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Matériel et méthodes
Type d’étude
Il s’agit d’une étude observationnelle, rétrospective, monocentrique, réalisée au sein du service de Chirurgie Digestive du Centre Hospitalier Universitaire de Rouen.
Critères d’inclusion
Tous les patients opérés d’une DPC au CHU de Rouen sur la période s’étalant du 1e janvier 2016 au 31 décembre 2021 ont été inclus dans cette étude.
Objectifs de l’étude
L’objectif principal était l’évaluation de la morbi-mortalité globale des malades dans les 90 jours suivant la réalisation d’une DPC.
Le critère de jugement principal était l’incidence de la morbidité sévère avant le 90e jour post-opératoire, défini par un score supérieur à 2 selon la classification de Dindo-Clavien18 (Annexe 1).
Les objectifs secondaires étaient :
– L’analyse descriptive de la fréquence et du type de complication survenant au décours d’une chirurgie de DPC.
– L’analyse descriptive de données pré, per et post-opératoires, afin d’identifier les facteurs de risque locaux de complications à court et à moyen terme au décours d’une chirurgie de DPC.
– Et l’évaluation de l’impact de notre prise en charge anesthésique sur la survenue de complications en post-opératoire.
Recueil de données
La liste des patients éligibles a été obtenue grâce au codage CCAM des actes chirurgicaux, et extraite depuis le logiciel CDP2.
Toutes les informations concernant la période péri-opératoire ont été obtenues pour chaque patient à partir du dossier médical informatisé, du dossier papier du service de Chirurgie Digestive, ou bien de la base de données de Chirurgie Digestive du CHU de Rouen (base de données informatisée interne à notre service, regroupant les données pré, per et post-opératoires d’intérêt pour les chirurgies abdominales majeures).
Les données préopératoires comprenaient :
– Les données démographiques : âge, sexe, poids, taille, et indice de masse corporelle (IMC), le score ASA 19 (Annexe 2) et la capacité vitale exprimée en MET (Annexe 3).
– Les antécédents médicaux, et notamment l’existence d’un diabète, d’une consommation éthylo-tabagique, ou d’une dénutrition (définie par une perte de poids supérieure à 10% du poids habituel et/ou une albuminémie inférieure à 30 g/L), les circonstances de découverte de la pathologie pancréatique, l’indication opératoire, ainsi que le score de Charlson20 (Annexe 4).
– Les données biologiques préopératoires (en particulier le taux d’albumine en g/L).
– La prise en charge pré-opératoire : réalisation d’un drainage biliaire, d’une chimiothérapie néoadjuvante ou d’une radiothérapie.
Les données per-opératoires comprenaient :
– Les données anesthésiques : protocole anesthésique, mise en place d’une péridurale thoracique, transfusion de produits sanguins labiles, température en fin d’intervention, utilisation de noradrénaline, administration de dexaméthasone, d’AINS, d’analogues de la somatostatine, d’érythromycine, mise en place d’un cathéter de paroi infusé à la naropéine en fin d’intervention.
– Les données chirurgicales : durée d’intervention, voie d’abord, type d’anastomose réalisée, geste de résection vasculaire, sonde nasogastrique (SNG) laissée en place en fin d’intervention, saignement.
Les données post-opératoires comprenaient :
– Le nombre de jours d’hospitalisation, une réadmission ou un décès avant J90.
– La survenue de complications chirurgicales : fistule (pancréatique, biliaire ou digestive), gastroparésie et hémorragie, chacune étant gradée selon la définition standardisée de l’ISGPS (Annexe 5). La survenue d’une infection du site opératoire (abcès intra-abdominal ou infection de cicatrice) était également relevée. Pour chaque complication, le type de traitement entrepris (médical, radiologie interventionnelle ou reprise chirurgicale) était relevé.
– La survenue de complications médicales : sepsis, évènement thromboembolique (artériel ou veineux), défaillance d’organe, dénutrition, insuffisance pancréatique endocrine ou exocrine, ou survenue d’un diabète déséquilibré.
– La complication la plus grave permettait d’établir le score de Dindo-Clavien.
Analyses statistiques
Les données recueillies étaient rassemblées dans un tableur Excel, et ont été anonymisées avant analyse statistique par le Département de Biostatistiques de notre institution.
Un modèle de régression logistique multivarié distinct a été construit pour les cinq critères de jugement suivants : score de Dindo-Clavien > 2, survenue d’une gastroparésie, d’une fistule pancréatique, d’une complication hémorragique, ou d’un décès. Chacun des modèles expliquait un critère de jugement par les covariables préopératoires et peropératoires et les effets de chacun des facteurs ont été ajustés sur les autres facteurs.
Le seuil de significativité selon Bonferronni était fixé à 5% tandis qu’on parlait de tendance statistique en dessous de 1 à 2%.
Résultats
Description de la population
Sur la période de recueil, 180 patients étaient éligibles pour inclusion. Parmi eux, 8 patients n’ont pas été inclus pour analyse parmi lesquels : 3 patients ayant bénéficié d’une totalisation de leur pancréatectomie au cours de la chirurgie, 3 ayant bénéficié d’une chirurgie abdominale étendue (1 chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) et 2 compartimentectomies pour liposarcome) et enfin 2 patients ayant été exclus pour manque de données. L’analyse finale portait donc sur 172 patients.
Les données démographiques et les principaux antécédents notables des patients de la cohorte sont présentés dans le tableau 1.
Critères de jugement secondaires
Mortalité
La mortalité moyenne à J90 dans notre série s’élève à 6,4% (n=11), avec une variabilité interannuelle notable présentée dans le tableau 6.
Les causes de décès retrouvées étaient : le choc hémorragique pour 6 patients (dont 2 patients chez lesquels l’origine de l’hémorragie était une fistule pancréatique), les complications septiques d’une fistule pancréatique pour 4 patients, l’ischémie digestive secondaire à un thrombus de l’artère mésentérique supérieure (AMS) pour 2 patients, et une embolie pulmonaire massive pour 1 patient.
Réintervention
Le taux de reprise chirurgicale dans notre série s’élevait à 18.6% soit 32 patients dans les 90 jours post-opératoires. Les principales indications retrouvées étaient la nécessité d’un geste d’hémostase chez 10 patients, la réfection d’anastomose digestive chez 9 patients, et la reprise pour péritonite infectieuse chez 6 patients. On retrouve par ailleurs dans les autres motifs de réintervention une éviscération, un syndrome occlusif, une ablation accidentelle de drain abdominal à J1, et une laparotomie exploratrice pour ischémie digestive secondaire à une thrombose de l’artère mésentérique supérieure (AMS).
24 patients soit 14% de l’effectif ont également nécessité une prise en charge en radiologie interventionnelle : 7 patients en vue d’un drainage de collection intra-abdominale, et 17 patients pour prise en charge d’un saignement (10 embolisations et 7 poses de stents).
Durée moyenne de séjour et réadmissions
La durée moyenne de séjour dans notre série s’élève à 25,6 jours (± 15,4 jours), avec des variations interindividuelles importantes, variant de 10 à 113 jours.
Le taux de réadmission avant J90 était de 12,2% soit 21 patients dont les causes de réadmissions étaient une gastroparésie pour huit d’entre eux, trois patients qui présentaient un sepsis et une désunion de cicatrice chez trois autres patients.
Nous notons enfin également un cas d’embolie pulmonaire tardive à J38 post-opératoire, ainsi qu’un patient ayant présenté une ischémie digestive secondaire à une thrombose de stent de l’AMS, et réadmis directement en Réanimation chirurgicale.
Discussion
La morbidité sévère, définie par un score de Dindo-Clavien strictement supérieur à 2, s’élève à 29,7% à J90 dans notre cohorte de patients ayant bénéficié d’une chirurgie de DPC. En considérant la morbidité globale (toute complication survenue en post-opératoire, soit un score de Dindo-Clavien strictement supérieur à 1), ce taux s’élève à 71,6%.
Ces résultats peuvent apparaitre élevés de prime abord, mais ils sont à tempérer par le fait que nous nous sommes attachés dans ce travail à relever toute complication, médicale ou chirurgicale, survenue à J90 de l’intervention, ce qui peut expliquer un taux de complications élevé. Ces résultats s’intègrent dans une littérature internationale marquée par des taux de complications après DPC très variables d’une étude à l’autre. Ceci s’explique d’abord par une hétérogénéité importante de la définition de ce qu’est une complication, mais également par la nature ou le nombre des complications relevées selon les études.
Ainsi, en 2006, De Oliveira et al. 21 soulignaient cette hétérogénéité retrouvée dans la littérature, rendant la comparaison de la morbidité difficile entre les centres, mais également pour différentes périodes au sein d’un même centre. Cette hétérogénéité rend de fait complexe l’identification de facteurs de risque de morbidité post-opératoire. Les auteurs concluaient donc à la nécessité d’établir un score de morbidité standardisé après chirurgie pancréatique majeure.
Concernant le taux de mortalité, il s’élève à 6,4% dans notre étude, et nous observons une variabilité interannuelle importante avec une tendance à la baisse au cours des quatre dernières années, de manière concomitante à une augmentation du nombre de patient opérés chaque année. En raison d’un trop faible nombre de décès à J90 dans notre série, nous n’avons pas pu établir de facteur de risque de mortalité après analyse multivariée.
Les progrès chirurgicaux au cours des vingt dernières années ont permis d’abaisser la mortalité après DPC à moins de 5% dans les centres à haut volume opératoire.22 La notion de relation entre volume opératoire et mortalité post-opératoire est bien décrite dans la littérature, notamment dans une méta-analyse française récente23 qui étudiait l’incidence de la mortalité à J90 après chirurgie pancréatique majeure en France entre 2007 et 2012 : la mortalité globale à J90 après DPC était de 9,2% en France sur la période analysée, et le nombre de DPC réalisé annuellement dans chaque centre était reconnu comme un facteur de risque indépendant de mortalité. Le nombre minimal de DPC annuel retenu comme étant nécessaire pour obtenir une réduction significative de la mortalité y était fixé à 16.
Lorsque l’on s’intéresse aux complications spécifiques de la DPC, à savoir la gastroparésie, la fistule pancréatique, et l’hémorragie, nous n’avons là encore pas pu identifier de facteur de risque ou de facteur protecteur après analyse multivariée. Si les analyses suggèrent des tendances statistiques concernant la coelioscopie qui semblerait augmenter le risque hémorragique, et la dénutrition qui semblerait favoriser l’apparition d’une gastroparésie, compte tenu du faible nombre d’évènement et des limites statistiques que cela impose, il est impossible d’en tirer de quelconques conclusions.
La complication la plus fréquemment retrouvée dans notre série était la gastroparésie (47,7%). Ce taux peut varier de 20 à 50% dans la littérature24, probablement en raison de l’absence de définition standardisée jusqu’à celle proposée en 2007 par l’ISGPS25. Bien que n’engageant pas le pronostic vital, la survenue de cette complication peut altérer l’état nutritionnel des patients et prolonger la durée de séjour à l’hôpital. Nous n’avons pas pu identifier de facteur de risque ou de facteur protecteur après analyse multivariée, y compris concernant l’utilisation prophylactique d’érythromycine qui semble pourtant selon certains auteurs diminuer l’incidence de la gastroparésie en post-opératoire.26
Le taux de fistules pancréatiques retrouvé dans notre série était de 39%, ce qui peut apparaitre comme légèrement plus élevé que dans la littérature, où les taux retrouvés s’échelonnent de 10 à 30%27. Pour analyser cet écart, il faut souligner là encore l’absence de définition standardisée avant la définition de l’ISGPS en 20058. Ce chiffre peut également s’expliquer par le fait que nous réalisons dans notre institution un scanner abdominal à J7 post-opératoire de façon systématique. Combiné à la biologie, cet apport de l’imagerie permet un diagnostic précoce des fistules pancréatiques, y compris les fistules de grade A28 qui constituent la majorité des fistules diagnostiquées dans notre série bien qu’elles soient sans conséquence clinique pour les patients. Nous n’avons pas pu identifier de facteur de risque ou de facteur protecteur de fistules pancréatiques post-opératoires après analyse multivariée. Dans la littérature, l’utilisation prophylactique d’analogues de la somatostatine semble être associée à une diminution de la survenue de cette complication spécifique, mais ne semble associée ni à une diminution du taux de fistules cliniquement significatives, ni à une diminution de la mortalité 29.
La survenue d’une hémorragie concernait 20,9% des patients de notre série et était responsable d’une morbidité importante, imposant une reprise chirurgicale ou une prise en charge en radiologie interventionnelle dans 75% des cas. Il s’agit de la première cause de mortalité retrouvée dans les 90 jours post-opératoires de notre cohorte. Il est intéressant de souligner que sur les 36 hémorragies relevées, seulement 7 sont survenues précocement dans les 24 heures post-opératoires, dont 5 résolutives après correction médicale d’un trouble de l’hémostase. Ceci souligne le soin accordé à l’hémostase chirurgicale dans notre institution.
Concernant les complications non spécifiques à la DPC, elles étaient également responsables d’une part importante de la morbidité post-opératoire. En effet, la majorité de nos patients présentaient une dénutrition post-opératoire, nécessitant un ajustement de la prise en charge et pouvant entrainer un allongement de la durée de séjour. Au second plan, les complications septiques étaient également pourvoyeuses de morbidité. Parmi elles, il faut noter un nombre non négligeable d’infections liées aux cathéters veineux centraux, pouvant entrainer des complications septiques ou thromboemboliques, et qui sont liées à la nécessité de prise en charge nutritionnelle parentérale péri-opératoire, plus ou moins prolongée.
Si l’on s’intéresse spécifiquement à la prise en charge anesthésique per-opératoire, après analyse multivariée, nous n’avons pas identifié de facteur de risque ou de facteur protecteur dans nos pratiques susceptibles d’influer sur la survenue de complications en post-opératoire.
Nous relevons dans notre cohorte une large utilisation de noradrénaline en per-opératoire, qui ne semble pas associée à la survenue de complication. L’interprétation ne peut être cependant que très limitée, puisque l’introduction de noradrénaline est très dépendante du médecin responsable de l’anesthésie et les données manquaient concernant la posologie exacte administrée en per-opératoire. L’utilisation de cette molécule pourrait également être reliée avec le recours fréquent à des protocoles d’OFA pour plus de la moitié de nos patients29, paramètre pour lequel nous ne pouvons cependant pas conclure dans notre série.
Nous notons également un nombre important de patients hypothermes (température inférieure à 36°C) en fin d’intervention ; là encore, cette donnée manque de précision, notamment par l’absence de mesure standardisée de la température. Enfin, il aurait été également intéressant d’analyser le remplissage vasculaire dont l’insuffisance comme l’excès semblent être associés à une augmentation de la morbidité post-opératoire 31 ; cette donnée est à confronter à la diurèse per-opératoire ainsi qu’à l’utilisation ou non d’un monitorage du volume d’éjection systolique notamment, mais le recueil de ces données n’est pour l’heure pas systématisé dans nos pratiques. Notre étude présente ainsi un certain nombre de limites qui en restreignent la portée. Le caractère rétrospectif et monocentrique limite d’emblée l’interprétation de nos résultats, et ne peut que refléter nos pratiques locales.
L’impossibilité d’identifier des facteurs de risque de morbidité ou de mortalité au niveau local peut s’expliquer principalement par le faible nombre de patients de notre cohorte. Ce faible effectif ne permettait notamment pas d’établir de facteur de risque significatif de mortalité, devant un nombre beaucoup trop faible de patients décédés à J90, bien que ce résultat soit rassurant pour les patients.
Par ailleurs, un grand nombre de données, notamment les données anesthésiques per-opératoires, ne sont pas encore informatisées dans notre centre, et leur relevé n’est pas standardisé. Il en résulte un manque de précision voire une absence de donnée selon les paramètres étudiés. L’inclusion systématique de nos patients dans la base de données informatisée du service de Chirurgie Digestive et l’informatisation future de la feuille d’anesthésie peropératoire faciliteront sans nul doute à l’avenir le recueil et donc l’analyse de données qui apparaissent comme fondamentales dans l’identification de facteurs de risque de morbi-mortalité des chirurgies abdominales majeures.
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Table des matières
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
2.1 Type d’étude
2.2 Critères d’inclusion
2.3 Objectifs de l’étude
2.4 Recueil de données
2.5 Analyses statistiques
3. Résultats
3.1 Description de la population
3.2 Critère de jugement principal
3.3 Critères de jugement secondaires
3.3.1 Mortalité
3.3.2 Principales complications
3.3.3 Autres complications
3.3.4 Réintervention
3.3.5 Durée moyenne de séjour et réadmissions
3.4 Analyse de facteurs de risque
4. Discussion
5. Conclusion
Bibliographie
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