D’une défaillance des représentations corporelles vers une prise en soin psychomotrice

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La rencontre avec les parents

La psychomotricienne avec laquelle je suis en stage prend toujours le temps de faire une anamnèse avec les parents avant de commencer la prise en charge.
La première rencontre avec Mhoussine s’est faite en présence de sa maman et de sa petite soeur. Je mène l’entretien et la psychomotricienne est à mes côtés en observation. Au cours de l’entretien, la maman semble fatiguée et regarde peu son fils, les interactions entre eux sont limitées. Elle tient la petite soeur sur ses genoux qui n’émet pas de bruits ni de mouvements durant les 45 min de rendez-vous. La maman rencontre des difficultés à nous répondre de manière appropriée et intelligible.
Selon elle, la grossesse s’est bien passée, Mhoussine est né à terme. Lorsqu’il était petit, il pleurait tout le temps. La maman le décrit comme agité à la maison mais réservé à l’école. Par ailleurs, la maman nous rapporte que Mhoussine passe beaucoup de temps devant la télé. Elle nous évoque également une énurésie. Elle veut que « son enfant soit capable comme les autres et qu’il s’intéresse à l’école ». Lorsque je demande si Mhoussine a des aménagements à l’école, la maman me répond de manière abrupte « Non, Non », j’apprendrai par la suite qu’une demande de dossier MDPH a été formulée par l’école mais que les parents ont refusé. Le papa est très peu évoqué au cours de l’anamnèse.
Quelques mois plus tard, nous avons pu faire un entretien avec le papa en présence de Mhoussine. Le père rentre dans la salle de psychomotricité, il ne regarde que très peu son fils et n’a pas de mouvement envers lui. Il garde ses écouteurs mais est à notre écoute. Il tient le manteau et le sac à dos de Mhoussine de la même manière que la mère tenait la petite soeur durant l’anamnèse. Durant l’entretien, nous parlons de ce qui se passe à la maison. Le père évoque la petite soeur dont Mhoussine ne nous a jamais parlé et nous apprend qu’elle s’appelle Anayelle mais qu’à la maison ils l’appellent Shana. Mhoussine regarde beaucoup les écrans à tel point que le père cache la télécommande pour qu’il ne puisse pas l’allumer. Il se bagarre par ailleurs souvent avec son petit frère. Lorsque nous abordons la fragilité physique de son fils, le père nous dit qu’il était pareil à son âge et que Mhoussine ne veut pas manger le matin. Nous le questionnons ensuite sur les raisons de leur absence à la dernière séance : selon le père, Mhoussine a eu une intoxication alimentaire qui les a obligés à aller à l’hôpital mais là-bas ils n’ont rien fait et n’ont pas donné plus d’explications.
Il note des progrès chez Mhoussine mais est inquiet de savoir si son fils va vraiment aller mieux et rattraper son retard. Il ne pleure plus à l’école mais pleure quand il n’arrive pas à se faire comprendre. Il s’efface quand il y’a beaucoup de monde autour de lui.
Ces deux rencontres avec la maman puis avec le papa de Mhoussine ont été très enrichissantes pour mieux comprendre Mhoussine et l’environnement dans lequel il vit. Cela m’a également permis de pouvoir l’observer en présence de ses parents. En plus de ces temps de rencontre avec les parents, il est primordial de lui faire passer un bilan psychomoteur avant de débuter la prise en charge afin de pouvoir faire nos propres observations psychomotrices de l’enfant que nous pourrons ensuite partager avec l’équipe et avec ses parents.

Première Impression et Anamnèse

Ahmed est un garçon âgé de 10 ans, scolarisé en classe de CM1. Lorsque je le rencontre pour la première fois, il est seul car ses parents n’ont pas pu l’accompagner. Il est habillé avec un ensemble de sport et une sacoche. Il porte également une bague avec une pierre assez grosse à la main gauche. Il est agité et paraît courir après le temps qui lui manque. Il est grand pour son âge, avec des cheveux noirs coupés très courts. Il vit en garde alternée entre l’appartement de sa maman et celui de son papa depuis seulement quelques mois. Il a un frère jumeau, une petite soeur et un demi-frère du côté de sa maman qui est plus grand que lui.
Les parents ont consulté pour la première fois au CAPP en novembre 2015 pour Ahmed et son frère jumeau alors âgés de 4 ans. Ils ont été adressés par la Sécurité Sociale pour un trouble du langage oral. Ils sont venus à deux consultations médicales puis la mère a demandé l’arrêt du suivi, elle ne voulait pas que le médecin les voie seul car il y’a eu dans le passé des problèmes avec son fils aîné. Elle est par ailleurs drastiquement opposée à la psychothérapie car ils sont venus pour l’orthophonie.
Entre 2018 et 2019, Ahmed a été pris en charge au Centre Médico-Psycho-Pédagogique du secteur. Il s’est rendu à environ 4 séances de psychothérapie. Selon la mère, Ahmed ne voulait pas y aller, il s’en est même enfui une fois. Elle a demandé l’arrêt du suivi de Ahmed par le CMPP. Après cet arrêt des soins, les parents sont revenus sur demande de l’école en décembre 2019 en consultation avec la pédopsychiatre du CAPP. À la suite de ce premier entretien, Ahmed a été suivi sur 5 consultations jusqu’en juin 2020 avec un suivi à distance en raison de la crise sanitaire. Ahmed a été suivi de décembre 2020 jusqu’en juin 2021 par l’ancienne psychomotricienne du CAPP pour une désorientation spatiale et temporelle, ainsi qu’une suspicion d’un trouble au niveau de la motricité globale.
La médecin qui le suit a demandé que le suivi continu aux vues de ses difficultés et du contexte familial. Nous prenons donc en charge Ahmed pour continuer le suivi en psychomotricité après le départ de son ancienne psychomotricienne.
La première rencontre avec Ahmed était déconcertante par le fait qu’il est venu seul. Les éléments d’anamnèse que j’aie pu réunir grâce à son dossier et aux éléments partagés par les professionnels du CAPP soulignent une réelle discontinuité dans son suivi. Cette discontinuité qui se retrouve également lors des rencontres avec ses parents.

Les rencontres avec les parents

Nous rencontrons pour la première fois Ahmed en octobre 2021, il est seul car ses parents n’ont pas pu venir.
Nous le rencontrons donc avec sa maman la semaine suivante. Au cours de l’entretien la maman paraît très essoufflée et a besoin d’enlever son masque Elle nous explique que c’est la première fois qu’elle se déplace, qu’avant, cela se faisait par téléphone. Elle n’enlèvera ni son manteau ni son sac pendant l’entretien mais finira par enlever son chapeau. Elle me paraît comme une dame sans vraiment d’âge qui prend soin d’elle. Les frères et soeurs ne sont pas nommés durant l’entretien sauf lorsqu’elle les compare à Ahmed. Elle lit et vérifie ce que la psychomotricienne écrit sur ses feuilles. Ahmed va d’ailleurs commenter en disant qu’elle écrit mieux que la dernière fois. Le père est très peu nommé, la mère met dès le début en avant les efforts qu’elle fait pour être là malgré ses difficultés. Elle assure de sa bonne foi malgré ses douleurs liées à ses problèmes de santé et va jusqu’à nous montrer son bras pour nous montrer qu’en effet un des deux est plus gonflé que l’autre.
Nous rencontrons le papa d’Ahmed seul au mois de novembre 2021, l’échange se fait via un interprète car le père ne comprend pas et parle difficilement français. Nous lui demandons dans un premier temps ce qu’il pense d’Ahmed et comment cela se passe à la maison. Il nous explique alors que Ahmed s’énerve beaucoup, qu’il est violent avec son frère jumeau. Il s’énerve pendant 5-10 min puis après il se calme.
Depuis qu’ils ont 5 ans, ils devaient être pris en charge mais les parents n’ont pas suivi les conseils de l’école. « Ahmed est un enfant très intelligent, il n’a peur de rien et il est têtu comme un bébé. On prend soin de Ahmed sans s’occuper des autres mais je dois penser à son frère et sa soeur. ». Dans l’appartement de Monsieur, chaque enfant a sa chambre et lui dort dans le salon mais les enfants le rejoignent souvent pour dormir avec lui. Il est d’accord avec les éducateurs de l’AEMO5 pour que deux frères soient placés en internat. Par ailleurs, à la maison les fenêtres sont verrouillées car Ahmed menace de sauter. Il a déjà prévenu les éducateurs. Monsieur nous explique qu’il est inquiet pour Ahmed et très fatigué car il travaille beaucoup. Même s’il a accepté la décision de l’internat, il est inquiet de comment cela va se passer pour lui. Nous lui expliquons que l’objectif de l’internat est d’aider et accompagner Ahmed pour qu’il soit aussi plus en sécurité les week-ends quand il rentrera à la maison. De plus, Ahmed a besoin de son père et il faut que Monsieur garde confiance en lui. Il nous verbalise alors le fait que c’est dur pour lui de laisser partir son fils. Nous lui conseillons alors de le dire à Ahmed car pour lui aussi la situation est difficile. Le père nous paraît plus apaisé quand il part, comme s’il comprenait mieux ce qu’il s’est passé. Nous avons par ailleurs remarqué qu’il parlait beaucoup avec l’interprète, ainsi nous ne savons pas si tout nous a été traduit mais cela a eu l’air de l’apaiser.
Ces deux entretiens m’ont permis de mieux comprendre l’environnement familial dans lequel Ahmed évolue. Ahmed étant déjà suivi en psychomotricité jusqu’en juin 2021, nous avons avec la psychomotricienne pris connaissance des bilans réalisés en décembre 2020 et en juin 2021 après la rencontre avec sa maman. Du fait de ses bilans et aux vues des difficultés d’Ahmed, la psychomotricienne a fait le choix de ne pas lui en refaire passer un.

Bilans Psychomoteurs

Je vais à présent exposer les observations et les conclusions rédigées par l’ancienne psychomotricienne en décembre 2020 puis en juin 2021.
Le Bilan Psychomoteur d’Ahmed a été réalisé par l’ancienne psychomotricienne en décembre 2020 à la demande du médecin qui le suit. Ahmed est alors âgé de 9 ans.
Motricité globale et fine : Au MAB-C, la déviation standard est de -2, Ahmed est légèrement au-dessus du 5ème centile. Le secteur le plus impacté est la dextérité manuelle.
Ahmed perd patience dans toutes les épreuves faisant appel à la motricité fine. Le graphisme est très en-dessous de ce qui est attendu pour son âge. Il va trop vite pour être précis. La pression sur la feuille est correcte et peu de tremblements apparaissent.
Il a un bon équilibre et les coordinations dynamiques sont correctes. De plus, avec la répétition il améliore son score significativement.
Durant les épreuves, Ahmed a besoin que l’on soutienne ses efforts et demande à être encouragé. Il est logorrhéique et perd très souvent le fil de sa pensée.
Espace/Temps : Épreuves de tempo spontané et de reproduction de structures rythmiques de Mira Stambak : Le tempo spontané est très rapide. Ahmed montre beaucoup d’impulsivité dans son geste et lors de l’écoute. Cette épreuve fait apparaître chez lui des hallucinations auditives, il dit entendre un piano dans la salle d’attente puis un chien qui aboie. Il ne perçoit ni l’ordre, ni la durée, ni la succession des frappes.
Le test d’adaptation à l’espace et orientation spatiale de Marthe Vyl met en évidence de grosses difficultés d’adaptation à une consigne et à l’espace. Les repères égocentrés sont présents mais les repères exocentrés sont faibles. L’impulsivité d’Ahmed contribue au faible résultat obtenu. Cependant, Ahmed présente surtout un trouble de structuration spatio-temporelle qui est un élément clef de l’adaptation à son environnement.
Graphomotricité : Au Bhk Enfant, Ahmed obtient un score dans la moyenne. Son écriture est marquée par une lenteur. Ahmed dit à plusieurs reprises qu’il n’aime pas écrire et demande s’il peut s’arrêter. Les lettres sont bien formées mais il ne les lie pas entre elles. Le balayage visuel est à travailler car il perd à plusieurs reprises la ligne où il se trouve.
A l’épreuve d’« intégration visuo-motrice » du Beery VMI, le score est équivalent à l’âge d’un enfant de 7 ans et 3 mois. Ahmed bâcle la réalisation des formes et dit que ce n’est pas grave.

Le cadre légal de la Protection de l’enfance

Un enfant est en danger si sa santé, sa sécurité, sa moralité et son développement intellectuel, affectif ou social sont gravement compromis ou risquent de l’être. (République Française)
Il existe différentes lois pour protéger ces enfants en danger. Comme celle du 14 mars 2016 qui stipule que « La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation. Elle comprend des actions de prévention en faveur de l’enfant et de ses parents, l’organisation du repérage et du traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant ainsi que les décisions administratives et judiciaires prises pour sa protection. […]»
Afin de mieux comprendre le cadre d’intervention de la protection de l’enfance, il me paraît important de définir deux notions fondamentales : la maltraitance et la négligence.
La maltraitance de l’enfant désigne « toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir. » (OMS, 2020).
La négligence est ainsi « une forme de maltraitance par omission » intentionnelle ou non. Elle met en danger « la survie, la sécurisation, l’éveil, l’estime de soi et l’éducation de l’enfant » et doit donc être signalée. (Ministère des Solidarités et de la santé)
Cette présentation générale de la protection de l’enfance permet d’introduire l’un des dispositifs mis en place par le CAPP pour protéger au mieux les enfants : La cellule Protection de l’enfance.

La cellule protection de l’enfance : Le soin au service de la protection de l’enfant

Le CAPP fait de la protection de l’enfance un de ses principaux enjeux. Il a ainsi créé la « Cellule Protection de l’Enfance » qui se réunit dès la « suspicion ou révélation de difficultés relevant de la protection de l’enfance ». C’est « Une cellule de réflexions organisée en présence du Médecin Responsable, du Directeur Administratif, de l’assistance sociale ou assistante socio-éducative, et du ou des personnes qui ont accueillis la parole de l’enfant. » L’objectif est « de réfléchir à la procédure et aux actions qui devront être menées dans l’intérêt de l’enfant. » (Projet de centre CAPP 2021-2024, 2021). A la suite de cette cellule, des pistes de travail sont proposées, il peut également en découler une information préoccupante.

Le CAPP en protection de Mhoussine

En début d’année 2022, une cellule protection de l’enfance a été organisée pour Mhoussine à la suite des inquiétudes des professionnelles qui le suivent. Elle s’est déroulée en présence de l’assistante socio-éducative, la psychologue qui est également sa consultante, la psychomotricienne, le directeur et le médecin coordinateur.
L’objectif de cette réunion était de faire un point sur les inquiétudes et sur les mesures à mettre en place.
Lors de cette réunion, la psychologue décrit Mhoussine comme un enfant très maigre qui ne mange presque pas. Il a par ailleurs été hospitalisé à 2 reprises pour des raisons que les parents ne peuvent expliquer bien que selon eux, son pronostic vital a été engagé. En leur présence, la psychologue décrit que « Mhoussine s’éteint, il est comme mortifié par ce qu’on dit de lui ». Le comportement des parents inquiète également l’équipe. Ils menacent Mhoussine « Il faut que tu manges car sinon les dames du CAPP ne vont pas être contentes » et reconnaissent l’avoir frappé. La maman est décrite par l’équipe comme pouvant être complètement euphorique ou éteinte. En raison des incompréhensions sur le plan médical que ce soit au niveau staturo-pondéral ou des hospitalisations, il est décidé que la psychologue prenne contact avec le médecin scolaire pour qu’elle puisse faire le point avec lui. L’assistante sociale du CAPP va également prendre contact avec l’assistante sociale scolaire pour qu’elle suive le dossier.
Cette cellule protection de l’enfance est donc propre au CAPP et n’est pas un dispositif de la protection de l’enfance en elle-même. Dans le cas de situations de maltraitance où le travail d’aide mis en place par le CAPP n’est plus suffisant, les professionnels ont obligation d’alerter la protection de l’enfance afin de protéger légalement l’enfant. Cette alerte est possible via un signalement ou une Information Préoccupante. Nous verrons ensuite de quelle manière le CAPP a protégé Ahmed et quelles dispositions ont été prises.

Les mesures judiciaires possibles : L’AEMO

Il existe différentes mesures pour protéger l’enfant en danger. L’une de ces mesures est l’Action Educative en Milieu Ouvert (AEMO). Cette mesure est définie par l’article 375-2 du code civil : « Chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d’apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l’enfant et d’en faire rapport au juge périodiquement. Si la situation le nécessite, le juge peut ordonner, pour une durée maximale d’un an renouvelable, que cet accompagnement soit renforcé ou intensifié »
Cet article précise que le juge peut autoriser « le maintien de l’enfant dans son milieu à des obligations particulières, telles que celle de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé, le cas échéant sous régime de l’internat ou d’exercer une activité professionnelle » ;

Ahmed, un enfant en danger

L’école a fait une Information Préoccupante pour Ahmed et sa fratrie en décembre 2020 en raison de dénonciation de violences au domicile par son frère jumeau.
Une AEMO est ordonnée par le juge des enfants en avril 2021 afin de préparer le placement des 3 enfants. Elle permet également la poursuite des soins ainsi que la mise en place de soutien scolaire.
A la suite de l’Équipe de Suivi de Scolarité9 en novembre 2021, l’assistante sociale scolaire a fait une remontée d’informations pour une dénonciation par Ahmed de faits de violences de son père sur lui. Lors de l’examen médical, le médecin scolaire n’a retrouvé aucune trace de violence sur lui.
Le CAPP par l’intermédiaire de l’assistante socio-éducative a rédigé une deuxième Information Préoccupante en décembre 2021 afin d’alerter le juge de nouveaux éléments concernant les difficultés de Ahmed et l’environnement familial en particulier du côté maternel.
Depuis décembre 2021, Ahmed est confié à sa mère et est toujours en attente d’une place en Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique (ITEP). Ce projet d’ITEP est soutenu par la MDPH10 et le juge des enfants, dans le cadre d’une poursuite des soins déjà mis en place au CAPP. Il ne voit donc plus son père contrairement à son frère et sa soeur qui continue à le voir une semaine sur deux. Il a de plus en plus de mal à trouver sa place à l’école en témoignent de nombreux passages à l’acte contre les adultes et les enfants, ce qui a par ailleurs entraîné son exclusion durant quelques jours. Durant le mois de janvier, il est allé très peu à l’école et lorsqu’il y était, il passait beaucoup de temps dans le bureau de la directrice. Depuis le mois de février, il y va plus régulièrement mais ne peut participer à toutes les activités scolaires.
L’obligation d’alerter est donc un devoir de tous que l’on soit professionnels de santé ou non. Ahmed est donc un enfant qui malgré les différentes actions des différents professionnels et la mise en place de différentes mesures de protection de l’enfant n’est pas encore hors de danger. La place du soin est alors primordiale pour le soutenir et pour lui apporter des outils afin de limiter les mises en danger. La collaboration entre les acteurs de la protection de l’enfance et ceux du soin est primordiale pour le protéger bien qu’elle ne soit pas toujours aisée à mettre en place

Le Dialogue tonico-émotionnel

Le dialogue tonico-émotionnel a ainsi été introduit par Julian de Ajuriaguerra qui le définit en lien avec les travaux de Wallon : « La préoccupation constante de Wallon a été de bien montrer l’importance de la fusion affective primitive dans tous les développements ultérieurs du sujet, fusion qui s’exprime au travers des phénomènes moteurs dans un dialogue qui est le prélude au dialogue verbal ultérieur et que nous avons appelé dialogue tonique. » (De Ajuriaguerra, 2008, p. 171). Pour Wallon, la symbiose affective qui suit la symbiose physiologique désigne la composante émotionnelle de ce dialogue. Le bébé à travers ses sourires et ses signes de consentement est lié à son interlocuteur. (De Ajuriaguerra, 2008).
Ainsi, « Quand les deux corps se parlent, l’échange est vivant, fluide et créateur d’un espace-temps relationnel. » (Robert-Ouvray et Servant-Laval, 2015, p. 179).
L’ajustement tonique entre les deux partenaires se construit « sur un mode vibratoire et selon quatre modalités : porter, palper, parler, penser » (Wallon cité par Robert-Ouvray et Servant-Laval, 2015, p. 179). Chacune de ces modalités permet de renforcer le lien entre les deux partenaires. Le portage et les soins donnés à l’enfant nourrissent le lien tonique. Ces notions font référence au holding et holding de Winnicott que je développerai ultérieurement. Le palper et le toucher tendre et respectueux permettent de créer un lien sensoriel entre l’enfant et le parent. Lorsque l’adulte verbalise le vécu de l’enfant en y mettant du sens, il consolide les liens antérieurs et favorise le lien affectif. Il essaie alors de comprendre et de s’ajuster à son enfant. Le penser désigne le fait que le parent pense pour son enfant cela permet de renforcer le lien de pensée entre le parent et son enfant. C’est ce qu’on appelle la fonction alpha de Bion. Je développerai cette fonction ultérieurement.
Cette communication « peut être inconsciente dans les interactions et se fait par les variations toniques qui passent dans le corps et le visage, par les tonalités de la voix, par les vibrations des gestes, par la lumière du regard, par les silences, les postures ». Elle est consciente quand on cherche « l’interaction avec l’autre que ce soit pour le faire rire, lui exprimer de la tendresse ou un désaccord » (Robert-Ouvray et Servant-Laval, 2015, p. 179).
Le dialogue tonique a plusieurs fonctions : l’attachement, la transmodalité d’étayage et c’est enfin un outil thérapeutique pour le psychomotricien.
L’attachement est le fait pour un enfant de s’attacher dans une sécurité émotionnelle lui permet ensuite de devenir autonome tout en ayant intégré cette sécurité affective. C’est ce qui lui permet d’accéder à la permanence de l’objet. L’expérimentation de différentes tonicités avec des personnes différentes permet l’intégration et la discrimination des sensations.
La transmodalité d’étayage est ce qui permet de donner à l’enfant l’accès à la symbolisation. En tant qu’outil thérapeutique pour le psychomotricien. Il permet ainsi d’entrer en relation avec le patient, de lui permettre d’intégrer ses sensations et ainsi symboliser ses ressentis. (Robert-Ouvray et Servant-Laval, 2015, p. 181)
La défaillance du dialogue tonique en lien avec celle des interactions mère-enfant provoque des difficultés de communication et d’étayage. Le développement psychique de l’enfant est alors mis à mal et peut se traduire par des troubles tonico-affectifs. (Robert-Ouvray, 2003)

Un défaut de régulation tonico-émotionnel en réaction à la maltraitance

Suzanne Robert-Ouvray a étudié les conséquences de la maltraitance sur la tonicité des enfants. Certains enfants sont décrits comme hyperactifs dans leur environnement familial et inhibés au contact d’un environnement extérieur nouveau. Cette peur du monde extérieur est liée aux vécus douloureux et insécures des interactions précoces. (Robert-Ouvray, 2003).
Dès l’anamnèse, la maman de Mhoussine évoquait cette différence de comportement de son fils à la maison et à l’extérieur : Mhoussine était ainsi agité à la maison mais il était réservé et pleurait beaucoup à l’école. Il est toujours réservé quand il y’a du monde autour de lui. Par ailleurs, au début de la prise en charge, Mhoussine se présentait avec une rigidité au niveau de l’axe et des membres associé à une inhibition verbale et physique. Le travail en séance a fait émerger une agitation psychomotrice importante. Cette dernière témoigne du fait que Mhoussine se sent en confiance dans les séances de psychomotricité qui est devenu pour lui un environnement dans lequel il se sent en sécurité.
Á travers cette agitation, Mhoussine cherche à « se sentir vivant » (Robert-Ouvray, 2011, p. 92). Le corps est alors perçu comme une simple structure physique sans sa dimension émotionnelle. Cette agitation témoigne d’une angoisse liée à la difficulté à différencier les informations internes de celles qui viennent de l’extérieur. (Robert-Ouvray, 2003). Cette difficulté trouve son origine dans la défaillance de l’environnement primaire et donc d’un dialogue tonico-émotionnel non efficient. Il est alors difficile pour Mhoussine de percevoir et traiter les différents stimuli auxquels il est exposé. Ainsi, Mhoussine même s’il est traversé par des émotions ne semble pas en capacité de les percevoir, ce qui pose la question de son accès aux sentiments. En effet, les émotions sont des informations venantes de l’organisme et les sentiments résultent de la mentalisation des émotions. (Damasio, 2017). Afin de l’aider à traverser ces angoisses j’essaie de lui proposer différentes expériences sensorimotrices qui vont lui permettre de vivre différents états toniques tels que des échanges de ballons, des temps de prise de conscience corporelle assis, des échauffements statiques et en mouvement.
Par ailleurs, L’enfant victimes de maltraitance oscille d’une part entre deux pôles sensoriels : il ne sent plus que la douleur et l’agréable est associé au rien et d’autre part entre deux polarités sur le plan affectif : il fuit ou au contraire cherche le contact (câlins, collage). Des difficultés d’expression des émotions et d’intégration d’une base affective peuvent se refléter par des tensions musculaires et une dysharmonie tonique entre le haut et le bas du corps avec une hypertonicité au niveau du haut du corps. L’enfant hypertonique va préférentiellement saisir les objets que les repousser, les relevés du sol peuvent alors être difficiles. (Robert-Ouvray, 2003)
Cette description correspond en de nombreux points à Ahmed. Dès notre première rencontre, il se présente avec le bras en attelle et se plaint au cours des séances de nombreuses douleurs à différents endroits du corps. Ces douleurs n’ont pas de cause ou Ahmed les a oubliées. Lorsqu’on lui pose des questions sur ce qui se passe à ma maison ou à l’école, il nous dit souvent qu’il a oublié la réponse. Lorsqu’il évoque ces oublis, la psychomotricienne lui verbalise le fait que selon elle il s’en souvient bien mais qu’il aimerait oublier et ne plus en parler. De la même manière que sa maman lors de l’entretien, il présente une agitation psychomotrice et une bipolarité11 affective. Il peut à la fois menacer l’autre verbalement et physiquement et juste après recherche de l’affection auprès de l’adulte. Cette bipolarité qu’ils manifestent tous les deux se retrouvent dans leur relation, ce qui m’a beaucoup déstabilisé.

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Table des matières

I. Présentation du cadre institutionnel et des enfants
A. La structure du CAPP
1. Définition
2. Équipe Pluridisciplinaire et Fonctionnement du CAPP
3. La psychomotricité et ma place de stagiaire
B. La rencontre avec les enfants et leur histoire familiale
1. Mhoussine
a) Première impression et anamnèse
b) La rencontre avec les parents
c) Bilan psychomoteur d’octobre 2021
2. Ahmed
a) Première Impression et Anamnèse
b) Les rencontres avec les parents
c) Bilans Psychomoteurs
C. Le Cadre de la Protection de l’enfance au service du CAPP
1. Le cadre légal de la Protection de l’enfance
2. La cellule protection de l’enfance : Le soin au service de la protection de l’enfant
a) Le fonctionnement de la cellule
b) Le CAPP en protection de Mhoussine
3. Une obligation d’alerter pour mieux protéger
a) Cadre légal : (cf Annexe 1)
(1) L’Information Préoccupante
(2) Le Signalement
(3) Les mesures judiciaires possibles : L’AEMO
b) Ahmed, un enfant en danger
II. Du Tonus aux représentations corporelles : Les fonctions déficitaires chez l’enfant victime de maltraitance
A. Tonus
1. Mhoussine
2. Ahmed
3. La construction du tonus et ses défaillances
a) Définitions du tonus
b) Le Dialogue tonico-émotionnel
c) Un défaut de régulation tonico-émotionnel en réaction à la maltraitance
B. Schéma Corporel, Image du Corps et Image composite du corps
1. Mhoussine
2. Ahmed
3. Le schéma corporel
a) Les théories fondatrices
b) Le développement du schéma corporel en lien avec le développement psychomoteur
4. Image du corps
a) Les Premières théories
b) L’image Composite du Corps
C. D’une défaillance des représentations corporelles vers une prise en soin psychomotrice
1. Le lien entre le tonus et les représentations corporelles déficientes
a) Le tonus et le schéma corporel
b) La Manifestation d’angoisses corporelles archaïques
c) L’appui-dos comme soutien de la reconstruction de l’image du corps
2. Prise en soin des représentations corporelles défaillante chez l’enfant victime de maltraitance
a) Le Dialogue Tonico-émotionnel
b) Le travail en relaxation
III. Du cadre aux limites psychocorporelles
A. La construction du cadre des séances
1. Mhoussine
2. Ahmed
3. Définition du Cadre
a) Dimensions Temporo-Spatiales
b) Conditions Matérielles
c) La modalité relationnelle du cadre
d) Le cadre thérapeutique soutient l’élaboration d’une enveloppe
B. De la construction du cadre à la construction des limites corporelles
1. Mhoussine
2. Ahmed
3. La construction des limites corporelles comme base de la contenance psychique
a) Holding et Handling
b) De l’enveloppe Corporelle au Moi-Peau
c) Les huit fonctions du Moi-peau
4. A la contenance Psychique
a) La contenance
b) La fonction alpha de Bion
C. La fonction contenante en psychomotricité : du cadre au psychomotricien
1. Le cadre comme premier contenant
a) La construction de limites psychocorporelles à travers la construction d’un cadre spatio-temporel
b) L’appropriation du cadre grâce à sa composante matérielle
c) Le cadre humain comme tiers de la relation
d) Un cadre thérapeutique sécure face à la défaillance du cadre familial
2. La fonction contenante du psychomotricien : Soutien de la construction des enveloppes chez l’enfant victime de maltraitance
Conclusion
Références
Bibliographie

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