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La dynamique intracellulaire par marquage isotopique
Le chapitre 2 présentera en détail l’utilisation de la diffusion incohérente de neutrons pour sonder les mouvements moléculaires au sein de molécules biologiques. La technique a été largement employée sur des échantillons de poudres hydratées (Doster et al., 1989b; Ferrand et al., 1993; Fitter, 1999; Gabel et al., 2004; Paciaroni et al., 2002; Tehei et al., 2001), des solutions (Pérez et al., 1999; Tehei et al., 2006b) ou encore des empilements de membranes purifiées (Fitter et al., 1998; Fitter et al., 1996a; Fitter et al., 1996b; Fitter et al., 1997; Fitter et al., 1999b). En 2004, Tehei et collaborateurs ont établi que la diffusion de neutrons permettait également de sonder la dynamique macromoléculaire dans des organismes vivants, tels que des cellules entières de bactéries, du fait que la mesure reposait sur la diffusion incohérente (Tehei et al., 2004). Ils ont réalisé des expériences de diffusion élastique sur des bactéries psychrophiles, mésophiles, thermophiles et hyperthermophiles, en utilisant le spectromètre IN13 à l’ILL, qui possède des gammes de temps et de longueur associées aux fluctuations des chaînes latérales et principales dans les protéines. Les amplitudes de fluctuation moyennes (MSF) et la résilience macromoléculaire moyenne, dominées par la contribution protéique, ont été évaluées pour les quatre types de bactéries (Figure 4). Les valeurs obtenues pour les deux paramètres ont mis en lumière la sélection de forces augmentant la résilience structurale à haute température, tout en conservant la flexibilité nécessaire pour assurer l’activité. Autrement dit, l’adaptation à la température s’est effectuée par la dynamique: l’évolution a sélectionné les forces nécessaires à la stabilité et aux mouvements fonctionnels à température physiologique.
LA DYNAMIQUE DES MOLECULES BIOLOGIQUES EXPLOREE PAR DIFFUSION DE NEUTRONS
Ce chapitre présente les notions clefs de la diffusion de neutrons et son application à l’étude de la dynamique des molécules biologiques.
La dynamique consiste en l’étude des forces, qui soutendent les structures et conditionnent les mouvements moléculaires. Les mouvements moléculaires sont à l’origine de la flexibilité et de la malléabilité des systèmes biologiques, sous-jacentes à l’activité biologique. Le neutron est une particule élémentaire qui permet de sonder les propriétés de la matière, et en particulier la dynamique des molécules biologiques.
Le chapitre donne une description du vaste paysage dynamique des molécules biologiques, avec les différentes échelles de temps et de longueur associées. Il présente les propriétés de diffusion et d’interaction des neutrons avec la matière, et montre comment les neutrons thermiques et froids permettent d’accéder aux différents types de mouvements moléculaires et d’en extraire les paramètres associés. Le chapitre se termine par un article de vulgarisation scientifique qui présente les bases de la diffusion de neutrons pour l’étude de la dynamique des protéines. L’article résume en langage accessible au non spécialiste les idées clefs présentées au cours du chapitre.
Le paysage dynamique des molécules biologiques
Les mouvements internes dans les macromolécules biologiques
Les macromolécules biologiques sont des systèmes dynamiques, animés par une grande diversité de mouvements moléculaires (Brooks et al., 1988; Fitter et al., 1996a). Les mouvements explorés s´étendent sur des temps allant de la femtoseconde (phénomène de transfert d’électrons) à la seconde (dénaturation locale, transition allostérique, rotations des chaînes latérales enfouies), avec des amplitudes comprises entre le centième d’Ångström (vibration d’un atome dans la liaison covalente) et la centaine d’Ångström (courbure globale des acides nucléiques). Une liste non exhaustive des amplitudes et fréquences de ces mouvements a été recensée par Mc Cammon et Harvey et est présentée dans le Tableau 1 (Mc Cammon and Harvey, 1987)
La diffusion de l’eau dans les systèmes biologiques
La diffusion de l’eau en contact avec les macromolécules biologiques, également appelée « eau d’hydratation » ou « eau interfaciale », a fait l’objet de nombreuses études in vitro, par résonance magnétique nucléaire (RMN) et diffusion de neutrons. L’eau d’hydratation, mesurée dans des échantillons de poudres hydratées, des solutions ou encore des empilements de membranes purifiées, présente des coefficients de diffusion translationnelle compris entre 10-6 cm2/s et 10-5 cm2/s, qui augmentent avec le degré d’hydratation (Bastos et al., 2004; Bellissent-Funel et al., 1996; Beta et al., 2003; Fitter et al., 1999a; Schreiner et al., 1988), ainsi que des temps de relaxation rotationnelle réduits d’un facteur 5 à 10 par rapport à ceux de l’eau libre (Fitter et al., 1999a; Halle, 2004; Modig et al., 2004).
La diffusion de l’eau dans des structures plus complexes, comme les muscles ou même le cerveau, fut explorée par RMN dès les années 70. Les études ont établi que les mouvements diffusifs de l’eau dans les tissus musculaires et cérébraux sont ralentis d’un facteur 2 à 10 par rapport à ceux de l’eau libre (Bratton et al., 1965; Cope, 1969; Hazlewood et al., 1991; Kasturi et al., 1980; Le Bihan, 2007).
Au regard du fort encombrement macromoléculaire dans le cytoplasme d’une cellule, un paradigme a émergé selon lequel l’eau cellulaire serait en grande partie une eau d’hydratation, interfaciale, avec une diffusion fortement ralentie par rapport à celle de l’eau libre. Très peu d’études expérimentales, pourtant, permettent de discuter cette hypothèse. Les mouvements vibrationnels de l’eau dans des levures ont été explorés à température cryogénique (20 K), par diffusion inélastique de neutrons (Ford et al., 2004). Dans ces systèmes, 25 à 30 % de l’eau cellulaire présentent un comportement vibrationnel modifié par rapport à celui de l’eau libre. Les mouvements diffusifs de l’eau dans des Artemia (forme de zoo-plancton) rehydratées, avec des degrés d’hydratation compris entre 0.1 et 1.2 g d’eau / g Artemia sec ont été explorés par diffusion quasiélastique de neutrons (Trantham et al., 1984). Les contributions translationnelles et rotationnelles de l’eau intracellulaire dans ce système sont ralenties d’un ordre de grandeur par rapport à celles de l’eau libre. Ce système, cependant, reste peu hydraté par rapport à des bactéries mésophiles telles que E. coli par exemple (h = 2.6 g H2O/ g macromolécule (Record et al., 1998)).
Dans ce travail de thèse, la diffusion de l’eau dans le cytoplasme d’E. coli a été explorée in vivo, à température physiologique. L’étude apporte une mesure expérimentale directe des mouvements diffusifs de l’eau dans ce type de cellule.
Introduction aux neutrons thermiques et froids
Propriétés des neutrons
Le neutron est une particule élémentaire électriquement neutre et de spin ½, découverte en 1932 par J. Chadwick (Chadwick, 1932a; Chadwick, 1932b). C’est un des constituants du noyau, de même masse que le proton (m = 1.675 x 10-27 kg) et de moment magnétique µ = -1.913 magnétons nucléaires. Sa charge nulle lui permet de pénétrer profondément dans la matière et d’interagir directement avec le noyau, par interaction nucléaire ou magnétique. Dans la plupart des systèmes biologiques, l’interaction magnétique est négligeable devant l’interaction nucléaire.
Le neutron possède des propriétés corpusculaires et ondulatoires. Son énergie, E, s’exprime en fonction de sa vitesse, v, mais également en fonction de sa longueur d’onde, λ, reliées l’une à l’autre par la formule de De Broglie: mv h λ = [2.1]
où h est la constante de Planck. Ainsi, E vérifie: 2 2 2 2m mv 12 E λ h == [2.2]
Les neutrons peuvent être considérés comme des ondes planes de vecteur d’onde k, de norme λ k = 2π , et relié à v par la relation:vk m h=0.
Longueur de diffusion et section efficace
L’interaction nucléaire est à très courte portée (~ 10-14 m) par rapport à la longueur d’onde des neutrons (~10-10 m). Le noyau peut donc être considéré comme ponctuel. La diffusion des neutrons par les noyaux est isotrope et l’onde diffusée est sphérique. Le pseudopotentiel de Fermi, V, associé dépend d’un seul paramètre, b, correspondant à la longueur de diffusion. V s’exprime: )( m 2π )V( 2 r = h bi δ – Rr i [2.4]
avec Ri la position du noyau de l’atome i
r : la position du neutron
bi : la longueur de diffusion de l’atome i b est un nombre complexe, qui représente le déphasage entre les ondes incidente et diffusée. En pratique, la partie réelle est positive ou négative selon si l’interaction neutron-noyau est attractive ou répulsive, et la partie imaginaire représente l’absorption. b permet de définir simplement une autre grandeur, la section efficace, σ , exprimée par la relation : σ = 4πb 2 .
La diffusion incohérente de neutrons pour sonder la dynamique des macromolécules biologiques
La diffusion incohérente renseigne sur la dynamique individuelle des atomes. Elle est largement dominée par le signal provenant des hydrogènes, qui représentent près de la moitié des atomes présents dans les macromolécules biologiques et sont distribués de façon quasihomogène au sein des structures. La spectroscopie neutronique donne accès à une échelle de temps allant de la ps à la ns, pour lesquels les mouvements des hydrogènes reflètent les mouvements des groupes plus grands auxquels ils sont attachés. Cet avantage s’avère particulièrement intéressant pour sonder les divers types de mouvements thermiques existant au sein des macromolécules biologiques.
La diversité de mouvements dans les molécules se traduit par une diversité d’interactions possibles entre le neutron et l’échantillon. L’interaction peut se faire sans transfert d’énergie ou avec transfert d’énergie à différents Q. La quantité d’énergie échangée entre le neutron et l’atome définit le type de diffusion incohérente. On en distingue trois: la diffusion incohérente élastique, la diffusion incohérente quasi-élastique et la diffusion incohérente inélastique. Un spectre en fonction du transfert d’énergie se divise ainsi en trois régions:
o un pic élastique, à transfert d’énergie nul ( hω = 0 ): il représente l signal provenant des neutrons qui ont interagi avec l’échantillon sans échanger d’énergie avec les atomes.
o un élargissement quasi-élastique, centré autour du pic élastique: il informe sur les mouvements diffusifs des atomes dans l’échantillon, qui se traduisent par des petits transferts d’énergie continus entre le neutron et l’atome.
o une région inélastique, à transfert d’énergie non nul: elle est associée aux excitations vibrationnelles des atomes à fréquence donnée.
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Table des matières
1 La dynamique intracellulaire explorée par diffusion de neutrons
1.1 Introduction générale
1.2 Cartographie de la dynamique intracellulair
1.2.1 Un environnement intracellulaire fortement encombré
1.2.2 E. coli, une bactérie bien caractérisée
1.2.3 La dynamique intracellulaire par marquage isotopique
2 La dynamique des molécules biologiques par diffusion de neutrons
2.1 Le paysage dynamique des molécules biologiques
2.1.1 Les mouvements internes dans les macromolécules biologiques
2.1.2 La diffusion de l’eau dans les systèmes biologiques
2.2 Introduction aux neutrons thermiques et froids
2.2.1 Propriétés des neutrons
2.2.2 Longueur de diffusion et section efficace
2.2.3 Diffusion cohérente et diffusion incohérente
2.2.4 Les grandeurs mesurées en dynamique
2.3 La diffusion incohérente de neutrons pour sonder la dynamique des molécules biologiques
2.3.1 Expériences résolues en énergie
2.3.2 Diffusion incohérente élastique, fluctuations carrées moyennes et résilience moyenne
2.3.3 Diffusion incohérente quasiélastique et mouvements diffusifs….
2.3.4 Diffusion incohérente inélastique et mouvements vibrationnels
2.3.5 Analyse expérimentale de la dynamique
2.3.6 Instruments et traitement des données
Les sources de neutrons
Les spectromètres
Les spectromètres à rétrodiffusion
Les spectromètres à temps-de-vol
Traitement des données expérimentales
2.3.7 Bioneutronique: la diffusion de neutrons pour l’étude de la dynamique des protéines (article) .
3 Down to intracellular water dynamics in living organisms
3.1 In vivo measurement of intracellular water dynamics in E. coli (article)
3.1.1 Introduction
3.1.2 Methods
Sample preparation
Neutron measurements
Data analysis
3.1.3 Results
3.1.4 Discussion
3.1.5 Further discussion (not included in the article)
3.1.6 References
3.2 Conclusion & Perspectives for future work
4 Internal and global macromolecular motions in E. coli
4.1 In vivo measurement of internal and global macromolecular motions in E. coli (article)
4.1.1 Introduction
4.1.2 Materials and Methods
Sample preparation
Neutron scattering measurements ….
Incoherent neutron scattering from living cells
Separation of the diffusive motions using QENS
Data analysis
4.1.3 Results and Discussion
Internal motions in living cells by QENS
Fast internal motions
Slow internal motions
Very slow internal motions and macromolecular self-diffusion
Influence of the cell environment on macromolecular dynamics
4.1.4 References
4.2 Conclusion
5 Solvent isotope effect on macromolecular dynamics in E. coli
5.1 Solvent isotope effect on macromolecular dynamics in E. coli (article)
5.1.1 Introduction
5.1.2 Methods
Sample preparation
Neutron measurements and data analysis
Elastic incoherent neutron scattering
Neutron scattering experiments and analysis
5.1.3 Results and Discussion
5.1.4 References
5.2 Conclusion
6 Dynamique de l’ARN in vivo, par marquage isotopique et diffusion incohérente de neutrons
6.1 Matériels et méthodes
6.1.1 Protocole d’hydrogénation de l’ARN cellulaire
6.1.2 Taux de marquage dans l’ARN et les protéines cellulaires
Taux de marquage dans l’ARN par centrifugation analytique
Matériels et méthodes
Résultats
Taux de deutériation dans les protéines par spectrométrie de masse
Matériels et méthodes
Résultats
Signal incohérent attendu pour l’ARN cellulaire
6.2 Mesures élastiques sur IN13
6.2.1 Matériels et méthodes
Préparation des échantillons
Expériences de diffusion de neutrons
6.2.2 Résultats
Signal provenant de l’ARN cellulaire
Influence de la deutériation sur la dynamique macromoléculaire
6.3 Conclusion
7 Conclusion Générale & Perspectives
8 Annexe 1: Publications
8.1 Down to atomic-scale intracellular water dynamics
8.2 In vivo measurement of internal and global macromolecular motions in E. coli
8.3 Solvent isotope effect on macromolecular dynamics in E. coli
9 Annexe 2: Milieu de culture Enfors 143
10 Annexe 3: Protocole d’hydrogénation de l’ARN dans des cellules E. coli deutériées 145
11 Annexe 4: Masse moléculaire de la myoglobine sans méthionine N-terminale 147
12 Annexe 5: Sections efficaces incohérentes des acides aminés et des nucléotides dans des cellules E. coli natives et deutériées 149
13 Annexe 6: Neutron scattering reveals extremely slow cell water in a Dead Sea organism (article) 153
14 Abréviations 161
15 Abbreviations 163
16 Références 165Chap. 1: La dynamique intracellulaire explorée par diffusion de neutron
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