On considére généralement que l’homme a maîtrisé le feu il y a un demi million d’années, mais la capacité à allumer le feu est bien plus récente puisqu’elle daterait seulement de 30 000 ans. La compréhension scientifique des mécanismes d’allumage est encore plus récente puisqu’il a fallu attendre les découvertes de Lavoisier pour donner des bases fondamentales à la chimie et les travaux de nombreux savants comme Mallard, Le Chatelier, Berthelot, Vieille pour poser les bases de la théorie de la combustion et bien d’autres encore pour faire progresser la théorie et traiter des problèmes complexes rencontrés dans ce domaine. On dispose à présent d’un ensemble de connaissances fondamentales très important sur une grande variété de sujets comme la cinétique chimique de la combustion, la structure et la vitesse de propagation des flammes laminaires, la structure des flammes turbulentes, les mécanismes d’interaction entre la combustion et la turbulence, les flammes formées par des brouillards de gouttes (sprays en anglais), la dynamique des flammes, etc. La science de la combustion a aussi progressé avec le développement des méthodes de calcul sur ordinateur. Les avancées des moyens informatiques, la croissance des ressources de calcul et les développements du calcul parallèle ont eu un impact considérable sur le type de problèmes qu’il était possible d’envisager. Grâce au calcul parallèle on sait désormais traiter des questions qui ne pouvaient être envisagées avec les moyens limités d’autrefois. Au niveau expérimental aussi, les progrès ont notamment été associés au développement des moyens d’investigation optiques et des technologies laser. On dispose maintenant de caméras numériques rapides qui peuvent réaliser des prises d’images à une cadence pouvant aller jusqu’à la dizaine de kiloHertz.
Expériences d’allumage sur une chambre annulaire de laboratoire en conditions parfaitement prémélangées
L’allumage au sens propagatif du terme (“light-round” en anglais) est une thématique de combustion d’intérêt autant académique (pour la meilleure compréhension des phénomènes physiques impliqués dans un tel processus) qu’industriel (pour la conception et la certification des turbines à gaz). Cependant, la base de données expérimentale correspondant à des conditions d’essai bien contrôlées est relativement limitée comparée à la complexité du problème, et les dispositifs expérimentaux existants sont souvent composés d’un unique injecteur, ce qui limite les possibilités d’étude à des analyses partielles des conditions d’allumage. La chambre MICCA a été conçue afin de répondre à cette problématique d’allumage circulaire qui est désignée sous le nom de “light-round” par les anglo-saxons. On donne dans ce chapitre une description complète du dispositif expérimental, ainsi que des techniques de diagnostic disponibles. Des expériences d’allumage sont réalisées et les résultats d’essais sont analysés. Ces essais indiquent que le délai d’allumage diminue lorsque la vitesse d’injection augmente. On constate aussi que le délai est fortement influencé par les conditions thermiques dans la chambre. Les essais réalisés fournissent des données utiles à la validation des méthodes de simulation aux grandes échelles.
Dans les foyers des moteurs aéronautiques ou dans ceux des turbines à gaz, l’allumage constitue une phase critique. Pour les moteurs aéronautiques il faut aussi pouvoir réallumer en altitude dans le cas d’une extinction du foyer (Lefebvre (1998)). L’allumage doit pouvoir être effectué même dans des conditions adverses comme celles qui prévalent lorsque la piste de décollage est inondée et que le moteur ingère des quantités importantes d’eau liquide. La combustion est généralement initiée au moyen d’un couple d’allumeurs formés par des bougies, habituellement montées de façon diamétralement opposée dans la chambre. On distingue généralement trois phases dans le processus d’allumage : (1) Dans la première phase, une étincelle produite par une décharge électrique forme un noyau de gaz chauds, (2) Dans une seconde phase, le volume du noyau augmente jusqu’à atteindre un des injecteurs situés dans le voisinage de l’allumeur et établit une flamme à partir de cet élément, et (3) La flamme progresse à l’intérieur du foyer annulaire et enflamme successivement les différents injecteurs, et ce processus de propagation aboutit finalement à stabiliser la combustion à l’intérieur du foyer. La dernière phase de ce processus est désignée par les anglo-saxons sous le nom de “light-round” qui sera traduit dans toute la suite par “allumage circulaire” .
La dernière étape du processus d’allumage conduit à l’accélération de la vitesse de rotation du moteur pour atteindre les conditions de fonctionnement nominales. Cette accélération est engagée si l’efficacité de la conversion chimique dans la flamme est suffisante et fournit une puissance thermique typiquement supérieure à environ 80% de la puissance disponible dans le combustible injecté. Si cette condition est réalisée, le taux de rotation du moteur peut être augmenté et le moteur peut être porté à sa puissance nominale.
Caractéristiques générales de la chambre MICCA
La chambre de combustion MICCA (Bourgouin et al. (2013)) (un acronyme correspondant à Multiple Injector Combustor for Combustion dynamics Analysis) dispose d’une configuration annulaire assortie d’injecteurs multiples, ce qui lui confère une architecture similaire aux foyers équipant les moteurs aéronautiques et une partie des turbines à gaz. Ce type de système de laboratoire permet d’approfondir différents aspects de la combustion tels que les instabilités thermoacoustiques ou bien encore l’allumage au sens propagatif du terme (passage de la flamme d’un injecteur au suivant et établissement d’un régime permanent). La plupart du temps, les configurations d’essais en laboratoire sont dotées d’un unique injecteur (Ahmed and Mastorakos (2006); Ahmed et al. (2007); Mastorakos (2009); Cordier et al. (2012)) ou plus rarement de plusieurs injecteurs disposés linéairement (telle que la configuration disponible au CORIA (Cordier et al. (2013)) par exemple, qui permet d’aligner jusqu’à cinq injecteurs). Cependant, le caractère annulaire (notamment l’interaction d’un injecteur avec les éléments adjacents en présence de parois latérales interne et externe délimitant la zone de combustion) n’est reproductible que sur des géométries du même type. Deux chambres d’essais ont été développés de façon indépendante, l’une à Cambridge (Worth and Dawson (2013)) désignée dans toute la suite par ACCU (Annular Combustor Cambridge University,) mais de taille inférieure aux chambres de combustion aéronautiques, et l’autre, MICCA, au laboratoire EM2C (CNRS et Ecole Centrale Paris) . La chambre ACCU peut disposer d’un nombre d’injecteurs variable allant jusqu’à dix-huit injecteurs, mais son diamètre moyen est relativement faible (d = 17 cm). Ses injecteurs sont munis de corps centraux pour assurer la stabilisation de la flamme et la géométrie de l’écoulement dans les injecteurs induit des nombres de swirl réduits (de l’ordre de 0.2, voir Worth and Dawson (2013)) plus faibles que ceux utilisés en pratique. La chambre MICCA possède un diamètre plus important (d = 35 cm), les injecteurs assurent une stabilisation purement aérodynamique avec des nombres de swirl de l’ordre de 0.7 qui sont typiques de ceux utilisés dans le foyers aéronautiques ou dans les turbines à gaz.
Géométrie de la chambre
MICCA est une chambre de combustion annulaire de dimensions semblables aux foyers employés dans les moteurs d’hélicoptère. Il y a aussi beaucoup de différences par rapport aux configurations pratiques. La plus importante est l’utilisation d’un prémélange gazeux pour alimenter le système. Le prémélange de propane et d’air est réalisé dans un premier volume qui assure l’homogénéisation du mélange. Ce volume alimente au moyen de 8 tubes régulièrement répartis, un plenum annulaire dont la section est un carré de côté mesurant 70 mm. Le mélange gazeux est ensuite injecté dans la zone de combustion par seize injecteurs disposés périodiquement sur le fond de chambre (soit un secteur angulaire de ∆θ = 22.5 deg). Les parois délimitant la zone de combustion sont en quartz, ce qui permet un accès optique direct à la zone d’intérêt, et elles mesurent respectivement 400 mm de diamètre pour le tube externe et 300 mm de diamètre pour le tube interne, pour une hauteur commune de 200 mm. Une hotte aspirante équipée d’un échangeur thermique est placée à l’aplomb de la chambre de combustion et permet ainsi l’évacuation des gaz brûlés.
Dispositifs d’allumage
La combustion peut être initiée par deux électrodes diamétralement opposés, et traversant le tube en quartz externe. Une tige en métal est fixée à proximité d’un injecteur (dans la zone de recirculation externe de ce dernier, afin de bénéficier d’une aérodynamique favorable pour initier l’allumage), et la bougie vient claquer sur cet élément, permettant ainsi la génération d’une étincelle. La présente étude concernant la phase de “light-round”, seule une des deux électrodes disponibles a été utilisée, afin d’étudier le phénomène propagatif sur une plus grande période temporelle. L’énergie dégagée par un tel système d’allumage est d’environ 25 mJ, avec une période de répétition de 10 ms. Il a été d’ailleurs vérifié que la position de l’allumeur n’avait pas d’influence sur le processus d’allumage circulaire, notamment en terme de temps mis par la flamme pour allumer l’ensemble des injecteurs (Bourgouin et al. (2013)).
Injecteurs
Les seize injecteurs composant le système d’injection sont vissés sur des plots eux-mêmes vissés sur le fond de chambre, ce qui les rend facilement démontables lors des opérations de maintenance effectuées sur la chambre. Cette disposition assure aussi une certaine flexibilité dans la définition de la géométrie d’injection. La technologie utilisée dans cette étude est celle d’un injecteur swirlé, aussi appelé “tourbillonneur” (swirler en anglais). Une telle géométrie d’injecteur permet la mise en rotation du pré-mélange issu du plenum avant injection dans la zone de combustion, ce qui crée une zone de recirculation des gaz brûlés au niveau de l’axe du tourbillonneur, permettant ainsi de préchauffer les gaz frais et d’assurer une stabilisation aérodynamique de la flamme. Cela permet également une bonne compacité des flammes, limitant ainsi les interactions avec les parois. Les flammes sont plus robustes et moins sujettes à des perturbations pouvant entraîner un soufflage (“blow-off”) et une extinction partielle ou complète de la chambre lors de son fonctionnement. Les bords des injecteurs sont affleurant au fond de chambre, et aucun système de type “bol” comme on en trouve dans certaines configurations industrielles n’a été utilisé pour la présente étude. Le tourbillonneur possède six trous disposés perpendiculairement à l’axe d’injection et désaxés d’un angle de θ ≃ 40.5 deg. par rapport au rayon du tourbillonneur, permettant ainsi une mise en rotation (“swirl”) du flux de gaz frais . Le diamètre des trous tangentiels est dtrou =3 mm. Le diamètre du tube d’injection débouchant dans la chambre est dswirler =10 mm. Il est utile de caractériser l’écoulement issu de l’injecteur au moyen du nombre de swirl .
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Table des matières
Introduction
1 Expériences d’allumage sur une chambre annulaire de laboratoire en conditions parfaitement prémélangées
1.1 Introduction
1.2 Caractéristiques générales de la chambre MICCA
1.3 Instrumentation et acquisition de données
1.4 Procédure expérimentale
1.5 Résultats expérimentaux d’allumage circulaire
1.6 Conclusion
2 Simulation aux Grandes Echelles et modélisation de la combustion
2.1 Introduction
2.2 Simulation aux Grandes Échelles
2.3 Le modèle de combustion prémélangée F-TACLES
2.4 Synthèse de la configuration numérique
2.5 Validation des paramètres numériques sur une configuration disposant d’un unique injecteur
2.6 Conclusion
3 Simulations de l’allumage circulaire de la configuration annulaire complète et comparaison avec l’expérience
3.1 Introduction
3.2 Computational Domain and Boundary Conditions
3.3 Simulation Procedure
3.4 Results and Discussion
3.5 Influence of the combustion model : comparison with a thickened flame model
3.6 Conclusion
4 Analyse détaillée de l’allumage circulaire de la chambre de combustion MICCA
4.1 Introduction
4.2 Dynamique du front de flamme
4.3 Expansion volumétrique des gaz brûlés
4.4 Dynamique de l’écoulement en sortie de chambre annulaire
4.5 Synthèse du cas #3
4.6 Conclusion
5 Modèle pour la vitesse absolue de propagation d’une flamme prémélangée lors d’un allumage circulaire
5.1 Introduction
5.2 Vitesses de flamme caractéristiques pour une combustion turbulente prémélangée
5.3 Modèle pour la vitesse absolue turbulente d’un allumage circulaire en conditions prémélangées
5.4 Comparaisons entre le modèle et les données LES en fonction de la modélisation de ∆p
5.5 Sensibilité du modèle et variation paramétrique
5.6 Conclusion
Conclusion