Durcissement du béton : mécanismes et conséquences

Processus d’hydratation

L’hydratation du béton est un processus très complexe qui met en jeu un nombre important de phénomènes physiques et chimiques à l’échelle microscopique. À la base, un béton est composé d’un mélange d’eau, d’agrégats et de ciment anhydre. Ce dernier joue le rôle le plus important dans le processus d’hydratation, car il est la “colle” qui assemblera tous les constituants. En nous intéressant de près à un ciment de composition classique, le CEMI en l’occurrence – ou Ciment Portland Artificiel (CP A) en ancienne dénomination -, nous constatons que ce dernier est lui même composé d’un mélange de gypse et de clinker. Le clinker, composant majeur du ciment est constitué de quatre principaux minéraux : le silicate tricalcique 3CaO.SiO2 (ou C3S ) et appelé Alite, le silicate dicalcique 2CaO.SiO2 (ou C2S ) appelé Bélite, l’aluminate tricalcique 3CaO.Al2O3 (C3A  ) et l’alumino-ferrite tétracalcique 4CaO.Al2O3.F e2O3 (C4AF  ). Ces constituants vont réagir avec l’eau pour donner différents hydrates dont principalement : les silicates de calcium hydratés C–S–H  , l’hydroxyde de calcium Ca.(OH)2 (ou CH  ) appelé portlandite et les aluminates hydratés sous forme de trisulfoaluminate ou ettringite AFt et monosulfoaluminates AFm. Dans le béton, le ciment n’est en général pas hydraté à 100%. Ces hydrates, nouveaux constituants, coexistent avec les minéraux du clinker et un réseau poreux rempli d’air, de vide et/ou d’eau. Ce réseau, comme nous le verrons plus tard, a une influence majeure sur le développement des caractéristiques mécaniques et hydriques du béton. Toutefois, nous ne nous intéresserons dans la suite de l’étude qu’à la seule réaction entre l’eau et les silicates de calcium, car ils constituent la majeure partie du ciment Portland (généralement de 40 à 70% en masse).

Système C3S–H2O

L’évolution de la microstructure de la pâte de ciment est proposée par Skalny et Young au 7eme  congrès international de la chimie du ciment (Paris 1980) [26] dans laquelle le processus d’hydratation est calqué sur la courbe de dégagement de chaleur et décomposé en cinq étapes .

– Étape 1 : Réaction initiale ou ‘primaire’ Elle implique une réaction exothermique quasi-instantanée qui s’arrête rapidement, et qui consomme généralement moins de 1% de C3S. Cette réaction rapide semble être le résultat de la dissolution des sites actifs de C3S et la formation d’une nouvelle phase d’hydrates autour des grains de C3S. Brown et al. [27] indiquent qu’un équilibre est établi entre la phase aqueuse et la nouvelle phase de C–S–H dans moins de 15 secondes après contact avec l’eau. Jennings [28] a montré que cette phase initiale d’hydratation qu’il a nommée C–S H(B) (appelée aussi C–S–H(m) pour métastable par Gartner et al. [1]) est plus soluble que le C–S–H précipité dans la solution C–S–H(A) (ou C–S– H(s) pour stable [1]). La cinétique d’hydratation semble ainsi être contrôlée par la formation de la couche de C–S–H(m) autour de la surface de C3S, qui une fois épaisse, va jouer le rôle de barrière entre le grain en dissolution et la phase aqueuse. Par conséquent, la dissolution du C3S devient très lente juste après quelques minutes et la 1 ère étape se termine rapidement. Cette étape sera ainsi gouvernée par la réaction :
C3S + H2O → C–S–H(m) + 1.3 Ca2+ + 2.6 OH− (1.1)

Ces données sont consistantes avec les observations faites par microscopie à électron et la spectro-photométrie X (analyse de surface par ESCA) qui ont clairement montré le passage immédiat en solution d’ions Ca2+ puis la formation d’un hydrate dans les secondes qui suivent (Regourd et al. [29] [30], Skalny et al. [31] et Brown et al. [32]).

– Étape 2 : Période d’induction ou ‘période dormante’ À la fin du 1er stage, le degré d’hydratation atteint un minimum et apparaît une phase dormante dans laquelle le degré d’hydratation α est faible et pratiquement constant. Toutefois, ( dα/dt ) n’est jamais nul, et dans ce cas, l’étape 2 est probablement plus apparentée à une induction qu’à une période dormante. Plusieurs auteurs dont notamment Young et al. [33] et Fierens et al. [34] ont observé que la solution était sous-saturée en portlandite pendant les deux premières étapes et que la concentration n’augmentait que faiblement pendant toute la seconde période. Ceci constituait alors l’évidence que la nucléation du Ca(OH)2 est la phase déterminante de la seconde étape. Jennings [35] suggère que le changement des C–S–H(m) en une phase solide peut être responsable de la fin de la période d’induction et que l’incorporation de forts retardateurs empêche ce changement de phase.

– Étape 3 : Période d’accélération C’est une phase durant laquelle le taux de réaction ( dα/dt ) augmente rapidement. Gartner et al.[1] ont proposé l’hypothèse d’un processus de croissance cristalline dans lequel une accélération auto catalytique  se produit pour expliquer cette augmentation brusque. Toutefois, une incompatibilité semble se produire avec ce type de processus quand le produit principal (le C–S–H) est proche d’un matériau amorphe. L’autre produit, la portlandite, est normalement bien cristallisée. Ce pourquoi les théories de retard basées sur l’empoisonnement des cristaux tendent à favoriser la nucléation ou la croissance des Ca(OH)2 comme taux contrôlant la réaction à cette étape (Young et al. [33]). D’un autre côté, Stein et Stevels [36], supportés par Odler et al. [37], ont observé que l’addition de noyaux de portlandite retarde, au lieu d’augmenter, l’hydratation de C3S pur, alors que l’addition d’Aerosil, une silice amorphe très réactive, produit l’effet inverse. Ils ont en conclu que la croissance d’une forme de C–S–H est probablement le taux contrôlant la 3eme ` l’étape. En ce qui concerne la forme de C–S–H qui est responsable de cette accélération, les C–S–H(m) sont à exclure puisqu’ils se forment rapidement pendant les premières secondes d’hydratation, mais ne semblent pas catalyser leur propre précipitation future. Le produit responsable donc de la 3 eme ` étape ne peut être que les C–S–H(s). Ceci semble consistant avec l’observation que la phase aqueuse passe d’un état d’équilibre avec les C–S–H(m) pendant les stages 2 et 3 vers un nouvel équilibre avec les C–S–H(s) dans la suite du processus (Gartner et al.[38], Longuet et al. [39] [40]). Le mécanisme régissant l’étape 3 sera alors :
C–S–H(m) + H2O → C–S–H(s) + δ.Ca(OH)2 (1.2)
C3S + H2O → C–S–H(s) + (1.3 + δ)Ca(OH)2 (1.3)

– Étape 4 : Période de décélération  Le taux d’hydratation atteint un maximum à la fin de la 3 ème étape, puis il commence à décliner de nouveau. Principalement, trois hypothèses ont été proposées pour tenir compte de cette décélération :
– La dissolution des C3S devient le taux limitant
– La diffusion des réactants à travers la couche de plus en plus épaisse des produits devient le taux limitant.
– La déposition d’hydrates devient empêchée par manque d’espace.

– Étape 5 : Réaction finale lente C’est une période de réaction quasi-stable avec un taux qui diminue lentement. L’approche asymptotique de α vers l’unité est très faible pour le C3S, et une hydratation complète peut durer une dizaine d’années avec un ciment d’une finesse normale ou même ne pas se réaliser. D’un autre côté, le redressement de dα/dt après la chute rapide enregistrée pendant l’étape 4 (Fig. 1.2), suggère qu’un subtil changement s’est produit dans le système. Skalny et al. [26] ont proposé le processus de diffusion contrôlée pour expliquer le comportement du béton dans sa phase finale. Une diffusion qui peut faire intervenir plusieurs espèces peut être le résultat d’une seule espèce, mais à travers un chemin différent une fois que les hydrates deviennent assez denses. Notons au final que cette étape est la plus importante de point de vue de la résistance mécanique puisqu’elle démarre généralement après un jour d’hydratation et persiste longtemps après.

Modélisation de l’hydratation

La revue des modèles existants sur l’évolution de l’hydratation avec les deux composantes chimique et thermique fait apparaître deux sortes d’approche. La première traite le problème d’un point de vue microscopique en s’intéressant à la modélisation réelle de la formation de la microstructure au cours du temps. Certains des modèles représentatifs de cette approche sont présentés dans l’annexe A. La seconde méthode, beaucoup moins explicite, décrit l’évolution des cinétiques d’hydratation comme une fonction du temps d’une manière macroscopique globale. Les mécanismes et les interactions physiques au niveau granulaire ne sont pas pris en compte dans ce cas. Le paragraphe suivant expose certains de ces modèles macroscopiques en insistant sur leurs particularités et les points communs qui peuvent en ressortir et qui nous aideront par la suite à la construction de notre modèle numérique.

Modèles Macroscopiques

Le plus célèbre des modèles traitant de l’hydratation à l’échelle macroscopique est sans doute celui développé à partir de la théorie d’Avrami il y a plus de soixante ans [42]. À la base, ce modèle décrivait les cinétiques de changement de phases pour un matériau homogène donné, sans spécifier explicitement la nature de ce matériau. Il reposait cependant sur certaines hypothèses initiales parmi lesquelles le système assujetti au changement de phase est originairement composé de ’germes’ de la nouvelle phase. Ces germes sont des arrangements de molécules transitoires distribués aléatoirement et similaires à ceux existant dans la nouvelle phase. Certains de ces arrangements se forment et disparaissent, mais d’autres restent à un état latent sans croître. Ainsi, lorsque le changement de phase se produit, certains de ces germes primaires commencent à croître, atteignant une taille critique et deviennent stables. À partir de cet instant, ils sont appelés grains de la nouvelle  hase. Ils subissent par la suite un processus d’expansion durant lequel le nombre des germes de départ décroît avec le temps. Cette diminution se produit sous l’effet de deux mécanismes : la transformation des germes en grains, et/ou l’inclusion de certains germes par les grains en développement. Avrami a développé ainsi sa théorie en se basant sur ces considérations physiques et en traitant le problème d’un point de vue mathématique. Il a alors établi une relation donnant le nombre de grains formés et le volume de la nouvelle phase croissante à un instant t .

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Table des matières

INTRODUCTION
1 DURCISSEMENT DU BÉTON : MÉCANISMES ET CONSÉQUENCES
1.1 Introduction
1.2 Processus d’hydratation
1.2.1 Système C3S–H2O
1.2.2 Modélisation de l’hydratation
1.2.2.1 Modèles Macroscopiques
1.2.2.2 Prise en compte de l’évolution thermique
1.2.3 Structuration progressive de la pâte de ciment
1.2.3.1 Structure et morphologie des C–S–H
1.2.3.2 Porosité : Nature et Taille
1.2.3.2.1 Classification des pores
1.3 Variations volumiques accompagnant l’hydratation
1.3.1 Expansions
1.3.2 Retraits
1.3.2.1 Retrait endogène
1.3.2.2 Retrait plastique
1.3.2.3 Retrait thermique
1.3.2.4 Retrait de carbonatation
1.3.2.5 Retrait de dessiccation
1.3.3 Forces responsables du retrait
1.4 Influence de l’hydratation sur les propriétés mécaniques du matériau
1.4.1 Fluage
1.4.2 Fissuration
1.5 Conclusion générale
2 TECHNIQUES EXPÉRIMENTALES CARACTÉRISANT LA FISSURATION
2.1 Introduction
2.2 Essais existants
2.2.1 Retrait Libre
2.2.1.1 Retrait endogène
2.2.1.1.1 La mesure par dilatométrie
2.2.1.1.2 La mesure linéique
2.2.1.2 Retrait de séchage
2.2.2 Retrait Empêché
2.2.2.1 Essais linéiques
2.2.2.2 Essais en plaques
2.2.2.3 Essais à l’anneau
2.3 Nouveaux essais à l’anneau
2.3.1 Conception des essais
2.3.1.1 Anneau Actif de Retrait
2.3.1.2 Anneau Passif de Retrait
2.3.2 Validation de la méthode
2.3.2.1 Anneau Actif de Retrait
2.3.2.2 Anneau Passif de Retrait
2.3.3 Résultats expérimentaux
2.3.3.1 Protocole et Matériaux
2.3.3.2 Résultats et discussions
2.3.3.2.1 Résistances mécaniques en compression et à la flexion et Température
2.3.3.2.2 Retrait libre total et perte de masse
2.3.3.2.3 Retrait semi-empêché sur anneau passif
2.3.3.2.4 Retrait totalement empêché sur anneau actif
2.3.4 Modélisation uni-dimensionnelle du séchage
2.3.5 Conclusion
2.4 Conclusion générale
3 MODÉLISATION NUMÉRIQUE DE L’HYDRATATION ET DE LA DESSICCATION
3.1 Introduction
3.2 Modèle d’hydratation et de dessiccation mis au point
3.2.1 Prise en compte de l’hydratation
3.2.2 Prise en compte de la température
3.2.3 Détermination des phases
3.2.3.1 Bilan massique de l’hydratation
3.2.3.2 Bilan volumique de l’hydratation
3.2.4 Prise en compte du séchage
3.2.4.1 Porosité dans le matériau
3.2.4.2 Problème diffusif
3.2.4.2.1 Modèle de transfert
3.2.4.3 Interactions avec l’hydratation
3.3 Conclusion générale
CONCLUSION

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