Au DEPART, LE DESIR
Le voyage débute bien avant de remplir ma demande d’ admission. Il commence par une expérience de vie et des aspirations professionnelles. Nous sommes en décembre 1999. Après sept ans dans mes valises à m’ouvrir sur le monde et à développer mes capacités d’ adaptation, passant de la Colombie-Britannique à la Turquie, via l’Ontario et l’Angleterre, je reviens vivre à Rimouski, ma ville natale. Me sentant chez moi partout et nulle part, j’ai besoin de refaire mes racines québécoises. J’ai en mams un baccalauréat en administration des affaires, option marketing. Cependant, je sens que mes aspirations professionnelles prennent une tout autre direction. J’ai besoin de sens dans mon travail. Atteindre des objectifs de ventes ou accroître des parts de marché ne m’apporte aucune motivation. Ce que je désire, c’ est contribuer à l’ épanouissement et l’ accomplissement des personnes. J’aimerais que mon travailles aide à être inspirées, plus heureuses et plus elles-mêmes. Je sens en moi des forces créatives et relationnelles et je ne veux pas les laisser dormir dans un tiroir. J’ai en tête un exemple de cet idéal professionnel, une expérience d’animation vécue en mai 1999 en Turquie. Je suis dans un hôtel d’Antalya, une ville au sud de la Turquie, située sur le bord de la mer Méditerranée. C’est le congrès national de l’AIESEC (Association Internationale des Étudiantes et Étudiants en Sciences Économiques et Commerciales). Je suis responsable avec Ela, une collègue turque du bureau national, de l’ animation des sessions sur l’adaptation interculturelle. Notre groupe d’une quinzaine de participants rassemble des étrangers effectuant un stage en Turquie et des Turcs se préparant à vivre une expérience de travail à l’ étranger. La démarche que nous proposons est inspirée de ma propre expérience de stagiaire étrangère. Les différentes activités sont interactives, audacieuses, ludiques et concrètes. Elles suivent un fil conducteur. Dès le premier soir, les liens se créent entre les membres du groupe. Ils se donnent même un nom: Amigo 22. Après la deuxième journée, les animateurs des autres ateliers, le teint blême dû à un manque de sommeil, nous demandent: « Qu’est-ce que vous avez fait à votre groupe? Ils ont l’ air si heureux? ». Je sais que je suis dans mon élément. (Journal de recherche, septembre 2008) Le voyage universitaire se poursuit par la pnse de conSCIence de mon désir de m’aventurer dans la réalisation d’ une maîtrise. Nous sommes au printemps 2004. Je suis assise à la Brûlerie, un café populaire de la ville de Rimouski. J’aperçois une connaissance que je n’ ai pas vue depuis longtemps. Je vais prendre de ses nouvelles. Il m’apprend qu’il a complété une maîtrise en Irlande, pour ensuite entreprendre un doctorat en Colombie Britannique. Chanceux. Je ressens une pointe d’envie. Le soir, je suis seule à la maison et me questionne. Ai-je passé à côté de mon potentiel? Je me souviens, petite, certaines de mes enseignantes prédisaient pour moi une grande carrière comme docteure, car j’avais beaucoup de facilité à l’ école. J’aurais pu pousser mes études beaucoup plus loin qu’un baccalauréat. J’aurais pu étudier en sciences! Mais je n’ aimais pas ça. Pourquoi? Je prends conscience que ce qui me turlupine et me passionne le plus dans la vie, ce sont les relations humaines. Elles sont tellement complexes! Je décide qu’un jour j’entreprendrai une maîtrise en relations humaines.
Je me souviens
Lors du premIer cours, pour nous présenter les uns aux autres, nous avons expérimenté un outil que nos professeurs nomment : « Je me souviens … ». En termes plus académiques, je dirais qu’ un « Je me souviens … » est une description phénoménologique d’ un événement passé, « qui [peut] être [une] expérience particulièrement intense ou [un] souvenir en apparence banal » (Galvani, 2004 : 106). Une des consignes d’écriture est de rester concret, de ne pas faire d’analyse. Comme auteure et sujet, je décris un événement, son environnement externe (le lieu, le climat, les éléments physiques, .. . ) et son environnement interne (mes pensées, mon état physique, les émotions qui sont présentes en moi). Galvani (2004 : 107) précise dans un article les bases d’un bon « Je me souviens » : Pour centrer l’ écriture sur l’exploration phénoménologique de leur expenence plutôt que sur leurs représentations mentales, il est suggéré aux participants:
• De laisser remonter à leur mémoire les souvenirs de quelques moments intenses;
• De s’immerger dans la mémoire concrète d’ un souvenir signifiant;
• De revoir, de ressentir et de revivre l’événement dans sa dimension sensorielle;
• De rédiger au fil de la plume la description de ce moment revécu de l’intérieur en commençant par la phrase: « Je me souviens … »;
• De laisser remonter d’autres moments et expériences associés à ce premier souvemr. Voici mon premier « Je me souviens … ». La consigne était d’ écrire sur une rencontre qui nous avait laissé une impression de satisfaction. Je me souviens d’une rencontre que j’ai eue avec un herboriste turc dont j ‘ ai oublié le nom. Je suis dans la ville d’Urfa, dans le sud-est de la Turquie. Je suis seule. Dans les rues, il y a beaucoup d’hommes et peu de femmes. Tout est beige et poussiéreux. Je suis dans un autre monde. Je frappe à la porte de la maison de cet homme que j ‘ ai rencontré un mois plus tôt, alors que j’étais dans la ville avec des collègues de travail turcs. Je ne sais pas s’il va me reconnaître. Il m’invite à entrer. Sa maison est patrimoniale, avec une cour intérieure et plusieurs pièces autour dont certaines sont inaccessibles. Des experts en histoire, je crois, sont venus la visiter durant l’été. Cet endroit ne se compare à rien de ce que j’ai vu avant. Nous prenons le thé ensemble, assis par terre. Je ne comprends pas la moitié de ce qu’il me dit, mais j’écoute. Il me demande s’il existe des cours d’herboristerie au Canada pour lui. Il veut aller ailleurs vivre pleinement sa vie. Je ne sais pas quoi répondre à quelqu’un qui ne parle ni français, ni anglais. Je ne veux pas devenir agente d’immigration. Je ne comprends pas tout ce qu’il dit, mais j ‘ entends beaucoup : sa quête, sa soif. Je suis surprise qu’il partage avec moi, une parfaite étrangère, des rêves aussi profonds et intimes. Je suis dans un moment intemporel. (Journal de recherche, août 2007) Ce « Je me souviens … » m’a permis de me présenter à mes collègues et, surprise, il m’ a aussi servi, plus tard, à dégager un fil rouge (fil conducteur) qui contiendra mon thème de recherche. Je ne pensais pas que faire de la recherche pouvait être aussi personnel et créatif.
Stress et fatigue
Depuis septembre 2001, je travaille pour le Centre d’éducation chrétienne des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire, comme animatrice-jeunesse auprès des 15-35 ans. Je suis la première à occuper ce poste. J’ai le champ libre pour défricher, développer mon réseau et mon offre de services auprès des jeunes. C’ est un emploi qui peut répondre à mon besoin de sens et à mon désir de mettre mes forces internes en action. J’espère créer, vivre et faire vivre des sessions aussi signifiantes que celle vécue avec mon groupe d ‘Amigo .Depuis que je suis en poste, j ‘ ai vécu des moments qui ont comblé mes aspirations professionnelles.Par contre, le stress, le doute et la fatigue prennent aussi beaucoup de place. Pour tenter de répondre aux attentes de résultats visibles, à savoir le nombre de participants, ainsi qu’ à mes propres aspirations, soit des rencontres significatives qui me permettront d’ exploiter mes compétences en création, en animation et en accompagnement, je m’investis dans mon travail d’ une façon telle que j’en perds mon élan. Je multiplie la variété des activités offertes, portant souvent seule le poids de leur succès ou de leur échec : danse, activités de sport & spiritualité, présence sur le terrain, pèlerinages marchés,rencontres individuelles, rencontres de groupe, collaborations, rassemblements, activités ponctuelles, écriture sur internet… Durant mes temps libres, je consacre mon énergie et mes pensées à trouver de nouvelles pistes pour rejoindre les jeunes, tout en me préoccupant de ne pas décevoir personne. J’imagine que ce n’est pas surprenant si la phrase que je m’ entends dire le plus souvent est: « Je suis fatiguée ». Pour décrire ce phénomène, Vincent de Gaulejac (2005) parle d’hyperactivité. Son explication ne décrit pas en tout point ma situation, mais elle me rejoint dans l’ensemble. L’hyperactivité est une surcharge de travail qui s’installe durablement parce qu’ elle est considérée comme normale et acceptée volontairement. Elle est vécue comme une réponse à une exigence de l’organisation, même si elle résulte en fait d’un « choix » personnel, dans un contexte où les critères pour définir la charge de travail sont flous ou inexistants. Elle est source de fierté tout en s’accompagnant d’une plainte peu convaincante de «victimisation »: «je n’en peux plus », « Je suis épuisée », «je n’ai plus de temps à moi». (De Gaulejac, 2005 : 179) Pourtant, à première vue, mon travail ne devrait pas être si contraignant. Je ne subis pas la pression des urgentologues qui tiennent la vie des gens entre leurs mains. Je ne m’expose pas non plus aux nombreuses critiques que reçoivent nos élus. Pourquoi alors le stress et la fatigue prennent-ils une si grande place? «Je suis angoissée. Je ne suis pas libre. C’ est une montagne qui m’habite.» (Journal de recherche, octobre 2007). Je me sens encombrée. J’ai l’ impression de ne plus avoir de place pour vivre, ni de souffle pour respirer à pleins poumons.
Une fatigue collective
Je sais que je ne suis pas la seule à ressentir du stress et de la fatigue au travail. C’ est une réalité de plus en plus répandue. Il n’est pas rare pour moi de travailler avec des gens qui ont des agendas surchargés et qui manquent de souffle et d’énergie pour accomplir leurs tâches avec enthousiasme et efficacité. «Selon un sondage effectué par Desjardins Sécurité Financière (DSF) [publié en 2008] [ … ], 83 pour cent [des Canadiens] disent s’ être présentés au travail, en moyenne six fois l’année dernière, malades ou épuisés. » (AC SM, 2008) Il y a les travailleurs qui sont fatigués et qui sont ainsi moins productifs et moins motivés au travail. C’ est le présentéisme (Brun et al., 2003). Il Y a aussi ceux qui dépassent leurs limites et se rendent jusqu’ à l’épuisement professionnel. Cela se traduit par une augmentation du taux d’absentéisme. Les problèmes de santé mentale ou psychologique, tels que l’ anxiété, la dépression et l’épuisement, sont la principale cause d’absence prolongée au travail. «Claude Di Stasio, porte-parole de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, indique qu’au Québec, les problèmes de santé mentale représentent 40% de toutes les prestations versées aux employés. » (Leduc, 2009) Plusieurs facteurs influencent l’augmentation de la fatigue liée au travail; une m’intéresse plus particulièrement, celle de concilier travail, famille, études… « La plupart des Canadiens ont du mal à trouver le temps d’assumer tous leurs rôles et toutes leurs responsabilités. En fait, 58% d’entre eux déclarent être «surchargés » en raison des pressions exercées par leur travail, leur maison, leur famille , leurs amis, leur santé physique et leurs activités bénévoles. » (ACSM, 2012). Je ne suis pas seule à me sentir encombrée, fatiguée, stressée, et à chercher mon souffle et mon élan. De plus en plus de mes contemporains vivent une situation similaire.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
AVANT -PROPOS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 ÉMERGENCE D’UN PROJET DE RECHERCHE
1.1 Au départ, le désir
1.2 M’inscrire dans le processus
1.3 Laisser mon thème de recherche me trouver
1.3.1 Je me souviens
1.3.2 Découvrir mon fil rouge
1.4 Mettre des mots sur la problématique qui m’habite
1.4.1 Stress et fatigue
1.4.2 Une fatigue collective
1.4.3 Ne pas décevoir
1.5 Vivre pleinement mes enjeux
1.6 Apprendre à croiser les regards
1. 7 Quand trouver la réponse devient viscérale
1.8 Un premier écrit, début de mon mémoire
1.9 Mettre des mots sur le déséquilibre
1.10 Mon problème de recherche
1.10.1 Ma question de recherche
1.10.2 Mes objectifs de recherche
1.10.3 Des mots et des concepts qui se précisent
1.10.4 Mon schéma notionnel
CHAPITRE 2 DES DONNÉES S’ACCUMULENT, DES CONNAISSANCES SE CONSTRUISENT
2.1 Mon journal de recherche
2.2 Un début d’apprivoisement du discours méthodologique
2.3 Un coup de cœur, l’atelier de praxéologie
2.4 Une pause
2.5 Retrouver mon goût d’aventure grâce au récit de vie
2.6 Retour dans mon grand laboratoire
2.7 L’explicitation ou le plongeon dans un micromoment
2.8 Une recherche qui transforme
2.9 Plongeon dans l’analyse de mes données
2.10 L’histoire se réécrit autrement
2.11 Le dialogue, un outil de recherche et d’analyse
2.12 Défusionner de mon mémoire idéal
2.13 Une deuxième vague d’analyse
2.14 À la recherche des exceptions qui parlent
2.15 Revisiter mon processus
CHAPITRE 3 MES ENJEUX
3.1 Les enjeux d’existence
3.1.1 Être entendue – être reconnue
3.1.2 Exploiter mon potentiel
3.2 Les enjeux de protection
3.2.1 Ne pas décevoir: faire correct – répondre aux attentes – être parfaite
3.2.2 Aller chercher la permission
3.2.3 Respecter l’autorité
3.2.4 Me battre pour être moi-même
3.3 Les enjeux d’appartenance
3.3.1 Faire partie d’une équipe, d’un groupe
3.3.2 Être rejetée
3.3.3 M’intégrer dans un groupe
3.3.4 Quand les enjeux se confrontent: la dualité
3.4 L’enjeu de vivre
CHAPITRE 4 LE CHEMIN DE L’INSATISFACTION
4.1 Avant d’entrer dans le cœur de l’interaction
4.1.1 L’environnement interne
4.1.2 L’environnement externe
4.2 Pendant l’interaction
4.2.1 Réaction de défense
4.2.2 Réaction de panique
4.2.3 Retrait de mon implication
4.2.4 Rétrécir, disparaître
4.2.5 Recul et capitulation
4.3 Après l’interaction
4.3.1 Perte de motivation
4.3.2 Sentiment d’échec et de culpabilité
4.3.3 Prolongation des effets négatifs dans le temps
4.4 Vue d’ensemble du processus d’insatisfaction
CHAPITRE 5 L’ÉQUILIBRE DES PRENDRE SOIN
5.1 En parlant d’équilibre
5.1.1 Les définitions de l’équilibre
5.1.2 L’influence de la posture de départ
5.2 Atouts qui aident à trouver et garder l’équilibre
5.2.1 Me faire plaisir, me faire confiance
5.2.2 Projet de groupe stimulant
5.2.3 L’aventure
5.3 Où j’en suis dans ma recherche d’équilibre
CHAPITRE 6 FAIRE DE L’ESPACE
6.1 Discussion autour de la notion d’espace
6.1.1 Les définitions de l’espace
6.1.2 Les effets de l’espace
6.2 Créer de l’espace (hors relation)
6.2.1 Les attitudes qui favorisent la création d’espace
6.2.2 Les traits de personnalité à entraîner pour développer mon espace intérieur
6.3 Libérer de l’espace durant l’interaction
6.3.1 Le dialogue interne
6.3.2 Arrêter le temps
6.3.3 La permission
6.3.4 La confirmation
6.3.5 Ouvrir une porte à la sensibilité
6.4 Une étape à la fois
CHAPITRE 7 PRENDRE APPUI
7.1 L’appui que je cherche
7.2 Ressources sur lesquelles m’appuyer
7.2.1 La boîte à souvenirs
7.2.2 M’inspirer de témoins
7.2.3 Idées de secours
7.2.4 M’appuyer sur l’environnement social
7.3 De l’appui à l’action : rebondir
7.4 Retrouver mon appui les deux pieds dans le sable
CHAPITRE 8 UNE RECHERCHE QUI TRANSFORME
8.1 Décider autrement
8.2 Je suis une adulte
8.3 Mettre ma tête à prix
8.4 Devenir Animatrice de Vie
8.5 Schématiser mon chemin de transformation
8.6 Une recherche terminée, une transformation à poursuivre
CONCLUSiON
ANNEXE 1
ANNEXE II
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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