Durabilité de l’exploitation forestière
Modélisation de la mortalité en forêt tropicale humide: création de groupes de mortalité par une approche bayésienne
Introduction
Les taux annuels de mortalité dans les forêts néotropicales humides ne dépassent généralement pas 2 % de la population totale, soit de 4 à 8 arbres/ha/an (Durrieu de Madron, 1993 ; de Graaf et al., 1999 ; Higuchi et al., 2004 ; Phillips et al., 2004). La mortalité dans les écosystèmes forestiers tropicaux est donc un événement rare. Dans une forêt primaire nonexploitée, la mort naturelle des arbres peut être due à des facteurs biotiques comme la sénescence ou l’augmentation de la compétition locale entre individus (Whitmore, 1984 ; Swaine et Lieberman, 1987 ; Durrieu de Madron, 1993). En raison du faible nombre de données disponibles sur la mortalité des arbres, la modélisation suit souvent une stratégie simple comme l’application d’un taux annuel fixe de mortalité à tout le peuplement (Barreto et al., 1998 ; Alder et Silva, 2000 ; Brienen et Zuidema, 2006) ou l’imposition de règles de mortalité, telles que la détermination d’un seuil de taille maximum à partir duquel un arbre doit mourir (Favrichon, 1995 ; Phillips et al., 2004). La rareté de ce phénomène restreint aussi sa compréhension au niveau spécifique. Sur le site de Paracou, par exemple, parmi les 262 arbres morts durant une période de trois ans d’observation (dates 1988-1991) on compte 46 espèces d’arbres, dont seulement 2 espèces possèdent plus de 5 individus morts. Cette rareté empêche la création de modèles spécifiques de mortalité et c’est pourquoi les simulateurs de dynamique développés pour les forêts tropicales proposent soit un seul modèle de mortalité appliqué à toutes les espèces du peuplement (Chave, 1999 ; Gourlet-Fleury, 1999 ; Phillips et al., 2004), soit des modèles de mortalité calibrés pour des groupes d’espèces qui ont été
rassemblées sur la base de variables décrivant de processus autres que la mortalité, comme la croissance, ou des variables morphologiques tels que la hauteur des arbres (Köhler et Huth, 1998 ; Kammesheidt et al., 2001). Un arbre peut mourir sur pied ou tomber et créer un chablis. Ces deux types de mortalité doivent être identifiés et étudiés séparément, en raison principalement de la différence de dégâts qu’ils peuvent engendrer dans le peuplement forestier. Dans le premier cas, l’individu se désagrège petit à petit sans causer nécessairement de dégâts à son voisinage, dans le
deuxième cas, la chute de l’arbre génère des dégâts aux houppiers des arbres voisins voire les entraîne dans sa chute (Riera, 1983). Les chablis peuvent être primaires (la chute d’un seul arbre), secondaires (l’arbre est entraîné ou cassé par la chute directe d’un chablis), multiples (plusieurs arbres tombent simultanément), ou complexes (chute déplacée dans le temps, Riera, 1983). Le seul exemple, en forêt tropicale, de groupes fait à partir du processus de mortalité a été proposé par Vanclay (1991) qui, en utilisant une base de plus de 2900 arbres morts, a créé 10 groupes de mortalité. Cependant, la mortalité étant un événement rare, la création des modèles individuels de mortalité via une analyse classique (approche fréquentielle) des données comme celle proposée par Vanclay (1995) ne montre pas de résultats satisfaisants (Annexe1). L’approche subjective ou bayésienne est en effet plus appropriée pour les événements auxquels il n’est donné qu’une seule fois de se réaliser ou pas (Robert, 1992 ; Renard, 2006).
Dans le simulateur SELVA (Gourlet-Fleury, 1999 ; Gourlet-Fleury et Houllier, 2000 ; Gourlet-Fleury et al., 2004), utilisé dans cette étude, un seul modèle de mortalité sur pied et un seul modèle de mortalité par chablis sont appliqués pour l’ensemble des espèces du peuplement. L’objectif de cette étude est de proposer la création de groupes d’espèces en utilisant uniquement le processus de mortalité. Pour cela on s’est appuyé sur une méthode de classification bayésienne. Une fois créés, les groupes seront utilisés pour la calibration des nouveaux modèles de mortalité. On espère, en utilisant cette procédure, rassembler des espèces ayant des comportements semblables et améliorer ainsi la modélisation de ce processus.
Matériels et Méthodes
Les données pour la modélisation de la mortalité sont issues du dispositif de Paracou en Guyane Française. Dans ce travail nous nous intéresserons uniquement à la période comprise entre les années 1988 et 1991, c’est-à-dire, une année après la fin des traitements sylvicoles. En effet, durant cette période, les taux de mortalité du peuplement des parcelles exploitées étaient deux fois supérieurs aux taux enregistrés dans les parcelles témoins (Gourlet-Fleury et al., 2004). Après cette période de mortalité élevée, les taux sont revenus progressivement à des valeurs proches de celles observées en parcelles témoins (Gourlet-Fleury et al., 2004). Les modèles de mortalité ont été construits à partir de données issues des 12 parcelles du dispositif. La variable dépendante est la mortalité entre 1988 et 1991, elle possède une réponse binaire, 0 (individu vivant) ou 1 (individu mort). En raison de la non-normalité de sa distribution des modèles linéaires généralisés (GLM) ont été utilisés pour la modélisation des relations entre la variable mortalité et les variables explicatives. Nous utiliserons ici un modèle logistique défini par la fonction :
L’analyse de la mortalité a été effectuée en ajustant un modèle de régression logistique pour chaque type de mortalité naturelle (par chablis et mort sur pied). On compte au total 28 variables explicatives prenant en compte : 1) l’environnement autour des arbres, c’est-à-dire, le nombre d’arbres et la surface terrière des individus présents dans leur voisinage proche; 2) des changements encourus dans cet environnement dans un passé récent, i.e. les trois dernières années ; 3) des informations sur l’arbre, tels que son diamètre, sa croissance ; et 4) sur le type de sol où il est établi (Tab.2.1). Analyses La base de données pour la calibration des modèles de mortalité sur pied et par chablis possède 16134 individus répartis en 167 EGE à l’année 1985 (Sites d’étude et Méthodologie). Parmi ces individus, vivants durant la période 1985-1988, on compte 287 individus morts sur pied et 224 individus morts par chablis entre les années 1988-1991.
Description des variables Nombre
a) le diamètre de l’arbre 1 b) le nombre d’arbres présents dans le voisinage de l’arbre en 1988, voisinage = aire comprise dans des cercles de rayon de 10, 20 et 30m autour de l’arbre 3 c) la surface terrière des arbres présents dans ces 3 cercles 3 d) le nombre d’arbres ayant un diamètre supérieur à celui de l’arbre cible dans les mêmes cercles la même année 3 e) la surface terrière de ces arbres 3 f) le changement dans les valeurs de variables ci-dessus, c’est-à-dire l’évolution du nombre d’individus et de la surface terrière dans les 3 cercles sur la période comprise entre 1985 et
g) la croissance enregistrée entre 1985 et 1988 ramenée à l’année 1 h) variable catégorique indiquant si l’arbre se trouve sur des sols où la profondeur de la nappe est à moins de 1m 1 i) variable catégorique indiquant si l’arbre se trouve sur des sols hydromorphes (sols se trouvant en fond de thalweg avec comme caractéristique principale l’engorgement de la couche superficielle). Cette variable est un sous-ensemble de la variable précédente, elle ne représente que les sols ayant un engorgement de la couche superficielle.
Tous les traitements statistiques de cette partie ont été réalisés avec le logiciel libre R (R Development Core Team, 2005) version 2.4.1 de 2006. Plus précisément, nous avons utilisé des fonctions des librairies : Leaps (Miller, 2002), Car (Fox, 2002) et Stats (pour les traitements détaillés voir ci-dessous). Les observations de la mortalité ont été considérées comme la réponse positive du modèle de régression logistique. La sélection des variables a été faite en utilisant la fonction regsubsets (librairie Leaps Miller, 2002) qui réalise une procédure de sélection pas à pas (Chambers et Hastie, 1993). Cette méthode compare de manière exhaustive des ensembles de régresseurs de différentes tailles. Leur nombre maximal a été défini avant le lancement de l’algorithme, i.e. 12 variables (arguments nvmax=12, nbest=1, method=exhaustive). Cet algorithme fait appel à la fonction glm de Stats pour la calibration des modèles (arguments family=binomial, start, etastart et mustart=NULL). Les modèles ainsi créés sont comparés entre eux par leur Bayesian Information Criterion (BIC = – 2*log-vraisemblance+npar*log(nobs), où npar est le nombre de paramètres et nobs le nombre d’observations). Les modèles qui possèdent les indices BIC les plus petits sont alors sélectionnés et un test du Chi² effectué sur la déviance de ces modèles (Schwarz, 1978, Harrell Jr., 2001). Le modèle issu de cette sélection a été ensuite utilisé dans la classification bayésienne.
Dans cette analyse, seules les EGE ayant eu au moins un individu mort durant la période 1988-1991 ont été considérées. Tous les individus morts sur pied ou par chablis qui, dans la base, étaient classés comme ‘espèces inconnues’ (code-espèce 401 et 405) ont été exclus de cette analyse. On compte ainsi 9770 individus dont 129 morts sur pied répartis parmi 44 EGE pour l’analyse de la mortalité sur pied (Annexe 2) et 8505 individus dont 94 morts par chablis répartis parmi 39 EGE (dorénavant « espèces » dans le texte) pour l’analyse de la mortalité par chablis (Annexe 3). La méthode de classification des espèces s’est appuyée sur une technique d’inférence
bayésienne, ou estimation bayésienne. La statistique bayésienne, à la différence de la statistique fréquentiste, suppose que les paramètres à estimer dans le modèle sont aléatoires (Robert, 1992). En pratique, cela implique de définir une loi de probabilité pour les paramètres inconnus a priori, i.e. exogènes aux données. Les données expérimentales sont intégrées à cette loi a priori par l’intermédiaire de leur vraisemblance pour obtenir la loi de probabilité a posteriori des paramètres inconnus. La loi de probabilité a posteriori, qui est proportionnelle au produit de la loi a priori et de la vraisemblance, constitue l’estimation bayésienne des paramètres. Des difficultés à calculer analytiquement la loi a posteriori amènent les statisticiens à l’approcher numériquement en utilisant un algorithme de Monte Carlo par Chaîne de Markov (MCMC). Les deux algorithmes MCMC les plus courants sont l’algorithme de Metropolis-Hastings et l’échantillonneur de Gibbs (Robert et Casella, 1999). L’algorithme de Metropolis-Hastings est toujours utilisable mais nécessite un bon paramétrage pour être efficace. L’échantillonneur de Gibbs est utilisable si on est capable de simuler suivant les lois marginales des paramètres inconnus. Il ne nécessite aucun paramétrage et est généralement efficace (Robert et Casella, 1999).
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Table des matières
PARTIE 1 : INTRODUCTION, CONTEXTE, SITES ET METHODES
INTRODUCTION
PROBLEMATIQUE GENERALE
QUESTIONS DE RECHERCHE ET APPROCHE
LA GESTION ET L’EXPLOITATION FORESTIERES EN AMAZONIE BRESILIENNE
UTILISATION DE LA FORET EN AMAZONIE BRESILIENNE
L’AMENAGEMENT FORESTIER EN AMAZONIE BRESILIENNE
L’EXPLOITATION FORESTIERE
L’ECONOMIE DE L’EXPLOITATION FORESTIERE
LE CARBONE COMME RESSOURCE
QUANTIFICATION DE LA BIOMASSE ET DU CARBONE DANS LES FORETS TROPICALES
SITES D’ETUDES ET DONNEES
BRESIL
L’organisation de l’exploitation
Dispositif expérimental de la Cikel
GUYANE FRANÇAISE
Le site de Paracou en Guyane Française
Le dispositif de Paracou et l’exploitation
Analyse des données de la mortalité et du recrutement sur le site de Paracou
MATERIEL – LE SIMULATEUR SELVA
METHODES POUR L’ANALYSE DE LA DURABILITE ECOLOGIQUE ET ECONOMIQUE DE L’EXPLOITATION
FORESTIERE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES – PARTIE I
PARTIE 2: CHAPITRES 1, 2, 3 ET 4
DYNAMIQUE DE LA BIOMASSE AERIENNE APRES EXPLOITATION A FAIBLE IMPACT DANS L’EST AMAZONIEN
ABSTRACT
INTRODUCTION
METHODOLOGY
Study site
Calculation of forest stand dynamics variables (mortality and growth)
RESULTS
Stand structure and AGB loss due to logging
Post logging biomass dynamics
Correlations between logging intensity, residual basal area, and AGB fluxes
Biomass dynamics simulation
DISCUSSION
ACKNOWLEDGEMENTS
LITERATURE CITED
MODELISATION DE LA MORTALITE EN FORET TROPICALE HUMIDE: CREATION DE
GROUPES DE MORTALITE PAR UNE APPROCHE BAYESIENNE
INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODES
Analyses
RESULTATS
Sélection du modèle de mortalité
Mortalité sur pied
Mortalité par chablis
Constitution des groupes d’espèces
Groupes de mortalité sur pied
Caractéristiques des groupes de mortalité sur pied
Groupes de mortalité par chablis
Caractéristiques des groupes de mortalité par chablis
Validation des modèles
Mortalité sur pied
Mortalité par chablis
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
Une Nouvelle approche dans la modélisation de la mortalité
Le poids des variables explicatives dans les modèles de mortalité sur pied et de mortalité par chablis
Les modèles et l’écologie des espèces
Mort sur pied
Chablis
La classification bayésienne et les groupes
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
MODELISATION DU RECRUTEMENT D’ARBRES EN FORET TROPICALE HUMIDE 107
INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODES
Classification
Construction des modèles
Analyses
RESULTATS
Classification
Les modèles de recrutement
Validation des modèles
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
Améliorations apportées au simulateur Selva
Signification biologique des groupes de recrutement
Perspectives
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 128
DURABILITE ECONOMIQUE ET ECOLOGIQUE DE L’EXPLOITATION FORESTIERE POUR
LA PRODUCTION DE BOIS D’ŒUVRE ET POUR LE STOCKAGE DE CARBONE.
INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODES
SELVA – La forêt virtuelle
L’exploitation forestière : cycle, intensité
Bilan carbone et analyse de la déforestation
RESULTATS
I. Le comportement du simulateur
Stabilisation : la forêt virtuelle
Richesse et dynamique de la forêt virtuelle
Comportement du simulateur après exploitation 1
Comparaison de Selva avant et après l’inclusion des groupes de recrutement et mortalité
II – Durabilité de l’exploitation forestière
Durabilité Ecologique
Une seule coupe
Plusieurs coupes – cycles de 30 ans
Durabilité Economique : L’analyse financière
Un seule coupe
Recettes
Coûts
Rentabilité
Plusieurs coupes – cycles de 30 ans
Recettes
Coûts
Rentabilité
III – Exploitation forestière versus Déforestation
Bilan carbone
Recettes et coûts
Rentabilité
Coût d’abattement de la tonne de carbone
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
Le simulateur
Durabilité écologique
Durabilité économique
Exploitation forestière et le paiement pour le stockage du carbone
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CONCLUSION GENERALE
LES MODELES ET LA SIMULATION : LIMITES ET POINTS FORTS
DURABILITE DE L’EXPLOITATION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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