Du patrimoine littéraire à la transmission des valeurs dans l’enseignement

Évolution du patrimoine en France

                En partant de son origine latine, nous pouvons dégager les différents sens que revêt le mot patrimoine. Comme nous l’explique Violaine Houdart-Merot (2015, p.31), il tire son origine du latin patrimonium qui désignait les biens matériels détenus par le pater familiae. Ce mot s’étend ensuite aux biens collectifs en prenant le sens de biens appartenant à une collectivité ; pour finir, il développe le sens symbolique de biens immatériels. Son sens figuré apparaît pour la première fois en 1790, suite à la révolution française, lorsque les biens de l’église et des grandes familles françaises sont détruits. Afin de préserver ces biens, Violaine Houdart-Merot nous indique (2015, p.33) qu’un décret est publié en ce sens, le 18 février 1795, par le président de la commission des Arts, Jean-Baptiste Matthieu qui déclarait alors : Les richesses immenses de ce genre [dessin], éparses chez les émigrés, […] se réuniront dans des musées nationaux et offriront l’ensemble le plus intéressant, et pour les élèves qui voudront se former dans les arts et pour le peuple français, devenu seul propriétaire de ces ouvrages de génie. (JeanBaptiste Mathieu, Décret du 18 décembre 1795, passage cité par André Chastel, « La notion de patrimoine », p.1438) Dans cette déclaration, il apparaît qu’au-delà de son sens de bien, la notion de patrimoine intègre d’autres problématiques. Tout d’abord, il est associé à l’idée de préservation des biens, qui nous questionne également sur les modalités de préservation : quels sont les critères ? Doit-on oublier un certain pan de notre patrimoine ? De plus, nous voyons que le patrimoine  touche de près à la didactique puisqu’il est clairement défini ici comme modèle pour les générations futures. Enfin, en alliant le « peuple français » à ces « ouvrages de génie », le discours du président de la commission des Arts, Jean-Baptiste Matthieu, met un autre sème en filigrane, l’idée qu’un bien culturel est fortement lié à la question de l’identité. Le début du XIXe prolonge cette amorce à travers la création d’organismes visant à préserver le patrimoine monumental et artistique. Cependant, c’est en 1880 que le patrimoine fait ses premiers pas dans son usage scolaire (Houdart-Merot, 2015, p. 35). Celuici est accompagné d’une remise en cause du modèle éducatif d’alors, reposant sur la rhétorique et l’apprentissage des langues anciennes. Ainsi émerge le concept de « littérature patrimoniale », une littérature axée sur les auteurs français et ayant pour rôle « l’éducation morale, la formation du goût et de l’esprit » (Houdart-Merot, 2015, p.34). Les années 1968 inscrivent de profondes mutations dans la société française et le monde l’éducation est le premier touché ; c’est à partir de cette date que la notion de patrimoine littéraire est totalement rayée des instructions officielles et ce, à travers le parti pris de ne fournir aucun programme aux enseignants. En 1981, une liste d’auteurs indicative illustre l’amorce d’un retour du patrimoine dans les programmes, puis, à partir de 1992, le patrimoine réapparaît à travers la lettre aux enseignants du ministre Jack Lang. Ainsi, depuis les années 2000, les programmes se voient marqués par la résurgence ponctuelle de cette notion (Houdart-Merot, 2015, p.41).

Historicisation du patrimoine

             Notre analyse de l’évolution du patrimoine en France nous permet de voir les différents cheminements de cette notion. Cependant il semble qu’une constante s’établit à partir de la seconde période, c’est à dire celle qui commence au milieu du XIXe, à travers des figures comme Gustave Lanson. En effet nous assistons à une « historicisation de l’enseignement de la littérature » (Denizot, 2015, p.114). Les œuvres littéraires sont peu à peu assorties d’un discours d’escorte tel qu’on peut le voir dans les manuels Lagarde et Michard. Cette historicisation de la littérature perdure jusqu’à aujourd’hui : [L’histoire littéraire et culturelle] doit permettre aux élèves de découvrir l’héritage culturel dans lequel ils vivent. Elle les aide à comprendre le présent à la lumière de l’histoire des mentalités, des idéologies et des goûts, saisie dans la lecture des textes. (Houdart-Merot, 2015, p.41) Or, ce que soulignent les programmes, ce n’est pas l’intérêt esthétique d’une œuvre littéraire mais son intérêt dans la construction du sens critique et d’une l’identité sociale. L’histoire littéraire enseignée suppose une sélection de ce fameux patrimoine, aucune indication n’est donnée quant aux finalités. Les idéologies, les goûts, les mentalités, autant d’articles définis ayant pour seul point commun de n’avoir absolument aucun référent. Il est intéressant de noter que tout ce processus d’historicisation du patrimoine littéraire se renforce au cours des années 1880-1890, dates qui marquent la défaite de la France face à la Prusse. En remontant en amont, nous allons voir que le patrimoine littéraire répond à un processus de restauration qui implique également la thèse de la mort de la littérature pour reprendre l’expression de Marc Fumaroli2 et par extension la mort de la littérature française. La mort de la littérature s’explique par plusieurs points développés par Fumaroli, tout d’abord cette thèse accompagne celle de la mort de la civilisation moderne (occidentale) nourrie encore de nos jours par de nombreux écrivains. Marc Fumaroli développe également l’idée selon laquelle la littérature est intimement lié à la mode et ce « qui dit  »mode » dit tacitement substance3 », la littérature transformée ainsi en organisme revêt un caractère mystique, une entité autonome certes mais, par la même occasion, mortelle. Le dernier point le plus important de cette thèse est le constat d’une rupture dans la littérature contemporaine à Fumaroli, par opposition aux écrivains d’avant-guerres : C’est que le choix formel d’un Bonnat et d’un Cézanne, d’un Sainte-Beuve et d’un Proust, ont eu lieu en définitif sur fond d’une même culture plastique ou littéraire, et la distance spirituelle qui sépare leurs univers est d’autant plus saisissante qu’ils avaient, les uns et les autres, médité les mêmes chefs d’œuvres, partagé les mêmes disciplines académiques et rhétoriques, la même mémoire. En axant la littérature dans un processus de restauration, le patrimoine littéraire voit sa finalité pédagogique transférée vers un domaine plus vaste mais aussi plus flou : celui de la culture identitaire.

La polysémie du terme de « valeur »

               Comme nous l’avons évoqué précédemment, la transmission des valeurs est souvent corrélative à l’institution d’une morale, qui soulève un certain nombre de problèmes éducatifs. Or, les valeurs posent elles-mêmes question dans la mesure où le terme désigne des réalités très hétérogènes. On ne relève pas moins de quatorze définitions du mot dans le Larousse. On peut néanmoins retenir deux grandes orientations. D’une part, il peut être employé de manière neutre, pour désigner le caractère mesurable de ce qui peut être échangé. D’autre part, il revêt de nombreuses utilisations axiologiques. En effet, on peut définir le mot comme un synonyme de qualité quand il dénote une appréciation, une estimation positive et plus précisément comme « tout ce qui est axiologisé positivement par le sujet » (Leclaire- Halté, 2014, p. 5). On retrouve dans cette définition les notions de bien et de subjectivité qui soulignent la relativité des valeurs. Il est possible de donner un sens plus fort en estimant que la valeur est « ce qui vaut la peine, ce qui mérite qu’on lui sacrifie quelque chose » (Reboul, 1989, cité par Dupeyron, 2016, p. 206). La valeur ne désigne plus seulement le caractère de ce qui est apprécié mais de ce qui pousse au sacrifice. De ce fait, la portée subjective est encore plus grande puisqu’elle engage l’intégrité de l’individu. Enfin, la valeur peut être perçue comme un référent qui permet d’évaluer une situation et comme un idéal à poursuivre. Elle constitue alors à la fois le moyen et le but du comportement de l’individu (cf. Terraz, 2016, p. 46). Le terme de valeur étant très polysémique, comme nous venons de le montrer, il est difficile de déterminer ce que l’école doit transmettre concrètement : est-ce la notion du bien et du mal ? Des sentiments élevés qui engagent le sacrifice si nécessaire ? Des outils de réflexions ? Des buts à atteindre ? A ces interrogations s’ajoute la diversité des valeurs définies comme des concepts « posés comme vrai[s], beau[x], bien[s], d’un point de vue personnel ou selon les critères d’une société et qui [sont] donnés comme un idéal à atteindre, quelque chose à défendre .

Les valeurs sont liées à la pratique

                  Les valeurs sont liées à l’instance collective mais s’incarnent dans des individus, elles n’ont pas d’existence en elles-mêmes et ne peuvent être envisagées comme de purs concepts. Pour le professeur, la simple connaissance des principes de la République comme l’égalité, la liberté ou la fraternité, ne suffit pas à leur application. En effet, la morale est aussi une question de pratique et se définit avant tout par l’action (cf. Dupeyron, 2016, p.199-200). En éducation, on s’interroge le plus souvent sur les valeurs de la manière suivante : « quelles valeurs transmettre ? » ou « selon quelles valeurs éduquer ? ». Or ces questions mènent à deux types de réponse. La première consiste à analyser les valeurs et à démontrer leur importance. Ainsi, elles sont considérées comme existantes en elles-mêmes, comme substantielles. Cela suit plutôt la logique de l’impératif kantien qui ne prend que peu en compte l’aspect pratique de la morale et donc la nécessité de s’adapter à chaque situation. La deuxième réponse, celle du relativisme, montre que ces questions n’ont pas de sens ou cachent le projet de promouvoir certaines valeurs de manière arbitraire. On estime alors qu’il n’y a pas de caractère objectif des valeurs, elles sont totalement dépendantes du contexte et donc se valent toutes et aucune n’a plus de valeur éducative qu’une autre (cf. Gégout, 2016, p. 267-268). Il s’agit alors, comme le propose Gégout, de trouver une réponse du juste milieu qui, sans renoncer à la hiérarchisation des valeurs, n’en fasse pas des abstractions impuissantes à s’adapter aux situations.

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Table des matières

Introduction
I- Le Patrimoine littéraire
1. Approche historique du patrimoine littéraire
1.1. Évolution du patrimoine en France
1.2. Œuvres patrimoniales et classiques
1.3. Le processus de patrimonialisation
2. Le patrimoine littéraire et l’histoire
2.1. Historicisation du patrimoine
2.2. Patrimoine littéraire et construction historique
2.3. Le patrimoine littéraire : une quête d’identité
3. Les divergences autour du patrimoine littéraire
3.1. Universalité et hermétisme du patrimoine
3.2. Modernité et passé : les deux quêtes oxymoriques du patrimoine
II-Les valeurs et la morale à l’école
1. Polysémie des termes de  »morale » et de  »valeur »
1.1. La morale
1.2. La polysémie du terme de « valeur »
1.3. Des valeurs fluctuantes
2. Le rôle des professeurs dans la transmission des valeurs selon les programmes
2.1. Le rôle privilégié du professeur de français
2.2. Le programme d’éducation morale et civique
3. Des valeurs non substantielles
3.1. Les valeurs sont liées à la pratique
3.2. La conception pragmatiste de la valeur
III-Formulation de notre question de recherche
1. Présentation de la séquence expérimentale
1.1 Détail des séances
2. Le recueil de données et démarche d’analyse retenue
2.1. Présentation des données sélectionnées pour l’analyse
2.2 Critères retenus pour analyser les trois débats sélectionnés
IV. Présentation des résultats
1. Résultats globaux
1.1. La participation des élèves
1.2. Intervention de l’enseignante
2. Résultats détaillés des débats
2.1. Macroanalyse des débats
2.2. Microanalyse : les valeurs discutées
2.3. Les supports d’arguments des valeurs
2.4. Les marques de modalisations dans l’ensemble du débat
3. Analyse des résultats
3.1. Les capacités discursives de l’élève
3.2. Discussion des valeurs
3.3. Débat sur les textes et positionnement éthique des élèves
V-Conclusion
VI-Bibliographie
VII-Annexes
I- Retranscription des débats
1. Débat n°1 : Boitelle, Maupassant
2. Débat n°2 : Incendies, Wajdi Mouawad
3. Débat n°3 : Alceste, Euripide
II- Déroulé de séquence
2.1. Objectifs de séquence
2.2. Tableau de séquence
2.3. Déroulé de séances
III- Corpus
I. Article de presse
II. Dessin de presse
III. Tirade des non merci Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, 1897
IV. Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges,1791
V- Le chien et le loup, Les Fables, Livre I, Jean de La Fontaine
VI- Boitelle, La Main gauche, Maupassant, 1889
VII- L’éducation d’un prince, Marivaux, 1754
VIII- Incendies, Wadji Mouawad, 2003
IX- Alceste, Euripide

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