Altération du mouvement d’élévation
Dans une deuxième étude, Niessen [60] évalue les relations entre douleur d’épaule, position de la scapula et de l’humérus au repos et cinésiologie du mouvement d’élévation. Sur une population de 27 patients hémiplégiques dont 13 décrivent des douleurs d’épaule, il a étudié le mouvement de la scapula et de l’humérus lors de la flexion/abduction en actif et en passif ainsi que la position de la scapula au repos. Les résultats montrent qu’au repos, comme lors du mouvement, les patients avec douleurs présentent une sonnette latérale plus importante par rapport au groupe non douloureux et au groupe non hémiplégique. Plusieurs hypothèses sont avancées par l’auteur pour expliquer cette différence. La première est que la perte de force des muscles stabilisateurs de la scapula (trapèze, élévateur de la scapula, petit et grand rhomboïdes et dentelé antérieur) entraîne une altération de la position de la scapula et une impossibilité de lutter contre les effets de la gravité. En conséquence la scapula se place en sonnette latérale, pivotant autour de l’acromio-claviculaire, seule articulation stable. Ces phénomènes peuvent être à l’origine ou empirer des pathologies comme la capsulite rétractile, le conflit sous acromial ou la subluxation. En deuxième hypothèse, la douleur entraîne un changement dans le mouvement d’élévation, augmentant la rotation latérale automatique de l’épaule et évitant ainsi le conflit acromio-claviculaire et la lésion du supra-épineux. En troisième hypothèse, la restriction de mouvements en élévation provoque des phénomènes de capsulites rétractiles et/ou de contractures des muscles de la ceinture scapulaire. Dans sa troisième étude [61], Niessen retrouve les mêmes résultats que précédemment. Même si l’échantillon de patients avec douleur est trop petit pour pouvoir tirer des conclusions, il émet de nouvelles hypothèses quant à la relation douleur/diminution de la proprioception. Se basant sur les études réalisées sur les épaules instables chez des patients qui n’ont pas eu d’AVC, il en déduit que l’instabilité d’épaule entraînant des étirements capsuloligamentaires et musculaires provoque un déficit de proprioception. Malgré cela, les études de Niessen ne concluent pas sur la relation douleur/diminution de la proprioception. Le faible échantillon étudié ne permet pas, pour le moment d’en tirer des conclusions générales.
Le conflit sous-acromial
Le supra-épineux est le muscle qui surplombe l’articulation gléno-humérale. Il s’insère dans la fosse supra-épineuse, passe dans la coulisse du supra-épineux (sous le ligament acromio-coracoïdien) et se termine sur le tubercule majeur à sa face postérieure. Cette coulisse, inextensible et rigide, ne permet plus au supraépineux de glisser normalement, lors de l’ascension de la tête humérale. Les lésions occasionnées peuvent le rendre dégénératif. Après AVC, les modifications de tonus musculaire entrainent une spasticité du long chef du biceps brachial et du subscapulaire et/ou une « pseudoparalysie » du supra épineux et de l’infra épineux. La cinésiologie de l’épaule s’en retrouve grandement altérée et le glissement inférieur de la tête humérale lors des mouvements d’élévation, ne se déroule plus de manière physiologique. Le tendon du supra-épineux se retrouve en souffrance entre la tête humérale anormalement ascensionnée et l’acromion. Dans leur tentative pour déterminer un test clinique permettant de diagnostiquer précocement les douleurs d’épaules, Rajaratnam et Al [74] utilisent le test de Neer sur leurs patients. Accompagné de deux autres tests cliniques (la mesure de la rotation latérale d’épaule passive en position R1 et le mouvement main-nuque en passif), il permettrait de déterminer quels sont les patients à risques. Si les trois signes sont positifs, la probabilité que le patient ait des douleurs d’épaule est de 98%. La présence d’un conflit acromio-claviculaire serait donc liée à la douleur d’épaule. Dromerick et Al [23] ont également retrouvé un conflit sous-acromial lors de leur bilan clinique. L’échantillon étant trop petit, leurs conclusions ne peuvent être généralisées.
Troubles du tonus
Une lésion du motoneurone supérieur peut être à l’origine de modulations du tonus musculaire. Selon Darcy A. Umphred [92], les modulations de tonus seraient présentes suite à la lésion afin de compenser les pertes y étant associées. Par exemple, une augmentation de tonus pourrait servir à compenser une diminution de force sous-jacente. Cependant, ceci demeure purement hypothétique et n’est pas appuyé par des évidences. Le patron clinique majoritairement rencontré est d’abord la présence de flaccidité immédiatement après l’AVC, suivi de la présence de spasticité 4 à 6 semaines après la lésion (Dietz et Al, [20]). La flaccidité est caractérisée par une hypotonie accompagnée d’une diminution des réflexes ostéo-tendineux (Dietz et Al, [20]). À l’inverse, la spasticité a été définie par Lance, en 1980, [42] comme étant un désordre moteurcaractérisé par la combinaison d’une hypertonicité et d’une hyper réflexivité. La localisation centrale de la lésion et l’étendue de l’atteinte conduisent à des symptomatologies différentes ainsi qu’à différents niveaux de sévérité de spasticité (Ward, [99]). Une lésion des voies motrices descendantes suite à un AVC provoque initialement une période de flaccidité due à une diminution de l’activité des circuits neuronaux. Le délai d’apparition de la spasticité peut être expliqué par des changements plastiques au niveau du système nerveux central (SNC) (Dietz et Al, [20]). Il a été démontré que l’apparition de douleur à l’épaule hémiparétique est associée à une perte de contrôle neuromusculaire liée, tout d’abord à la parésie, et par la suite, à la spasticité (Roosink et Al. [75]). Trois voies neuronales sont principalement impliquées dans la gestion du tonus : les voies réticulospinale dorsale, réticulospinale médiale et vestibulospinale. La voie réticulospinale dorsale a une action inhibitrice (Sheean, [81]). Elle a pour origine la formation réticulée ventro-médiale constituant une structure nerveuse du tronc cérébral (Sheean, [81]). Les voies réticulospinale médiale et vestibulospinale, provenant également du tronc cérébral, ont une action facilitatrice (Ward, [99]). Cependant, il semblerait que la voie vestibulospinale ait un impact de moindre importance sur la spasticité (Sheean, [81]). La majorité des neurones contrôlant le tonus musculaire proviennent donc du tronc cérébral. Toutefois, la formation réticulée ventromédiale, contrôlant la principale voie inhibitrice, est sous contrôle cortical des aires prémotrice et motrice supplémentaire (Sheean, [81]). Donc, suite à un AVC d’origine cortical, cette voie est plus à risque d’être endommagée.
Syndrome épaule-main ou syndrome douloureux régional complexe de type 1 (SDRC)
Bien que plusieurs études aient porté leur recherche sur les mécanismes responsables du développement du SDRC, la physiopathologie exacte demeure toujours inconnue à ce jour (Birklein, 2004).
– physiopathologie périphérique du SDRC : La coexistence de déficits sensoriels, de négligence et de déficits du champ visuel augmentent la prévalence de micros-traumatismes physiques répétés du membre affecté (Pertoldi, 2005) [67]. Ces traumatismes entraînent une inflammation neurogénique caractérisée par la libération de médiateurs inflammatoires qui stimulent les nocicepteurs et les fibres afférentes primaires (Briklein, 2004). Les médiateurs inflammatoires induisent des modifications fonctionnelles et des phénotypes des fibres afférentes primaires et augmentent les champs récepteurs; c’est la sensibilisation neurogénique (Pertoldi, 2005) [67]. La stimulation constante des fibres C non-myélinisées polymodales peut induire une sensibilisation centrale au niveau de la moelle épinière et entraîner un cercle vicieux de douleur qui favorise le développement du SDRC (Wasner, 2003; [100] Pertoldi, 2005 [67]). L’inflammation neurogénique semble bien expliquer les signes et symptômes rencontrés en phase aigue tels l’œdème, l’augmentation de la température de la peau, les changements trophiques positifs et l’hyperhydrose.
-physiopathologie centrale du SDRC et réorganisation corticale : La composante centrale du SDRC est de plus en plus mise en évidence à travers les études. La sensibilisation centrale secondaire à l’inflammation neurogénique démontre une augmentation de l’excitabilité membranaire des neurones centraux situés au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière. La sensibilisation centrale facilite les potentiels post-synaptiques de type LPT entraînant de l’hyperalgie et de l’allodynie (Pertoldi, 2005) [67]. Dans plusieurs études récentes, la théorie de la réorganisation corticale semble être plausible pour expliquer le développement et le maintien de la douleur chronique retrouvée dans le SDRC (Harris, 1999 [33]; Briklein ,2004; Pleger, 2006 [68]; May, 2008 [52]; Swart, 2008 [87]; Cacchino, 2009). Dans la revue de la littérature effectuée en 2008 intitulée «Cortical changes in CRPS», un rétrécissement significatif de la représentation corticale de la main du coté affecté a été observé à l’aide d’une magnétoencéphalographie de l’aire somesthésique 1 (Swart, 2008) [87]. Plusieurs études soutiennent l’hypothèse que la perte des influs afférents entraîne une neuro-plasticité corticale (Briklein ,2004; Swart, 2008). L’inhibition active par non-usage du membre liée aux déficits moteurs, proprioceptifs ou autonomiques, l’inattention secondaire à une hémi-négligence, une anosognosie ou un symptôme « neglect-like » et une intégration sensorielle anormale privent la représentation somatotopique corticale du membre des afférences et d’une rétroaction adéquates (Moseley, 2005 [55]; Swart, 2008). Une discordance entre les afférences somato-sensoriels et les efférences motrices au niveau du cortex pariétal serait à l’origine d’un processus douloureux (Harris [33], 1999; Moseley, [55] 2005; Swart, 2008 [87]). La douleur qui se chronicise par des afférences nociceptives ou erronées continues entraînerait une diminution de la substance grise cérébrale observable à l’imagerie par résonance magnétique (May, 2008) [52]. Les régions adjacentes envahissent la représentation corticale de la région atteinte créant parfois un processus de douleur référée (Briklein, 2004; Swart, 2008; [87] May, 2008) [52]. « Cette plasticité mal adaptée » (May, 2008) [52] survient principalement au niveau du système anti-nociceptif, particulièrement au niveau du cortex cingulé antérieur, du cortex orbito-frontal, de l’insula et de l’amygdale. Lorsque ces aires corticales deviennent dysfonctionnelles, la modulation physiologique de la douleur est inefficace et la perception douloureuse et son caractère déplaisant augmentent (May, 2008) [52]. Des afférences douloureuses continues entraînent de la douleur chronique qui mène à des changements neuro-plastiques du SNP et du SNC diminuant l’efficacité des systèmes anti-nociceptifs contribuant au maintien de la douleur chronique. Plusieurs études rapportent le caractère dynamique de cette réorganisation corticale puisqu’elle tend à se normaliser avec la résorption des symptômes (Harris, 1999; [33] Moseley, 2005;[55] Cacchino, 2009). Certaines recherches ont démontré l’efficacité de la thérapie miroir pour traiter la douleur chez les patients souffrant du SDRC (Moseley, 2005;[55] Ezendam, 2009; Cacchino, 2009). La rétroaction visuelle adéquate du mouvement dominerait sur la rétroaction somato-sensorielle au niveau de la représentation corticale rétablissant la concordance entre les afférences et les efférences diminuant le cercle vicieux de douleur à l’origine du SDRC (Harris;1999; [33] Moseley, 2005;[55] Cacchino, 2009).
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
1. EPIDEMIOLOGIE
2. ANATOMIE DE L’EPAULE
2.2. Les muscles
2.3. Eléments vasculo-nerveux
3. Biomécanique normale de l’épaule
3.3. Mouvements de la scapula
4. PHYSIOPATHOLOGIE
4.1. Altération du mouvement
4.2. Les douleurs de type ostéo-articulaire
4.2.1. La capsulite rétractile
4.2.2. Le conflit sous-acromial
4.2.3. Les lésions tendineuses
4.2.4. La subluxation de la tête humérale
4.3. Douleurs d’origine neurologique
4.3.1. Troubles du tonus
4.3.1.1. Hypotonie
4.3.1.2. Hypertonie
4.3.2. Etirement des nerfs périphériques
4.3.3. Syndrome épaule-main ou syndrome douloureux régional complexe de type 1 (SDRC)
5. DIAGNOSTIC POSITIF
5.1. Interrogatoire
5.2. Examen physique
5.3. Diagnostic étiologique
6. PRISE EN CHARGE DES DOULEURS DE L’EPAULE CHEZ L’HEMIPLEGIQUE VASCULAIRE
6.1. Buts
6.2. Moyens
6.2.1. Curatifs
6.2.2. Préventif
6.3. Indications
7. EVOLUTION ET PRONOSTIC
7.1. Eléments de surveillance
7.2. Modalités évolutives
8. INCIDENCE SUR LA QUALITE DE VIE
DEUXIEME PARTIE
1. METHODOLOGIE
1.1. Cadre d’étude
1.2. Période de l’étude
1.3. Patients et méthode
1.3.1. Patients
1.3.1.1. Critères d’inclusion
1.3.1.2. Critères de non inclusion
1.3.2. Méthode
1.3.2.1. Déroulement de l’étude
1.3.2.2. Evaluation
2. RESULTATS
2.1. Caractéristiques socio-demographiques
2.1.1. Population d’étude
2.1.2. ÂGE
2.1.3. Genre
3. Données relatives à L’Accident Vasculaire Cérébral
3.1. Type D’Accident Vasculaire Cérébral
3.2. Durée d’évolution de L’AVC
3.3. Type d’hémiplégie
3.4. Antécédents
3.5. Causes D’AVC
3.5.1. AVCI
3.5.2. AVCH
3.6. Sévérité du déficit moteur
3.7. Signes associés à l’hémiplégie
3.8. Caractéristiques de la douleur
3.9. Etiologies de la douleur
3.10. Prise en charge thérapeutiques de la douleur d’épaule hémiplégique dans notre étude
DISCUSSION
1. Données épidémiologiques
2. Données relatives à l’AVC
3. Signes associés à l’hémiplégie
4. Etiologies des douleurs de l’épaule hémiplégique
5. Prise en charge thérapeutique des douleurs de l’épaule hémiplégique
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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