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Population à l’étude
Les patients étaient recrutés en Guadeloupe par téléphone par les investigateurs afin de leur proposer de participer à l’étude. Il s’agissait essentiellement de patients ayant déjà participé aux journées avancées sur le chikungunya chronique. Quelques patients étaient adressés par des confrères (diffusion d’une note d’information spécifique indiquant les modalités de participation à l’étude à un groupe de médecins généralistes, aux rhumatologues de Grande Terre et par le bouche à oreille).
Les critères d’éligibilité étaient les suivants :
Critères d’inclusion
– Patients atteints de chikungunya chronique : polyarthralgie et/ou TMS et/ou enraidissement matinal
– Sérologie chikungunya positive documentée
– Age 18 -70 ans
– Personne affiliée ou bénéficiaire d’un régime de sécurité sociale
– Consentement libre, éclairé et écrit signé par le participant et l’investigateur
Critères de non inclusion
– Femme enceinte
– Pathologie rhumatismale préexistante au Chikungunya
– Patients en phase de Chikungunya aigu (sérologie documentée)
– Incapacité de réaliser les postures
– Patients sous méthotrexate ou corticoïdes depuis moins de 3 mois
– Personnes sous tutelle ou curatelle ou placées sous sauvegarde de justice, personne participant à une autre recherche comprenant une période d’exclusion toujours en cours, santé physique et/ou psychologique sévèrement altérée, qui selon l’investigateur, peut affecter la compliance du participant à l’étude.
La validité des critères d’éligibilité était confirmée lors de la consultation d’inclusion. Au cours de cette consultation individuelle, les patients avaient l’opportunité de poser des questions au sujet du consentement écrit, qui était par la suite signé par le médecin investigateur et le patient. Les données biométriques et la prise de MTX et/ou CTC étaient également saisies à ce moment.
Randomisation et intervention
Les patients étaient randomisés en deux groupes selon le sexe, l’âge, l’IMC et la prise de méthotrexate et/ou de corticoïdes.
Le groupe interventionnel bénéficiait pendant 8 semaines de séances hebdomadaires de yoga et d’auto-exercices à faire à domicile.
Les cours de hatha yoga étaient dispensés par une interne de médecine générale diplômée de l’école de yoga Sivananda. Ils avaient lieu à la Maison de Santé Pluridisciplinaire Universitaire “les Mouffias”. Les séances duraient 60 minutes et les auto-exercices demandés à domicile, 15 minutes par jour. Les cours comportaient des exercices de relaxation, du pranayama doux (exercices respiratoires) et des postures de hatha yoga de difficulté graduelle au fur et à mesure des séances. Les postures pratiquées étaient la salutation au soleil, la posture sur les épaules, la charrue, le poisson, la pince assise, le cobra, l’arc, la demi-torsion vertébrale, la pince debout et le triangle [Annexe 3].
Le groupe wait-list devait bénéficier à son tour de l’intervention à partir de la semaine 8.
Critères de jugement de l’étude
Le critère de jugement principal était l’évaluation de la qualité de vie à l’aide de l’échelle SF-36 [Annexe 4], un score bien validé dans la littérature (13–16). Les composantes physique et mentale du questionnaire étaient mesurées initialement, au bout de 8 semaines et au bout de 18 semaines.
Les critères de jugement secondaires étaient :
– L’évaluation de la douleur nociceptive (échelle EVA [Annexe 5]) et de la douleur neuropathique (échelle DN4 [Annexe 6]), mesurées initialement, au bout de 8 semaines et au bout de 18 semaines.
– L’évaluation des amplitudes articulaires par goniométrie universelle, mesurées initialement, au bout de 8 semaines et au bout de 18 semaines. Les amplitudes évaluées étaient la flexion des épaules, la flexion des poignets et la flexion des genoux.
Aspects éthiques et réglementaires
Un avis favorable a été émis par le Comité de Protection des Personnes Ile de France 1 le 12 septembre 2019 (NUMERO DOSSIER : 2019 sept.-MS197).
Analyse statistique
En se basant sur une amélioration d’au moins 7 points de la dimension physique ou mentale du score SF-36, avec un écart-type attendu de 8 points, 42 patients étaient nécessaires. Après majoration de 15% de l’effectif en fonction des abandons éventuels, il était prévu de recruter 50 patients dans l’étude. Les caractéristiques de base entre les 2 groupes ont été comparées par un test de Student. Les scores SF36, EVA et DN4 ont été comparés pour chaque groupe entre la semaine 0 et la semaine 8 par un test de Student.
Une analyse de variance ANOVA à un facteur a été utilisée pour obtenir la différence de moyenne non ajustée entre les deux groupes à la semaine 8. Ensuite, une ANCOVA a été utilisée pour obtenir la différence de moyenne ajustée par rapport à la valeur initiale.
Les données ont été traitées en utilisant l’environnement statistique R.
RESULTATS
Caractéristiques des participants à l’étude
Au total, 34 patients remplissant les critères d’éligibilité ont été inclus entre octobre et décembre 2019. Une patiente a été incluse, mais par la suite non randomisée, en raison de son départ du territoire Guadeloupéen avant le début de l’étude. Sur les 33 patients inclus, seules les données de 30 patients ont été analysées : 2 patients présentant des données manquantes (absence à la consultation médicale et hospitalisation), 1 patient ayant choisi de sortir de l’étude prématurément pour des raisons personnelles. (Figure 1)
Notre étude comptait une majorité de femmes (31 femmes pour 2 hommes), l’âge moyen était de 56 ± 8 ans (minimum 36 ans, maximum 70 ans), les patients étaient globalement en surpoids avec un IMC moyen de 27,8 ± 4,27 kilogrammes par mètre carré. Les caractéristiques de base ont été résumées dans le tableau 1.
Résultats clés
Notre étude pilote n’a donc pas permis de montrer d’amélioration de la qualité de vie des patients souffrant du chikungunya chronique par les postures de yoga. Le yoga n’apporte pas d’amélioration sur les deux dimensions du score de qualité de vie SF-36 (physique et mentale), ni sur l’EVA, ni sur la DN4. S’il y a bien une diminution de l’EVA et de la DN4 pour le groupe yoga entre la semaine 0 et la semaine 8, cette diminution n’est pas significative comparativement à l’autre groupe.
Points forts de l’étude
Le caractère prospectif de cette étude a permis d’obtenir des informations plus fiables que dans une étude rétrospective car l’évaluation clinique de la douleur et des limitations articulaires étaient mieux mesurées.
Le fait d’effectuer cette étude en simple aveugle était aussi une assurance d’éviter un biais d’évaluation. L’utilisation d’un design de type « wait-list » permettait d’encourager les patients à participer à l’étude. En effet, tous les patients pouvaient ainsi bénéficier du yoga, ceux du groupe contrôle recevaient juste l’intervention plus tardivement (17,18).
Le sujet des thérapies alternatives pour une pathologie chronique en impasse thérapeutique avait pour objectif de pouvoir proposer une solution bénéfique à la population guadeloupéenne en cas de résultats significatifs, comme par exemple d’inclure des cours de yoga dans un parcours de soin dédié au chikungunya chronique.
L’analyse des données de la littérature ne nous a pas permis d’identifier d’autres études sur l’évaluation des bénéfices du yoga dans le chikungunya chronique, ce qui confère un caractère original et pertinent à notre étude.
Limites et biais de l’étude
Cette étude possède néanmoins certaines limites. A commencer par son arrêt prématuré engendré par la pandémie du COVID-19 en Mars 2020, nous empêchant d’obtenir un recueil de données complet. Nous avons donc étudié uniquement les données des deux premières visites médicales. Nous avons dû interrompre les cours de yoga pour le deuxième groupe après seulement 3 séances.
Par ailleurs, une des limites principales de notre étude était le nombre de séances de yoga. Seules huit séances étaient programmées avec inévitablement 1 à 2 séances manquées par les participants. En comparaison avec d’autres données de la littérature sur le même sujet, la plupart avaient prouvé leur significativité sur des durées de traitement plus longues que la nôtre allant jusqu’à 12 semaines pour certaines études.
La puissance de l’étude peut être remise en cause du fait d’un nombre de patients inclus inférieur au calcul d’effectif prévu initialement d’au moins 42 patients. Néanmoins, le faible gain de score SF-36, aussi bien pour la composante physique que mentale (environ 1 point), suggère qu’il est peu probable qu’une augmentation telle qu’envisagée dans le calcul de puissance (au moins 7 points pour être considérée comme pertinente cliniquement) aurait pu être atteinte avec le recrutement prévu initialement.
Le chikungunya chronique étant une pathologie encore sous-diagnostiquée, il était difficile pour nous de recueillir une cohorte importante, ceci pouvant être considéré comme une limite de recrutement.
Comme de nombreuses pathologies rhumatismales chroniques, les douleurs articulaires chez les patients atteints de chikungunya chronique se manifestent par poussées. Il n’est pas aisé de mettre en évidence cliniquement ces douleurs et limitations d’articulations durant une consultation médicale à date fixe. Il aurait peut-être été plus représentatif de prendre en compte le nombre de poussées sur une période donnée afin de mieux se rendre compte de l’impact sur le long terme. S’il y avait eu une échelle d’évaluation du Chikungunya chronique, cela aurait permis une évaluation plus spécifique.
Pour la grande majorité de la cohorte, les patients étaient naïfs de la pratique du yoga. On peut donc se poser également la question de l’adhésion et croyance au projet si le concept n’a finalement pas convaincu. Ceci pouvant se répercuter sur l’observance des auto-exercices au domicile demandés au patient pour son suivi. Nous n’avons d’ailleurs pas pu récupérer les données des carnets de suivi des patients pour s’en assurer compte tenu du contexte de crise sanitaire.
Interprétation des données
Les conclusions de notre étude ne correspondent pas aux différentes données de la littérature concernant le yoga. Même si notre étude n’était pas significative pour une amélioration de la qualité de vie et des douleurs du chikungunya chronique, il existe des études similaires (avec parfois des effectifs réduits) trouvant des résultats positifs du yoga sur le SF-36 dans ses deux dimensions et sur les douleurs arthrosiques et de polyarthrite rhumatoïde (9,19–24).
La douleur est l’un des résultats les plus analysés dans ces études et elle semble être considérablement améliorée avec le yoga (23). Par ailleurs, il est peu probable que le yoga soit un facteur négatif sur ces pathologies.
Il n’y a pas d’étude démontrant quels sont les mécanismes précis du yoga sur la douleur. Il semblerait que le yoga permette de renforcer des structures locales articulaires ainsi que la force musculaire pour réduire la douleur physique et améliorer la stabilité des articulations. La réduction du stress apporté par le yoga semble également être un mécanisme efficace dans la gestion de la douleur et l’amélioration de la qualité de vie (25).
Nous avions décidé d’évaluer la qualité de vie par le biais d’une échelle SF-36, de nombreuses fois utilisée dans la littérature pour suivre les patients atteints de maladies articulaires chroniques. Contrairement à d’autres échelles de qualité de vie, celle-ci a l’avantage de prendre en compte la dimension mentale, donnant une vision plus globale de l’état de santé de nos patients.(26)
La pertinence de l’utilisation du SF-36 se retranscrit dans les résultats des études de Marimoutou et C et al. (27,28) à la Réunion, qui respectivement à 30 mois et 6 ans de l’infection, démontrent l’impact à long terme du CHIKV avec des conséquences physiques et mentales persistantes sur la qualité de vie.
Dans une étude comparable à la nôtre, de Olivera et al. (29) ont étudié les bénéfices du Pilate sur la diminution de la douleur, l’amélioration des fonctions articulaires et la qualité de vie des patients souffrant du chikungunya chronique. Pour ce faire, ils avaient utilisé les outils suivants : EVA pour la douleur, auto-questionnaire de santé pour la mesure des capacités fonctionnelles, un SF-12 (Short-Form Health survey 12) pour la qualité de vie et les amplitudes articulaires par goniométrie. Dans leur étude, ils réalisaient 12 séances de Pilate et avaient un total de 51 patients. Les résultats étaient significatifs sur la qualité de vie, la douleur et les amplitudes articulaires des chevilles, genoux et poignets.
Notre étude comptait 94% de femmes. Ce chiffre concorde avec les données de la littérature qui considèrent le fait d’être de sexe féminin comme un facteur de risque de développer un chikungunya chronique. En effet, il semblerait que les oestrogènes aient un effet amplificateur de la réponse immunitaire et/ou que la testostérone ait un effet régulateur de celle-ci (30).
Devant un IMC moyen de 27 kg/m² (surpoids), nous nous sommes demandé si le surpoids/l’obésité pouvait être un facteur de risque de développer un rhumatisme post-chikungunya ou chikungunya chronique. Dans une étude recherchant les facteurs prédictifs du chikungunya chronique, le surpoids et l’obésité ne faisaient pas partie des facteurs mis en évidence (31).
Généralisation des résultats et conclusion avec perspectives du travail
Devant le nombre important de limites et de biais de notre étude, il ne parait donc pas raisonnable de généraliser les résultats à la population de patients souffrant du chikungunya chronique. Une étude plus importante serait nécessaire avec un recrutement plus large, par exemple par une étude multicentrique.
Il faudrait réussir à prouver l’amélioration significative de la qualité de vie et/ou des douleurs avant de pouvoir proposer le yoga dans un parcours de soins, dans le cadre d’une consultation complexe pluridisciplinaire en ambulatoire (CCPA).
Afin de mieux prendre en charge le chikungunya chronique, il semblerait intéressant de créer une échelle spécifique d’évaluation pour cette pathologie singulière encore sous-diagnostiquée. Il serait intéressant de pouvoir évaluer le nombre de poussées douloureuses, leur durée, le recours aux différents paliers d’antalgiques, la répercussion sur les arrêts de travail.
CONCLUSION
Le yoga est reconnu comme étant une thérapie alternative efficace en association aux traitements de plusieurs pathologies variées (arthralgies, rhumatismes, maladies systémiques, insomnies, dépression) dans le but d’améliorer la qualité de vie et les douleurs des patients atteints. Cependant, dans notre étude, les postures de yoga ne semblent pas apporter d’amélioration à la qualité de vie des patients souffrant du chikungunya chronique.
Le chikungunya chronique est une pathologie encore sous-diagnostiquée et mal évaluée (absence d’échelle spécifique pour le suivi de la pathologie). Beaucoup de patients souffrant du chikungunya chronique sont en impasse thérapeutique et notre souhait était de proposer le yoga comme soin de support, avec pour but l’amélioration de leur qualité de vie. Bien que cette approche complémentaire soit prometteuse en tant que thérapie alternative dans d’autres pathologies rhumatismales, la littérature manque encore d’études à long terme avec des groupes de patients plus importants pour pouvoir conclure à son efficacité dans le chikungunya chronique.
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Table des matières
LISTE DES TABLEAUX, FIGURE, ANNEXES
RESUME
ABSTRACT
I. INTRODUCTION
II. MATERIEL ET METHODES
A. Population à l’étude
B. Randomisation et intervention
C. Critères de jugement de l’étude
D. Aspects éthiques et réglementaires
E. Analyse statistique
III. RESULTATS
A. Caractéristiques des participants à l’étude
B. Données concernant le critère principal d’évaluation et les autres critères d’évaluation
IV. DISCUSSION
A. Résultats clés
B. Points forts de l’étude
C. Limites et biais de l’étude
D. Interprétation des données
E. Généralisation des résultats et conclusion avec perspectives du travail
V. CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES
SERMENT D’HIPPOCRATE
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