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DPSA et le modèle social du handicap
Dans les années 1970, de plus en plus de personnes en situation de handicap se sont opposées aux idées de soins et de charité un peu partout dans le monde. Le mouvement américain pour la vie autonome (Independent Living) a dénoncé le paternalisme médical et l’enfermement dans les centres spécialisés, en plaçant la notion de travail au cœur de la discussion sur le handicap. De l’autre côté de l’Atlantique, le modèle social anglais du handicap s’est popularisé. En résumé, ce modèle conteste la vision individuelle du handicap pour mettre en évidence les causes sociales et environnementales de celui-ci. Le handicap désigne de ce point de vue conceptuel la marginalisation et la stigmatisation structurelles des personnes atteintes de déficience(s) (voir introduction). Dans les années 1980, ces deux tendances ont transformé le secteur du handicap sud-africain, qui se composait jusqu’alors d’organisations spécialisées par type de déficiences.
En 1981, l’Association d’autoassistance des paraplégiques (SHAP, Self-Help Association of Paraplegics) a été établie à Soweto et a ouvert une usine afin de créer des emplois. Se regroupant au niveau national, les membres de SHAP et d’autres personnes en situation de handicap ont créé en 1984 l’Organisation des personnes handicapées d’Afrique du Sud (DPSA, Disabled People of South Africa).
À l’inverse des autres organisations du handicap, DPSA a aspiré dès son origine à représenter toutes les déficiences. En outre, DPSA a reformulé l’approche individuelle du handicap pour adopter le registre de l’oppression et de la marginalisation. Le double objectif de DPSA était de représenter les personnes en situation de handicap dans la sphère politique et de développer leurs capacités financières (Rantho, citée dans Howell, Chalkens et Alberts, 2006, p.54, TdA). Ce faisant, les réclamations de ses membres dépassaient la prise en charge sous forme de soins de santé, d’allocations ou de compensations.
En d’autres termes, ils souhaitaient faire disparaître les règlementations caritatives qui visent uniquement leur survie. En effet, si ces mesures favorisent la solidarité sociale, elles assimilent surtout la déficience à l’incapacité de travailler. DPSA a donc abandonné l’approche traditionnelle de la protection sociale pour défendre les droits des personnes en situation de handicap et leur intégration au marché de l’emploi.
Deux dynamiques ont fait la force de DPSA à ses débuts. D’un côté, Jacques du Toit reliait le travail de l’association au mouvement international de défense des droits des personnes en situation de handicap, qui prônait le modèle social d’inspiration britannique. En même temps, DPSA participait au combat contre les discriminations raciales et rejoignait le Front démocratique uni (UDF, United Les politiques sociales Democratic Front) – organisation de masse créée en 1983 dans Mitchell’s Plain et proche de l’ANC alors banni. Le mouvement antiapartheid et celui pour les droits des personnes en situation de handicap partageaient des aspirations analogues au travail et au droit de vote, dans le but de combattre la pauvreté et de recouvrer une dignité humaine. Cette idéologie commune et l’augmentation du nombre de militants mutilés durant le struggle expliquent le lien entre les deux structures.
La relation entre DPSA et le gouvernement n’était cependant pas aussi tranchée qu’il y paraît : l’organisation a adopté une résistance pacifique et DPSA a reçu son premier financement du gouvernement de Pieter Botha20 (Rowland, cité par Dube 2005 : 14). En 1986, l’année du handicap en Afrique du Sud, les membres de DPSA ont participé à la conférence de Bloemfontein pour dialoguer avec les représentants de l’État. Les délégués de DPSA et d’autres associations ont toutefois été déçus lorsqu’il leur a été précisé que la question politique de l’apartheid ne serait pas abordée lors de l’évènement. Les participants ont alors posé un ultimatum de douze mois au gouvernement, qui devait s’engager à faciliter l’accès aux infrastructures, aux transports et aux allocations sociales pour les personnes en situation de handicap de toutes les races (Rowland 2004 : 8). L’ultimatum expiré, les membres de DPSA sont à leur tour descendus dans la rue pour protester contre le régime. DPSA en tant qu’association n’a donc adopté que tardivement une opposition franche au NP. La mobilisation de ses membres a duré deux ans, jusqu’au 11 février 1990, date de la libération de Nelson Mandela.
Le modèle social érigé en paradigme national
Il est des époques qui interrogent particulièrement le devenir d’une nation. C’était le cas en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’en Allemagne à la suite de la chute du mur de Berlin, mais ces évènements ont également eu des répercussions en Afrique. Le premier évènement a engendré un long processus de décolonisation à partir des années 1940 (Cooper 2012). En Afrique du Sud, il a fallu attendre la chute du mur de Berlin et le renouvellement du cadre conceptuel utilisé pour penser le monde. En effet, la décriminalisation du communisme a permis, avec d’autres évènements, d’entamer les négociations pour une transition pacifique. Évitant la guerre civile qui menaçait le territoire, l’ANC et son dirigeant charismatique, Nelson Mandela, ont remporté les élections de 1994. De nouvelles politiques sociales, économiques et sanitaires ont cherché à compenser les inégalités passées. Dans quelle mesure ces changements ont-ils influencé le traitement politique du handicap dans le pays ? Par souci de clarté, l’exposé distingue deux phases de la période qui a suivi : un premier temps de légifération de 1990 à 2004, puis le temps de l’application de ces mesures à partir de 2004.
1990-2004 : Le handicap sous l’angle des droits de l’homme
À l’image des estropiés de la Grande Guerre, les morts et les blessés du struggle sud-africain ont suscité une prise de conscience vis-à-vis du handicap. Cette seconde dette de sang de la Nation envers certains de ses citoyens – la première datant de la guerre 14-18 – a aidé le mouvement du handicap à faire entendre ses revendications dans le processus de reconstruction. De manière générale, les organisations pour le handicap recouraient à deux logiques complémentaires : d’une part, elles
mobilisaient le discours des droits des personnes en situation de handicap et de leurs besoins spécifiques et, d’autre part, elles affirmaient la nécessaire réparation des souffrances infligées sous l’apartheid. En défendant les droits de l’homme, les représentants du secteur du handicap prônaient la lutte contre la discrimination. Cette demande était renforcée par la reconnaissance des souffrances subies par certains citoyens. Le discours de la souffrance est souvent associé à une perception des minorités comme groupe à protéger dans la tradition américaine. Il est donc plus délicat à mobiliser puisque les blessures exposées peuvent transformer les futurs bénéficiaires en victimes (Blanc 2012 : 82) ou renforcer leur ségrégation sur base de l’altérité. Mais en Afrique du Sud, cette rhétorique liée au combat contre l’apartheid souligne davantage l’existence d’une discrimination structurelle et la résistance à celle-ci, transformant les victimes potentielles en héros anonymes.
Selon un document officiel de DPSA, trois demandes principales ont été défendues au début des années 1990 par l’association :
On retrouve ici trois des principaux objectifs de DPSA : la représentation politique, le droit au travail élargi en termes de participation et une vision spécifique du handicap.
Au niveau politique, les personnes en situation de handicap le souhaitant ont reçu la possibilité de se rendre aux urnes quelques jours avant le reste de leurs concitoyens afin de profiter des adaptations nécessaires. En outre, DPSA et l’ANC ont établis un « partenariat stratégique » par lequel quelques représentants de DPSA ont été inscrits sur les listes électorales du nouveau parti (Tire 2003). Ainsi, deux candidats membres de l’association ont été présentés au parlement en 1994 : Maria Rantho a été la première parlementaire sud-africaine en situation de handicap, tandis que William Rowland a abandonné son siège face aux menaces de mort reçues durant sa campagne. La même année, d’autres adhérents de DPSA ont été élus au niveau municipal (Dube 2005 : 48).
Ensuite, l’État s’est attaché à combattre toute forme de discrimination. Dès le début des années 1990, l’appareil législatif sud-africain a été déracialisé, de même que son système de protection sociale. Audelà de la question raciale, la Constitution de 1996 a interdit toute différenciation de traitement fondée sur le handicap (Bill of Rights, article 9), mais elle n’a pas assuré l’égalité de traitement. La Constitution a donc combiné deux principes de lutte contre la discrimination, à savoir une approche de type anglais qui condamne toute pratique discriminante et les politiques de tradition américaine qui avantagent certains groupes défavorisés. Cette approche a notamment influencé la législation sur le travail des personnes en situation de handicap. La Loi pour l’équité en matière d’emploi (EEA, Employment Equity Act), promue en 1998, cherchait par exemple à (1) supprimer toute discrimination injuste, (2) mettre en place des politiques de discriminations positives pour favoriser la diversité dans les entreprises et rendre accessible le lieu de travail, et enfin (3) réduire les différences salariales. L’existence d’une déficience y est mentionnée comme critère probable de discrimination.
Finalement, l’État sud-africain a reconnu la nécessité d’intégrer le handicap dans toutes ses dispositions, plutôt que de créer une législation spécifique, potentiellement ségrégative. En 1995, le Bureau pour le statut des personnes handicapées (DSDP, Desk for the Status of Disabled People) a été installé à la présidence, localisation qui étendait la question du handicap au-delà des problèmes de santé et de protection sociale. La Stratégie nationale intégrée sur le handicap (INDS, Integrated National Disability Strategy) instiguée en 1997 par le DSDP proposait une nouvelle approche du handicap :
À la lumière de ces éléments, la rupture avec les politiques d’apartheid semble évidente. Tandis que les anciennes dispositions se restreignaient à la protection sociale et aux soins, caractéristiques de la citoyenneté biologique, le nouveau gouvernement a adopté le modèle social du handicap, en prônant l’intégration des personnes en situation de handicap au moyen de mesures de discrimination positive, à la fois dans le domaine économique et dans la sphère politique. Afin de marquer cette distinction avec le régime précédent, je parle de « citoyenneté inclusive » dans ce contexte. Bien qu’il repose toujours sur une altérité corporelle et donc sur le principe de biolégitimité, le dispositif mis en place s’éloigne nettement d’une simple assistance pour la survie.
Ces changements promus par DPSA s’inscrivaient dans le programme politique de l’ANC. L’aide apportée aux personnes en situation de handicap était assimilée à la mise en place d’une Nation bienveillante (Caring Nation). Le partenariat stratégique qui a aidé à l’élection de plusieurs membres de DPSA renforçait quant à lui l’image de la Nation arc-en-ciel qui célébrait la différence. Les droits des personnes en situation de handicap étaient affirmés en même temps que ceux des femmes, des homosexuels et des différentes minorités qui composent la population sud-africaine. Par conséquent, l’histoire du traitement du handicap s’est insérée dans l’histoire nationale et a renforcé le discours dominant de la Transformation tenu par l’ANC et ses alliés. Un document officiel affirme :
À l’inverse, la nouvelle démocratie soutenait le modèle social dans ses textes et affirmait les droits de tous les hommes. En ce sens, l’histoire officielle du handicap recoupe le récit de l’avènement
démocratique et se distingue, par exemple, de l’interprétation proposée par les associations de malades du sida. Bien plus médiatisée, notamment en raison des activités de la Campagne d’action pour le traitement (TAC, Treatment Action Campaign) en faveur de la distribution d’antirétroviraux refusée par le gouvernement de Thabo Mbeki21, l’épidémie de sida a produit un conflit de sens dans la société sud-africaine, un contre-discours sur la liberté retrouvée et un rappel gênant des inégalités socio-économiques (voir Fassin 2006). Toutefois, bien que l’ANC ait proposé un nouveau projet de société et un nouveau type de citoyenneté pour les personnes en situation de handicap, la mise en œuvre de ces initiatives semble tarder, éteignant peu à peu les espoirs soulevés par la démocratisation du régime.
La fin des années 2000 : La Transformation compromise
Au niveau national, l’ANC a rapidement été critiqué pour le caractère libéral de ses politiques. Cette (re)direction est souvent associée à la présidence de Thabo Mbeki, mais certains points du programme original avaient déjà abandonnés sous Mandela. Par exemple, le Programme de reconstruction et de développement (RDP, Reconstruction and Development Program) de 1994 projetait de redresser les injustices du passé, entre autres par la redistribution des terres et la nationalisation de l’eau et des minerais. Deux ans après son adoption et avant qu’aucune de ces mesures ne soit réalisée, le RDP a été abrogé et remplacé par le programme de Croissance, d’emploi et de redistribution (GEAR, Growth, Employment and Redistribution). Ce second projet liait la stabilité économique du pays aux investissements étrangers et à l’augmentation du produit intérieur brut afin de répondre aux pressions internationales en faveur d’une réduction des dépenses publiques. De nombreux auteurs et commentateurs politiques critiquent le GEAR en tant que tournant néolibéral (Miraftab 2004 ; Miraftab & Wills 2005 ; Bond 2005).
Dans le secteur du handicap, les plaintes par rapport à l’application des politiques mises en place se sont élevées à la fin des années 2000. Dix ans après les premières élections démocratiques, un état des lieux sur les mesures adoptées par le gouvernement de l’ANC autour de la question du handicap a été entrepris. L’ouvrage collectif, Disability and social changes. A South African Agenda (Watermeyer et al., 2006) présente l’une des réflexions les plus documentées autour de ces questions22. Plusieurs des auteurs-contributeurs avaient participé à l’élaboration des politiques nationales en tant que représentants des associations pour le handicap. Ils s’accordaient donc sur les possibilités des mécanismes légaux imaginés jusqu’alors, mais appelaient à dépasser la phase de légifération pour entamer la mise en œuvre de ces dispositions. Avec le temps, ces auteurs sont devenus de plus en plus critiques, tel Brian Watermeyer qui écrivait en 2013 :
Plusieurs manquements sont relevés, tels que le manque d’information de la population sur les recours possibles, l’absence de dimension coercitive dans les textes adoptés, les budgets restreints et la conciliation difficile entre le modèle social et la bureaucratie. Qui plus est, le manque de recours aux tribunaux ralentit le processus de clarification de la législation (McLain, Watermeyer & Schneider 2006), en particulier dans le cadre des lois anti-discrimination dont l’utilisation est facilitée par l’existence d’une jurisprudence. Les problèmes d’application s’expliquent aussi par le manque de clarté dans la description des responsabilités respectives, ce manquement émanerait d’une rotation du personnel des administrations et du transfert fréquent des compétences d’un ministère à l’autre.
Par exemple, le DSDP placé à la présidence a été remplacé en 2009 par le ministère des Femmes, des Enfants et des Personnes en situation de handicap. Cinq ans plus tard, ce ministère a disparu à son tour et les compétences liées au handicap ont été transférées au ministère du Développement social (DSD, Department of Social Development), ancien ministère de la Protection sociale (Department of Welfare). Pour les militants, cette reconfiguration signifiait un retour en arrière dans la manière dont le handicap était publiquement interprété – à savoir comme un problème dépassant le domaine de l’assistante sociale. L’Alliance sud-africaine pour le handicap (SADA ; South African Disability Alliance), un réseau regroupant les principales organisations nationales du handicap, commentait :
Au-delà de la dimension administrative, s’illustre ici la persistance de plusieurs cadres d’interprétation autour du handicap. Dès lors, si le sentiment d’abandon partagé dans le secteur est souvent expliqué par l’absence d’application de la législation, le conflit d’interprétations qui sous-tend cette situation doit être interrogé, de même que les transformations qu’il a suscitées dans le secteur associatif.
Tarryn est une jeune femme coloured d’une trentaine d’années, originaire du Cap. À la suite du divorce de ses parents, elle a déménagé à Johannesburg avec son frère, sa sœur et sa mère qui avait trouvé un emploi dans l’administration hospitalière, tandis que son père, agent pour une société d’assurances funéraires, restait à Mitchell’s Plain. Lors de sa dernière année d’études secondaires, Tarryn a été paralysée suite à un accident de voiture. Hospitalisée, elle n’a pas obtenu son diplôme. Peu de temps après l’accident, elle est retournée vivre au Cap, d’abord chez sa grand-mère – une dame qui avait hébergé Tarryn et sa mère durant plusieurs années dans Manenberg –, puis chez son père au décès de la vieille dame. Dans Mitchell’s Plain, elle a rejoint l’association Reaction en tant que secrétaire. Lors d’une réunion, les membres de ce groupe m’ont raconté leur rencontre avec la vice-ministre des personnes en situation de handicap, Henrietta Zulu-Bogopane. La réunion avec la vice-ministre portait sur les conditions de logement.
Outrés, les membres de Reaction mentionnèrent le refus de la vice-ministre d’entendre leurs requêtes ou de leur apporter sa sympathie. « Elle dit ne pas être là pour ça », précisèrent-ils, « puisqu’elle est elle-même en situation de handicap et a réussi, nous devrions faire de même ». Plusieurs réactions suivirent, passant de la grammaire raciale à la dimension politique, tout en mentionnant le caractère de la vice-ministre. Tarynn souligna les fortes différences socio-économiques entre les habitants des Cape Flats et la vice-ministre. Si Hendrietta Bogopane-Zulu était presque aveugle et avait deux enfants dans la même situation, elle disposait d’argent pour obtenir les dispositifs d’accommodation nécessaires, ce qui n’était pas le cas pour les habitants de Mitchell’s Plain. Désemparée, Tarryn me demanda : « Si elle refuse de nous aider, qui le fera ? » (Note de terrain, le 16 avril 2014, avant la dissolution du ministère des Femmes, des Enfants et des Personnes en situation de handicap).
Dans cet extrait, plusieurs interprétations de la situation de handicap s’affrontaient. D’une part, la vice-ministre refusait de sympathiser avec les personnes présentes sur base de l’expérience partagée : puisqu’elle-même était en situation de handicap, elle ne voulait pas écouter les plaintes qui lui étaient adressées. Elle critiquait également ses interlocuteurs en partant de sa propre expérience, car « quand on veut, on peut ». La logique de l’expérience partagée était donc bien mobilisée, mais sans y inclure les différences socio-économiques, ce qui produisait une injonction d’autonomie et de responsabilité aveugle à la diversité des situations. En dépit de la reconnaissance des causes structurelles du handicap dans les textes nationaux, la vice-ministre renvoyait la discussion au niveau individuel et rejetait les réclamations entendues hors du champ d’action légitime de l’État, qui se voyait de ce fait déresponsabilisé. Ces problèmes de représentation découlent d’une vision homogène de la communauté du handicap sud-africaine : si les différences socio-économiques au sein du groupe des personnes en situation de handicap ne sont pas prises en compte, alors les solutions envisagées ne sont plus transformatives, mais consolident le statu quo et la responsabilité imposée d’en haut redevient une faute individuelle. Je propose dès lors de qualifier cette position d’« élitiste » puisqu’elle favorise ceux qui disposent déjà de ressources personnelles quand il s’agit de pallier la déficience.
Les politiques sociales
D’autre part, le refus de la vice-ministre posait question : « vers qui se tourner ? » Cette position dérangeait d’autant plus qu’Hendrietta Bogopane-Zulu avait été intégrée aux quotas politiques de DPSA et occupait donc ce poste grâce à son aptitude supposée à représenter la communauté du handicap. Pour Tarryn, ce refus signifiait l’impossibilité de participer à la vie politique. La position de Tarryn s’observe régulièrement au sein des petites associations. On peut la qualifier de « misérabiliste » à partir d’une définition proposée par Jean-Pierre Olivier de Sardan. Selon cet auteur, le point de vue misérabiliste fait du peuple une victime en se concentrant sur les mécanismes de domination. En complément de quoi, le populisme idéologique valorise les dynamiques locales émancipatrices (1995 : 106-107). En pratique, ces perspectives s’associent fréquemment.
J’ai rencontré John (Africain, la quarantaine) au début de ma recherche. Blessé par balle lors d’une querelle entre taxis à l’âge de 18 ans, ce père de deux enfants habitant Nyanga m’a rapidement proposé son assistance dans la poursuite de mes entretiens. Il m’a poussée à rencontrer un premier homme dont la demande pour une chaise roulante financée par l’État avait été refusée, puis un second qui ne disposait pas des références médicales nécessaires pour entrer au centre de rééducation. John cherchait ainsi à me présenter la vraie expérience du handicap. Il ne s’agit pas ici de nier l’intérêt ethnographique de ces cas ni les difficultés liées à la déficience dans le contexte sud-africain, mais d’attirer l’attention sur la présentation d’une expérience particulière comme « véritable ». Pour John, les cas les plus critiques représentaient le handicap, appréhendé à travers les expériences de l’oppression, de la pauvreté et de l’isolement social. En d’autres mots, l’expérience authentique du handicap impliquerait nécessairement la souffrance et la pauvreté et ceux qui parviennent à s’extraire de cet état n’appartiendraient pas à la norme. Les cas conçus comme des réussites (success stories) sont alors mentionnés pour démontrer le courage et l’abnégation de ces personnes, dans une perspective populiste complémentaire, ou sont ouvertement exclus de la catégorie des « personnes en situation de handicap ». L’employée valide d’une organisation pour le handicap précisait ainsi :
« Ask Oscar Pistorius, he will not consider himself as having a disability because he can do things I couldn’t. I couldn’t run that fast and so. But he definitely has an impairment you know. What is a disability? What is the definition of disability? What is the definition of impairment? So you have an impairment, but you won’t necessarily have a disability. » (Entretien du 21 février 2014).
Pour rappel, Oscar Pistorius est un coureur amputé des deux jambes. Il est devenu le premier sportif à participer à la fois aux jeux olympiques et paralympiques. Le statut de star d’Oscar, son niveau de vie élevé et la manière dont il avait dépassé sa double amputation pour devenir l’un des hommes les plus rapides du monde le plaçaient hors du champ du handicap stricto sensu pour mon interlocutrice, bien qu’il ait représenté un exemple pour de nombreuses personnes par la même occasion.
Ces différents exemples révèlent deux images très contrastées de l’expérience du handicap. D’un côté, la vice-ministre refusait de reconnaitre les difficultés connues par la population en situation de handicap qui habite les townships et dont les ressources sont limitées, perspective que j’ai qualifiée d’élitiste. De l’autre, Tarryn et John soulignaient les difficultés associées au handicap lorsque les ressources manquent. Selon cette approche misérabiliste, la vraie expérience du handicap est marquée par la souffrance et le manque de recours officiels. Ces interprétations impliquent également des visions différentes de la responsabilité. Pour Hendrietta Bogopane-Zulu, les personnes en situation de handicap étaient seules responsables de leur destin dans un contexte politique jugé suffisamment bienveillant. L’amélioration de leur vie devenait ainsi un problème personnel et l’échec une faute individuelle. À l’inverse, Tarryn et John mettaient en avant les contraintes structurelles qui déterminent leur propre expérience et celle de leurs connaissances. Si le soutien étatique était reconnu, les cas qui tombent hors du filet de la sécurité sociale (safety net23) étaient réappropriés à des fins politiques pour démontrer l’étendue du problème et rappeler ses responsabilités à l’État sud-africain.
Au-delà de l’histoire officielle – qui suppose le passage du modèle médical préféré sous l’apartheid au modèle social adopté par le nouveau régime –, on observe la persistance d’un conflit d’interprétations autour de l’expérience authentique du handicap lorsque le rôle des autorités publiques est abordé. L’origine de cette divergence d’opinions repose finalement sur la définition des obligations de l’État vis-à-vis de ses citoyens, une interprétation favorisant la responsabilité individuelle, l’autre demandant une action sociale plus généreuse. Les deux discours tendent toutefois vers l’homogénéisation de cette expérience. Ce jeu des représentations et les différentes responsabilités étatiques défendues ont entraîné des changements dans le secteur du handicap au cours des dernières années.
La loi de 2015 et le régime des « responsabilités partagées »
Une révision de l’INDS, la stratégie nationale sur le handicap adoptée en 1997, a été souhaitée par le cabinet présidentiel sud-africain dès 2005. Durant le processus de consultation pour définir cette nouvelle législation, plusieurs versions temporaires ont vu le jour. Un premier texte a été publié pour commentaires en 2011et dénommé « Ébauche de la politique nationale sur le handicap » (NDP, Draft of the National Disability Policy). En 2013, un rapport général envoyé à l’ONU a fait le point sur la situation. En novembre 2014, une autre version de la loi a été soumise pour révision et appelée « Politique nationale pour les droits du handicap » (NDRP, National Disability Rights Policy). Finalement, la législation adoptée le 9 décembre 2015 différait encore de ces précédentes versions, sous le terme « Livre blanc pour les droits des personnes en situation de handicap » (WPRPD, White Paper for the Rights of People with Disabilities). Quelles nouveautés ce livre blanc introduit-il?
Tout d’abord, le WPRPD aligne la législation sud-africaine avec la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes en situation de handicap en adoptant sa terminologie entre autres. Ensuite, il établit un cadre coercitif qui manquait à l’INDS. Le texte de 2015 privilégie enfin une approche réaliste des transformations sociales, environnementales et culturelles envisagées, en mentionnant des « adaptations raisonnables » et une « réalisation progressive » de ses objectifs25. Moins qu’un désengagement de l’État, ces notions établissent une distinction juridique entre les actions nécessaires, dont l’absence doit être sanctionnée, et les vœux pieux jugés irréalisables à court terme. Ce faisant, l’accent est placé sur la temporalité des objectifs à atteindre et sur les responsabilités réciproques.
La perspective d’une nouvelle loi ne faisait cependant pas l’unanimité dans le secteur du handicap. Les partisans de la loi, principalement des membres de DPSA, la présentaient comme un outil pour réaliser les changements espérés depuis 1990. En dépit de cet argument, des réticences sont apparues en particulier chez les associations membres de SADA, mais aussi parmi les adhérents de DPSA. Ces réfractaires soutenaient que les précédentes législations n’étaient pas en cause et doutaient que la nouvelle loi échappe aux difficultés rencontrées dans l’application des mesures précédentes, à savoir les limites budgétaires et à la dissolution des responsabilités. Pire à leurs yeux, cette initiative qui requérait de nombreuses réunions de préparation gaspillait de l’argent et du temps qui auraient pu servir à renforcer les mesures existantes. Une autre critique se référait au principe d’inclusion, mis à l’agenda du secteur depuis les années 1980 : la création d’une législation spécifique sur le handicap contredisait cet objectif en séparant légalement les personnes en situation de handicap et les personnes valides. Par conséquent, les sceptiques craignaient un renforcement de la ségrégation ou un arrêt des débats menés dans d’autres ministères. Pour la majorité, cette mesure représentait plus une tentative de légitimation de DPSA qu’une avancée politique. Enfin, des positions mitigées se manifestèrent : sans rejeter un renouvèlement du cadre législatif, ces acteurs souhaitaient discuter plus exactement la nature de ce changement. L’un d’entre eux m’a expliqué ses doutes face à la reproduction de l’ADA, un texte antérieur à la majorité des décrets sud-africains.
Les reformulations successives de la loi ont apaisé ces réticences. La disposition finale développe les mesures de l’INDS de 1997 tout en établissant des temporalités claires pour chacune des actions proposées. La notion de responsabilité, qui apparaissait sporadiquement dans les versions temporaires, y fait l’objet d’une véritable synthèse : une section distincte précise les rôles attribués à un ensemble d’acteurs – autorités gouvernementales, associations, familles, communautés religieuses, médias, entreprises, etc. En outre, pour assurer et évaluer la poursuite effective de ce plan d’action, un dispositif de rencontre entre différents acteurs étatiques et un petit nombre de représentants du secteur associatif a été établi sous le nom de Disability Machinery. La première réunion de ce comité s’est tenue en mars 2017. Cette date est trop récente pour en documenter les résultats concrets.
Dans ce cadre, je m’intéresse à deux principes présents dans le texte de 1997 et renforcés par le WPRPD : (a) l’attribution de devoirs comme contreparties des droits reconnus aux personnes en situation de handicap et (b) le transfert des services institutionnels aux « communautés ». À travers cet exposé, je souhaite montrer que, en dépit d’une parenté avec l’INDS de 1997, la nouvelle législation redéfinit les rapports entre l’État et le secteur du handicap dans une perspective libérale.
Les devoirs comme corolaires des droits reconnus
L’INDS de 1997 affirmait qu’au-delà de leurs droits, les personnes en situation de handicap détenaient des obligations égales à celles des autres citoyens. Par conséquent, « society must raise its expectations of people with disabilities » (Office of the President 1997: 15). Cette idée des responsabilités ou des obligations des personnes en situation de handicap vis-à-vis de la société était réaffirmée dans les différentes versions de la nouvelle loi. En 2011, le NDP parlait de « la responsabilité de transformer la société » qui incombait aux personnes atteintes de déficience et, par extension, aux différentes organisations du secteur. Le NDRP de 2014 reprenait ces droits et ces devoirs des personnes en situation de handicap, mais répartissait les responsabilités entourant le handicap entre les contractants de l’État selon un « pacte social » promouvant la Transformation : Le texte de 2015 adhère à cette logique tout en spécifiant les différents droits à pourvoir : les droits de l’homme, politiques, sociaux, économiques et culturels, qui possèdent tous leur contrepartie.
Le WPRPD rappelle en outre que l’État est constitutionnellement tenu d’assurer un contexte favorisant l’action citoyenne; en tant que régulateur, le gouvernement doit mettre à disposition de ces citoyens en situation de handicap un environnement capacitant. Les politiques des responsabilités partagées ne supposent donc pas un désengagement total de l’État, ni « la mort du social » comme le souligne très bien Nikolas Rose. Elles induisent plutôt une redéfinition du rôle des pouvoirs publics ainsi qu’une « reconfiguration de la compréhension et de l’organisation » du social (1996 : 329). Dans le WPRPD, l’État sud-africain se pose comme régulateur ou metteur en scène. Sa tâche consiste à définir les rôles des différents acteurs. Seul, il ne peut assurer ces droits, qui nécessitent une action coordonnée ainsi qu’une participation active des bénéficiaires et de leurs représentants.
Selon ce pacte social – idée non mentionnée dans la version de 2015, mais qui semble néanmoins la soutenir –, le citoyen doit à la fois revendiquer son autonomie et utiliser celle-ci pour participer à la vie sociale, politique et culturelle du pays: Ici, les opportunités et le soutien offerts aux personnes en situation de handicap supposent une action en retour au sein de la société, une participation. Cela implique une logique d’autonomisation (empowerment) déjà présente dans le RDP mis en place par l’ANC dans les années 1990. Dans cette perspective, « development is not about the delivery of goods to a passive citizenry. It is about active involvement and growing empowerment » (ANC, cité dans Pieterse 2008 : 70). Cette approche individualise le sujet, perçu comme un acteur responsable, autant que les autres sinon plus, de sa propre vie. Le WPRPD participe donc d’un « gouvernement des conduites » qui transforme les processus d’exclusion (Rose 1996 : 340). Si autrefois la protection sociale définissait le mérite de ses bénéficiaires à partir de leur incapacité au travail, le WPRPD définit celui-ci par l’action du citoyen dans sa communauté, la recherche de formation ou de travail, ainsi que l’investissement personnel.
La notion de participation telle qu’utilise dans la sphère politique reste cependant critiquée en Afrique du Sud pour sa définition restreinte et utilitariste (Pieterse 2008), qui se résume à une représentation par des structures professionnelles, les associations du secteur du handicap dans ce cas. Si le citoyen n’est donc pas automatiquement conscient de la nécessité de sa participation, les organisations sont appelées à agir en son nom. Qui plus est, elles ont pour mission de rappeler à leurs membres leurs devoirs envers la société sud-africaine. En effet, l’absence d’utilisation des capacités promues par le gouvernement indique une lacune dans le processus d’autonomisation du point de vue étatique. Les organisations ont donc la responsabilité de mobiliser et d’autonomiser leurs membres Selon cette logique, les responsabilités sociales, étatiques, communautaires et individuelles se renforcent mutuellement, chaque acteur ayant la capacité et le devoir de rappeler à l’ordre ses partenaires. Pour ce faire, la loi veut d’abord consolider les formes légales de recours en garantissant l’information, l’accès à la justice, l’égalité face à la loi et le développement de recours alternatifs.
La disability machinery est conçue dans cet objectif: elle offre une plateforme de rencontre au sein de laquelle les organismes de l’État doivent rendre des comptes aux associations. Ce dispositif participe ainsi de la création d’« espaces encouragés » de mobilisation (invited space) tels qu’ils sont décrits par Faranak Miraftab (2004a). Pour cet auteur, des espaces légitimés par l’État permettent de contenir la confrontation et, en contrepartie, de criminaliser les revendications portées en dehors de ces lieux prédéfinis, au sein de ce que Miraftab qualifie d’« espaces inventés » de mobilisation (invented space). Parallèlement la disability machinery centralise et rassemble les demandes du secteur du handicap. Par conséquent, si les associations nationales sont relativement heureuses de cette innovation, la voix des petites organisations locales risque de souffrir de leur exclusion au sein de ce mécanisme.
En identifiant les bénéficiaires de son programme, le WPRPD s’appuie sur la communauté du handicap. Cette politique identitaire suppose une identification à la communauté, qui doit être rappelée ou introduite dans l’esprit de ces membres. Ce rôle est attribué par l’État aux différentes organisations du handicap. Toutefois, le législateur réfute toute homogénéisation de l’expérience de la déficience et reconnait la singularité des expériences individuelles :
Cette approche mobilise un modèle social tempéré : si les causes sociales et environnementales sont au centre de la législation, la diversité des expériences prises en compte relève surtout des caractéristiques physiques. Néanmoins, pour faciliter le travail administratif, le texte introduit à nouveau des catégories dont il rappelle la vulnérabilité – les femmes en situation de handicap, les enfants, les habitants de zones rurales, etc. Dès lors, la capacité à appliquer de manière flexible ce nouveau cadre législatif reste à découvrir et il paraît probable que le WPRPD, comme l’INDS avant lui, se contente de subdiviser la communauté du handicap en différents groupes selon les programmes mis en œuvre.
Le développement des services communautaires
Une seconde disposition liée aux principes de participation et d’autonomisation suppose le transfert des services institutionnels vers la communauté – ici comprise dans son acception territoriale. J’étudie ce principe à travers le cas des résidences spécialisées. Comme pour beaucoup de services dédiés aux personnes en situation de handicap, le nombre de ces centres a augmenté à la fin de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale. Mais une critique internationale de l’institutionnalisation est apparue à partir de 1960. L’entrée dans un centre était alors vécue comme une perte de liberté individuelle face à la logique institutionnelle autoritaire (voir Goffman 1968). La ségrégation des résidents avec le reste de la société participait à la claustration et au silence autour du handicap (Desjardins 2002 : 3), entraînant la « mort sociale » des résidents (Barnes 2003 ; Luborski 1994). Une expérience identique a été vécue par de nombreux Sud-Africains. Muwuso se rappelait son propre refus de l’institutionnalisation après son accident de voiture en 1979 :
L’institutionnalisation en Afrique du Sud était donc également ségrégée dans les années 1970.
En 1997, l’INDS reprit ces critiques des institutions comme lieux d’isolement et de décharge (dumping) (Office of the Deputy President 1997 : 52). Ségrégationnistes, ces centres reproduisaient les principes de l’apartheid non plus sur base raciale, mais à partir des fonctions du corps et de l’esprit. L’INDS privilégiait donc l’intégration au sein de la société et définissait la Vie autonome comme.
Toutefois, si la désinstitutionnalisation de la prise en charge était clairement prônée par cette stratégie nationale, la manière de réaliser cette intégration était peu documentée. Le document reconnaissait seulement le poids de la déficience sur l’ensemble du groupe familial et soulignait les difficultés rencontrées par les femmes en situation de handicap, durant la maternité ou la création d’un foyer, ainsi que le rôle important des grand-mères dans l’éducation des enfants, surtout dans les milieux ruraux (ibid. : 9).
À l’heure actuelle, le WPRPD réaffirme ce principe de vie en communauté. À nouveau, les résidences spécialisées y sont perçues comme un mal nécessaire pour la prise en charge des personnes atteintes de troubles corporels sévères, dont l’hospitalisation est jugée trop onéreuse (Office of the Premier 2002: 65). Ces centres ne représentent donc qu’une situation temporaire, jusqu’à ce que l’idéal de la vie en communauté puisse être réalisé. Mais là encore, la manière d’y parvenir n’est pas très explicite. Par exemple, la version de 2011 statuait que les communautés détenaient en elles-mêmes la capacité à répondre à leurs propres besoins (NDP 2011 : 43). En 2014, le texte mettait en évidence le besoin de prendre en compte les véritables coûts de la déficience pour le noyau familial (DSD 2014 : 20) ainsi que d’améliorer les services de protection de la famille. Ces quelques nouveautés sont accentuées dans le texte finalement promulgué en 2015. L’un des piliers du Livre blanc soutient une vie en communauté intégrée et durable. Cinq axes y sont identifiés : (1) construire la cohésion sociale des communautés et des quartiers, (2) construire et soutenir les familles, (3) favoriser l’accessibilité des quartiers et des logements, (4) permettre l’accès à des services communautaires qui soutiennent la vie autonome et (5) offrir une protection supplémentaire durant les situations de crises et les désastres (DSD 2015 : 72). Plusieurs problèmes persistent néanmoins du point de vue économique, mais aussi dans le portrait des familles et des résidences tel qu’il est dépeint dans la législation.
Premièrement, la défense de la vie en communauté par l’État possède une dimension économique non négligeable. Si les pouvoirs publics financent l’allocation sociale de handicap dans toutes les situations, une somme complémentaire est versée aux établissements qui accueillent des bénéficiaires des allocations – 2147 ZAR par résident et par moi en 2014. Il existe bien une allocation pour les aidants à temps plein dans le milieu familial – 300 ZAR –, mais celle-ci est peu promue par l’Agence sud-africaine de sécurité sociale (SASSA, South African Social Security Agency). Le renvoi dans les familles diminue donc les dépenses publiques en déléguant la charge de la déficience à la population. Sans les appuis nécessaires, cette idéologie pourrait restreindre le problème du handicap à un problème individuel qui doit être géré en famille. Le WPRPD se défend néanmoins de rejeter le problème sur les familles en proposant un « plan pour atténuer les responsabilités familiales en termes de soins et de support » (DSD 2015 : 75), mais il ne le détaille pas.
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Table des matières
Liste des principaux sigles et abréviations
Lexique
Liste des tableaux, des figures et des images
Avant-propos
Introduction générale
1. La déficience sous l’angle de la subjectivité
1.1 De quel corps parle-t-on ?
1.2 La citoyenneté en question face à la déficience
1.3 Les sociabilités à l’épreuve de la déficience
1.4 Le récit de soi au-delà de la rupture biographique
1.5 Subjectivité et responsabilités
2. Saisir la citadinité postapartheid
2.1 De la race à la citadinité
2.2 La reconfiguration des politiques sociales
2.3 La déficience en Afrique du Sud : interroger le rôle de la violence
2.4 Ethnographier l’ordinaire
3. Plaisir et doutes de l’observation participante
3.1 L’entrée sur le terrain
3.2 L’observation participante à partir des associations
3.3 Une recherche située
Chapitre 1 Les politiques sociales du handicap
1.1 Du problème individuel à la responsabilité sociale dans un État ségrégationniste
1.1.1 Le handicap en termes de rééducation et de compensation
1.1.2 DPSA et le modèle social du handicap
1.2 Le modèle social érigé en paradigme national
1.2.1 1990-2004 : Le handicap sous l’angle des droits de l’homme
1.2.2 La fin des années 2000 : La Transformation compromise
1.3 La loi de 2015 et le régime des « responsabilités partagées »
1.3.1 Les devoirs comme corolaires des droits reconnus
1.3.2 Le développement des services communautaires
1.3.3 Une nouvelle politique ?
1.4 Les associations comme prise de responsabilité collective
1.4.1 La provision de services en réponse au déficit étatique
1.4.2 La mobilisation : Insurrection ou coopération ?
1.4.3 La promotion de la diversité comme rejet des politiques identitaires ?
1.5 Conclusion
Chapitre 2 Gagner sa vie avec une déficience
2.1 De la protection sociale
2.1.1 L’évolution de la protection sociale depuis 1990
2.1.2 De l’examen médical à la procédure administrative
2.1.3 Les politiques de création d’emploi
2.1.4 La justice distributive dans l’opinion publique
2.1.5 Un impact des aides sociales sur le taux d’emploi ?
2.2 Les revenus du handicap
2.2.1 Le profil socio-économique des personnes en situation de handicap
2.1.1 Les dépenses journalières
2.1.2 Les trajectoires professionnelles à travers les récits de vie
2.1.3 Le rôle de la déficience dans les parcours individuels
2.2 Conclusion
Chapitre 3 La solidarité à travers les itinéraires résidentiels
3.1 Logement et accès à la propriété en Afrique du Sud
3.1.1 Les politiques de logement
3.1.2 Logement et politiques de discrimination positive
3.2 Responsabilités et reconfigurations familiales
3.2.1 Les reconfigurations familiales face à la déficience
3.2.2 De l’aide à l’interdépendance
3.3 Maisonnée et logement
3.3.1 Du confort : entre accessibilité, sécurité et réseau social
3.3.2 Le logement individuel, source d’autonomie et de respectabilité
3.3.3 La vie en famille, entre inclusion et exclusion
3.4 Conclusion
Chapitre 4 Négocier les rapports de genre,
4.1 Handicap et sexualité : des stéréotypes persistants
4.1.1 La désexualisation du handicap
4.1.2 Une sexualité ‘à risque’
4.1.3 L’affirmation d’une sexualité épanouie
4.2 Former un couple
4.2.1 Le couple exogame, du désir à la méfiance
4.2.2 Et l’endogamie ?
4.3 Le couple comme construction du futur
4.3.1 L’amour et le soutien financier comme moteurs de l’engagement féminin
4.3.2 Entre vie de famille et séduction, le dilemme masculin
4.4 Devenir parent
4.4.1 Les enfants de sang et de nom
4.4.2 Les enfants « du quotidien »
4.5 Conclusion
Chapitre 5 La mobilité
5.1 Se déplacer en chaise roulante
5.1.1 L’isolement social, conséquence inéluctable de la déficience locomotrice ?
5.1.2 Du rythme et de l’écologie de la chaise roulante
5.1.3 De la bonne utilisation de la chaise roulante
5.2 Les alternatives à la chaise roulante
5.2.1 La voiture particulière, une preuve de statut social
5.2.2 De l’importance du réseau social
5.2.3 Un mode de transport spécialisé : le cas de Dial-A-Ride
5.2.4 Taxis et trains : de la cohabitation à la personnalisation
5.2.5 MyCiti Bus : une solution entre-deux ?
5.2.6 Du township à la ville
5.3 La mobilité au coeur de l’inclusion
5.3.1 Les noeuds de sociabilité
5.3.2 Les nouvelles technologies comme palliatifs du manque de mobilité
5.4 Conclusion
Chapitre 6 Vivre avec un handicap
6.1 La blessure médullaire comme rupture
6.1.1 L’annonce de la déficience
6.1.2 La réadaptation
6.1.3 Le retour en famille et l’abandon de soi
6.1.4 Un récit de rupture
6.2 L’acceptation du handicap
6.2.1 Les conflits d’interprétations des différents registres du care
6.2.2 Se familiariser avec un nouveau corps et ses objets
6.2.3 La présentation de soi
6.2.4 Le développement d’une expertise personnelle
6.2.5 L’acceptation comme processus et travail sur soi
6.3 Trouver un sens à la déficience
6.3.1 Le genre dans l’attribution de la faute
6.3.2 La déficience, occasion de rédemption
6.3.3 L’acceptation comme renaissance
6.4 Les conséquences de l’acceptation
6.4.1 L’indicibilité de la perte
6.4.2 L’espoir incertain de la guérison
6.4.3 Un modèle médical normatif
6.4.4 La responsabilisation individuelle
6.5 Conclusion
Conclusions générales
Bibliographie
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