Données sur les traumatismes graves du bassin
Epidémiologie
Les traumatismes pelviens sont fréquents en traumatologie puisque 10% des patients traumatisés graves présentent une fracture du bassin (1). Les traumatismes du bassin sont essentiellement secondaires aux accidents de la voie publique (plus de 80% des cas) et concernent plus particulièrement les automobilistes et les motards (2). Les chutes d’une grande hauteur sont également des causes de traumatismes graves du bassin dans environ 10% des cas. Demetriades et al. relèvent 13% de fractures pelviennes lors de chutes > 4,5 m et un taux atteignant 20% chez les patients de plus de 55 ans (3). Enfin, les traumatismes pelviens surviennent plus rarement au cours d’accidents du travail (lésions par écrasement notamment).
L’anneau pelvien étant une structure anatomique solide, cela signifie que la survenue d’une fracture du bassin survient le plus souvent dans un contexte de traumatisme à forte cinétique, avec un fort risque de lésions associées (crâniennes, thoraciques ou abdominales). En effet, Giannoudis et al. relèvent la survenue d’un traumatisme crânien grave ou d’un traumatisme thoracique grave chez respectivement 17 et 21% des patients traumatisés pelviens (4). Dans une autre étude, l’incidence des traumatismes abdominaux associés était de 16,5% et atteignait 30% chez les traumatisés pelviens les plus graves (1). La mortalité globale des patients traumatisés du bassin est de 8 à 15% selon les séries (4)(5 (6). La mortalité élevée est liée à la fois à la sévérité des lésions hémorragiques pelviennes et rétropéritonéales qui peuvent engendrer un choc hémorragique, mais également aux lésions extrapelviennes associées. La mortalité atteint 25% en cas de fracture avec instabilité hémodynamique et 40% en cas de fracture ouverte ou d’instabilité hémodynamique persistante malgré la réanimation initiale (7). Les facteurs de risques associés à une surmortalité sont la présence d’un choc hémorragique ou d’un traumatisme crânien grave, un âge supérieur à 60 ans et l’Injury Severity Score (ISS) supérieur à 25 (1)(8). La mortalité directement imputable aux traumatismes pelviens est difficile à évaluer puisque 95% des patients décédés ont des lésions associées (4). Hauschild et al. (5) attribuaient le décès au traumatisme pelvien dans 11% des cas, alors que Demetriades et al. (1) ne retrouvaient les lésions pelviennes responsables du décès que dans 0,8% des cas. Dans le cas des fractures pelviennes avec instabilité hémodynamique, les décès imputables au traumatisme pelvien sont de l’ordre de 30% (9). Les traumatismes ouverts du pelvis concernent 2 à 4% des traumatismes pelviens. La mortalité de ces fractures ouvertes est de 20% (10) et peut même atteindre 45% dans certaines séries (11). Cette surmortalité s’explique par un risque infectieux accru et la survenue plus fréquente de défaillances viscérales (12). Le caractère instable de la fracture pelvienne, l’atteinte rectale et l’extension du délabrement sont associés à une surmortalité .
Anatomie du bassin
La ceinture pelvienne est constituée de trois os (deux ailes iliaques et le sacrum) articulés en avant au niveau de la symphyse pubienne et en arrière au niveau des deux articulations sacro-iliaques par un système ligamentaire solide . Il s’agit donc d’une ceinture robuste dont l’intégrité n’est menacée qu’au cours de traumatismes à haute énergie cinétique. Il existe trois zones de faiblesse au niveau de l’anneau pelvien : en avant le complexe ischio-pubien, latéralement les cotyles, et en arrière, le complexe sacro-iliaque.
Le système ligamentaire postérieur, avec les ligaments sacro-iliaques antérieurs et postérieurs ainsi que les ligaments sacro-épineux et sacro-tubéreux, joue un rôle primordial dans la stabilité du bassin.
La vascularisation artérielle et veineuse du bassin est riche, en provenance de l’artère iliaque interne ou externe . Le plan veineux est plus profond, au contact direct de l’os, expliquant la plus grande fréquence des lésions veineuses lors des traumatismes du bassin. Il faut noter qu’il existe de nombreuses anastomoses artérielles avec des suppléances entre les artères ilio-lombaire et iliaque externe au niveau de la crête iliaque. Cela a deux conséquences importantes : il est possible d’occlure une artère avec un risque ischémique relativement faible, et, la récidive hémorragique est possible après occlusion artérielle par la mise en jeu de ces suppléances.
Mécanismes lésionnels
Les fractures pelviennes sont secondaires à différents mécanismes lésionnels qui s’exercent sur l’anneau pelvien lors du traumatisme. Le mécanisme antéro postérieur s’exerce lors d’une percussion frontale du pelvis, qui engendre une rupture antérieure de l’anneau par fracture des branches ilio- et ischiopubiennes ou par ouverture antérieure du bassin au niveau de la symphyse pubienne avec rotation externe d’un hémibassin (fracture dite en « livre ouvert » ou « open book»). Les lésions sont en général bilatérales. Le niveau de rotation externe et donc de diastasis pubien conditionne l’atteinte postérieure. En effet, pour un diastasis pubien supérieur à 2,5 cm, les ligaments sacro-iliaques antérieurs sont fréquemment rompus réalisant une instabilité horizontale. L’artère hypogastrique est, dans ce cas, très exposée.
Le mécanisme latéral est le mécanisme le plus fréquent. Lorsque l’impact est postérolatéral, les lésions sont plus fréquemment constatées au niveau de l’ilion ou de l’articulation sacro-iliaque. Lorsque l’impact s’exerce au niveau de l’aile iliaque, on observe une rotation interne de l’hémibassin percuté avec atteinte de ligaments sacroiliaques postérieurs homolatéraux. Les vaisseaux iliaques et les plexus veineux rétropubiens sont, dans ce cas, particulièrement exposés.
Le mécanisme par cisaillement est en rapport avec un traumatisme vertical, le plus souvent observé lors d’une chute de grande hauteur avec réception sur les membres inférieurs. Ce traumatisme vertical entraîne des fractures verticales avec atteinte ligamentaire de la partie antérieure du pelvis (branches ilio- et ischio-pubiennes), mais également de la partie postérieure avec rupture complète des ligaments sacro-iliaques (antérieur et postérieur). L’instabilité de ce type de fracture est alors majeure.
Complications
La morbidité des traumatismes du bassin est importante. Elle est liée à divers risques et associations lésionnelles.
Risque hémorragique
La principale complication des traumatismes du bassin est l’hématome rétropéritonéal (HRP) avec le risque de survenue d’un choc hémorragique qui en fait toute la gravité. Le choc hypovolémique hémorragique est le principal facteur de morbidité et de mortalité des traumatisés en général (17).
L’espace rétropéritonéal est un espace cellulo-graisseux clos, limité en avant par le péritoine pariétal postérieur, en arrière par le rachis, en haut par le diaphragme, en bas par le plancher pelvien et sur le côté par les flancs. Les HRP sont secondaires à des lésions vasculaires et/ou osseuses pouvant être responsables d’un choc hémorragique massif. Vingt pour cent des fractures du bassin s’accompagnent d’un HRP (18). Il faut distinguer un saignement à basse pression d’un saignement à haute pression. Les saignements à basse pression sont souvent présents en cas de disjonction pubienne et proviennent de lésions veineuses et des surfaces osseuses fracturées. Les lésions vasculaires sont le plus souvent d’origine veineuse (90%, par lésion des plexus veineux présacrés ou prévésicaux) qu’artérielle (10%) (19). En cas d’instabilité hémodynamique, les lésions artérielles sont plus fréquentes (20).
Un saignement veineux peut se tarir spontanément lorsque la pression dans l’espace rétropéritonéal est égale à celle régnant dans la veine lésée. Cela permet un tamponnement des lésions hémorragiques. Cependant, lors d’un traumatisme, le régime de pression et l’espace de diffusion des fluides dans l’espace rétropéritonéal sont modifiés. En effet, Grimm et al. (21) ont montré que pour un même niveau de pression, la quantité de liquide injectable dans l’espace rétropéritonéal passe de 5 (patient sain) à 20 litres après une fracture en « open book ». Les fractures ouvertes du bassin sont à risque hémorragique majeur du fait d’une augmentation de l’espace de diffusion par la perte de l’intégrité pelvienne. Le risque hémorragique est plus élevé pour les lésions verticales de cisaillement, suivi des fractures antéropostérieures (notamment les fractures de type « open book ») puis les fractures par compression latérale. De plus, les fractures instables sont associées dans 60% des cas à une transfusion supérieure à 4 concentrés érythrocytaires lors des 48 premières heures alors que les fractures stables reçoivent moins de 4 concentrés érythrocytaires dans 80% des cas (22). Toutefois, il peut exister des dégâts vasculaires importants même en présence de lésions osseuses peu importantes. Ainsi, certaines fractures peu déplacées (Tile A) occasionnent parfois des lésions artérielles avec hémorragie massive alors que des fractures très instables (Tile C) peuvent survenir sans lésions artérielles. Si le mécanisme lésionnel ainsi que le critère de stabilité de la fracture donnent une information sur le risque hémorragique, celui ci ne peut cependant pas être affirmé avec certitude (23). D’autres éléments doivent être pris en compte avant d’attribuer le saignement au traumatisme pelvien.
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Table des matières
I- Introduction
II- Données sur les traumatismes graves du bassin
1. Epidémiologie
2. Anatomie du bassin
3. Mécanismes lésionnels
4. Classification des fractures du bassin
4.1 Classification de Tile et Pennal
4.2 Classification de Young et Burgess
5. Complications
5.1 Risque hémorragique
5.2 Risque septique
5.3 Risque urologique
5.4 Lésions digestives
5.5 Complications rénales
5.6 Maladie thrombo-embolique
III- Matériel et Méthodes
1. Caractéristiques de l’étude
2. Objectif de l’étude et critères de jugement
2.1 Objectif de l’étude
2.2 Critères de jugement
3. Critères d’inclusion et d’exclusion
4. Recueil des données
5. Données recueillies et définitions
5.1 Données quantitatives
5.2 Données qualitatives
6. Tests statistiques
IV- Résultats
1. Description de la population
2. Circonstances cliniques
2.1 Cause du traumatisme
2.2 Mécanisme lésionnel
2.3 Types de fractures
2.4 Lésions associées
2.5 Choc hémorragique
3. Prise en charge de réanimation
3.1 Bilan radiologique
3.2 Artério-embolisation
3.3 Transfusion
3.4 Amines et acide tranexamique
3.5 Contention pelvienne
4. Traitement fonctionnel et chirurgical
5. Antibioprophylaxie
6. Complications
7. Devenir des patients
7.1 Durée d’hospitalisation
7.2 Mortalité à 1 mois
7.3 Facteurs de risque de mortalité
V- Discussion
1. Rappels sur la prise en charge du traumatisme grave du bassin
1.1 Prise en charge initiale d’un polytraumatisé avec fracture du bassin
1.1.1 Bilan clinique
1.1.2 Bilan biologique
1.1.3 Bilan radiologique
1.1.4 Traitements symptomatiques
1.1.5 Traitement de l’état de choc
1.2 Prise en charge thérapeutique spécifique des fractures du bassin
1.2.1 Contention pelvienne externe
1.2.2 Hémostase chirurgicale
1.2.3 Méthodes radiologiques interventionnelles
1.3 Indications thérapeutiques
1.3.1 Patients instables hémodynamiquement
1.3.2 Patients stables ou stabilisés
1.3.3 Algorithme décisionnel
2. Synthèse des principaux résultats
2.1 Comparaison avec la littérature
2.2 Evolution de la prise en charge des traumatismes graves du bassin dans le service de réanimation chirurgicale du CHU de Rouen
2.3 Limites de l’étude
2.4 Intérêts et perspectives de l’étude
VI- Conclusion
VII- Annexes
VIII- Références bibliographiques