Durée de séjour en maternité et retour a domicile des femmes âpres un accouchement

Avec près de 800 000 naissances chaque année, la France se classe en première position des pays de l’Union Européenne en terme de natalité. Près de 80 % des accouchements se déroulent sans complication, mais pour autant, la distinction entre les grossesses que l’on peut considérer à bas risque et les autres est difficile à faire. Les complications obstétricales, même si elles sont peu fréquentes, sont en effet souvent imprévisibles et peuvent être d’une gravité extrême. L’accouchement représente ainsi un événement potentiellement à risque pour toute mère et tout nouveau-né. Les risques de décès durant les premières semaines de vie sont beaucoup plus élevés que dans les groupes d’âges ultérieurs : en 2010, le taux de mortinatalité était de 9,2 pour 1000 naissances totales et le taux de mortalité néonatale (entre 0 et 27 jours) était égal à 2,4 pour 1000 naissances vivantes (Europeristat 2013). A titre de comparaison, la même année, le taux de décès chez les enfants de un à quatre ans était égal à 16,5 pour 100 000 (INSEE 2010). Les enfants nés prématurément (7,4 % des naissances en 2010) (Blondel et al. 2012) sont également plus à risque de complications à court et à long terme, particulièrement lorsqu’ils sont nés avant 33 semaines d’aménorrhée (SA). Près d’un tiers d’entre eux présentent des troubles cognitifs et près de 10 % des troubles de la motricité (Marret et al. 2013), à l’origine de fréquentes difficultés scolaires (Larroque et al. 2011). Les nouveau-nés avec un retard de croissance intra-utérin sévère font euxaussi partie d’un groupe à risque accru de mort périnatale (McIntire et al. 1999; Flenady et al. 2011). La grossesse est également une période où la morbidité et la mortalité des femmes est non négligeable. Malgré une amélioration depuis le début des années 2000, le taux de mortalité maternelle atteignait encore 7,3 décès pour 100 000 naissances en 2006 (Bouvier Colle et al. 2010). La principale cause était représentée par les hémorragies du post-partum (25 % des décès). Les besoins de sécuriser la naissance sont donc incontestables, et la crainte des complications justifie aux yeux des professionnels et des femmes une prise en charge médicalisée de la grossesse et de l’accouchement, ainsi qu’un large recours aux techniques médicales. L’hôpital est de ce fait devenu le lieu presque systématique pour tout accouchement en France, y compris pour ceux a priori à bas risque (Blondel et al. 2011). La surveillance de la grossesse s’est également intensifiée pour l’ensemble des femmes, quel que soit leur niveau de risque (Blondel et al. 2012), et les interventions réalisées lors de la naissance sont devenues plus fréquentes. Le taux de césariennes est par exemple passé de 6,0 % en 1972 à 15,9 % en 1995 et 21,0% en 2010 et celui des déclenchements du travail de 8,0 % en 1972 à 20,5 % en 1995 et 22,6 % en 2010 (Rumeau-Rouquette et al. 1984; Blondel et al. 2001; Blondel et al. 2012). Si cette prise en charge a permis d’accroitre la sécurité de la naissance pour la mère et pour l’enfant, expliquant en partie l’amélioration des indicateurs de santé périnataux, elle est cependant parfois remise en question. Les effets iatrogènes de certains actes sont craints, incitant de plus en plus à en limiter le nombre, particulièrement lorsque la grossesse ne présente pas de complication ou lorsque que le rapport bénéfice/risque est faible ou mal connu. La pertinence de certaines interventions est également de plus en plus questionnée par les professionnels et les instances de santé, notamment lorsqu’elles sont appliquées systématiquement à l’ensemble des femmes, dont celles a priori à bas risque. Certaines femmes souhaiteraient aussi une prise en charge moins standardisée et moins technicisée de l’accouchement lorsque le déroulement de leur grossesse le permet. Enfin, des professionnels, comme les sages-femmes, se reconnaissent mal dans une conception très médicalisée de la naissance, où leur rôle d’accompagnement et de respect de la physiologie peut avoir du mal à trouver sa place.

L’apport de la médecine fondée sur les preuves 

Le développement de la recherche médicale et de l’épidémiologie, ainsi que le souci de fonder les décisions obstétricales sur des bases scientifiques, ont un impact de plus en plus grand dans l’orientation des pratiques et les décisions médicales dans le domaine de l’obstétrique. La volonté d’améliorer la santé périnatale et de garantir une sécurité maximale a tout d’abord conduit au développement de nombreuses recherches centrées sur les femmes et les nouveaunés à risque, pour lesquels la mise en place de mesures et thérapeutiques adéquates joue un rôle pronostique majeur. Les recherches ont par la suite été étendues à des populations à plus faible risque et à des pratiques réalisées en routine, qui concernent l’ensemble des femmes (études concernant par exemple le lieu d’accouchement, la conduite du travail, ou encore la pratique de certaines actes comme l’épisiotomie).

Dès les années 1980, les essais cliniques randomisés et les méta-analyses commencent à être réalisés en obstétrique, à l’étranger mais également en France (Breart et al. 1982; Beaufils et al. 1985; Blondel et al. 1992). La synthèse et le regroupement des données d’essais cliniques randomisés et des études de haut niveau de preuve ont été un outil majeur de diffusion des connaissances scientifiques dans le domaine de l’obstétrique et des soins périnataux. La publication d’ouvrages discutant les données publiées (par exemple « Effective Care in Pregnancy and Childbirth » (Chalmers et al. 1989)), ainsi que la mise en place de la Cochrane Collaboration et de son groupe en obstétrique et périnatalité «the Cochrane Pregnancy and Childbirth Group», ont favorisé la réalisation d’essais randomisés, de revues systématiques ou de méta-analyses, ainsi que leur diffusion sous un format standardisé. Actuellement, ces méta-analyses sont centralisées dans la Cochrane Library et sont de plus en plus nombreuses dans le domaine de l’obstétrique. A titre d’exemple, la Cochrane Library recensait au milieu de l’année 2000 8 971 références d’essais randomisés avec pour mot clé « grossesse » (Blondel et al. 2001) et en recense désormais 18 187 (mai 2013), sachant toutefois que ces références ne concernent pas toujours des essais réalisés pendant la période périnatale. La prise en compte des résultats de ces différents essais a rapidement progressé et pour ne citer qu’un exemple, la généralisation de la corticothérapie anténatale, suite à la publication de la méta analyse de Crowley en 1995 (Crowley 1995), reste dans l’histoire de l’obstétrique l’une des avancées majeure pour la santé périnatale. Celle-ci aura largement contribué (ainsi que la mise en place du surfactant et d’autres facteurs) à améliorer la survie des enfants nés prématurément au cours des vingt dernières années (Foix-L’Helias et al. 2008; Costeloe et al. 2012), avec un rapport coût/efficacité extrêmement favorable et des effets secondaires a priori mineurs.

Toutefois, en raison d’une validité limitée, certains essais ne permettent pas d’apporter une réponse adaptée pour orienter la pratique. Un exemple intéressant concerne l’essai de Hannah et coll. en 2000 (Hannah et al. 2000). Les résultats préconisaient la réalisation d’une césarienne avant travail en cas de fœtus en présentation du siège à terme. Outre des biais venant limiter la validité interne de l’étude (Glezerman 2006), les résultats étaient difficilement extrapolables à la situation française, où les pratiques obstétricales étaient éloignées de celles décrites dans l’étude (par exemple : critères d’acceptabilité et de surveillance de la voie basse différents, présence non systématique d’un obstétricien sachant réaliser un accouchement du siège etc.) (Goffinet et al. 2001; Goffinet et al. 2006). Les tentatives de voie basse incluses dans l’étude de Hannah correspondaient ainsi à des situations pour lesquelles une voie basse n’aurait pas été acceptée dans une maternité française. Différents obstacles méthodologiques ou techniques peuvent également venir compliquer la réalisation d’un essai randomisé, par exemple lorsque le critère de jugement choisi est un événement peu fréquent et nécessiterait l’inclusion d’un trop grand nombre de sujets, ou encore, lorsque l’intervention étudiée est largement diffusée et qu’on lui suppose un bénéfice certain, malgré le fait qu’elle n’ait pas été entièrement évaluée (pour ses effets secondaires par exemple). Enfin, la méthodologie des essais n’est pas toujours adaptée pour répondre à la question de recherche posée. Par conséquent, la réflexion sur l’amélioration de la qualité des soins passe également par l’analyse de données recueillies en routine et par des études observationnelles. Dès les années 1970, la surveillance épidémiologique des indicateurs de santé et l’évaluation des politiques périnatales ont permis d’estimer l’impact de certaines interventions sur la santé des femmes et des nouveau-nés et de cibler les populations les plus à risque, afin de définir et orienter de nouvelles priorités de santé. Dans les années 1980-1990, ces systèmes de surveillance se sont améliorés et certains sont même devenus permanents ou plus ou moins pérennes (Rumeau-Rouquette 2001), tels que le premier certificat de santé, les Enquêtes Nationales Périnatales (ENP), les registres d’anomalies congénitales ou encore les enquêtes confidentielles sur les morts maternelles. De nombreuses études observationnelles sont également menées, permettant d’évaluer l’efficience de tests de dépistage ou de mettre en évidence des facteurs pronostics ou des facteurs de risque d’une pathologie. Enfin, de plus en plus de services d’obstétrique ont mis en place en routine des systèmes de recueil informatisés de leurs données médicales, et certains ont mis en commun leurs données, comme au sein de l’AUDIPOG (Association des Utilisateurs de Dossiers Informatisés en Pédiatrie, Obstétrique et Gynécologie). Ces systèmes permettent de décrire les activités des services et leurs résultats sur la santé de la mère et de l’enfant, et de comparer leurs pratiques au cours du temps ou entre services. Le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF), ainsi que la Haute Autorité de Santé (HAS), sont des relais essentiels dans la diffusion des données scientifiques vers les professionnels de santé. En étudiant de manière minutieuse les données de la littérature, ces organismes permettent de dégager des consensus nécessaires à la définition de recommandations pour la pratique clinique. Pour les grossesses sans complications ou avec complications mineures, ces organismes ont orienté les pratiques vers une limitation du nombre d’interventions et d’actes. Ces recommandations sont relayées dans les services au travers des  protocoles de soins, qui définissent de nouvelles pratiques appliquées progressivement dans les maternités ; nous avons pu le voir récemment pour la pratique de l’épisiotomie ou pour l’administration d’ocytociques dans la prévention des hémorragies du post partum (Blondel et al. 2012). Dans certains services, les changements sont déjà amorcés avant la publication et la diffusion des recommandations, probablement en raison d’une attention particulièrement grande aux débats et aux nouvelles connaissances scientifiques. Par exemple, avant la mise en place des recommandations de 2005, les taux d’épisiotomies avaient déjà commencé à diminuer de manière significative dans quelques maternités ; cette diminution s’est ensuite poursuivie et s’est étendue à l’échelle nationale (Blondel et al. 2012; Vendittelli et al. 2012).

La prééminence de l’hôpital et de ses contraintes 

L’organisation des soins hospitaliers est en constante évolution depuis les années 1970-1980, marquée par un changement rapide des pratiques en lien avec les connaissances scientifiques, un accroissement de la demande de soins, et une forte augmentation des dépenses de santé. Dans le domaine de la périnatalité, la nécessité de sécuriser la naissance, associée à des contraintes liées au nombre limité d’obstétriciens, de sages-femmes, d’anesthésistes et de pédiatres, inégalement répartis sur le territoire, a particulièrement favorisé les restructurations des maternités et l’organisation des services. Plusieurs «plans périnatalité » ont été élaborés par les pouvoirs publics afin d’accroître la sécurité de la naissance. Mise en place dans les années 1970, au travers du plan 1970-1975 et des mesures qui l’ont suivi (décret Dienech), la politique de périnatalité s’est poursuivie au travers de deux plans successifs sur les périodes 1995-2000 et 2005-2007. Cette politique a porté sur la prise en charge de la grossesse et des soins au moment de l’accouchement, et est en partie à l’origine d’évolutions importantes de la structuration des services de maternité. La mise en place des décrets du 9 octobre 1998, dictés par le souhait d’offrir le maximum de sécurité à l’ensemble des femmes, y a largement contribué. L’autorisation de l’activité d’obstétrique n’est désormais accordée qu’aux établissements réalisant plus de 300 accouchements par an, les plus petites maternités étant considérées comme des services offrant moins de sécurité, du fait du petit nombre d’actes pratiqués par les équipes et de l’insuffisance de leur équipement en cas de complication. Les maternités sont classées en plusieurs «niveaux de spécialisation » en fonction de leur environnement pédiatrique. Le but est d’orienter chaque femme enceinte vers l’établissement le plus adapté au niveau de soins requis, afin de limiter notamment le nombre de naissances prématurées dans les établissements les moins spécialisés, ne possédant pas de service de néonatalogie ou de réanimation néonatale. Enfin, cette qualification s’est accompagnée d’autres obligations légales, applicables à l’ensemble des maternités : bloc opératoire disponible dans l’établissement, afin de pouvoir réaliser à tout moment une césarienne, permanence médicale (pédiatre, obstétricien et anesthésiste) 24 heures sur 24 à partir de 1 500 accouchements annuels (astreintes ou gardes sur place en fonction du nombre d’accouchements dans l’établissement), normes en termes d’effectifs de sages-femmes.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I INTRODUCTION
L’APPORT DE LA MEDECINE FONDEE SUR LES PREUVES
LA PREEMINENCE DE L’HOPITAL ET DE SES CONTRAINTES
UNE ATTENTION AUX BESOINS ET AUX ATTENTES DES FEMMES
OBJECTIFS DE LA THESE
CHAPITRE II SOURCE DE DONNEES – L’ENQUETE NATIONALE PERINATALE 2010
1. CONTEXTE
2. OBJECTIFS DES ENQUETES NATIONALES PERINATALES
3. METHODES
3.1. Population
3.2. Recueil des données et caractéristiques étudiées
4. QUALITE DE DONNEES
4.1. Exhaustivité
4.2. Représentativité des données
CHAPITRE III DUREE DE SEJOUR EN MATERNITE ET RETOUR A DOMICILE DES FEMMES APRES UN ACCOUCHEMENT
1. INTRODUCTION
1.1. Les enjeux du post-partum
1.2. Une diminution des durées de séjour en maternité
1.3. Impact des hospitalisations courtes sur la santé de la mère et de l’enfant
2. OBJECTIFS
3. POPULATION ET METHODES
3.1. Population
3.2. Variables étudiées
3.3. Stratégie d’analyse
4. RESULTATS
4.1. Durée de séjour en maternité en France en 2010
4.2. Caractéristiques individuelles associées à la durée de séjour
4.3. Caractéristiques des maternités associées à une durée de séjour courte
4.4. Manque de place en maternité et durée habituelle de séjour
4.5. Prise en charge des femmes à domicile à la sortie de la maternité
5. DISCUSSION
5.1. Apports et limites des analyses
5.2. Caractéristiques individuelles associées aux durées de séjour
5.3. Déterminants organisationnels des durées de séjour
5.4. Prise en charge des femmes à domicile à la sortie de la maternité
6. CONCLUSION
CHAPITRE IV FREQUENCE DES INTERVENTIONS OBSTETRICALES ET IMPACT DES CARACTERISTIQUES DU LIEU D’ACCOUCHEMENT
1. INTRODUCTION
2. OBJECTIFS
3. POPULATION ET METHODES
3.1. Population
3.2. Définition des femmes à bas risque obstétrical
3.3. Variables étudiées
3.4. Stratégie d’analyse
4. RESULTATS
4.1. Fréquence des interventions étudiées chez les femmes à bas risque obstétrical
4.2. Caractéristiques des maternités, des femmes, et des nouveau-nés associées aux interventions
4.3. Variation des taux des interventions entre établissements
5. DISCUSSION
5.1. Apports et limites des analyses
5.2. Influence de la taille et du niveau de spécialisation de la maternité
5.3. Influence du statut de la maternité
5.4. Variations entre établissements de mêmes caractéristiques
6. CONCLUSION
CONCLUSION

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