Physiopathologie
Le méningocoque est un commensal obligatoire du nasopharynx humain, son seul réservoir naturel. Il s’attache et colonise la surface des muqueuses respiratoires où il peut résider quelques semaines à plusieurs mois. Cette colonisation – ou portage asymptomatique – illustre la bonne relation établie entre une bactérie et son hôte. Cependant dans de rares cas, le méningocoque traverse les muqueuses respiratoires, diffuse dans le sang et cause une IIM, laquelle est souvent considérée comme un échec du commensalisme . En effet, le pouvoir invasif ne représente pas un avantage sélectif pour la bactérie car l’invasion n’intervient pas dans le cycle de transmission et ne favorise pas la survie de celle-ci. Le taux de portage au sein de la population générale hors période épidémique est estimé à 10% alors qu’il peut atteindre 35% en situation épidémique . En Europe et aux Etats-Unis, le taux de portage est faible chez le nourrisson au cours de sa première année de vie (<1%), il est peu fréquent chez l’enfant jeune avant 15 ans (<10%), et augmente significativement chez l’adolescent entre 15 et 25 ans (>30%), avant de diminuer chez l’adulte (<10%).
Clinique
Les IIM peuvent être difficiles à diagnostiquer. Elles surviennent chez des sujets sains, le plus souvent de manière sporadique et les premiers symptômes cliniques sont non spécifiques avant que n’apparaissent en moyenne en 8 heures des manifestations cliniques plus évocatrices.
Méningite
Il s’agit de la manifestation la plus commune des IIM, survenant dans 40 à 60% des cas.
La réponse inflammatoire déclenchée au sein de l’espace subarachnoïdien par la réplication du méningocoque provoque les symptômes méningés . Le début en est brutal, avec maux de tête intenses, fièvre, nausées, vomissements, photophobie et raideur de la nuque. Il peut s’y ajouter des signes neurologiques, tels que prostration, délire, coma et/ou convulsions. Chez les nourrissons le début brutal et la raideur de la nuque peuvent manquer les signes prédominants étant une irritabilité et un état de léthargie.
Généralités sur Neisseria meningitidis
Des éruptions cutanées sont présentes dans 25% des cas mais restent souvent plus atténuées et atypiques que celles observées lors des méningococcémies (cf infra). Un état de détresse généralisé est observé pour un tiers des enfants. L’augmentation de la pression intracrânienne causée par l’inflammation cérébrale entraine des complications sévères conduisant à la formation d’hernie cérébrale et au décès du patient. La méningite à méningocoque a un taux de mortalité compris entre 5 et 20%.
Bactériémie aigue ou méningococcémie
La septicémie est dans 20 à 30% des cas associée à la méningite et dans 20 à 30% des cas observée seule. Des membres inférieurs douloureux, un refroidissement des extrémités du corps et une pâleur de la peau sont des indicateurs précoces de sepsis chez l’enfant et l’adolescent qui apparaissent dans les 12 heures suivant le début de l’infection. Une somnolence, une respiration rapide ou difficile et de la diarrhée sont des symptômes parfois observés chez l’enfant jeune . L’apparition de pétéchies ou de lésions purpuriques, signes
classiques de la méningococcémie, sont observées dans 40 à 80% des cas. Des éruptions maculopapulaires blanchissantes sont présentes au stade précoce de la maladie dans 13% des cas et peuvent conduire à un diagnostic erroné d’infection virale. Les états de confusion et de délire sont des signes tardifs qui résultent de l’hypotension et de l’hypoperfusion cérébrale. La réplication du méningocoque dans le sang provoque la libération de grande quantité d’endotoxine et active la réponse immunitaire innée ou acquise. Cette activation entraine une lésion généralisée de l’endothélium vasculaire provoquant la perméabilité capillaire, une vasodilation ou constriction inappropriée, une coagulopathie intravasculaire disséminée (CIVD) et l’insuffisance cardiaque. L’ensemble de ces facteurs conduisent à une défaillance généralisée des organes et possiblement au décès du patient . La reconnaissance et la prise en charge précoce des méningococcémies a permis de réduire le taux de mortalité de 40% à la fin des années 1990, à actuellement 5 à 20%.
Purpura fulminans
Dans 20 à 30% des cas d’IIM, la méningococcémie évolue en purpura fulminans, forme la plus grave de l’infection à méningocoque. Le purpura fulminans est un syndrome d’évolution rapide caractérisé par une thrombose des micro vascularités de la peau et une nécrose hémorragique de la peau et des muscles.
Diversité génétique et génomique
Techniques de séquençage
En microbiologie, le développement des techniques moléculaires a révolutionné l’identification et la classification des microorganismes. Une large gamme de techniques (dérivées de la technique de séquençage Sanger) a été développée pour investiguer les épidémies de maladies infectieuses et la diffusion de microorganismes pathogènes chez l’Homme, l’animal et la plante. La capacité à produire une importante quantité de données pour un coût toujours plus bas était l’un des progrès majeurs offert par les techniques de séquençage de nouvelle génération (Next Generation Sequencing en anglais d’où l’acronyme « NGS » couramment utilisé) . Deux technologies NGS aux propriétés différentes mais complémentaires ont été utilisées pour le séquençage de génomes complets (Whole Genome Sequencing en anglais d’où l’acronyme « WGS »). La technologie Illumina ® , dite de seconde génération, met l’accent sur la durée d’analyse et le nombre de bases séquencées, générant ainsi rapidement une multitude de données. Elle a été utilisée pour produire une ébauche du génome des souches sélectionnées ou draft genome en anglais, plus couramment utilisé pour représenter un génome complet mais non circularisé. La technologie PacBio ® (Pacific Biosciences ® ), dite de troisième génération, met l’accent sur la résolution et cherche à séquencer de longs fragments d’ADN contigus. Elle est plus résolutive et a été utilisée pour produire un génome circulaire complet et ainsi enrichir l’analyse des régions génomiques complexes non couvertes par le séquençage Illumina ®.
Analyse des données brutes
A l’image du séquençage Sanger, le rendement et la qualité du séquençage obtenus par les technologies NGS est contrôlé grâce à plusieurs paramètres ou scores. Une fois la qualité des séquences contrôlée, deux approches analytiques principales peuvent être utilisées : l’alignement des séquences sur un génome de référence ou l’assemblage de novo.
Diversité génétique et génomique
L’alignement avec un génome de référence est une approche rapide, peu couteuse en termes de moyen et de temps qui permet une analyse globale d’un grand nombre de génomes en simultané. On peut considérer cette technique comme une approche de comparaison génomique. Cependant, cette méthode laisse peu de place à l’identification de structures génomiques nouvelles car elle repose en grande partie sur l’analyse et la comparaison avec un génome de référence déjà caractérisé. A l’inverse, l’assemblage de novo est une approche lente, onéreuse en termes de moyen et de temps mais qui permet une analyse très résolutive d’un ou d’un petit nombre de génomes. On peut considérer cette technique comme uneapproche d’exploration génomique.
Le génome de Neisseria meningitidis
Le génome de N. meningitidis est constitué d’un chromosome circulaire d’une taille moyenne de 2 millions de paires de base (2-2,2 MB) et présente un taux moyen en GC% compris entre 50 et 52% . Le séquençage de génomes complets ne reflète qu’une image ponctuelle d’uneculture, d’une souche, d’une espèce bactérienne. Pour obtenir plus d’information et mieux comprendre la dynamique évolutive d’une espèce, plusieurs génomes de souches finement caractérisés sur le plan phénotypique ainsi que d’autres approches « omiques » sont nécessaires. Le séquençage des premiers génomes complets de N. meningitidis, celui de deux souches de référence invasives, MC58 de sérogroupe B et Z2491 de sérogroupe A, a été réalisé en 2000 . Les années suivantes, le nombre de génomes disponibles sera agrémenté par le séquençage des souches invasives FAM18 et 053442 de sérogroupe C ainsi que par le génome des souches de portage α14, α153 et α275, respectivement, non séro-groupable, de sérogroupe E et de sérogroupe W . Aujourd’hui (10 Mars 2018) plus de 10000 génomes complets (circulaires ou draft) de souches de Neisseria sont publiquement disponibles sur la base de données BIGSdb (Bacterial Isolate Genome Sequence database en anglais d’où l’acronyme « BIGSdb »).
Le génome des Neisseria se caractérise également par la présence abondante d’une large diversité de séquences ADN répétées qui contribuent à la fluidité et à la variabilité génomique . En effet, environ 20% du chromosome de N. meningitidis et composé de séquences répétées de toutes sortes. Le méningocoque est également capable de modifier directement le contenu de son chromosome par le transfert horizontal de larges régions d’ADN provenant de la même espèce ou d’espèces proches.
Le pathogénome
Les bases génétiques en cause dans la virulence du méningocoque ne sont pas complètements comprises. Les observations épidémiologiques et expérimentales ont démontré que la capsule polysaccharidique était nécessaire mais pas suffisante pour conférer à elle seule un phénotype de virulence. L’avènement des techniques moléculaires a permis de mieux caractériser les bases génétiques de ce pathogène complexe et de faire le lien entre génotype et phénotype. Plusieurs études visant à identifier et comparer les facteurs de virulence retrouvés au sein du genre Neisseria ont été réalisées grâce à la combinaison de techniques in vitro, ex vivo, in vivo et in silico . Ainsi, le méningocoque possède plus d’une centaine de gènes de virulence finement caractérisés sur le plan phénotypique ou putatifs identifiés par bioinformatique. Parmi ces facteurs de virulence, nombreux sont ceux retrouvés au niveau de la membrane externe (Figure 1).
La capsule
Le méningocoque peut être soit capsulé ou non capsulé. Cependant, les souches responsables d’infection sont toujours capsulées (sauf situations exceptionnelles) . Les polysaccharides capsulaires principalement associés à la virulence, à l’exception des sérogroupes A et X, sont principalement composés de dérivés de l’acide sialique . La capsule est le facteur de virulence majeur du méningocoque, essentielle à sa survie, elle permet également de moduler différents aspects de sa pathogénèse. Au cours de l’invasion, la capsule confère au méningocoque plusieurs propriétés comme la capacité de résister système du complément, de se protéger des anticorps bactéricides, d’inhiber les mécanismes de la phagocytose et ainsi de survivre au niveau intracellulaire et dans le sang.
Les gènes de capsules sont localisés au niveau du locus appelé cps, une région portée par l’ilot de transfert horizontal A1 (IHT-A1) . L’îlot est divisé en 6 régions A, B, C, D, D’et E.
La région A contient les gènes impliqués dans la synthèse et la polymérisation des polysaccharides et les régions B et C contiennent les gènes impliqués dans le transport des polysaccharides du cytoplasme vers la surface. Des commutations de capsule (capsule switching en anglais) ont été décrites. Ils sont dus en partie aux similarités structurales et donc génétiques retrouvées entre certains sérogroupes (B, C, Y, W) et résultent de l’échange de gènes spécifiques de chaque sérogroupe par transfert horizontal, transformation et recombinaison génomique.
Les porines
Le méningocoque exprime 2 porines distinctes majoritaires, nommées PorA et PorB. Les porines sont les protéines de membrane externe les plus abondantes chez les souches pathogènes de Neisseria . On les retrouve également très représentées à la surface des OMV. Elles sont impliquées dans l’interaction avec les cellules de l’hôte et il a été démontré que différents mécanismes d’opsonisation et certains anticorps bactéricides induits au cours de l’infection les ciblaient spécifiquement. Les porines, en particulier PorB sont capables de se fixer et de s’insérer dans la membrane des cellules épithéliales et immunitaires de l’hôte, facilitants ainsi l’attachement intime et les interactions entre la bactérie et celles-ci au cours de l’invasion . De plus, PorB est capable d’induire une réaction inflammatoire importante, l’activation et la prolifération des lymphocytes B et de provoquer le relargage d e cytokines . Grâce à l’activation des récepteurs TLRs (Toll-Like Receptor en anglais d’où l’acronyme « TLR »), en particulier du TLR2, PorB présente également des propriétés adjuvantes, entraine la sécrétion d’anticorps et joue un rôle dans l’amplification de la réponse immunitaire. De son côté, PorA est une cible hautement reconnue par les anticorps bactéricides et entre dans la composition des vaccins OMV.
Les protéines d’opacités
Le méningocoque possède deux types de protéines d’opacités transmembranaires de classe 5, Opa et Opc . La protéine Opc et codée par un seul gène alors que la protéine Opa et codée par plusieurs gènes. Opc agit comme une protéine de fixation à l’héparine ce qui favorise les interactions avec les récepteurs de surfaces HSPGs (Heparan Sulfate ProteoGlycans en anglais) portés par les cellules épithéliales . Enfin, Opc est capable de fixer la vibronectine et d’interagir avec certaines intégrines portées par les cellules de l’endothélium respiratoire, facilitant ainsi l’invasion . Opa est capable d’interagir avec plusieurs membres de la famille des CEACAM (CarcinoEmbryonic Antigen-related Cell-Adhesion Molecule en anglais), une classe de molécules largement retrouvées au niveau des cellules épithéliales, endothéliales et immunitaires ce qui favorise l’attachement cellulaire et l’invasion.
Discussion de la virulence du méningocoque
Le présent travail a donc été réalisé grâce à la collection d’isolats normands constituée au cours de la période épidémique. Les isolats invasifs et de portage ont été plus finement sélectionnés afin d’être temporellement proches, sur la période 2008, année de l’étude de portage.
Les deux principaux résultats furent d’une part, l’indentification, grâce à l’approche génomique, de variations génétiques importantes entre les différents groupes de souches (invasif et portage) qui semblaient paradoxalement identiques selon le typage classique (immunotypage et génotypage par MLST) et d’autre part, le reflet de ces variations sur la virulence dans un modèle d’infection in vivo.
Neisseria meningitidis, une bactérie pathogène ?
Le méningocoque est une bactérie considérée comme commensale, qui dans de très rares cas s’avère être un pathogène dévastateur. Le terme commensal est bien souvent employé pour définir les souches de méningocoques observées en situations non invasives comme le portage asymptomatique. Néanmoins, bien que le méningocoque tire un bénéfice évident de son hôte de par son tropisme exclusif, les bénéfices pour l’hôte ne sont pas si évidents. Par opposition, le terme pathogène est employé pour définir les souches de méningocoques isolées en situations invasives.
L’étude et la comparaison des souches entre elles et à fortiori de la virulence est donc pour les raisons ici évoquées complexe. Néanmoins, certains éléments phénotypiques et génomiques se dégagent et permettent en partie de mieux comprendre cette dualité très étroite entre souches invasives et souches de portage.
Rôle de la capsule
La capsule polysaccharidique a été l’un des premiers facteurs à avoir été finement caractérisé de par son rôle essentiel dans la virulence mais également de par son immunogénicité et son utilisation en tant qu’antigène vaccinale. L’importance de la capsule au cours de la transmission et de l’infection est bien documentée. A la surface des muqueuses respiratoires, la capsule exerce des propriétés antiadhérentes en masquant directement les structures adhésives retrouvées au niveau de la membrane externe.
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Table des matières
Liste des figures
Liste des tableaux
Liste des abréviations utiles
Introduction
1. Virulence de Neisseria meningitidis
1.1. Etat des connaissances
1.1.1. Généralités sur Neisseria meningitidis
1.1.1.1. Historique
1.1.1.2. Microbiologie conventionnelle
1.1.1.3. Physiopathologie
1.1.1.4. Clinique
1.1.2. Diversité génétique et génomique
1.1.2.1. Techniques de séquençage
1.1.2.2. Analyse des données brutes
1.1.2.3. Le génome de Neisseria meningitidis
1.1.2.4. Etude des populations et comparaison génomique
1.2. Travail personnel
1.2.1. Publication dans Virulence
1.2.2. Discussion de la virulence du méningocoque
1.2.2.1. Neisseria meningitidis, une bactérie pathogène ?
1.2.2.2. Rôle de la capsule
1.2.2.3. Rôle d’autres facteurs
1.2.2.4. Rôle des systèmes d’acquisition du fer
1.2.3. Perspective
2. Durabilité et importance de la couverture vaccinale OMV
2.1. Etat des connaissances
2.1.1. Epidémiologie
2.1.1.1. Données générales
2.1.1.2. Situations selon les continents
2.1.1.3. Contexte national et normand
2.1.2. Vaccins anti-méningococciques
2.1.2.1. Vaccins polyosidiques non conjugués
2.1.2.2. Vaccins polyosidiques conjugués
2.1.2.3. Vaccins anti-méningococciques B
2.2. Travail personnel
2.2.1. Publication dans Vaccine
2.2.2. Discussion des vaccins OMV
2.2.2.1. Durabilité de la protection conférée par les vaccins OMV
2.2.2.2. Ampleur de la protection conférée par les vaccins OMV
2.2.3. Perspectives
Conclusion
Bibliographie