De nombreuses pathologies, congénitales ou acquises, sont responsables d’un handicap moteur. Chez l’enfant, la première cause est la paralysie cérébrale (2,0 pour 1000 naissances) (1). Elles affectent majoritairement le système nerveux central ou l’appareil locomoteur, et sont souvent responsables d’une perte d’autonomie nécessitant un accueil en établissements sanitaires ou médico sociaux. La mission de ces structures est d’accompagner les enfants et leurs familles dans un projet de soins global et individualisé, associant rééducation, réadaptation et réinsertion, soutenu par une équipe pluridisciplinaire de professionnels médicaux, paramédicaux et éducatifs. Le soin regroupe un éventail d’actions, dirigées vers l’enfant, et entraînant un contact physique direct, pouvant se multiplier en fonction des limitations d’activités et des restrictions de participation à l’origine du handicap. Il englobe les gestes du quotidien comme l’hygiène, l’habillage, l’alimentation et les déplacements, mais aussi des actes plus techniques et spécifiques au handicap comme la mise en place d’orthèse, la verticalisation, les soins de gastrotomie percutanée endoscopique (GPE) et de trachéotomie, et la rééducation. Ces gestes peuvent être responsables de douleurs induites par les soins se surajoutant aux souffrances physiques et psychologiques inhérentes à la pathologie (c’est-à-dire liées aux douleurs musculosquelettiques, abdominales, etc) (2).
La douleur est effectivement la comorbidité physique la plus fréquemment rapportée dans la paralysie cérébrale (3). Elle est définie comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle » (4). Sa prévalence varie selon les études entre 14% et 70% (5–10). Récemment, Eriksson et al (11) a décrit que sur une cohorte de 3545 enfants atteints de Paralysie Cérébrale (PC), 44% étaient douloureux. Le sexe féminin, la sévérité du handicap moteur et l’âge élevé étaient des facteurs prédictifs de douleur, résultats en accord avec d’autres études sur la paralysie cérébrale (12,13). La douleur réduirait la qualité de vie et la participation aux activités sociales et éducatives des enfants (13–17) et de surcroît, elle serait un facteur prédictif de dépression (8) et impacterait le cercle familial (10). Le quotidien des enfants en situation de handicap moteur est rythmé par des prises en charge médicales et paramédicales induisant de nombreux contacts physiques et mobilisations ; cependant peu d’auteurs ont cherché à démontrer leurs potentielles conséquences en termes de douleur. Les soins d’hygiène (18) la kinésithérapie (étirements) (9,18–20), ou les injections de toxine botulinique (21), ont été identifiées comme douloureux. L’activité physique (22) et les prélèvements biologiques (23) sont apparus plus douloureux chez les enfants en situation de handicap que chez les enfants sains, et ce malgré la mise en place de précautions. Ces études ont permis de faire émerger la notion de douleurs induites par les soins mais n’ont pas évalué l’ensemble des gestes quotidiens potentiellement vecteurs de douleur. De plus, elle n’a pas été étudiée dans les établissements sanitaires et médicosociaux accueillant des enfants en situation de handicap.
En 2016, une étude pilote sur deux établissements de Soins de Suite et de Réadaptation pédiatrique (SSRp) du Finistère (Fondation Ildys à Brest – sites de Mathieu Donnart et de Ty Yann) a été menée. Sur les 1302 gestes quotidiens évalués, 3,6% étaient douloureux. Les résultats de cette étude ont permis de démontrer la faisabilité de l’étude, la validité des échelles utilisées pour un recueil de la douleur sur la journée et la pertinence clinique de la question de recherche .
Méthodologie
Il s’agit d’une étude descriptive multicentrique, menée entre avril 2016 et juillet 2017, évaluant la douleur induite par les soins dans une cohorte d’enfants en situation de handicap moteur dans les 4 départements de la région Bretagne (Finistère, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes-d’Armor). L’étude a été approuvée par le Comité de protection des personnes de Tours le 25/01/2015 . Chaque enfant et ses représentants légaux ont été informés du déroulement de l’étude et ont formulé leur non-opposition pour participer à l’étude.
Sélection des patients et établissements
La Bretagne est une région de 4 millions d’habitants où 23 établissements sanitaires et médico-sociaux, bien répartis sur les 4 départements bretons, accueillent les enfants en situation de handicap de l’ensemble du territoire. Les Soins de Suite et de Réadaptation pédiatriques (SSRp) sont des établissements sanitaires (établissement ayant pour mission de prévenir ou de réduire les conséquences fonctionnelles, physiques, cognitives, psychologiques ou sociales des déficiences et des limitations de capacité des patients et de promouvoir leur réadaptation et leur réinsertion) tandis que les Instituts Médico-Educatif (IME) (établissements médico-éducatifs accueillant les enfants et adolescents ayant une déficience intellectuelle avec ou sans troubles associés) ou les Instituts d’Education Motrice (IEM) (Institut médico-social prenant en charges des enfants ou adolescents dont la déficience motrice nécessite le recours à des adaptations spécifiques pour le suivi médical, l’éducation spécialisée, la formation générale et spécialisée) sont des établissements médico-sociaux. Les enfants ont été recrutés dans 16 de ces établissements pédiatriques (5 SSRp, 13 IME, 5 IEM). Afin d’éviter un biais de sélection, ces établissements participant à l’étude ont été tirés au sort.
Les critères d’inclusion étaient les enfants âgés de 0 à 18 ans, en situation de handicap moteur (associé ou non à des troubles cognitifs), admis en établissement sanitaire ou médicosocial pédiatrique (SSRp, IME, IEM), durant la totalité du temps de recueil des données (5 jours et une nuit pour les enfants hospitalisés en internat et 5 jours pour les enfants en hôpital de jour). Les critères d’exclusion étaient les enfants pris en charge à domicile ou présentant un état douloureux chronique. Afin d’éviter un biais de sélection, une randomisation a été effectuée dans chaque centre à partir d’une liste informatisée des patients répondants aux critères d’inclusion, qui était envoyée par l’établissement une semaine avant le recueil des données.
Critères de jugement
Le critère de jugement principal était l’hétéro-évaluation de la douleur lors de la réalisation des soins au moyen de l’échelle d’évaluation comportementale FLACC-R (Face Legs Activity Cry and Consolability – Revised) dans sa version française . Cette échelle est validée pour les enfants dans l’incapacité de communiquer verbalement leur douleur (25,26). L’outil se compose de cinq catégories : expression faciale, mouvements des jambes, activités, expression vocale et consolabilité. L’échelle révisée intègre les comportements observés chez les enfants avec troubles cognitifs et qui étaient absents des outils d’évaluation déjà existants (comme par exemple l’explosion verbale, tremblement par secousses, mouvements saccadés, comportements autostimulants, manque d’expressivité, etc). Ces nouveaux indicateurs ont permis d’augmenter les qualités psychométriques de l’échelle FLACC qui présente de bons indicateurs de pertinence pratique et clinique (27,28). Un geste obtenant un score à la FLACC-R supérieur ou égal à 4 est considéré comme un geste douloureux, 10 étant le score maximal. Le score à l’échelle FLACC-R était calculé par l’intervenant qui réalisait le geste. Si un même geste était réalisé plusieurs fois chez un même patient, la moyenne des scores obtenus à l’échelle FLACC-R était prise en compte pour les analyses.
Les critères de jugement secondaires étaient les données socio-démographiques avec l’âge, le sexe, la scolarisation (milieu ordinaire, ordinaire adapté ou en institution), le type d’hospitalisation (hospitalisation continue ou hospitalisation de jour) et le type d’établissement d’accueil (SSRp, IME, IEM). Les données cliniques et médicales recueillies étaient relatives à la pathologie, au niveau de dépendance, au handicap moteur (permanent ou provisoire), et à l’autonomie ambulatoire (niveau de GMFCS). Les moyens préventifs avant la réalisation du geste ont été relevés. Les pathologies ont été regroupées en 4 catégories (selon le diagnostic médical principal de chaque enfant et non le motif d’hospitalisation en cours). On retrouve les maladies du système nerveux (paralysie cérébrale, traumatisme crânien, dysraphisme spinal, etc), les syndromes congénitaux et anomalies chromosomiques (trisomie, dyskinésie ciliaire primitive, syndrome d’Angelman, de Prader Willi, etc) ; les maladies endocriniennes, nutritionnelles, métaboliques et infectieuses (mucopolysaccharidose, cytopathie mitochondriale, etc), les maladies du système ostéoarticulaire, des muscles et du tissu conjonctif (myopathie de Duchenne, arthrodèse, ostéochondrite primitive de hanche, etc) . Le classement des pathologies dans ces catégories a été validé après 2 relectures effectuées par des intervenants médicaux expérimentés. Le niveau de dépendance a été évalué selon le Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information (PMSI) qui est une l’échelle nationale de référence de dépendance évaluant indépendamment la dépendance physique et cognitive, par un score allant de 6 à 20 à partir de 6 items de la vie quotidienne . Le niveau de handicap moteur a été évalué par le système de classification de la fonction motrice globale selon 5 niveaux (GMFCS), validé pour les enfants atteints de Paralysie Cérébrale (29). Il évalue les capacités de déplacement de l’enfant en autonomie (assis, debout, escaliers). Les enfants classés GMFCS I sont totalement autonomes dans leur déplacement alors que les GMFCS V sont totalement dépendants .
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Table des matières
I. Introduction
II. Méthodologie
1)Sélection des patients et établissements
2)Critères de jugement
3)Déroulement de l’étude
4)Nombre de sujets nécessaire
5)Analyses statistiques
III. Résultats
1)Population
2)Caractéristiques des gestes
3)Moyens de préventions de la douleur
4)Facteurs prédictifs de douleur induite par les soins
5)Validité de concurrence de l’hétéro-évaluation par l’échelle FLACC-R
IV. Discussion
V. Conclusion
VI. Bibliographie
VII.Annexes
Annexe 1 : FLACC-r
Annexe 2 : Les 4 catégories de pathologies
Annexe 3 : La mesure de la dépendance
Annexe 4 : Gross Motor Function Classification System (GMFCS)
Annexe 5 : Listes des 32 gestes
Annexe 6 : Listes des moyens préventifs
Annexe 7 : Cahier de recueil
Annexe 8 : Double évaluation FLACC-r intervenant ; Graphique de Bland Altman