Histoire du féminisme
Il est difficile de dissocier l’idée de féminisme de l’histoire de la femme, l’une influençant l’autre. En effet, la femme a été décrite, théorisée et donc éduquée par la pensée masculine, ce depuis l’Antiquité. L’éveil des consciences féminines, s’interrogeant sur les rapports de domination masculine et d’infériorité féminine, amène les femmes à se penser, à comprendre leur place, leur rôle, à conquérir un pouvoir, une forme d’action qui permettrait à leur condition d’évoluer. C’est alors que naît l’idée de « féminisme ».
Le terme de « féminisme » se définit, d’après le Trésor de la Langue Française Informatisé comme «mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique». Longtemps attribué au philosophe français du XVIIIe siècle, Charles Fourier, cette «doctrine» ou «idéologie» aurait plutôt été emprunté à Alexandre Dumas fils, dans son œuvre intitulée L’Homme-femme écrit en 1872. La notion de féminisme ne prend cependant son sens actuel qu’au XIXe siècle, bien que ses idées prennent leurs racines dans le siècle des Lumières, pouvant même se réclamer de mouvements plus anciens. En effet, même si le terme de «féminisme» n’apparaît que récemment, une réflexion sur la condition féminine existe bien avant le XIXe siècle. Ces différents mouvements sont regroupés sous la dénomination de proto-féminisme. Les féministes du XXe siècle s’inspirent d’écrivaines comme Christine de Pisan, « première des femmes européennes connues à avoir vécu de sa plume avec la mythique Sappho ». Son œuvre, produite principalement entre 1399 et 1413, est très étendue et variée, allant de la poésie courtoise aux traités politiques et aux pièces religieuses. Première femme à avoir vécu de sa plume, elle affirme son engagement moral dans la défense de la dignité des femmes et l’apologie de leurs capacités, bien que cela ne l’amène pas à remettre en cause la répartition traditionnelle des rôles sociaux. Réfutant les allégations misogynes du Roman de la Rose de Jean de Meun, elle contribue au déclenchement d’une querelle qui lui permet de s’imposer comme une écrivaine de premier plan.
La femme, vue alors plus souvent comme tentatrice, elle contribue à changer cette image en décrivant la femme comme inspiratrice, comme dans l’Epistre d’Othéa (vers 1401), ou bien comme un moyen de ramener la paix sur terre dans Livre du chemin de long estude (1403). La Cité des Dames est l’œuvre la plus flagrante en ce qui concerne ces idées défensives sur la femme.
Le féminisme et la question du genre ultra-contemporains
Les travaux féministes dans années 1970 se basent sur des comparaisons binaires femme/homme, que l’on retrouve chez Simone de Beauvoir et dans les écrits français. La décennie suivante critique ce système de pensée universaliste limitant la définition de la femme et s’orientant alors vers la question du genre essentiellement étudiée dans les œuvres américaines.
En 1990, Judith Butler écrit Trouble dans le Genre, œuvre qui ne sera traduite en français qu’en 2005. L’auteure réécrit Le Féminisme et la Subversion de l’Identité, comme précise le sous-titre. Ce livre est la base des Gender Studies, ou Études du Genre, peu abordées en France. Judith Butler propose aussi une théorie queer montrant que l’identité féminine peut sortir des idées sur la féminité et renouvelant le genre.
Puis en 2004, Judith Butler écrit Défaire le Genre pour souligner l’importance de la construction culturelle de soi et celle de la notion de genre pour découvrir une nouvelle humanité. « Le genre est le dispositif par lequel le masculin et le féminin sont produits et normalisés en même temps que les formes hormonales, psychiques du genre. Considérer que le terme « genre » se réfère toujours au « masculin » et « féminin » revient à passer à côté du point critique du binarisme. Le genre est le mécanisme par lequel les notions de masculin et de féminin sont produites et naturalisées, mais il peut être le dispositif de ces termes qui sont déconstruits et dénaturalisés. »
En 2006, Mona Chollet rédige Beauté Fatale98 et fait le constat de la féminité et l’image de la femme dans la société française, qui semble avoir bien oublié les luttes féministes du siècle dernier.
L’image de l’adolescente à la femme
Le mot « adolescent » apparaît en France au XIVe siècle mais il était déjà employé dans l’Antiquité pour désigner le jeune homme. « L’adolescent », ne définissant que les garçons, est une personne âgée de 17 à 30 ans jusqu’à l’Ancien Régime, les deux siècles avant la Révolution française de 1789. Michel Fize199 délimite l’adolescence comme la période entre l’enfance et la jeunesse, se déroulant de 12 à 20 ans. L’approche historico-sociologique met en avant moins «un âge de transition» qu’un état social et culturel, moins le «singulier» adolescent que le «pluriel» générationnel. Les bornes identificatoires ne sont alors plus pubertaires mais culturelles et sociales.» De nos jours, l’adolescence commence vers 10 ans environ et se termine au collège. Puis la « jeunesse » débute au lycée. La définition de cette période transitoire entre l’enfant et l’âge adulte se modifie à chaque époque, à chaque évolution des mentalités sur l’identité. En effet, grâce à la connaissance de soi et des autres et surtout grâce à l’ouverture des études psychologiques, humaines et sociales.
La question sur l’identité se manifeste et devient préoccupante à l’adolescence par l’apparition de signes sexués comme les seins ou les poils. Mais l’essentiel réside dans l’analogie de la construction de soi et de la continuation de la vie, dans cette insondable multiplicité d’identités sexuées possibles. Les changements corporels et psychologiques finalisent l’identité, qui apparaissait déjà à l’enfant comme sienne et fait sortir la fille et le garçon de l’androgynie infantile. Vinca, le principal personnage féminin du Blé en Herbe, représente bien cette androgynie infantile.
Le pouvoir de l’écriture selon Beauvoir, Colette et Butler
Beauvoir : une écriture du sens
Simone de Beauvoir écrit sur toutes les nuances de la nature humaine. En jouant avec tous les genres littéraires, elle donne naissance à une utopie réaliste et sensée dans le but que chaque individu puisse trouver sa place, son sens dans l’existence. Partager les détails de sa vie lui permet de vivre de manière plus authentique. Ce besoin d’être naturelle fait ressortir son obsession de renverser le monde. Elle réinvente alors l’écriture et sa sémantique pour se créer et élaborer l’image de la femme libre et indépendante.
Beauvoir est une femme engagée et met en place toute sa force pour l’écriture, sa vie, ses amours, ses idéaux, ses revendications afin de démontrer que la femme peut être épanouie, poser un regard sur elle-même et la société. Son style littéraire s’oriente alors vers une quête du sens existentiel libérateur.
« En 1946, Simone de Beauvoir, en tant que philosophe et essayiste, défendait une théorie de l’écriture qui associe étroitement la philosophie à la littérature : l’expérience que nous livre le romancier s’avère complémentaire du travail de reconstruction intellectuelle auquel le philosophe se consacre…Il convenait donc de faire place nette et de mettre un point final à cette inflation du langage que le suffrage des femmes avait attisée. L’exposé de la morale existentialiste avec sa théorie du sujet « qui ne se pose qu’en s’opposant », et réciproquement, lançait le débat sur de nouveaux rails. En remettant dans les mains des femmes l’accomplissement de leur liberté, en dénonçant tous les amalgames entre groupes minoritaires et différence des sexes, amalgames qui obstruent toujours notre scène politique, elle ne laissait au concept de différence aucune chance de fructifier. Mais ce recours à la philosophie existentialiste, aussi radical soit-il, ne suffisait pas. Son ambition ne se limite pas à apporter des preuves ; elle veut persuader le lecteur, l’embarquer dans des développements imprévus, sachant que, sur ce sujet plus qu’un autre, il fallait vaincre des résistances, des habitudes.
La littérature était le vivier idéal d’où elle pouvait prélever des morceaux de subjectivité, des expériences irréductibles. »
Colette : L’Écriture et la nécessité
De la littérature de Simone de Beauvoir à celle de Colette, il n’y a qu’un pas. En effet, l’auteure du Deuxième Sexe franchit ce pas en citant l’auteure du Blé en Herbe dans l’essai mais également en la considérant comme une référence.
« Mais l’intéressant était ailleurs : avec Cocteau, si brillant, si drôle, elle avait invité la vieille Colette. Vous avez entendu parler d’elle, je suppose, c’est en France le seul grand écrivain femme, je parle d’un véritable grand écrivain. Très belle dans sa jeunesse, elle se produisait au music-hall, couchait avec des tas d’hommes, bâclait des romans pornographiques ; puis elle a écrit ses vrais livres. Elle adorait la nature, les fleurs, les bêtes, l’amour physique, ce qui ne l’empêchait pas de goûter aussi vivement certains excès de sophistication… Quand elle se met à raconter, à sourire, à rire, nul ne songerait à regarder une femme plus jeune et plus jolie… Petite, j’étais amoureuse d’elle à travers ses livres, et la rencontrer a eu pour moi une véritable signification. Quel mystère une vieille femme qui a vécu une vie si pleine, si ardente, si libre, qui en sait si long, et qui est détachée de tout parce que pour elle tout est fini. »
Colette est admirée par ses pairs et est souvent citée comme une des plus grandes femmes écrivaines. En effet, elle a réussi à écrire sur ses sentiments, ses passions et ses préoccupations, tout en renouvelant son indépendance et sa liberté de femme, dans chacune de ses œuvres. Elle dévore la vie, explore le monde dans les moindres détails, d’une pensée profonde à un brin d’herbe. Son écriture transcende son existence, allant de ses souvenirs d’enfant à ses idéaux de liberté et de voyage. Elle cherche à saisir chaque instant de vie, à sonder chaque parcelle de l’existence à travers le temps et l’espace.
L’écriture comme outil de liberté
Écrire comme un roman
Le Blé en Herbe est souvent considéré comme une œuvre simpliste par son intrigue et ses personnages limités. Pourtant, la profondeur du travail d’écriture de Colette sur l’amour est inouïe. L’initiation sexuelle d’un jeune homme par une femme mature est un thème classique chez Colette. Mais l’auteure réfléchit sur cette transition entre l’enfance et l’adolescence, faisant douter de la féminité de Vinca et la masculinité de Phil, et questionnant le désir, les passions, la rupture et le suicide. Les émotions, les sentiments et les émois adolescents sont surtout intensifiés par l’apparition de Mme Dalleray. Le roman relate une étape importante dans la construction identitaire: l’initiation sexuelle. Ce pas vers le monde des adultes mêle la peur et le désir, la douleur et la jouissance, la mort et la vie. Le roman écrit de manière poétique donne une cohérence naturelle, vivante à la narration. Vinca et Phil partagent avec le ou la lecteur/lectrice un des instants les plus importants de leur vie. Ils font le compte-rendu quotidien de leur vie en perpétuel mouvement. La simplicité du schéma narratif permet finalement d’analyser l’apparition de l’amour à l’adolescence et de la rupture avec l’enfance.
L’apparente naïveté de l’intrigue permet surtout d’introniser la psychologie : à partir d’une histoire limpide qui parle d’une expérience commune, Colette surprend son/sa lecteur/lectrice en exposant un je-ne-sais-quoi de brûlant, dérangeant, obscur, troublant et libérateur.
Écrire sur soi
Le travail d’écriture sur le sens de l’existence de Simone de Beauvoir met en évidence l’épanouissement personnel de la femme et sa quête de liberté. Ses recherches exploitent pleinement sa vie, ses expériences, ses initiations, ses apprentissages. Son pouvoir littéraire l’amène à son émancipation et son indépendance. Ses créations essayistes, liées à ses autobiographies, lui permettent d’inventer tout son univers personnel retranscrit dans un style innovant, libérateur et galvanisant. C’est pourquoi ses romans autobiographiques restent des repères à la compréhension de l’essai.
Le Deuxième Sexe se présente comme une œuvre encyclopédique, psychanalytique, littéraire. Mais il est aussi comme un documentaire sur une expérience personnelle qui renvoie à ses autobiographies.
« Le premier tome du Deuxième sexe fut publié en juin ; en mai avait paru dans Les Temps Modernes le chapitre sur « l’initiation sexuelle de la femme », que suivirent en juin et juillet ceux qui traitaient de « la lesbienne » et de « la maternité ». En novembre le second volume sorti chez Gallimard. J’ai dit comment ce livre fut conçu : presque fortuitement ; voulant parler de moi, je m’avisai qu’il me fallait décrire la condition féminine ; je considérai d’abord les mythes que les hommes ont forgés à travers les cosmologies, les religions, les superstitions, les idéologies, les littératures. Je tentai de mettre de l’ordre dans le tableau, à première vue incohérent, qui s’offrit à moi : en tout cas l’homme se posait comme le Sujet et considérait la femme comme un objet, comme l’Autre. Cette prétention s’expliquait évidemment par des circonstances historiques ; et Sartre me dit que je devais aussi en indiquer les bases physiologiques… Je n’avais pas envisagé d’écrire un ouvrage aussi vaste…
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Table des matières
1. Historicité
1.1 Historicité du féminisme à la question du genre
a) Histoire du féminisme
b) L’histoire du genre XXe et XXIe siècle
c) Le féminisme et la question du genre ultra-contemporains
1.2 Présentation du corpus : Simone de Beauvoir, Colette, Judith Butler et Joy Sorman
a) Simone de Beauvoir et son Deuxième Sexe
b) Colette, la féministe-ingénue
c) Judith Butler et Joy Sorman, les femmes d’aujourd’hui
1.3 La femme : un être en constante métamorphose
a) L’image de l’adolescente à la femme
b) la sexualité : une étape décisive dans la construction féminine
2. L’écriture littéraire pour redéfinir la femme
2.1 Le pouvoir des mots
I. Concepts sur l’écriture féminine et la complexité du langage
a) notions analytiques à propos de l’histoire littéraire des femmes au XXe siècle et sur l’écriture féminine
b) Du structuralisme à l’oralité
II. Le pouvoir de l’écriture selon Beauvoir, Colette et Butler
a) Beauvoir : une écriture du sens
b) Colette : L’Ecriture et la nécessité
c) Judith Butler : l’écriture poétique selon Julia Kristeva illustrée par le Blé en Herbe
2.2 L’écriture comme outil de liberté
a) Écrire comme un roman
b) Écrire sur soi
c) Le roman d’apprentissage
d) La littérature amoureuse
3. La femme : libre et amoureuse
3.1 La construction du mythe et de l’identité féminine
a) la sociologie de genre
b) l’existentialisme beauvoirien
c) Beauvoir, Irigaray, Butler et Héritier : la construction de l’identité
3.2 La construction de l’identité féminine à partir de la sexualité et de l’amour
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