même si des modifications apparaissent ultérieurement. Elles se distinguent en cela de l’innovation, qui consiste à introduire quelque chose de nouveau dans un système avéré. L’innovation donne un sens et un usage à l’invention, elle correspond à son intégration dans un système social ou un marché. Dans ce contexte, la sérendipité favorise l’émergence d’inventions mais ne garantit pas l’innovation. Comme nous dit Norbert ALTER dans L’innovation ordinaire : Il n’existe pas de relation directe entre la qualité intrinsèque d’une invention et l’importance de sa diffusion (ALTER 2010, p. 18). C’est la possibilité de lui affecter un usage dans le système social qu’elle côtoie qui favorise son émergence et son succès.
Dans les esprits, la sérendipité reste pourtant souvent associée directement à l’innovation. Fréquemment, la découverte sérendipienne n’est valorisée que lorsque la découverte qui en découle s’introduit dans un système établi, c’est-à-dire lorsqu’elle aboutit à une innovation. La plupart des exemples et récits ne vont s’intéresser qu’aux découvertes à succès, laissant de côté toute découverte inutile ou inutilisée.
Même si tous les cas de sérendipité ne conduisent pas à l’innovation, ces deux notions ne restent-elles pas intimement liées ? La sérendipité représente un moyen de réflexion libre, propre aux chercheurs capables d’échapper aux paradigmes, aux règles, aux théories établies. Or, la « poussée innovatrice » émerge grâce au fait de quelques individus marginaux du point de vue du « circuit » économique dominant, nous dit Norbert ALTER (op. cit. p. 19). Les conditions favorables à la sérendipité sont donc les mêmes lorsqu’il s’agit d’innover. Cependant, comme dans toute recherche, la seule démarche « libre » n’est pas suffisante pour que la découverte trouve une application dans la société. Comme le montre la FIGURE 1, le processus de développement d’une innovation met en évidence l’intérêt équivalent des réflexions « libres » et « rationnelles ».
Pour rendre l’innovation possible, des individus doivent pouvoir sortir des cadres établis puis, dans un second temps, lorsque les découvertes qui surgissent sont susceptibles d’être profitables, une recherche plus rationnelle doit s’opérer pour permettre l’intégration des nouvelles idées et reconstituer une combinaison (temporairement) stable. L’innovation s’oppose à l’organisation, l’ordre est recherché mais en réalité, un système qui accepte l’innovation est en perpétuel mouvement. La société étant elle aussi en transformation perpétuelle, il convient d’accepter cette mouvance pour approcher au plus près d’une organisation cohérente dont on ne connait jamais bien les contours. Norbert ALTER s’inspire de la vision de Joseph SCHUMPETER (1883-1950), économiste autrichien, concernant l’économie pour définir l’innovation : L’innovation n’est ni une bonne ni une mauvaise chose : elle est une « destruction créatrice ». Elle détruit l’ancien pour créer le nouveau. (op. cit. p. 1) Pour l’auteur, les concepts de la sociologie des organisations deviennent obsolètes, car le principe même d’organisation, stable et normée, est bouleversé par l’innovation. Selon lui, un nouveau domaine de recherche s’ouvre, la sociologie de l’innovation.
Équilibre entre organisation et innovation
Cette nouvelle manière d’aborder l’innovation, met à jour l’intérêt renouvelé pour tous les phénomènes habituellement ignorés ou écartés comme les erreurs, les échanges informels, les hasards ou les déviances. L’impact du collectif sur la production de connaissances et donc sur l’innovation semble de moins en moins exclu, notamment dans le monde de l’entreprise. L’influence de la société, la sensibilité, l’imagination, l’intuition des acteurs sont considérés comme des facteurs importants dans l’émergence d’idées nouvelles. L’organisation se transforme en même temps que la société vers plus d’individualisation. Les règles s’imposent difficilement et aucun modèle stable d’organisation n’est plus considéré comme valable. L’innovation bouscule les certitudes et les idéologies portées par le concept d’organisation. Le succès du terme sérendipité illustre parfaitement cet intérêt pour la prise de risque et la remise en cause des représentations figées.
Il y a presque quarante-cinq ans, Alvin TOFFLER relevait déjà ce bouleversement dans son livre : Le choc du futur (TOFFLER 1970), avec la création du mot Adhocratie. Un terme également repris par Henry MINTZBERG, auteur canadien reconnu de livre de management. L’adhocratie se définit comme une organisation qui s’oppose à la bureaucratie.
Un groupe de talents est choisi pour travailler ensemble sur un projet innovant sur une durée déterminée. Des objectifs sont fixés, mais les experts détiennent le pouvoir de définir leurs propres règles, leur programme. Afin de décentraliser l’autorité et favoriser les échanges informels, plusieurs groupes-projets sont constitués. Dans ce cas, l’innovation est exploitée de façon passagère, un environnement favorable est créé pour favoriser son émergence au service de l’établissement de nouvelles règles. (MINTZBERG 1983, p. 510-517 de la réédition). Ce type de structure peut se retrouver lorsqu’une entreprise fait appel à des sous-traitants, comme par exemple une agence de publicité qui aurait la mission de créer une campagne, son travail est isolé des autres membres de l’entreprise. Au-delà de ce système d’organisation innovatrice très ciblé, Norbert ALTER met en valeur la possibilité d’une innovation quotidienne qui concerne l’ensemble des acteurs d’une société. Il remet également en cause l’idée d’une organisation parfaite de l’innovation. Pour l’auteur, si l’organisation est constamment recherchée pour ne pas évacuer les repères, celle-ci ne parvient jamais à se construire totalement. L’organisation consiste à standardiser, planifier, rassurer tandis que l’innovation exploite les imprévus, contourne les règles et suppose une prise de risque. Pour Norbert ALTER la position des innovateurs est également à reconsidérer. Pour lui, on ne peut pas limiter ce titre qu’aux chercheurs, talents ou experts. Les innovateurs sont ceux qui disposent de la distance critique la plus importante et qui n’ont rien à perdre avec l’innovation. Les pionniers qui choisissent de prendre une direction imprévue arrivent progressivement (si leur idée se diffuse) à rallier d’autres individus qui partagent les mêmes convictions, jusqu’à ce que leur position devienne la norme.
La direction constitue bien souvent le cadre. Ce sont donc les opérateurs, tous domaines d’activité confondus qui sont susceptibles de provoquer l’innovation. ALTER parle d’innovation ordinaire. La direction crée des inventions organisationnelles, basées sur un calcul de gestion des ressources humaines (dénoncé comme irrationnel puisque la valeur des ressources humaines est très difficilement mesurable). Tandis que les opérateurs doivent s’approprier ces inventions parfois absurdes et les rendre viables dans l’environnement qui les concerne. En d’autres termes, le travail prescrit par les dirigeants est souvent perçu comme déconnecté des contraintes de travail réel. Cela favorise l’émergence de groupes d’innovateurs prêts à enfreindre l’ordre établi pour transmettre leur point de vue. L’idée de sous-traiter ou de décentraliser l’innovation est donc très tentante. En effet, celle-ci peut permettre de gérer certains domaines de l’innovation, comme la création de produits/services, la communication ou le marketing. Mais effectivement comme le souligne ALTER, elle ne répond pas intégralement au problème, puisque l’innovation agit également sur les savoir-faire/techniques et l’organisation interne de l’entreprise. Il s’agit de différencier les différents secteurs dans lesquels intervient l’innovation. Cependant quel que soit le champ d’application, l’innovation semble à la fois recherchée et redoutée par la direction, qui doit parvenir à la manager.
Par ailleurs, alors que la société souhaite toujours plus maîtriser les choses, l’intérêt pour l’innovation semble paradoxal. La plupart du temps, l’innovation est perçue comme quelque chose de positif, un facteur de réussite pour les entreprises. Pourtant, personne n’ignore les difficultés qu’elle suscite. Le livre Making innovation work. How to manage it, measure it, and profit from it (TONY, EPSTEIN, SHELTON 2006) s’engage à donner les clés pour organiser l’innovation en entreprise. L’ouvrage qui se présente comme un guide pour manager, mesurer et tirer des bénéfices de l’innovation, se veut rassurant. Dans le chapitre 1, l’innovation est apparentée à un jeu, dont chaque entreprise peut s’approprier les règles qui lui conviennent le mieux.
La principale difficulté résiderait dans la capacité à manager la créativité comme l’innovation pour que l’équilibre soit viable. Certaines idées sont parfois immatures ou trop avant-gardistes pour être introduites sur un marché. Comme nous l’avons déjà souligné, une bonne idée ne fait pas forcément une bonne innovation. La distinction entre les deux doit être claire, même si les deux domaines ne vont pas l’un sans l’autre. Alors que l’on considère couramment les procédures et les règles comme des ennemies de la créativité, les auteurs soutiennent que la créativité peut être managée et orientée. (TONY, EPSTEIN, SHELTON 2006, p. 19 ) Ils comparent le management de l’innovation au rôle d’un réalisateur de film qui a pour mission de gérer à la fois un budget, des acteurs, des techniciens, son script et son imagination. Tout l’enjeu réside dans la faculté d’allier liberté et discipline, deux aspects difficiles à faire coexister mais pas impossible. Si l’attention est, par exemple, trop portée sur les objectifs commerciaux, le potentiel créatif d’une entreprise peut s’essouffler mais l’inverse n’est pas plus recommandable. Le surplus de créativité peut lui aussi perdre l’entreprise.
L’innovation suppose une prise de risque et l’acceptation d’un mouvement collectif perpétuel. Elle ne peut pas s’anticiper mais peut être plus ou moins bien mobilisée, et devenir une force. La culture de l’entreprise doit permettre aux employés d’échapper à la routine, en encourageant les changements et l’exploration de nouvelles idées. Dans le même temps, l’entreprise doit reposer sur une base assez stable pour être capable de tenir compte des idées nouvelles et d’en faire ressortir les innovations. Les innovateurs ont un regard critique, ils transgressent certaines conventions, mais respectent la plupart d’entre elles, ils engagent leur savoir, leur expérience et leur réseau pour améliorer l’environnement dans lequel ils se trouvent.
C’est donc autant la manière dont l’entreprise perçoit et organise l’innovation que son environnement qui influence le potentiel critique et l’ouverture des innovateurs aux changements. Nous pouvons alors nous demander jusqu’à quel point les choix managériaux concernant l’innovation et la culture de l’entreprise peuvent influencer la capacité créative des employés. Comment les entreprises perçoivent et souhaitent gérer l’innovation ?
LA GESTION DE L’INNOVATION EN ENTREPRISE
La perception de l’innovation en entreprise
L’innovation prend de multiples formes en entreprise. Joseph SCHUMPETER, souvent cité dans les textes traitant de l’innovation, en décrit cinq, qui restent presque inchangées aujourd’hui (LAROUSSE 2014 – en ligne) :
– la fabrication d’un bien nouveau, nommée aujourd’hui innovation de produits ou de services.
– la mise en place de nouvelles méthodes de production, aussi appelée innovation de procédés.
– l’ouverture de nouveaux débouchés, nouveau modèle d’affaires ou nouvelle mise en valeur du produit à l’aide d’outils marketing
– utilisation de nouvelles matières premières
– instauration d’une nouvelle organisation du travail ou innovation organisationnelle, plus couramment dénommée aujourd’hui, innovation sociale.
Au-delà de ces champs d’application, l’innovation peut également se distinguer par son degré d’action (Laval Technopole, 2014 – en ligne). Elle se distingue communément en deux types, l’innovation incrémentale, qui consiste alors simplement à améliorer de l’existant, aussi appelée innovation durable. Dans ce cas, la prise de risque est faible, jusqu’à ce que d’autres innovations, à l’impact plus fort, apparaissent. Ces dernières, sont appelées innovations de rupture. Même si toute innovation se base sur un passé, celles-ci consistent en un changement beaucoup plus radical, en termes de procédés, de produits ou autres formes d’innovation. Ce sont les innovations les plus recherchées, bien qu’elles puissent se traduire de façon positive comme négative, car elles peuvent provoquer des bouleversements dans les positions des acteurs.
L’environnement favorable à la créativité et l’innovation
La place du processus créatif dans l’élaboration d’une innovation peut également être sujette à polémique. En effet, l’innovation n’est pas dépendante de cette seule caractéristique. L’ensemble des décisions managériales et organisationnelles impacte la capacité d’innovation de l’entreprise, parmi lesquelles : la culture d’entreprise, les stratégies mises en place pour l’innovation, l’organisation hiérarchique, le contrôle managériale, les systèmes d’informations, la politique de recrutement, l’ouverture sur des partenariats extérieurs, la communication et les mobilités internes, le système de reconnaissance, l’innovation participative ou encore l’architecture du lieu de travail. Comme vu précédemment, l’idée que l’innovation survienne d’un juste équilibre entre créativité et organisation, est récurrente dans l’univers du management en entreprise. Mais quelle est la part réelle de créativité dans un environnement favorable à l’innovation?
Nous avons jugé pertinent de classer les recommandations faites généralement aux entreprises pour favoriser l’innovation ou la créativité. Cette classification nous a permis de faire ressortir deux schémas didactiques. La FIGURE 2 illustre un environnement favorable à l’innovation en entreprise. Trois grands champs se distinguent : l’organisation, les ressources et la vision du marché. Ces différents champs sont complétés par des exemples qui illustrent les stratégies à mettre en place pour favoriser leur développement.
Comme représentée sur la FIGURE 2, la créativité fait partie des composants essentiels d’un environnement favorable à l’innovation en entreprise. Elle constitue une des ressources de l’entreprise, une ressource qui, comme les autres, doit faire l’objet d’un suivi et d’une gestion pour devenir un atout. Certaines décisions managériales et organisationnelles, évoquées plus hauts, se retrouvent dans ce schéma tandis que d’autres vont concerner plus particulièrement la FIGURE 3 : Environnement favorable à la créativité en entreprise. Sur cette dernière, trois grands champs se distinguent également : les savoirs, les échanges et la motivation. Ces différents champs sont complétés par des exemples qui illustrent les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser la créativité en entreprise. Le graphique illustre bien l’ensemble des paramètres qui peuvent influencer la créativité. Les échanges sont favorisés par les lieux qui encouragent les rencontres et moments de commensalité, mais également par la communication transparente des informations à tous les échelons. La politique de l’entreprise, concernant les partenariats ou encore la mobilité interne, impacte l’établissement de nouveaux réseaux, eux-mêmes vecteurs de l’échange des savoirs. Des savoirs qui constituent une ressource créative importante, s’ils sont connus, valorisés et alimentés par l’entreprise. Enfin, la motivation vient solidifier le tout, par la confiance et le respect qu’elle induit. La liberté accordée aux équipes, le temps imparti à la prise en compte des idées et l’égalité des chances, permet de mobiliser les savoirs et d’encourager les échanges.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 – SÉRENDIPITÉ : ORIGINE ET ENJEUX ACTUELS
CHAPITRE 2 – ALIMENTATION AU TRAVAIL : ÉVOLUTION ET DIVERSITÉ DES PRATIQUES
CHAPITRE 3 – DYNAMIQUE DE LIEUX DE PAUSES ALIMENTAIRES MODERNES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE
TABLE DES FIGURES ET TABLEAUX
TABLE DES CARTES, CROQUIS ET CLICHÉS PHOTOGRAPHIQUES
TABLE DES ANNEXES
ANNEXES
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