Du dépérissement à l’amortissement, enquête sur l’histoire d’un concept et de sa traduction comptable

Imposée «par un raisonnement économique et non par la logique interne du formalisme comptable», l’écriture de dotation aux amortissements est une faille dans la belle ordonnance du mécanisme de la partie double. La plus grave peut-être, par l’élément de subjectivité qu’elle instille dans ce «système clos et universel». En 1678, Claude Irson conseille de débiter gains et pertes par le crédit de meubles meublants «pour les perdus ou usez». Ce n’est, dira-t-on, que prendre acte de leur dépérissement, mais c’est aussi introduire le loup dans la bergerie, enlever à la comptabilité sa fragile neutralité. Mais n’allons pas trop vite. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la dépréciation des immobilisations ne s’inscrit pas au rang des préoccupations majeures des teneurs de livres. Pourtant, c’est un élément de coût que certains entrepreneurs ont le souci de prendre en compte dans leurs calculs. Parfois, la comptabilité en effectue le constat « passif » ou « implicite ». Plus rarement, elle identifie la consommation et la désigne comme telle. Dans le courant du XIXe siècle, le procédé comptable prend le nom d’amortissement. Ce recours à une dénomination spécifique est d’ailleurs l’indice d’un élargissement de la pratique. Il est le produit d’une évolution sémantique qui s’effectue sur une trentaine d’années environ (1820-1850). Période à l’issue de laquelle le mécanisme devient l’auxiliaire actif d’une politique d’autofinancement intensif. Une attitude qui va jusqu’à déclencher d’âpres conflits entre administrateurs de sociétés et ayants-droit aux bénéfices. Cette écriture, négligée par presque tous les auteurs avant les années 1820, est désormais une variable au service des stratégies de financement des dirigeants. Elle est à leur entière discrétion. Malgré quelques tentatives, on ne réussira guère à discipliner les pratiques avant que n’intervienne l’imposition des bénéfices, mise en place durant la Première Guerre Mondiale. Cet événement vient d’ailleurs clore le champ chronologique de notre enquête sur les itinéraires du concept d’amortissement et de ses traductions comptables, dans la pratique des entreprises françaises et dans la littérature ; le règne de Louis XIV en constitue le point de départ.

Les racines italiennes

La technique de la comptabilité en partie double s’est développée simultanément dans plusieurs centres commerciaux italiens au cours du XIVe siècle : Gênes, Florence, Venise, sans oublier Sienne, Milan ou Lucques. Raymond de Roover expliquait cette émergence par l’action conjuguée de trois facteurs : l’extension du crédit, la pratique du mandat ou de l’agence et surtout l’essor des sociétés commerciales. Le recours de plus en plus fréquent au crédit permettait de développer les échanges malgré la pénurie de numéraire, l’enregistrement des créances et des dettes a conduit à l’apparition du compte courant. De plus en plus sédentaire, le marchand a eu recours à des agents, ou à des commissionnaires, agissant pour son compte sur les places étrangères. Il devait bien évidemment garder une trace écrite des marchandises expédiées, afin de la confronter avec le décompte des ventes effectuées par le mandataire, on y a vu l’origine des comptes de stocks. Les plus grandes entreprises étant des sociétés, la détermination des résultats et le suivi de l’évolution de leur patrimoine supposaient un système assurant l’enregistrement de toutes ses modifications. Le schéma est simple, naissance des comptes de tiers, adjonction de comptes de marchandises, création du compte capital, représentatif de l’entité société, puis du compte profits et pertes destiné à enregistrer les variations périodiques de ce patrimoine. La réalité est sans doute plus complexe, un historique de la genèse du système ne peut être que spéculative, d’autant que l’on ne possède que des documents fragmentaires. Nous n’évoquerons que certains de ces témoignages, en fonction de nos préoccupations. A la fin du Quattrocento, la partie double est déjà une technique confirmée, mais l’on s’aperçoit que dans ces développements simultanés, le nouveau système comptable se présente selon deux variantes dont les différences sont loin d’être négligeables. Bien qu’une telle conceptualisation soit nécessairement réductrice, nous nous autoriserons, pour les désigner, à parler de « modèle vénitien » et de « modèle toscan ». Les principes de base restent les mêmes : la double imputation systématique nécessite un jeu de comptes cohérent et complet, mais c’est dans la mise en œuvre des principes et dans les comptes utilisés que les modèles diffèrent. Nous pensons que cette distinction est susceptible d’éclairer les développements ultérieurs de la comptabilité. Ces deux modèles traduisent des adaptations aux activités spécifiques des deux régions, en liaison avec les formes juridiques qu’elles utilisent .

A partir de la fin du XVe siècle, la nouvelle technique se répand progressivement dans l’ensemble de l’Europe marchande. Les vecteurs de diffusion sont multiples : apprentissage, enseignement, littérature ; les traités de tenue des livres contribuent principalement à la diffusion du modèle vénitien. Composante essentielle de la culture technique marchande, la comptabilité en partie double se propage en dehors des activités proprement commerciales au gré des déplacements du capital marchand hors de sa sphère d’origine .

MODELE VENITIEN ET MODELE TOSCAN

Le second est sans doute le plus connu, car il correspond à une certaine idée de la comptabilité en partie double, conçue comme devant fournir une représentation du patrimoine de l’entreprise. C’est le plus proche des comptabilités utilisées à partir des années 1820-1830 dans les pays industrialisés ; c’est aussi celui qui nourrit la plupart des lieux communs relatifs à l’histoire de la comptabilité. Seulement, c’est à Venise que sont apparus les premiers traités techniques, et, tout naturellement, ils s’inspirent beaucoup plus des pratiques vénitiennes que de celles des firmes toscanes.  principales différences concernent les types de comptes utilisés ainsi que la fréquence et le mode de clôture des livres. Ce qui caractérise les registres vénitiens, c’est l’utilisation intensive de comptes d’opérations et la détermination de résultats partiels, les livres ne faisant nullement l’objet d’une clôture régulière, celle-ci n’intervenant qu’une fois les livres remplis. A l’inverse, les archives des grandes compagnies florentines nous montrent que la détermination périodique du résultat global de l’activité et l’élaboration d’un bilan, ou plutôt d’une balance, deviennent rapidement de règle. Nous voyons donc, d’emblée, apparaître et se développer simultanément deux comptabilités, l’une selon une logique de flux et l’autre dans une optique patrimoniale. Cette différenciation semble intimement liée aux activités pratiquées et aux formes d’association utilisées.

LES PARTICULARITES COMPTABLES DES DEUX SYSTEMES

Le modèle vénitien

Nous pourrions tout autant parler de la comptabilité des villes portuaires, car on retrouve à Gênes, et sans doute dans d’autres cités littorales, les mêmes caractéristiques qu’à Venise. Nous ne faisons que prendre acte du rôle particulier de cette dernière dans la diffusion de la nouvelle technique comptable et du fait que les multiples exemples, offerts par les archives de la Cité des Doges, vont tous dans le même sens. Notons que les contemporains utilisent également l’expression de tenue des livres alla veniziana, mais en référence au mode de présentation des comptes au grand livre, le débit et le crédit étant juxtaposés sur deux pages se faisant face et recevant le même numéro. Cette numérotation sert à indiquer la localisation des comptes mouvementés dans les écritures passées au journal. Dans les comptes eux-mêmes, elle permet de préciser celle de la contrepartie. Ce perfectionnement technique est sans nul doute extrêmement important et il est pour beaucoup dans la notoriété du modèle vénitien ; il n’en est cependant que l’un des aspects. Plus important, nous semble être le rôle joué par les comptes d’opérations. Ces comptes sont sans correspondance dans les catégories actuelles de la comptabilité générale, en dehors de certaines activités particulières. On voit leur origine dans le compte que rendait l’organisateur d’une aventure collective à ses partenaires : il comparait tous les frais de réalisation de l’opération et tous les produits qui en étaient issus, puis fixait la répartition du résultat entre les participants. Intégré à la comptabilité d’un marchand, ce type de compte convient à l’enregistrement des dépenses et recettes relatives à n’importe quelle affaire, qu’elle soit en participation ou individuelle. Il est soldé une fois l’opération terminée, par virement du résultat au compte pro et danno ; on calcule donc des résultats partiels, au fur et à mesure de la conclusion des différentes affaires engagées.

L’exemple type en est le compte de viazo, ou voyage, tel qu’on le trouve dans les registres d’Andréa Barbarigo, marchand vénitien de la première moitié du XVe siècle. Un compte ouvert à un lot de marchandises est débité du prix d’achat et de tous les frais, y compris de l’emballage pour l’expédition. Au moment du départ, il est soldé par le compte de voyage qui est ensuite crédité par le débit du compte du commissionnaire, lorsque celui-ci rend compte de la vente qu’il a effectué. Le compte de viazo peut alors être soldé, le commerçant dispose ainsi d’une série d’informations sur la rentabilité de chacune des opérations ponctuelles qu’il engage. Le compte utile et danno continue de recevoir régulièrement les résultats, sans que ceux-ci fassent l’objet de récapitulations périodiques.

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Table des matières

INTRODUCTION
SECTION I. MODELE VENITIEN ET MODELE TOSCAN
§1. Les particularités comptables des deux systèmes
I. Le modèle vénitien
II. Le modèle toscan
A. La pratique de l’inventaire
1. De la vecchia ragione à la nuova ragione
2. Inventaire et calcul de résultat
3. Bilan
4. Bilans et fiscalité
B. La comptabilité des opérations industrielles
C. Les premiers exemples d’écritures d’amortissement
§2. Modèles comptables, formes d’association et activités économiques
I. Activités, paramètres et contraintes
A. Le commerce maritime
B. Le commerce terrestre
II. L’adaptation des formes juridiques
A. Les sociétés de personnes
B. Vers les sociétés de capitaux
1. La commande
2. Quelques particularités vénitiennes
3. Commandite et sociétés de capitaux
III. Activités, sociétés et méthodes comptables
SECTION II. LA DIFFUSION DE LA NOUVELLE TECHNIQUE
§1. Les vecteurs de diffusion
I. La transmission orale
A. Apprentissage et enseignement
B. Le mouvement des hommes
II. Les débuts de la littérature comptable
A. Le premier traité imprimé de tenue des livres
B. Les traités et la pratique
§2. Le modèle diffusé par les traités
I. Luca Pacioli
A. La clôture
1. Fréquence des opérations de clôture
2. Clôture et résultat
B. Les comptes d’opérations
II. L’élargissement du modèle vénitien
A. Des comptes d’opérations
B. … Aux comptes d’activités
1. L’exploitation du domaine rural
2. Mutations, accroissements et diminutions
CONCLUSION

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