Les études anthropologiques sur les sociétés africaines ont souvent été abordées sous une perspective statique tendant à voir ce qui participait au maintien des us et coutumes, de la tradition, gage de l’équilibre de l’organisation sociale. C’est ainsi que pendant longtemps ces sociétés ont été qualifiées de traditionnelles. La tradition au sens socio anthropologique renvoyait à une certaine permanence et immuabilité de leurs organisations sociales. C’est ainsi que les travaux des anthropologues comme Radcliffe – Brown ont été inscrits dans cette perspective. Sa théorie structuro fonctionnaliste a ainsi étudié les éléments qui contribuaient à l’équilibre et la pérennité de ces systèmes (structures ).
On doit à Balandier d’avoir introduit une nouvelle approche dans cette conception des sociétés traditionnelles. La tradition au sens où la définit la sociologie dynamique n’est pas synonyme de fixité. Les sociétés même apparemment les plus traditionnelles sont confrontées à des facteurs susceptibles de changer leur organisation sociale. D’autant plus que les sociétés africaines s’inscrivent pour la plupart dans une perspective historique singulière marquée par des évènements comme la pénétration islamique et la colonisation . Aussi « des ethnies et même des régions entières ont été transformées dans leur culture et dans leur organisation sociale par les conquêtes, par le commerce, par l’Islam et cela bien avant la colonisation ». Notre étude s’inscrit dans cette perspective.
Yoff est un village traditionnel. Les lébou qui forment cette société sont connu pour leur ancrage à leurs valeurs et traditions. Aussi cette société est elle gérontocratique et régie par le principe de primogéniture . C’est l’âge qui a toujours fixé le niveau de participation des individus et assigné les statuts et rôles sociaux. Mais , Yoff, de par sa proximité avec la capitale du Sénégal, Dakar , subit les effets de l’urbanisation rapide. Dans ce contexte de nouvelles préoccupations liées notamment à la gestion de l’espace, à l’assainissement ont vu le jour. Pour répondre à ces nouvelles exigences, des jeunes se sont érigés en une organisation communautaire pour préserver leur cadre de vie et promouvoir le développement local jouant là un rôle qui dans le contexte de la gestion gérontocratique n’était pas le leur. Ils bouleversent ainsi les rapports sociaux traditionnels et impulsent une dynamique de changement social. Dans cette étude l’Association pour la promotion économique, culturelle et sociale de Yoff (APECSY) constitue notre « porte d’entrée » pour analyser le changement social. L’APECSY est une organisation communautaire de base qui a été crée à Yoff à la fin des années 1970 par une élite jeune pour répondre aux exigences de développement local.
Cette double implication de l’APECSY dans le changement social et dans le processus de développement local nous amène à inscrire cette étude dans une perspective relevant de la socio anthropologie du développement et du changement social avec Olivier de Sardan, qui inscrit le développement dans un cadre global, celui du changement social : « Le développement n ‘est qu’une des formes du changement social et ne peut être appréhendé isolément . L’analyse des actions de développement et des réactions populaires à ces actions ne peut être disjointe de l’étude des dynamiques locales , des processus endogènes ou des processus « informels » de changement ».
Nous allons dans un premier temps analyser la participation de L’APECSY au changement social et ce à travers le rôle qu’elle joue dans l’implication des jeunes dans la gestion des préoccupations locales et dans l’évolution des rapports intergénérationnels. Ensuite nous allons analyser la participation de cette association au développement à travers les actions réalisées dans les différents domaines économique, social ,culturel et voir dans quelle mesure les jeunes ont été impliquées dans ce processus de développement local .
CADRE GENERAL
Problématique
La question du développement constitue une des préoccupations majeures des pays du tiers monde. En Afrique, la bataille du développement a constitué l’une des priorités des Etats après les indépendances. Mais compte tenu de sa longue dépendance des anciennes métropoles, le développement a toujours été lié à l’aide extérieure et pendant longtemps l’Afrique a pu compter sur les flux massifs de capitaux pour financer les projets de développement. Mais du fait de la conjugaison de plusieurs facteurs comme le constat de mauvaise gestion des financements, la crise de l’Etat en Afrique, une nouvelle orientation est apparue dans l’approche du développement. Cette nouvelle approche consiste en l’implication des populations aux projets de développement. Les partenaires au développement ont ainsi introduit de nouveaux concepts comme ceux de « développement par le bas », « aide décentralisée », « approche participative ». Il s’agit en d’autres termes de s’adresser directement aux populations à travers les associations de la société civile comme les ONG, les associations de développement local, les associations villageoises etc. L’objectif est de rompre avec la mentalité d’assistanat en responsabilisant les populations qui sont les premières concernées par les actions de développement .
Au Sénégal cette nouvelle approche fait suite à une longue période marquée par une mainmise de l’Etat sur toutes les questions essentielles dont celle du développement. Les années 1970 vont inaugurer une ère de crise de cet « Etat- providence » suite aux chocs pétroliers, la sécheresse, la crise de l’arachide et des phosphates. Sous la pression des institutions internationales (FMI, Banque Mondiale), l’Etat sénégalais va adopter un ensemble de politiques dites d’ajustement structurel. Ces politiques même si elles « ont permis un premier assainissement des finances publiques et de créer les conditions d’une relance économique (désinflation, disparition des taux de change parallèles etc.) ont eu souvent un effet désastreux sur le plan social et humain..» . Les politiques d’ajustement structurels ont en effet détruit les mécanismes de régulation sociale. Face à cette crise la société civile va s’organiser. C’est l’émergence d’associations comme les ONG, associations locales, associations ou agences de développement local .
Au niveau institutionnel c’est l’adoption en Mars 1996 d’une loi sur la décentralisation. La décentralisation consiste en un transfert des responsabilités aux collectivités locales dans neuf de domaines de compétence parmi lesquels l’éducation, la santé, la gestion des ressources naturelles et la planification du développement. La mission des collectivités locales est aussi définie : il s’agit d’être les catalyseurs d’un développement endogène avec à la base une implication réelle et effective des populations locales.
C’est dire que le développement suppose donc un ensemble de préalables et s’inscrit dans un cadre global celui du changement social. « Le problème du «développement » n’est pas d’abord un problème technique, ni économique, c’est un problème de changement. Une société change lorsque une masse critique de citoyens est décidée à résoudre concrètement des problèmes majeurs de vie, et que le plus grand nombre prend conscience des contraintes matérielles et des intérêts _souvent myopes_ qui en compromettent la résolution».
C’est conscient de cet enjeu que les jeunes de Yoff ont décidé de mettre sur pied une association chargée d’assurer la promotion économique, culturelle et sociale, l’APECSY. Innovation de taille quant on sait que Yoff est connu comme un village traditionnel où l’âge a toujours déterminé le niveau de participation des individus. C’est dire que le processus de changement social est en cours .
Ainsi dans cette étude nous nous intéressons à cette association à deux points de vue ;l’APECSY comme « agent » de changement social et l’APECSY comme association oeuvrant pour le développement local. Aussi nous essayerons d’apporter des réponses à ces différentes questions :
• Qu’est ce qui est à l’origine de la création de l’APECSY et comment est elle organisée ?
• Quel rôle joue cette association dans le processus de changement social en général et dans l’évolution des rapports intergénérationnels dans un cadre où les aînés ont toujours été les acteurs sociaux principaux ?
• Quel rôle joue cette association dans la promotion du développement local ?
HISTORIQUE , CARACTERISTIQUES ET OBJECTIFS DE L’APECSY
Historique
L’Association pour la promotion économique culturelle et sociale de Yoff (APECSY) est née dans un contexte marqué par de profondes mutations. En effet la fin des Années 1970 constitue un tournant décisif dans l’histoire du village. A l’image des autres villages dits traditionnels de la presqu’île du Cap-vert, Yoff évolue de son statut de petite agglomération semi rurale à celui de ville. Cette urbanisation rapide va soulever un ensemble de problèmes d’ordre spatial (gestion de l’espace et du domaine traditionnel du village), économique, social et culturel .
Au plan domanial : le décret 75-590MTPUT /DUH du 5 juin 1975 confinait le village de Yoff à une bande de terre limitée à l’Est par la voie d’accès au cimetière musulman de Dakar, à L’Ouest par le cône d’envol de la piste de l’Aéroport international de Dakar, au Nord par l’océan Atlantique et au Sud par l’Autoroute, soit une superficie de 100 hectares pour une population de prés de 15000habitants. Ces chiffres révèlent une promiscuité et un manque d’espace criard aggravé par l’avancée progressive de la mer d’une part. D’autre part l’extension de quartiers voisins comme Grand- Yoff et Grand Médine se poursuivait jusque dans les limites Est et Nord –Est du village en même temps que l’installation dans le domaine de Yoff de L’Aéroport Dakar– Yoff, du cimetière musulman et de la foire internationale de Dakar. Le village de Yoff pris dans ce carcan, étouffait. Il fallait trouver une solution immédiate à savoir obtenir de l’Etat une extension du village.
Au plan économique : l’agriculture, l’élevage et la pêche principales activités de production rencontraient de sérieuses difficultés. Les deux premières étaient affectées par le manque de terre. Quant à la pêche, la vétusté des équipements confinait le secteur à un stade artisanal .
Au plan social : l’urbanisation rapide conjuguée à la dislocation des structures sociales traditionnelles (familles élargies, classes d’âge…) a engendré plusieurs maux : la délinquance juvénile, la prostitution pour ne citer que ceux là. D’autre part, les problèmes que connaissent les principales activités de production (agriculture, élevage, pêche) affectent les niveaux de vie des familles et créent des conditions de précarité.
Au plan culturel, les lébou sont connus pour leur ancrage à leurs valeurs et traditions, à leur culture, et Yoff ne déroge pas à la règle. Dans ces conditions, la sauvegarde puis la transmission de ces valeurs était un impératif dans cette société en transition. C’est dans un tel contexte que des jeunes de Yoff ont décidé de mettre sur pied un comité de défense des intérêts de Yoff. L’objectif à court terme de ce comité de défense était d’obtenir une extension du village car le problème de l’espace consécutif à l’urbanisation de Dakar était la cause principale des problèmes identifiés ci- dessus. Ce comité va rencontrer une opposition de la part des autorités traditionnelles du village. Yoff était une société gérontocratique et entendait le rester. Les aînés avaient toujours pris les devants et entendaient conserver intactes leurs prérogatives. Le rôle de la jeunesse était d’obéir aux aînés et s’ils voulaient se rendre utile elle pouvait s’occuper de l’assainissement en procédant au nettoiement des quartiers, de la plage … Pendant prés de deux ans, ce comité provisoire va s’occuper de l’assainissement du village tout en menant des tournées de sensibilisation sur la question de l’extension et les problèmes du village et rendait compte de ses activités aux autorités traditionnelles et religieuses. C’est finalement en 1982, avec l’aval des autorités traditionnelles et religieuses que ce comité provisoire a été érigé en association. Ainsi est officiellement crée l’association pour la promotion économique, culturelle et sociale de Yoff (APECSY) yoff i demb ak tay sous le récépissé numéro 3937 /DAGAT/MINT du 21 octobre 1982.
Caractéristiques,
D’après le Rapport 2000 de l’UNRISD, les organisations communautaires de base sont « typiquement des associations de membres dont le public – militants et bénéficiaires- réside dans une région géographique bien définie- un quartier, un village, ou un arrondissement. Elles ne sont pas forcément toutes reconnues ou n’ont pas toutes de structures officielles … » L’APECSY est une organisation communautaire de base qui a épousé les contours de la structure de gouvernance locale à savoir celle lébou traditionnelle. C’est pour cette raison que sur le plan de l’organisation et du fonctionnement, elle s’inspire de cette organisation sociale traditionnelle. Aussi elle intègre et s’intègre dans les structures traditionnelles de gouvernance locale et vient se placer à coté de la classe des fréys. De plus, elle intègre toutes les autres organisations communautaires existantes qui sont membres de droit et sont représentées au sein du conseil. L’APECSY présente ainsi les caractéristiques des associations villageoises de développement et comme telles :
– Elle est une association à adhésion de fait (toute la population active est membre de droit)
– Elle a pour vocation de débattre des réalisations de développement.
-Elle intervient dans les affaires publiques.
Et elle constitue une instance de gestion du rapport avec l’extérieur, tache traditionnellement dévolue aux autorités traditionnelles. Ainsi sont membres de l’APECSY tous les yoffois d’origine et d’adoption, il n’y a ni de carte de membre exigé ni de cotisation.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARIE : CADRE GENERAL
Chapitre I : Cadre général et méthodologique
I.1. Problématique
I.2.Objectifs de l’étude
I.3. Justification du sujet
I.4.Hypothèses
I.5. Définition des concepts
I.6. Modèle théorique
I.7. Revue de la littérature
Chapitre II : Cadre méthodologique
II.1. Cadre d’étude
II.2. Méthodes et techniques
II.2.1 Méthode d’échantillonnage
II.2.2. Technique d’échantillonnage
II.2.3. Caractéristiques de l’échantillon
II.3. Difficultés rencontrées
DEUXIEME PARTIE : DESCRIPTION DE L’OBJET D’ETUDE :PRESENTATION DE L’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION ECONOMIQUE, CULTURELLE ET SOCIALE DE YOFF( APECSY)
Chapitre I : Historique, Caractéristiques et Objectifs de l’APECSY
I.1. Historique
I.2. Caractéristiques
I.3. Objectifs
Chapitre II : Organisation, Fonctionnement et Moyens de l’APECSY
II.1. Organisation et fonctionnement et objectifs
II.2. Moyens et Ressources
TROISIEME PARTIE : ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES DE L’ENQUETE : PARTICIPATION DE L’APECSY AU CHANGEMENT SOCIAL
Chapitre I : APECSY et changement social
I.1. Place de l’APECSY dans l’organisation sociale
I.2. Rôle de l’APECSY dans l’évolution des rapports intergénérationnels au sein du village
I.2.1. Rapports entre l’APECSY et les jeunes
I.2.2. Implication de l’APECSYdans les rapports entre les jeunes et les autorités du village
Chapitre II : APECSY et développement local
II.1. Implication de l’APECSYdans le développement local
II.1.1. L’APECSY : catalyseur de la dynamique populaire
II.1.2. L’APECSY : « courtier en développement »
II.2. Actions de développement de l’APECSY
II.2.1. Au niveau économique
II.2.2.Dans le domaine social
II.2.3. Sur le plan culturel
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES