Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Evolution des idées sur les urgences en psychiatrie
Il y a 40 ans, l’urgence psychiatrique n’avait encore aucune autonomie, mais, aujourd’hui, elle suscite un intérêt particulier [6].
EN France
Historiquement, trois périodes bien distinctes se dessinent : 1970, 1980 et 1990.
Les années 1970 furent celles de la critique idéologique, en partie déclenchée par la circulaire du 15 juin 1979 (dite circulaire Veil). En effet, le travail de l’urgence se réalisait alors dans le cadre de la sectorisation psychiatrique et intervenir aux urgences apparaissait relever davantage du maintien de l’ordre social ou de la psychiatrisation de situations banales dans une logique socialo-policière plutôt que d’une prise en compte de la souffrance des patients dans une logique soignante [32]. Dans les années 1980, la critique devient plus professionnelle. En effet, la psychiatrie se rapprochant du reste de la médecine, les réponses à l’urgence se calquent de plus en plus sur le modèle médical de la réduction ou de la disparition symptomatique. Les principes mêmes de la politique sectorielle, comme la continuité des soins entre l’intra et l’extra hospitalier et la prise en charge globale biopsychosociale, sont alors menacés [48].
Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’un rapprochement se dessine. En témoigne, par exemple, le parcours de Guy Baillon [7] qui passe du procès de l’urgence (« l’urgence en psychiatrie, ça n’existe pas », 1977) à l’urgence assumée (« l’urgence en psychiatrie, ça existe, nous la rencontrons quotidiennement et nous y répondons », 1985). Cette évolution a en fait été rendue possible par une meilleure définition de l’accueil, de l’urgence et de la crise, ce qui a permis de les distinguer sans les dissocier [4, 7]. Ces trois termes, qui constituent autant de manières de représenter la pratique psychiatrique en matière de pathologie aiguë, correspondent à des besoins différents des patients. Plus que le choix du terme, c’est la démarche qui sous-tend ce choix qui importe. Le travail d’accueil repose sur une disponibilité 24 heures sur 24 à l’angoisse « tout venant » et sur la personnalisation des rapports dans un lieu facile d’accès sans tri préalable par exemple en fonction ou non de l’existence d’un diagnostic psychiatrique [7]. Le travail de crise, qui peut permettre de faire l’économie d’une évolution vers l’urgence, s’effectue à partir d’une indication médicale. Préalable de la continuité des soins, il a pour objectif de permettre au sujet de mettre en évidence de « nouvelles perspectives et de nouveaux objets dans sa vie psychique » [7].
AUX ETATS-UNIS
Après la deuxième guerre mondiale, se développe aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons, toute une série d’expériences psychiatriques qui ont eu pour but de trouver d’autres solutions que l’hospitalisation du malade.
Ces expériences entraînèrent un autre mode de pensée clinique et d’autres pratiques de soins avec une mise en valeur de l’économie interpersonnelle du symptôme, ouvrant la possibilité de manipuler les processus intersubjectifs à travers lesquels émerge la maladie mentale.
Le symptôme n’est plus l’attribut exclusif du seul patient, mais devient l’émergence de tensions, de conflits interpersonnels.
La théorie princeps de la crise, élaborée par G. Caplan en 1964, fait alors l’objet d’une méthode d’application clinique qui sera généralisée et adaptée à une grande échelle par la psychiatrie américaine : on crée de petites unités tout à fait décentrées par rapport à l’hôpital psychiatrique. La « crise » et l’intervention de crise deviennent ainsi les mots d’ordre du mouvement réformateur apparu à la fin des années 60 dans les pays anglo-saxons.
Cependant, les réalisations laissent apparaître des divergences entre, d’une part, la théorisation de la crise vue au départ sous son angle dynamique comme un véritable point de suspension ouvrant le champ des restructurations, et, d’autre part son application dans un souci d’efficacité sous-tendue par une idéologie anti-hospitalière.
Les protocoles de soins des divers centres de crise, qui tendent à considérer davantage la crise sous son angle morbide que sous son aspect dynamique, en témoignent.
La crise n’est plus, comme ses pères l’avaient pensées, riche de potentialités dynamiques, de redistribution des données inters subjectives ; elle devient un mot passe-partout pour parer au plus pressé avec un certain retour à l’organicisme.
Ainsi, au début des années 80, le gouvernement américain mit fin à cette expérience. [6]
AU SENEGAL
Durant la période coloniale, la prise en charge de l’aliénation mentale a été marquée du double sceau de la violence coloniale et asilaire.
En effet, le malade mental indigène n’est pris en charge que lorsqu’il trouble l’ordre public ou fait partie de l’administration coloniale (militaire, matelot, etc.).
Ainsi l’aliéné a d’abord été enfermé puis déporté et médicalisé dans une institution neuropsychiatrique pour enfin être invité à la réhabilitation. C’était comme si toute tentative de réintégration sociale de l’aliéné passait d’abord par la médicalisation.
Aussi, la chimiothérapie est une constante dans la prise en charge de l’aliéné mental. Perçue au début comme solution à une situation d’urgence, elle est reconnue par la suite comme moyen pour faciliter la resocialisation de l’aliéné mental.
Les aliénés sont hospitalisés dans de très mauvaises conditions d’hygiène et de sécurités, dans des cabanons ou cellules des hôpitaux civils et militaires de Saint-Louis, de l’hôpital de Gorée et de L’Hôpital colonial de Dakar.
La précarité de cette situation amène les autorités coloniales, le 31 Mai 1897, à la conclusion d’un traité, d’une durée renouvelable de 9ans, avec l’asile Saint Pierre de Marseille, pour le transfert et l’amélioration des conditions de traitement des maladies mentales.
Ce traité n’ira pas au terme, car très vite, apparurent des difficultés liées aux contraintes financières, a l’incidence de l’approche de la maladie mentale, de la différence de culture, et même de la signification du symptôme.
De plus en plus, la création d’asiles d’aliénés l’organisation d’une assistance des aliénés au Sénégal s’érige comme un impératif. Les premières initiatives ont échoué, tel que l’hôpital fédéral prévu à Thiès par l’arrêté N2123 SSM du 28 juin 1938 qui devrait constituer un centre de soin, d’hospitalisation et de transit pour les évacuations sur la France ou sur les quartiers psychiatriques des colonies d’origines. Cet hôpital ne verra point le jour.
En 1952, le Docteur Planques, premier psychiatre officiellement titré, fut nommé responsable de l’ambulance du Cap Manuel.
Le 17 octobre 1956, est créé à Fann un service de Neuropsychiatrie de statut fédéral et conçu dans la pure tradition asilaire. Les premiers patients viennent de l’ambulance du Cap Manuel.
En 1958, le Professeur Collomb y est nommé chef de service. Après l’accession du Sénégal à l’indépendance, les nouvelles autorités mettent en place des structures de soins psychiatriques (création de l’hôpital psychiatrique de Thiaroye en 1960) et des dispositions juridiques tels que :
– La loi no 65/60 du 21 juillet 1965 portant code pénal, Crimes et Délits : « Il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister ».
– La loi 75/80 du 9 juillet 1975 relative au traitement des maladies mentales et au régime d’internement de certaines catégories d’aliéné. Cette loi remplace l’Arrêté du 28 juin 1938.
– Le décret n ° 75/1092 du 23 octobre 1975 fait de l’hôpital psychiatrique de Thiaroye un établissement spécialisé de type fermé, destiné à l’internement des malades mentaux ayant fait l’objet d’une décision juridique.
– Le décret 75/1093 du 23 octobre 1975 fixe les conditions d’organisation et de fonctionnement des villages psychiatrique. Ainsi, deux étapes peuvent être décelées dans la prise en charge des malades mentaux à Fann.
– Une première phase organiciste qui va de 1958 à 1962 ou la psychiatrie a enfermé voire déporté ses fous puis les a médicalisés dans une institution neuropsychiatrique.
– La deuxième phase, qui va de 1962 à 1978, est marquée par l’émergence de « l’Ecole » de Fann, sous l’impulsion du Professeur Collomb devant l’impérieuse nécessité de former des psychiatres africains avec la création du Certificat d’Etudes Spéciales (CES) de psychiatrie et de l’internat en Psychiatrie [6, 48].
Données épidémiologiques sur les urgences psychiatriques
Les urgences psychiatriques se caractérisent par une triple constance [31] :
– Dans leur incidence : 1 % de la population chaque année ;
– Dans leur répartition : 80 % sont des « urgences en psychiatrie » sans structure psychopathologique durable sous-jacente, mais pouvant mettre en jeu le pronostic vital avec un tiers de tentatives de suicide (TS), un tiers d’alcoolisme, un tiers de détresses psycho-sociales. 20 % sont constitués de psychiatrie en urgence composées de psychoses et d’états organiques à expression psychiatrique ;
– Dans leur taux : elle représente 10 % de la totalité des urgences dans les hôpitaux publics.
En France, les urgences psychiatriques représentent, selon les études, entre 10 et 30 % des passages aux urgences générales et concerneraient 1 % de la population [41].
Dans l’ensemble, les études ont donné les résultats suivants.
Selon B. Boussat [14].
– Les urgences psychiatriques représentent 10 % de la totalité des urgences dans les Hôpitaux publics français.
– 10 % de la population générale française est affectée chaque année d’une manifestation psychiatrique qui représente une urgence.
– Les urgences psychiatriques sont représentées 8 fois sur 10 par des manifestations psychiatriques isolées mais susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital et qui se répartissent en trois groupes à peu près égaux : tentatives de suicide, alcoolisme et détresse psycho-sociale (état d’agitation, états d’agressivité, refus alimentaire). 2 fois sur 10, les urgences psychiatriques interviennent chez des patients qui ont une structure psychique pathologique.
Au Sénégal, des travaux ont été menés concernant la population des nouveaux consultants du PCE du service de psychiatrie de l’hôpital Fann de Dakar. Il s’agit successivement des travaux d’Andrade A.S en 1979 puis en 1981 respectivement sur l’approche statistique de la demande d’assistance psychiatrique et sur la psychiatrie sociale au Sénégal, de Picard P.G.P qui a étudié les activités du PCE durant la période du 1er juillet 1981 au 30 juin 1982, de Ndiaye B. qui, 7ans après, étudie l’évolutivité des données relevées par Picard dans son étude, au regard des mutations profondes de la société sénégalaise, ensuite ceux d’I. Ba en 2000, portant sur les urgences psychiatriques et leur prise en charge au service de psychiatrie du CHU de Fann, une étude de 4 mois (Mars – juin 2000) et enfin Kandji D., en 2017, réalise un bilan des activités sur une période de 5 ans (2010 – 2015).
Les résultats des travaux d’Andrade, de Picard et de Ndiaye qui ne concernent non pas les urgences psychiatriques, mais la population des nouveaux malades consultant au PCE du CHU de Fann, seront cités à titre comparatif par rapport à ceux de notre étude. Nous mettrons l’accent sur les résultats de notre étude comparées à ceux de Ba qui s’est focalisé essentiellement sur les urgences psychiatriques.
Situation sanitaire psychiatrique à Dakar et au Sénégal
Le décret n° 2008-1025 du 10 septembre 2008 fixe de nouvelles circonscriptions administratives (14 régions, 45 départements et 117 arrondissements) et des collectivités locales (45 départements et 557 communes). Depuis le 28 décembre 2013, les anciennes communautés rurales sont érigées en communes. Les communes de Dakar et de Thiès ont le statut de ville et sont divisées en communes d’arrondissement [47].
Le découpage sanitaire comprend les régions médicales et les districts sanitaires. Dans les régions administratives, se trouvent les régions médicales alors que les districts sanitaires sont retrouvés dans les départements [49].
La majeure partie des infrastructures du système est basée à Dakar. En effet, à l’exception des Cases de Santé et des Établissements Publics de Santé (EPS) de niveau 2, Dakar est la région la mieux dotée en infrastructures sanitaires. Le Sénégal compte 11 EPS 3 dont les 10 se trouvent dans la région de Dakar et l’autre dans la région de Diourbel (commune de Touba). Les régions de Kolda et Sédhiou sont les moins dotées en infrastructures sanitaires. En effet, elles comptent 3 et 5 centres de santé sur un total de 99. Par ailleurs, on dénombre 50 Postes de santé pour la région de Sédhiou et 59 pour la région de Kolda sur un total de 1456 au niveau national. En revanche, la région de Kolda enregistre le plus grand nombre de cases de santé, soit 111 sur 708 [2].
Au Sénégal, il existe des services de psychiatrie d’hospitalisation et de traitement ambulatoire dans des hôpitaux.
– À Dakar nous avons :
Le CHNP de Thiaroye se trouve dans la banlieue dakaroise dans le département de Pikine, dans la commune d’arrondissement de Diameguene-Sicap-Mbao à 800 métres vers la société Africaine de raffinage. Il est limité : à l’est par le village de Mbao, à l’ouest par le village de Thiaroye (Mbatal), au nord par la route nationale N°1 et au sud par l’océan Atlantique.
Ainsi, de par sa position géographique, il draine toutes les populations de la banlieue dakaroise. Cette position à l’entrée de la ville de Dakar et sa proximité de la route nationale font qu’il est plus accessible, que les autres services de psychiatrie situés en plein centre-ville, pour les populations venant de l’intérieur du pays.
Il a été créé en 1961 et est le seul EPS de niveau III spécialisé en psychiatrie. Les services de psychiatrie des hôpitaux de Fann et de Principal étant logés logés dans les hôpitaux généraux.
Structure de référence nationale et sous régionale (36) dans la prise en charge des malades mentaux, le CHNPT dispose aujourd’hui d’une capacité de 218 lits repartis comme suit :
– 108 lits d’hospitalisation
– 08 cellules d’internement
– 09 lits au SAUP
– 93 lits pour accompagnateurs
La loi 75-80 relative au traitement des maladies mentales et au régime d’internement de certaines catégories d’aliénés et ses décrets d’application fait de l’Hôpital Psychiatrique de THIAROYE un établissement spécial de type fermé. Ces textes organisent formellement l’internement des malades faisant l’objet d’une décision de justice ou administrative [36]. Le malade est amené par la police et les sapeurs-pompiers, en général avec un accompagnant, munis d’un arrêté d’internement provisoire (AIP) provenant du préfet ou du sous-préfet.
Le CHNU de Fann se situe en plein centre-ville, à environ 12 km du CHNPT. L’hôpital militaire de Ouakam est situé à environ 6 km du CHNU de Fann, soit environ à 18 km du CHNPT [47].
L’hôpital Principal de Dakar se trouve à environ 13 km du CHNPT.
– À l’intérieur du pays
Dans la région de Thiès et de Fatick, il y a les centres Dalal Xel1 situés respectivement à 70 et 155 km de Dakar (le centre Dalal Xel de Thiès est une structure privée.) [47].
Le centre de Thiès draine essentiellement la population de la ville de Thiès et ces alentours (Tivaouane, Mboro, Pout, Meckhé…). Celui de Fatick couvre majoritairement les patients de la zone du Sine-Saloum (Fatick, Tattaguine, Diofior, Foundiougne, Sokone, Kaolack…).
À Ziguinchor au Sud-ouest, à 454 km de Dakar, et à Tambacounda au Sud-est, à 467 km de Dakar, il y a respectivement le centre psychiatrique Emile Badiane et le centre de santé mentale de Djinkoré [47]. Ils drainent respectivement les populations de la Casamance (Ziguinchor, Kolda, Sédhiou…) et de la région de Tambacounda et ses environs (Kédougou, Tambacounda, Koumpentoum, Koussanar…).
Nous avons aussi un service de Psychiatrie dans les hôpitaux régionaux de Louga et de Saint-Louis permettant de couvrir essentiellement les populations de ces régions respectives et leur environ.
Enfin, les centres de réinsertion sociale de Kaolack et de Mbour pour un meilleur suivi des patients de ses localités.
Parmi toutes ces structures psychiatriques, il n’y a que le CHNPT qui dispose d’un SAU spécialisé en psychiatrie.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I. Notions d’urgence en psychiatrie, d’urgence psychiatrique et de crise
II. Evolution des idées sur les urgences en psychiatrie
1. EN France
2. AUX ETATS-UNIS
3. AU SENEGAL
III. Données épidémiologiques sur les urgences psychiatriques
IV. Situation sanitaire psychiatrique à Dakar et au Sénégal
DEUXIEME PARTIE
I. Objectifs
1. Objectif général
2. Objectifs spécifiques
II. Méthodologie
1. Durée et type d’étude
2. Cadre d’étude
3. Population d’étude
4. Recueil des données
5. Difficultés et limites de l’étude
III. RÉSULTATS
1. Données sociodémographiques
b. Répartition selon l’âge
c. Répartition selon la tranche d’âge en fonction du sexe
d. Répartition selon le lieu de provenance
e. Répartition selon la situation matrimoniale
2. Répartition selon l’origine de la demande de soins
3. Répartition selon le diagnostic évoqué
4. Répartition selon la prise en charge
IV. DISCUSSION
1. Le profil sociodémographique
2. L’origine de la demande de soins
3. Le diagnostic évoqué
4. La prise en charge
V. CONCLUSION
Télécharger le rapport complet