Dynamique collective de suspensions de particules passives en interaction hydrodynamique
Interactions hydrodynamiques
Dans toutes les suspensions étudiées dans ce travail de thèse, les particules de la phase dispersée ont une vitesse translationnelle et/ou rotationnelle non nulle par rapport au fluide. A cause de leur taille finie et de la friction avec le fluide, les particules en mouvement exercent des contraintes locales sur le fluide et génèrent un écoulement. Comme le fluide exerce une force de traînée sur les particules, la vitesse d’une particule dépend de la vitesse locale du fluide. Et puisque le champ de vitesse du fluide au niveau d’une particule dépend des écoulements engendrés par le mouvement des autres particules de la suspension, on dit que les particules sont en interaction hydrodynamique. L’amplitude et la symétrie des interactions hydrodynamiques dépendent de la présence ou non de confinement.
Ecoulements de Stokes
Pour toutes les suspensions étudiées dans cette thèse, les effets de viscosité dominent complètement la dynamique par rapport aux effets inertiels. Rappelons que pour un fluide newtonien incompressible caractérisé par un champ de vitesse v(r, t), une viscosité η et une masse volumique ρ, les équations générales qui décrivent la dynamique du fluide sont les équations de Navier-Stokes :
∇ · v = 0 (conservation de la masse)
Ce nombre sans dimension peut être vu de manière équivalente comme le rapport entre deux échelles de temps τd/τ. τd ∼ L²/ν est le temps caractéristique de diffusion de la quantité de mouvement par diffusion visqueuse. τ est un temps caractéristique des variations de vitesse locale de l’écoulement. Dans le cas des suspensions, on peut voir τ comme le temps caractéristique de variation de la vitesse du fluide due au passage d’une particule de vitesse U et de taille typique L, d’où τ ∼ L/U. Le nombre de Stokes a la même loi d’échelle que le nombre de Reynolds, St ∼ UL/ν ≈ 10−3. La limite St ≪ 1 peut être interprétée comme le fait que pendant le temps caractéristique τ, les variations de vitesse se propagent par diffusion visqueuse sur une distance nettement supérieure à la taille caractéristique L du problème. Ceci implique que la dynamique (couplée) des particules et du fluide est instantanée. La dynamique de la suspension à l’instant t est entièrement déterminée par la distribution à cet instant des positions et vitesses des particules, ou de manière équivalente par les positions des particules et le champ de vitesse du fluide au temps t. Au final, les équations qui décrivent la dynamique de la phase continue sont donc les équations de Stokes stationnaires :
∇ · v = 0 (1.5)
et
η∆v − ∇P + f = 0 (1.6)
qu’il faut résoudre en tenant compte des conditions aux limites aux surfaces des particules et aux éventuelles parois confinantes. Contrairement aux équations de Navier-Stokes, les équations de Stokes sont linéaires. Une conséquence mathématique de cette linéarité est que l’on peut appliquer le principe de superposition. La somme de deux solutions des équations de Stokes est également une solution. Il faut toutefois faire attention au fait que la géométrie du problème doit être la même et ne pas oublier de combiner les conditions aux limites.
Ecoulement engendré par une particule en mouvement dans un fluide
Une particule en mouvement de translation et/ou de rotation dans un fluide visqueux exerce des contraintes sur ce dernier et génère un écoulement. Cet écoulement est généralement décrit comme la superposition linéaire d’écoulements générés par des singularités hydrodynamiques (force ponctuelle, source/puits de masse, …) [1]. Le principe est analogue au développement multipolaire en électrostatique, par exemple lorsque l’on exprime le potentiel électrique produit par une distribution de charge localisée comme la superposition linéaire de potentiels créés par des distributions multipolaires de charges (monopôle, dipôle, …). Un cas particulièrement simple est celui d’une particule sphérique en translation dans un fluide non borné, puisque dans ce cas le développement contient seulement deux termes. Le premier correspond à l’écoulement engendré par un monopôle de force (Fig. 1.1 a.). Son amplitude décroît en 1/r, où r est la distance au centre de la particule. Le second terme, lui, décroît en 1/r3 et correspond à l’écoulement généré par un dipôle source-puits (Fig.1.1 b.). En champ lointain – c’est-à-dire à une distance grande devant la taille de la particule – l’écoulement est largement dominé par la contribution du monopôle de force. Lorsque l’on s’intéresse à la dynamique collective de systèmes relativement dilués, comme c’est le cas dans ce manuscrit, seul le comportement en champ lointain de l’écoulement nous intéresse. Dans ce cas, on peut généralement arrêter le développement au premier terme qui est celui qui domine la dynamique sur des échelles de longueur grandes devant la taille d’une particule.
Dynamique couplée de particules en interaction hydrodynamique
Si plusieurs particules sont présentes dans le fluide, la dynamique de chacune d’elles va être affectée par les écoulements engendrés par les autres. On dit que les particules sont en interaction hydrodynamique. En théorie, pour trouver le champ de vitesse du fluide, il faut résoudre les équations de Stokes en tenant compte simultanément des conditions aux limites aux surfaces de toutes les particules. S’il existe des méthodes pour le cas de deux particules (par exemple la méthode des images comme en électrostatique), le cas à N particules avec N > 2 n’admet pas d’expression analytique simple. En pratique, on approxime souvent le champ de vitesse créé par l’ensemble des particules par la somme des champs de vitesse créés par chacune indépendamment. Cette approximation est d’autant meilleure que le système est dilué.
Un exemple canonique : la sédimentation de particules sphériques
La sédimentation de particules sphériques dans un fluide non borné est un exemple classique de système à N-corps en interaction hydrodynamique. Les particules, plus denses que le fluide, subissent la force de gravité et se déplacent à une vitesse non-nulle par rapport au fluide. Chaque particule modifie le champ de vitesse du fluide et influe sur la dynamique des autres particules. Ce couplage induit une dynamique chaotique [2, 3], où les positions et vitesses des particules fluctuent sans cesse malgré l’absence d’agitation thermique. Une particule qui sédimente peut être vue, en première approximation, comme une source ponctuelle de force pour le liquide. L’écoulement généré par une telle force correspond à la fonction de Green de l’équation de Stokes Eq. 1.6. Dans un fluide non borné, cet écoulement décroît en 1/r et les interactions entre les particules sont donc à longue portée. Les lignes de courant de l’écoulement engendré par une source de force ponctuelle – qu’on appelle aussi un Stokeslet – sont représentées sur la figure Fig. 1.1 a. Pour prendre en compte la taille finie des particules, qui modifient la distribution de masse du fluide, l’écoulement du Stokeslet est complété par l’écoulement engendré par un dipôle source/puits, voir Fig. 1.1 b. Toutefois, la contribution du dipôle de source décroît en 1/r3 (à 3D) et peut être négligée en première approximation. Les simulations numériques qui ne gardent que la contribution dominante du Stokeslet reproduisent de manière au moins qualitative la dynamique grande échelle de la suspension [4]. Malgré l’apparente simplicité des équations, le problème de la sédimentation de particules sphériques dans un fluide 3D n’est toujours pas pleinement compris [3]. Le couplage entre la structure spatiale de la suspension et la distribution des vitesses des particules génère une dynamique complexe que la théorie peine parfois à expliquer. Une question toujours ouverte concerne la longueur de corrélation des fluctuations de vitesse des particules (Fig. 1.2). Les expériences semblent montrer que la longueur de corrélation sature à environ 20 fois la distance moyenne inter particules pour les grands conteneurs [5, 6]. Le mécanisme qui fixe cette longueur de corrélation des fluctuations de vitesse fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses discussions. La difficulté des calculs vient en partie du fait que les interactions entre les particules sont à longue portée (décroissance en 1/r) et qu’elles conduisent à la divergence de certaines intégrales quand on somme sur les contributions de toutes les particules. Si le problème a été résolu par Batchelor pour le calcul de la vitesse moyenne de sédimentation [8], le cas des fluctuations de vitesse reste aujourd’hui sujet à débat.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Objectifs de la thèse
1.2 Dynamique collective de suspensions de particules passives en interaction hydrodynamique
1.2.1 Interactions hydrodynamiques
1.2.2 Ondes et fluctuations de densité dans les suspensions passives confinées
1.3 Ondes et fluctuations de densité dans les liquides actifs polaires
1.3.1 Approches numériques et théoriques
1.3.2 Systèmes expérimentaux
1.4 Effet du désordre sur la dynamique des suspensions
1.5 Présentation du manuscrit
2 Montage expérimental pour l’étude d’une assemblée de gouttes en interaction hydrodynamique
2.1 Dispositif et outils microfluidiques
2.1.1 Production de l’émulsion
2.1.2 Chambre de visualisation
2.1.3 Contrôle de l’écoulement
2.2 Acquisition des données
2.3 Analyse des données
2.3.1 Détection des particules
2.3.2 Tracking des particules
2.3.3 Champ de densité et fluctuations
2.4 Création de particules de formes arbitraires et de structures ordonnées in-situ
3 Ondes de densité dans une émulsion bidimensionnelle advectée
3.1 Interactions hydrodynamiques dans une cellule de Hele-Shaw
3.1.1 Ecoulement dans une cellule de Hele-Shaw
3.1.2 Perturbation de l’écoulement engendrée par un obstacle cylindrique
3.1.3 Transport de particules et interactions hydrodynamiques
3.2 Etude expérimentale et théorique de la dynamique d’une émulsion bidimensionnelle simplement advectée
3.2.1 Introduction
3.2.2 Article : Hydrodynamic fluctuations in confined particle-laden fluids
3.3 Perspectives
3.4 Annexe
3.4.1 Ecoulement potentiel dans une cellule de Hele-Shaw
4 Stabilité et fluctuations de cristaux hydrodynamiques confinés
4.1 Modélisation de la dynamique de cristaux hydrodynamiques formés de particules passives ou actives
4.1.1 Modélisation des interactions hydrodynamiques
4.1.2 Dynamique grande échelle des cristaux hydrodynamiques
4.2 Stabilité des cristaux hydrodynamiques : principaux résultats
4.2.1 Stabilité des cristaux de particules passives entrainées par une force extérieure
4.2.2 Stabilité des cristaux de particules actives
4.2.3 Limites du modèle
4.3 Perspectives
4.4 Article « Active and driven hydrodynamic crystals »
5 Un nouveau mécanisme de propulsion : l’électro-rotation de Quincke
5.1 L’électro-rotation de Quincke
5.1.1 Description qualitative de l’électro-rotation de Quincke
5.1.2 Description quantitative de l’électro-rotation de Quincke
5.2 Rouleurs colloïdaux
5.2.1 Principe de propulsion
5.2.2 Quelques ordres de grandeur
5.3 Caractérisation de la dynamique individuelle des rouleurs
5.3.1 Vitesse et orientation
5.3.2 Déplacement quadratique moyen et temps de diffusion
6 Conclusion
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